MÉMORIA ZÉRO - TOME 1

Chapitre 14 : UNE SALE JOURNÉE

4438 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/07/2021 17:30

Assise sur sa chaise, Lyria piétinait le sol d’impatience, faisant vibrer la table. Son regard oscillait entre Kyeran et Hayato. Le premier caressait Oz avec un sourire niais pendant que le second, adossé à un mur, sirotait un thé à la menthe d’un air pensif. Une bonne heure s’était écoulée depuis qu’ils avaient quitté la chambre d’Allister et ce dernier tardait à se réveiller.

Excédée par cette trop longue attente, elle brisa le silence.

— T’es sûr que ta magie a fonctionné ?

Le Vulpian avala une nouvelle gorgée de son infusion et lui adressa un regard sévère.

— Un peu de patience. Ton père était sous l’effet des drogues depuis plusieurs heures, il faut du temps pour que mon sort draine son organisme. Ça ne se fait pas comme ça en claquant des doigts.

Lyria soupira. La patience ? Ce n’était pas son fort, d’autant que les résultats de la prise de sang se faisaient désirer. Elle n’eut d’autre choix que de continuer d’attendre. Toutefois, le calme ne dura guère. Quelqu’un toqua deux coups à la porte avant d’entrer.

Un jeune homme d’à peine vingt ans aux cheveux ébène et à la peau hâlée apparut sur le perron de la cuisine. C’était Hayden. Ses yeux d’un vert vif s’arrondirent et ses sacs de courses en papier cartonné faillirent lui échapper des bras.

— Euh... bonjour, bredouilla-t-il avant de se tourner vers Lyria. Je ne savais pas que tu avais de la visite, tu veux que je repasse plus tard ?

— Non, reste. Et merci beaucoup pour les courses, t’es vraiment un ange.

Touchée par son dévouement, elle se leva avec un large sourire et le débarrassa de ses encombrants paquets, non sans le gratifier d’un baiser sur la joue. Ce grand timide éprouvait toujours de la difficulté à cacher ses émotions et les deux autres regards braqués sur lui n’arrangeaient pas la situation. Tandis que sa longue queue annelée fouettait l’air avec nervosité dans son dos, il s’empourpra.

Ressentant sa fébrilité, Lyria tenta aussitôt de l’apaiser en prenant sa main dans la sienne et lui présenta ses invités.

— Voici Hayato, il est médecin et lui, c’est Kyeran, un exterminateur. Ils bossent ensemble.

Le visage d’Hayden changea d’expression. Son agitation laissa place à de l’étonnement.

— Alors, ce que tu me disais l’autre jour, ce n’était pas une blague ? C’est bien un…

— Oui, c’est un Dragyan, lui confirma-t-elle.

Avec une lueur émerveillée dans le regard, son compagnon la lâcha et s’avança vers Kyeran.

— Je m’appelle Hayden Leonheart et je suis traqueur indépendant. Ma petite-amie m’a parlé de toi récemment et c’est un honneur pour moi de rencontrer un membre de la noble race des dragons.

Au moment où le Dragyan allait répondre, une violente quinte de toux retentit. Lyria sursauta et vit Hayato plié en deux, le visage rougeaud. Il venait d’avaler son thé de travers. Kyeran et Hayden l’observèrent avec des expressions inquiètes, puis le premier s’avança vers son coéquipier pour lui tapoter le dos.

— Hé, ça va ?

Entre deux souffles rauques, le Vulpian releva des yeux larmoyants et balaya l’air de la main.

— Ce... c’est rien... ça va aller...

Chacun le considéra d’un regard perplexe avant de revenir au sujet de conversation initiale. Kyeran présenta enfin sa paume à Hayden en plaisantant :

— Enchanté de te connaître. Ton compliment me flatte, car en général, les gens ont plutôt tendance à fuir ou se munir d’armes en tout genre pour châtier les illustres représentants de mon espèce.

Hayden laissa échapper un rire.

— Les Mériens considèrent les dragons comme des créatures divines et les ont toujours respectés. De ce que j’en sais, mes ancêtres n’ont jamais levé leurs armes contre eux.

L’exterminateur hocha la tête avec un sourire tandis que Lyria les observait avec intérêt. Âgé de dix-huit ans, Hayden se démarquait par une silhouette plus gracile que son homologue reptilien et n’avait rien à envier aux hommes plus mûrs. Son visage fin au teint hâlé, souligné de rayures brunes et ses prunelles d’un vert intense charmaient n’importe quelle femme, quelle que soit l’espèce. Face à lui, Kyeran rivalisait par sa prestance et sa grande taille. Sa peau, plus claire que celle du Mérien, scintillait sous les rayons solaires qui traversaient la fenêtre et ses yeux, d’un or vif éclatant, lui conféraient un regard à la beauté énigmatique.

Plongée dans sa contemplation, Lyria ne prêta pas attention au soudain changement d’expression de son compagnon. Hayden retira sa main de celle de Kyeran et recula d’un pas, la mine blême. Un pli barra le front du Dragyan et Hayato, qui avait retrouvé son souffle, arbora la même réaction.

— Qu’est-ce qui se passe ? les interrogea-t-elle en haussant un sourcil.

Hayden détourna la tête.

— Euh... rien, ce n’est rien.

Son attitude ne la convainquit guère aussi, darda-t-elle un regard suspicieux sur Kyeran.

— Qu’est-ce que t’as fait ?

— Je n’en sais rien, se défendit-il en haussant les épaules.

Mal à l’aise, Hayden esquissa un sourire gêné et recula vers la porte.

— Désolé, je... je repasserai plus tard, quand tu seras seule.

Oh non, mon grand... tu n’vas pas partir comme ça ! Tu vas tout m’dire !

Son étrange réaction méritait des explications. Lyria se tourna alors vers ses deux invités tout en saisissant son compagnon par le bras.

— J’reviens dans quelques minutes.

Sans attendre leur approbation, elle entraîna Hayden dans l’arrière-cour de la forge. Ici, hormis les herbes hautes et envahissantes du modeste jardin, personne ne les écouterait. Le jeune métis grimaça face à l’aspect négligé du carré de verdure.

— Il va falloir que je vienne débroussailler, ça a poussé drôlement vite.

— C’est pas l’sujet, s’agaça-t-elle, c’était quoi cette réaction ? Kyeran t’a fait du mal ?

Hayden cligna des paupières et ses lèvres frémirent.

— N-non, il ne m’a rien fait, je t’assure, c’est juste... son aura...

Lyria sourcilla.

— Son aura ? Ben quoi, qu’est-ce qu’elle a ?

— Elle est sombre.

— Comment ça ? Tu veux dire qu’elle est... malfaisante ?

— Non, bien au contraire, mais elle est tellement écrasante, que j’ai paniqué.

Lyria plissa les yeux. Hayden avait donc ressenti la même sensation qu’elle. D’après ce qu’elle avait recherché la veille dans le livre de Mazen, une seule nature d’aura provoquait ce genre de malaise : celle des Alphas. Et après avoir vu Kyeran sous sa véritable apparence, le nom d’un clan s’était alors rappelé à sa mémoire. Celui qui avait régné en maître sur le peuple dragon ces siècles derniers et qui était réputé pour la livrée sombre de ses écailles : les Alphas noirs.

— Son aura est trop imposante pour être celle d’un simple Dragyan, poursuivit Hayden d’un ton mal assuré. Elle recouvre presque tout autour de lui, comme une ombre, et même si je ne m’y connais pas beaucoup en dragons, je pense que c’est un...

— Alpha noir, termina-t-elle.

Hayden haussa les sourcils et face à son air étonné, elle s’expliqua :

— Dans mon livre sur les dragons, il est dit qu’ces Dragyans ont des affinités avec l’éther de type climatique et Kyeran est capable d’altérer la température ambiante. Donc, cela ferait de lui un Alpha noir.

Elle s’abstint de mentionner la dragomorphose de Kyeran. Si quelques indices lui permettaient aujourd’hui de démontrer sa vraie nature, elle ne voulait pas s’aventurer en terrain inconnu. Le Dragyan s’était peut-être montré amical et bienveillant avec elle, il n’en restait pas moins un tueur craint par une bonne partie de la population. Elle devrait peaufiner son enquête sur lui avec prudence.

— Peu importe ce que tu as lu, reste sur tes gardes, marmonna Hayden, l’expression peu rassurée. Tu es une Oméga et les Alphas ne les apprécient pas.

Elle entendit son dragon s’offusquer de cette remarque. Il gronda et se cabra en signe de protestation. Pour une fois, elle partagea sa réaction et trouva cet avertissement absurde.

— Kyeran ne m’fera pas de mal, je l’sens, et ne m’demande pas pourquoi, je n’saurais pas te l’expliquer. Après, si tu penses que j’ai tort, rien n’t’empêche de continuer de m’protéger comme tu l’as toujours fait.

Le visage d’Hayden se rembrunit. Sans un mot, il rejoignit un banc en bois dissimulé sous les branches tortueuses d’un vieux pommier. Il s’y installa et gratta nerveusement de ses ongles les restes de peinture écaillée. Son changement d’attitude intrigua Lyria. Quelque chose clochait et elle ne tarda pas à le découvrir.

Le jeune métis se frotta les cheveux avec une grimace empreinte d’amertume et soupira.

— Je sais que le moment est très mal choisi pour te parler de ça, mais... si je ne le fais pas maintenant, ce sera encore plus dur pour moi dans les jours à venir.

Elle sentit sa gorge se serrer. Un désagréable pressentiment lui noua les entrailles et ses mains devinrent moites.

— Je vais partir... lui avoua-t-il, la voie éraillée par la tension. J’ai décidé de devenir exterminateur et pour ça, je dois m’enrôler dans l’unité spéciale à Lyumara et suivre une formation.

— Que... quoi ?

Lyria n’arrivait pas à le croire et en resta bouche bée.

— Je sais que c’est soudain et je m’en veux de ne pas t’en avoir parlé avant. Tu as toujours été ma confidente, tu comptes beaucoup pour moi, et c’est justement pour ça que je ne veux pas continuer de te donner de faux espoirs. Ce serait irrespectueux de ma part.

Sous le choc, elle poussa un petit cri.

— Hayden... est-ce que tu es en train de me dire... ?

L’espace d’une seconde, il resta silencieux, puis se redressa de toute sa hauteur. Une vague de regrets traversa son visage.

— Depuis quelques semaines, j’ai l’impression de me forcer dans notre relation et je trouve ça malsain vis-à-vis de toi. Tu ne mérites pas ça. Tu es la personne la plus merveilleuse que j’ai pu rencontrer et je n’oublierais jamais tous les instants qu’on a passés ensemble, mais... je ne suis plus amoureux.

L’âme de Lyria se retrouva anesthésiée, vide. Ces paroles lui lacérèrent le cœur comme des couteaux aiguisés. Sa vue se brouilla et elle crut suffoquer tant ses poumons se comprimèrent sous l’effet du choc. Une colère sourde enfla alors en elle et ses poings se resserrèrent si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans sa peau.

— T’es sûr que c’est pas une excuse bidon pour m’cacher que t’as trouvé une autre femme ? rétorqua-t-elle, un hoquet de rage coincé dans la gorge.

Hayden saisit ses mains et plongea son regard dans le sien.

— Non, il n’y a personne d’autre, je te le jure.

Voyant son air sceptique, il poursuivit :

— Si je deviens exterminateur, je ne pourrai ni me marier ni avoir d’enfants. C’est la règle quand on prête serment.

Une lueur de sincérité mélancolique teintait les prunelles d’Hayden. Cette situation était difficile pour lui aussi. Lyria ferma les paupières et refoula les larmes accumulées sous ses cils avant de lui poser la question tant redoutée.

— Tu partirais quand ?

— À la fin du mois, dernier délai...

Trop bouleversée pour répondre quoi que ce soit, elle s’échappa de son étreinte et foula le sol d’un pas lourd, les bras resserrés autour de sa poitrine douloureuse. Deux émotions se confrontaient dans son cœur. La colère, parce que tout l’accablait en même temps : la maladie de son père, son allégeance aux Red Skulls, sa rupture. Et la déception, car elle avait toujours cru qu’Hayden resterait à ses côtés, quoi qu’il arrive...

 Se sentant trahie, elle le toisa à travers ses yeux humides et renifla un grand coup.

— Laisse-moi, je veux être seule...

Hayden la fixa avec une expression torturée et tendit son bras pour l’attirer à lui, mais elle arrêta son geste en levant sa paume.

— S’il te plaît...

Il hocha doucement la tête, puis laissa retomber sa main. Sans un mot, il quitta les lieux d’une démarche penaude, mais juste avant de disparaître au coin du mur, il se retourna.

— Je ne serai pas en mission les prochains jours, alors si tu as besoin d’aide, n’hésite pas à me demander.

Lyria écouta ses paroles sans pour autant les assimiler. Elle devait d’abord digérer cette histoire avant de se sentir prête à le revoir. Quand elle se retrouva seule, un brouillard de douleur l’enveloppa. Elle n’arrivait plus à respirer ni à réfléchir. Ses jambes se dérobèrent et elle s’effondra sur le banc tandis que le déluge qu’elle avait désespérément tenté de contenir la submergeait.

Pendant ce qui lui sembla durer une éternité, elle resta là, à pleurer son avenir qui lui filait entre les doigts. Puis, quand les larmes se tarirent enfin, son cœur s’était apaisé. La douleur avait laissé place à une subite et étrange sérénité.

— Tout va bien ? demanda une voix grave.

Lyria sursauta et poussa un cri en relevant la tête. Kyeran était penché au-dessus d’elle et l’observait, le front plissé d’inquiétude. Depuis combien de temps était-il ici ? Avait-il tout entendu ?

— Oui... mentit-elle. J’me suis juste disputée avec Hayden. Rien de bien dramatique.

— Si ce n’est pas dramatique, pourquoi pleurais-tu ?

Elle se renfrogna, agacée par son indiscrétion.

Notre compagnon a senti ta détresse, grogna son dragon, cesse d’être sur la défensive.

Face à son regard peu avenant, Kyeran leva les mains et resta à bonne distance.

— Oh, ne t’inquiète pas, ta vie amoureuse ne m’intéresse pas. J’étais juste venu te dire que ton père est réveillé.

Lyria inspira vivement, un hoquet de surprise coincé dans la gorge.

— Que... c’est vrai ?

Un soulagement indescriptible l’envahit et d’un bond, elle se redressa. Un peu trop vite. Lorsqu’elle voulut presser le pas, le décor vacilla et se déforma. Tandis que la voix paniquée de Kyeran résonnait en un écho lointain, ses jambes se dérobèrent, puis les griffes de l’obscurité se refermèrent sur elle.

 

***

Quand Lyria rouvrit les yeux, elle reconnut le plafond traversé de poutres en bois sombre du salon. Elle se redressa, mais une vive douleur à la tempe lui arracha une grimace.

— Reste allongée. Tu t’es cognée et tu as une belle entaille.

Elle tressaillit à l’entente de la voix de Kyeran et fut surprise de le voir à son chevet. De sa large paume, il la repoussa doucement contre les coussins du canapé pendant qu’il lui tamponnait la tête à l’aide d’un tissu humide. Trop engourdie pour protester, elle le laissa faire et le contact de l’eau fraîche l’apaisa.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Tu ne te souviens pas ? Tu as fait un malaise.

À ces mots, les images de sa conversation houleuse avec Hayden lui revinrent en mémoire et son cœur se pinça.

— Je t’ai rattrapée, mais je n’ai pas réussi à t’empêcher de te cogner contre le rebord du mur, continua le Dragyan en se grattant les cheveux d’un air embarrassé. Désolé...

 Face à cette touchante attention de sa part alors qu’ils se connaissaient à peine, Lyria sentit les larmes affluer aux coins de ses yeux. Tentant au mieux de contenir ce flot d’émotion incontrôlable qui menaçait de l’assaillir, elle respira profondément et réprima un hoquet.

— Ta plaie saigne beaucoup, lui fit remarquer Kyeran, les sourcils froncés. Ta capacité de guérison n’est pas aussi efficace que la mienne.

— Je sais... C’est pour ça qu’mon père me dit toujours de faire attention. Est-ce que tous les autres Dragyans Omégas étaient comme moi ?

Kyeran pencha la tête d’un air pensif.

— Tout ce que je sais, c’est que les Dragyans de sang pur ont un sang très corrosif et qu’ils guérissent plus vite grâce à cette particularité. Maintenant, pour ce qui est des Omégas, je suppose que comme ils héritent du patrimoine génétique des humains, leurs capacités se retrouvent amoindries.

Lyria évalua cette hypothèse avec sérieux, puis plissa les yeux.

— Et... t’as connu d’autres hybrides avant moi ?

— Quelques-uns, oui, mais je ne les ai pas côtoyés, donc mes connaissances à leur sujet sont un peu incomplètes.

L’ambiance se détendit et Lyria relégua les paroles blessantes d’Hayden au fond de son esprit. Elle avait encore tant de choses à apprendre sur leur espèce, qu’elle ne pouvait pas mieux espérer que ce moment passé avec Kyeran. Le dragon en elle ronronna de satisfaction.

Pendant que le Dragyan continuait de la soigner, elle se perdit une fois de plus dans son regard. Jamais elle n’avait vu plus magnifiques que ces deux orbes d’un jaune vif constellés d’étoiles cuivrées. Ses joues s’échauffèrent malgré elle et quand il appliqua une nouvelle fois le tissu mouillé sur sa tempe, un de ses doigts effleura sa peau par inadvertance. Une étincelle la parcourut et ses terminaisons nerveuses s’éveillèrent. Kyeran sembla lui aussi ressentir l’étrange phénomène, car il sursauta légèrement et une lueur effarée traversa ses prunelles.

Emportée par son état fébrile, Lyria déglutit.

— Tu sais que t’es plutôt... beau ?

Si à cet instant, la partie la plus raisonnable de sa conscience s’offusquait de son comportement, son dragon, en revanche, bomba le poitrail d’approbation. Quand elle réalisa la portée de ses mots, ses lèvres se pincèrent, puis elle détourna le regard tandis que Kyeran s’écartait d’un pas, submergé par une soudaine timidité.

— Ça ne saigne plus, déclara-t-il d’un ton neutre, il faut laisser sécher, maintenant.

La subite impassibilité du Dragyan fut comme une gifle. Alors qu’il pivotait pour se diriger vers la pièce voisine, Lyria sentit son cœur se serrer sans en connaître la raison et l’espace d’un instant, respirer lui devint douloureux. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? Elle n’eut pas le loisir de se poser plus de questions. La porte du salon s’ouvrit et Hayato entra, les lèvres courbées en un demi-sourire moqueur.

— N’en profite pas pour draguer quand j’ai le dos tourné, lâcha-t-il à l’attention de l’exterminateur.

Kyeran leva les yeux au ciel.

— Et c’est toi qui dis ça ?

Le Vulpian l’ignora et s’empara d’une chaise pour s’asseoir face au canapé.

— Tu te sens mieux ?

Lyria jeta un bref coup d’œil gêné sur le Dragyan avant de déglutir.

— Oui, il s’est bien occupé de moi.

— Bon, tant mieux, sourit-il avant de reprendre une expression plus grave, car j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer.

Un mauvais pressentiment la submergea à l’entente de ces derniers mots. Elle se recroquevilla sur le canapé tout en plantant son regard dans celui d’Hayato. Réussirait-elle à encaisser ce qui allait suivre ?

Le Vulpian entrelaça ses doigts et se racla la gorge.

— J’ai reçu les résultats. L’analyse de sang indique un taux extrêmement bas d’hémoglobines et de plaquettes ainsi qu’un grand nombre de cellules anormales, des lymphocytes immatures ou des globules blancs si tu préfères. Ça ressemble à une dégénérescence de forme aiguë de la moelle épinière et pour être honnête avec toi, je ne sais pas si on pourra sauver ton père. La maladie est à un stade très avancé.

Lyria accusa le coup et la douleur qu’elle avait tenté de refouler quelques secondes plus tôt reprit le dessus.

— De... de quoi souffre-t-il ?

Un pli barra le front d’Hayato.

— C’est une maladie qui a été découverte il y a environ moins de dix ans. Elle touche surtout les humains et comme c’est quelque chose de très récent, elle n’a pas encore été assez étudiée et aucun traitement n’existe pour le moment.

Tout espoir se fana. Lyria avait l’impression qu’on lui infligeait une sentence. Même la peine de mort à son encontre ne l’aurait pas autant ébranlée. Pendant un bref instant, son cœur cessa de battre. Elle devait rêver et tout ceci n’était qu’un vulgaire cauchemar. Pourtant, la réalité la rattrapa lorsqu’Allister entra à son tour dans la pièce. Kyeran l’aida à marcher jusqu’à un fauteuil dans lequel il s’enfonça avec un soupir las avant de lever les yeux vers sa fille.

— Il t’a expliqué ? marmonna-t-il d’une voix rauque.

Menacée par le chagrin, elle réprima un hoquet en hochant doucement la tête. Malgré ses tremblements, elle lutta contre l’abîme qui déchirait son âme. Elle se devait de rester forte et montrer à son père qu’elle pouvait tout encaisser.

— Lyria... reprit Hayato. Ton père a besoin de soins qui ne peuvent pas se faire à domicile et doit passer des examens plus approfondis. On va devoir l’hospitaliser.

Les lèvres pincées jusqu’à s’en faire saigner, elle croisa le regard navré d’Allister et alors qu’une larme roulait le long de sa joue, elle acquiesça silencieusement.

 

***

 

Le taxi à destination de la clinique privée de Zapornia venait d’arriver. Les doigts resserrés autour de ceux de son père, Lyria refusait de croire que ses jours étaient comptés. C’était trop surréaliste.

De son autre main, Allister lui caressait les cheveux.

— Ça va aller... ne t’en fais pas pour moi, ce n’est pas plus mal que j’aille là-bas, je ne peux pas continuer de te faire porter ce lourd fardeau. Tu es forte et je suis sûr que tu réussiras à t’en sortir, même si je ne suis plus là.

Ce compliment lui arracha un rictus amer.

— Tu me parles comme si t’étais déjà mort...

Un rire nasal échappa à Allister.

— Non, pas encore. J’ai bien l’intention de me battre, même si ça peut paraître sans espoir.

Elle se frotta contre sa paume, à la recherche de réconfort, et un ronronnement émana de sa gorge quand il l’enserra de ses bras protecteurs.

— J’viendrai te voir tous les jours, lui promit-elle.

Allister lui murmura quelques mots doux, puis rompit l’étreinte lorsqu’Hayato lui tapota l’épaule.

— Désolé de vous interrompre, mais il faut qu’on y aille.

Les lèvres de Lyria frémirent.

— Je peux venir avec lui ?

Hayato secoua la tête, l’expression navrée.

— Il va être immédiatement pris en charge pour passer des examens et ça prendra beaucoup de temps. Tu risques d’attendre des heures pour rien. Reste chez toi aujourd’hui, tu pourras venir lui rendre visite dès demain.

Le cœur lourd, elle acquiesça, puis le Vulpian aida Allister à prendre place à ses côtés. Le véhicule démarra et elle salua une dernière fois son père jusqu’à ce qu’il soit hors de vue. Le vide s’empara de son âme. Ses yeux n’avaient plus la force de verser des larmes et elle se sentait impuissante face au destin qui se déchaînait à son encontre.

La main de Kyeran se posa sur son épaule et, malgré les vêtements qui séparaient leur peau, son corps réagit de nouveau à ce contact. Un subtil frisson remonta depuis le creux de ses reins tandis que son rythme cardiaque s’accélérait et en un instant, sa douleur ainsi que sa peine s’apaisèrent. Quelle étrange sensation ! Pour une raison que Lyria ignorait, quelque chose en elle altérait ses émotions dès qu’elle se trouvait à proximité du beau Dragyan. Était-ce à cause de la voix du dragon dans sa tête ou d’autre chose ? Après les épreuves qu’elle venait de subir, elle n’aurait pas été contre à recevoir un peu de réconfort, mais était-ce vraiment convenable ?

Dans un élan de lucidité, elle s’éloigna de lui. Elle devrait être en train de pleurer le départ de son père, pas de s’abandonner à des pensées lubriques.

Kyeran la considéra d’un air intrigué.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien... soupira-t-elle.

Il grimaça, peu convaincu, et survola les lieux du regard.

— Je pense que tu as besoin de prendre l’air. On pourrait aller se promener quelque part, si tu veux.

Lyria tressaillit face à cette proposition, puis réfléchit. Elle ne se sentait pas de profiter davantage de la bienveillance de Kyeran, mais son idée n’était pas mauvaise. Après cette dure matinée, elle avait bien besoin de se remonter le moral.


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