MÉMORIA ZÉRO - TOME 1

Chapitre 17 : RÉMINISCENCES

1774 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/07/2021 16:32

Qu’est-ce que c’est ?

— La nébuleuse d’Akizel.

— Et ça ?

— Theotsah, l’étoile mère de la constellation du dragon.

— Tu as une bonne mémoire !

Assise sur sa chaise, Lyria observait les images colorées de planètes, d’étoiles ou encore de galaxies que le scientifique lui présentait dans un livre. À tout juste six ans, elle connaissait le système stellaire sur le bout des doigts et c’était avec joie qu’elle variait les activités éducatives avec l’humain. Hormis deux de ses collègues, il était bien l’un des seuls à ne pas la traiter comme une simple expérience de laboratoire. Grâce à lui, elle avait pu apprendre à parler, lire ainsi qu’écrire. Au fil du temps, un lien très fort s’était tissé entre eux et de ce fait, elle avait commencé à considérer ce professeur farfelu comme un père.

Un Dragyan à la crinière rousse hirsute les rejoignit et posa une main affectueuse sur l’épaule de l’humain.

— Alors ? Ça donne quoi ?

L’homme au visage encadré de cheveux mi-longs châtain releva la tête et réajusta ses lunettes du bout de son index.

— Et bien, elle a une excellente capacité mémorielle. Pour son âge, elle connaît déjà beaucoup de choses et c’est impressionnant. Ce livre par exemple, je ne lui ai montré qu’une seule fois et c’était il y a plus d’un mois. Les membres de ton espèce n’auront jamais fini de m’épater, Adryan !

Le concerné sourit chaleureusement.

— Notre nature draconique nous donne beaucoup de capacités et avec une longévité de pas loin de mille ans, ce serait dommage de ne pas en profiter !

— C’est vrai et je t’envie rien que pour ça, se lamenta l’humain avec une mine défaite. Si j’arrive à vivre jusqu’à quatre-vingts ans, ce sera déjà beau.

Adryan secoua la tête, l’expression amusée, puis s’agenouilla près de Lyria après avoir posé du matériel sur un plateau.

— Dis-moi, est-ce que tu m’autorises à prélever un peu de ton sang ?

Elle l’observa et se renfrogna alors qu’elle lui offrait son bras.

— Tu dois d’abord demander la permission à mon papa.

Adryan tressaillit avant de se tourner vers son collègue en sourcillant.

— Depuis quand te considère-t-elle comme son père ?

— Ça surprend, hein ? Depuis un bon moment, déjà.

Déconcerté, le scientifique dragyan arbora une moue boudeuse.

— Mais enfin, Anthonis, tu aurais pu m’en parler.

— Désolé, s’excusa le dénommé Anthonis, le rouge aux joues, je voulais te faire la surprise.

— Je vois... c’est réussi ! pouffa Adryan en reportant son attention sur la fillette.

Tandis que l’aiguille s’enfonçait dans sa peau dans une brève douleur, Lyria lui demanda :

— Pourquoi on m’prend du sang tous les jours ?

— C’est juste pour nous assurer que tu es en bonne santé.

— Et le produit tout bleu dans les piqures ? C’est quoi ?

Adryan et Anthonis s’échangèrent un regard confus et le premier se frotta nerveusement la nuque avec une grimace.

— Pour être honnête... on n’en sait rien...

 

***

 

Lyria inspira vivement et cligna des paupières. Une nouvelle vision du passé venait d’apparaître. Depuis quelques jours, des souvenirs refaisaient surface, et si au départ ce n’étaient que des bribes d’images incohérentes, à présent, ils devenaient plus précis. Ces étonnantes manifestations avaient commencé peu après son imprégnation avec Kyeran. Petit à petit, les remparts invisibles qui l’enfermaient se fissuraient pour laisser s’échapper des fragments de sa mémoire.

Si la recouvrer l’enthousiasmait, ce qu’elle venait de voir la rendait perplexe, à la limite du choc. Jamais elle n’aurait pensé provenir d’un laboratoire et encore moins découvrir que son père s’appelait Anthonis et non Allister. Pour quelle raison avait-il changé de nom ? Certains détails restaient encore flous, mais d’autres lui revinrent quand elle se souvint pourquoi le visage de Kyeran ne lui avait pas été inconnu. Ce scientifique dragyan, Adryan, lui ressemblait beaucoup, mais était beaucoup plus âgé et il semblait s’être occupé d’elle de manière régulière pendant son enfance.

Du temps lui serait nécessaire pour digérer tout cela et réassembler tous les morceaux de son passé. Cependant, cette surprenante découverte n’était pas la seule à la mettre en émoi. Celle au sujet de la véritable identité de Kyeran n’avait pas manqué de la plonger dans une profonde déconvenue. Lorsqu’il avait repris son apparence humaine, elle l’avait éhontément reluqué. Si ces joues s’étaient échauffées à la vue de ce corps aux muscles parfaits, certains détails avaient gâché ce chef-d’œuvre de la nature.

Son torse, son dos ainsi que ses bras étaient criblés de cicatrices argentées semblables à d’anciennes incisions et l’une d’elles l’avait fait particulièrement frissonner : une disgracieuse estafilade partant de sa hanche gauche jusqu’à sa clavicule droite. D’après son aspect, cette blessure était tout sauf naturel et avait certainement été réalisée par une arme blanche bien spécifique. Aucune de ces traces indélébiles n’était due à des séquelles de combats, elles étaient bien trop précises pour avoir été involontaires. Qu’avait-il bien pu subir ?

Ensuite, plusieurs de ses tatouages avaient attiré son attention. D’après ses connaissances acquises dans son livre, Lyria savait que seuls les Alphas possédaient autant d’attributs et l’immense tête de dragon traversée de deux épées croisées qui couvrait le dos de Kyeran représentait le blason clanique de la maison Synthesia. Autrement dit... la famille royale. Quant à la marque écailleuse bleue située sur son bras gauche qu’il gardait systématiquement dissimulé, elle n’apparaissait que sur l’héritier du trône.

Lyria en avait poussé un hoquet de stupeur. Kyeran était un Alpha noir, mais pas n’importe lequel.

Tu t’es imprégnée du prince héritier de Dragonia, avait ronronné son dragon, tu ne pouvais pas mieux espérer !

Elle soupira et saisit enfin pourquoi son ami se cachait toujours pour se transformer ou ne se déshabillait jamais complètement devant elle. Il devait avoir peur de son jugement, mais... pourquoi ? Au contraire, elle aurait aimé connaître ses craintes, les comprendre, et toucher du doigt les affreuses séquelles de son passé qu’il dissimulait aux yeux de tous. Depuis leur rencontre, sa fascination pour lui s’était mue au fil des jours en une attirance plus forte au point d’en éprouver du désir. C’était la première fois qu’un sentiment aussi intense l’envahissait. Lorsqu’ils avaient été sur le point de s’embrasser, les yeux du Dragyan brillaient d’une flamme ardente et ce simple regard n’avait pas manqué de la plonger dans un plaisir obscur. Une alchimie commençait à naître entre eux. Leurs deux âmes s’appelaient et voulaient entrer en résonance.

Puis, la dragomorphose avait eu lieu et le charme s’était brisé. Si Lyria en avait éprouvé une certaine euphorie, Kyeran n’avait pas partagé le même engouement. Son enthousiasme s’était soudainement fané et sa personnalité chaleureuse avait laissé place à une expression aussi stoïque qu’une statue de marbre. Le Dragyan s’était refermé sur lui-même, honteux d’avoir été mis à nu. Lors du trajet de retour jusqu’à Dabéorn, leurs échanges ne s’étaient limités qu’à quelques mots et depuis ce jour, l’exterminateur n’avait plus donné le moindre signe de vie.

À ce souvenir, elle en éprouva une douloureuse sensation d’abandon. Son cœur se serra et les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle secoua la tête pour retrouver sa lucidité. Kyeran s’était peut-être juste absenté pour une nouvelle mission et cela ne prouvait en rien une possible aversion. Après tout, avec le Fléau qui continuait ses ravages, l’exterminateur n’avait pas le temps de se reposer sur ses lauriers.

Tout en caressant distraitement Oz, Lyria observa le paysage désolé derrière la fenêtre. L’hiver approchait et comme à son habitude, l’activité de son petit xéobrat ralentissait. À présent, celui-ci passait le plus clair de son temps à dormir. Elle tenta de vider son esprit, mais des questions se bousculaient dans sa tête et son cerveau exigeaient des réponses. Cependant, seul Allister serait en mesure de lui fournir ces informations, alors, elle posa Oz sur le lit et s’empara de sa besace avant de descendre les escaliers à grandes enjambées.

Fouillant dans son sac pour chercher son téléprisme, sa main effleura quelque chose de lisse et froid. Elle en ressortit une longue écaille d’un bleu nuit profond et observa la lumière du jour se refléter sur sa surface polie en toutes sortes de nuances métallisées. Contrairement à d’autres races de dragons, les ailes des Dragyans ressemblaient à celles des oiseaux et se couvraient de ces plumes souples aussi brillantes que des bijoux.

Lyria la porta à son nez pour en humer le parfum neigeux qui s’en dégageait et ferma les paupières. Son cœur s’emballa tandis qu’elle la serrait contre sa poitrine avant de la caresser du bout du doigt. Ce trésor qu’elle chérissait plus que tout était devenu à présent son seul réconfort, son Kyeran de substitution, et chaque soir, elle s’endormait avec son nouveau porte-bonheur.

Perdue dans ses songes, elle n’entendit pas immédiatement son téléprisme biper, puis elle réagit enfin lorsque la sonnerie stridente continua d’agresser ses oreilles. Elle plongea de nouveau la main dans son sac et attrapa le petit appareil. Une inquiétante appréhension la saisit malgré elle. Peu de personnes la contactaient sur son T019-A1. Était-ce Hayden ? Ou l’hôpital ? Son ventre se noua à l’idée d’apprendre une mauvaise nouvelle au sujet de son père, mais ce ne fut rien de tout cela.

Lorsqu’elle enclencha le bouton vert pour écouter le message, la voix grondante de Séréna, la cheffe des Red Skulls, retentit...


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