MÉMORIA ZÉRO - TOME 1

Chapitre 20 : MÉMORIA ZÉRO

3808 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/10/2020 14:32

Alors que le disque rougeoyant du soleil effleurait timidement l’horizon, Kyeran marchait d’un pas hâtif. Une brise fraîche le faisait frissonner et soulevait les feuillages mordorés échoués au sol. Il détestait cette saison éphémère, car bientôt, la rudesse de l’hiver figerait la vallée d’Aerendal et sa nature draconique supportait mal le froid.

Pendant son trajet, il n’avait cessé de penser à sa découverte. Qui aurait cru qu’Anthonis Mazen et Allister Lomassac étaient une seule et même personne ? Quelle surprise ! Mais à présent, l’anthropologue allait devoir lui fournir des explications.

Quelques minutes plus tard, il arriva à la clinique de Zapornia. Cet établissement médical avait été épargné des quelques militaires et traqueurs qui revenaient blessés d’un combat. Depuis l’entrée en guerre de l’Empire contre la République d’Illurion, il avait été réservé pour les cas de maladies graves comme celle d’Allister. Pour les autres, le gouvernement avait réquisitionné l’hôpital de Solsti, de plus grande capacité et situé à trois heures de route.

 Kyeran se figea devant les portes. Réussirait-il à gérer ses émotions face à l’anthropologue ? Tout son être brûlait d’une colère qu’il avait désespérément refoulée au fond de lui pendant des années et ce simple article de journal avait suffi à raviver la flamme. Il voulait des réponses et escomptait bien en obtenir.

La revue empruntée à Éléonore enroulée entre ses doigts crispés, il pénétra enfin dans le hall déjà occupé par une file d’attente bruyante. Une désagréable odeur de désinfectant mêlée à d’autres produits médicaux lui rappela ses sombres moments passés dans les laboratoires souterrains de Kaldia et menaça de lui donner la nausée. Tout en retenant sa respiration, il arpenta un interminable couloir blanc avant de croiser une infirmière en fin de service. À en juger les traits tirés de son visage, la nuit avait dû être longue. Concentrée à fouiller dans son sac à main, elle sursauta avec un petit cri quand elle manqua de le percuter.

— Ex-excusez-moi ! V-vous cherchez quelque chose ? déglutit-elle en le balayant du regard de bas en haut, impressionnée.

— Oui, la chambre de Monsieur Lomassac.

— Je suis désolée, mais ce n’est pas encore l’heure des visites. La clinique est ouverte pour les patients, pas pour...

— C’est très important, la coupa-t-il en lui montrant son insigne d’exterminateur.

— Ah... d’accord... obtempéra la jeune femme avant de pointer la direction opposée. Couloir est, chambre numéro cinquante-quatre.

— Merci.

L’infirmière hocha la tête en silence, puis reprit sa marche avant de bifurquer dans une autre artère du bâtiment. En tant qu’exterminateur, Kyeran possédait un passe-droit pour accéder aux établissements médicaux et juridiques. Ce petit avantage lui avait été attribué par le maire de Zapornia lui-même et lui permettait ainsi de visiter en priorité un patient ou un détenu.

Après avoir retrouvé le bon couloir, il s’immobilisa face à la porte convoitée, l’estomac noué. Il inspira profondément, toqua deux fois, puis entra dans une pièce entièrement blanche et aseptisée. Au centre de celle-ci, Allister somnolait dans son lit, le teint toujours aussi pâle. Trois poches de liquides suspendues à un porte-sérum étaient reliées à une perfusion sur sa main gauche. Des électrodes collées sur son torse à moitié découvert contrôlaient son rythme cardiaque représenté sur un écran par un tracé vert lumineux aux pointes fluctuantes et au bip régulier.

L’humain perçut sa présence et battit des paupières avant de tourner la tête avec un sourire surpris.

— Je n’aurais jamais pensé te voir un jour ici, l’exterminateur.

— Comment vous sentez-vous ?

— J’ai connu mieux, plaisanta-t-il avant d’être pris d’une horrible quinte de toux.

Kyeran fronça les sourcils lorsqu’il remarqua des taches de sang au creux de sa paume. Allister se redressa sur son lit pour s’asseoir et reprit :

— Les médecins disent qu’il ne me reste plus qu’un mois ou deux à vivre… grand maximum.

— Dans ce cas, j’ose espérer que vous répondrez à mes questions avant de disparaître, Professeur Mazen.

L’homme se raidit avec une expression indéchiffrable, puis le journal que Kyeran lui tendit attira son attention. Il s’en empara et son visage se décomposa face à l’article en première page pendant que ses mains décharnées tremblaient.

— Il semblerait que j’ai été démasqué... soupira-t-il, les épaules affaissées.

— En effet, mais je ne suis pas venu ici pour m’émouvoir de vos états d’âme. Je veux des réponses.

— À quel sujet ?

— Pour savoir en quoi consistait ce projet.

Allister hésita un court instant, puis secoua doucement la tête.

— Je regrette, mais je suis soumis au secret professionnel, je ne peux rien te dire.

Une onde furieuse ébranla Kyeran et il serra les poings si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume. Ignorant la douleur, il protesta avec virulence.

— Mon clan ainsi que les autres ont été anéantis par le Fléau et vous osez me parler de secret professionnel ? Des humains et des animaux se transforment chaque jour en monstres et attaquent la population. Vos anciens collègues sont morts, Professeur, vous n’avez donc plus aucune obligation de cacher quoi que ce soit, alors, ne me faites pas perdre mon temps et dites-moi ce que vous savez.

Intimidé par cette subite agressivité, Allister se recroquevilla dans son lit, puis hocha piteusement la tête comme un enfant que l’on réprimandait.

— Je ne vais pas t’apprendre beaucoup de choses, car je n’ai pas vraiment participé à ce projet. J’y ai juste apporté un peu de mes connaissances en biologie tout en continuant d’étudier les mœurs dragyannes.

— Toute information sera bonne à prendre.

L’humain se racla la gorge et prit une profonde inspiration.

— Dans un premier temps, le projet Mémoria Zéro consistait à cloner des enfants Dragyans décédés.

Kyeran écarquilla les yeux et hoqueta.

— Du clonage d’enfants morts ? Pour quoi faire ?

— Pour redonner une seconde chance aux familles qui avaient perdu leurs rejetons trop tôt. C’était une idée du roi Eldoran. Malheureusement, le clonage n’est pas magique. Même si le bagage génétique de l’individu conçu avec cette méthode est identique, la personnalité et l’apparence physique peuvent différer du sujet original. À cause de ça, de nombreux parents ont été déçus de voir que leur nouvel enfant ne ressemblait pas entièrement au défunt. Les demandes ont fini par diminuer, puis le projet est tombé dans l’oubli au bout de trois années.

Kyeran demeura songeur. Il comprenait mieux pourquoi Éléonore avait dit que cette expérience avait été un fiasco total.

— Et ensuite ?

— Les scientifiques ont conservé le nom de cette expérience, mais pour travailler sur un autre projet. J’ai peu d’informations à son sujet, car il est resté confidentiel, et pour une raison qui m’échappe toujours, Adryan, Léona et moi en avons été écartés. Nous avons juste obtenu les rôles d’observateurs. Tout ce que je sais, c’est que les cinq nouvelles créations avaient été élaborées à partir d’ADN humain et dragyan. Nous nous sommes donc retrouvés à étudier la croissance ainsi que le comportement de cinq hybrides génétiquement modifiés ; quatre mâles et une femelle.

— Des hybrides artificiels... murmura Kyeran en se frottant le menton. Dans quel but les ont-ils créés ?

— Je l’ignore, mais au fil des années, certains d’entre eux ont mal réagi à leur génome et ont commencé à dégénérer. Chaque jour, on recevait l’ordre de leur injecter un stabilisateur, mais ça n’a pas fonctionné sur tous. Un des enfants mâles est mort avant d’atteindre ses trois ans, un autre, deux ans plus tard. Lorsque j’ai quitté le laboratoire, il n’en restait plus qu’un et il commençait à présenter des signes de démence ainsi qu’une détérioration de l’épiderme...

Le regard perdu dans le vide, Kyeran commençait petit à petit à imbriquer les morceaux de ce qui avait provoqué la chute de Dragonia. Cependant, quelque chose ne lui semblait pas logique.

— Pourtant, les métis issus d’un croisement naturel Dragyan/humain ont toujours été stables génétiquement parlant. Il n’a jamais été observé de tares chez les individus qui naissaient et vivaient à Extalia.

— Je sais, c’est ce que j’ai pu observer aussi de mon côté, affirma Allister, et j’en suis venu à la conclusion que ces hybrides avaient été conçus avec un troisième ADN, mais lequel ?

Kyeran déglutit. Cette sombre histoire lui donnait des frissons. Se pouvait-il que le dernier enfant issu des expériences ait déclenché le Fléau ? Dans ce cas, vivait-il encore ? Un autre détail l’interpella soudain : le changement d’identité d’Anthonis. Pour un simple abandon de poste, l’anthropologue n’aurait jamais dû en arriver à cette étape, surtout pour les tâches qu’il effectuait. Une raison bien plus compromettante l’avait certainement poussé à falsifier son nom.

— Vous avez pris une fausse identité, pourquoi ? l’interrogea-t-il, les yeux plissés. Quelqu’un qui démissionne n’a aucune raison de faire ça ou alors... vous fuyiez quelque chose ?

Les doigts frêles d’Allister se crispèrent sur le journal. Il fixa la photo de l’article pendant de longues secondes avant de s’enfoncer dans son large oreiller. Sa voix éraillée trahissait le retour de la fatigue.

— Je me suis enfui, oui, mais pour une cause juste. Une semaine avant mon départ, Léona a surpris une conversation entre son père et un client du laboratoire. Cet homme voulait racheter l’unique femelle hybride qu’il nous restait pour l’utiliser comme reproductrice. Bien sûr, Ukthar s’est fermement opposé à cette idée et a congédié l’individu. Il a réitéré deux jours plus tard en proposant une grosse somme d’argent, mais notre directeur n’a pas cédé.

Il marqua une courte pause pour reprendre son souffle avant de poursuivre :

— Quand Léona m’a prévenu, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je n’avais rien à perdre ni à gagner dans ce fichu projet, alors une nuit, je suis revenu au labo et j’ai emmené la gamine. J’ai tenté d’avertir Adryan pour lui expliquer la situation, mais mon téléprisme est tombé en panne avant même que je ne puisse terminer mon message. J’ignore s’il l’a eu, je l’ai espéré de tout mon cœur, mais... deux jours plus tard, le Fléau anéantissait Dragonia ainsi que mes espoirs.

Kyeran cligna des paupières, abasourdi par cette révélation, et sa mâchoire manqua de se décrocher. Il ne lui en fallut pas plus pour deviner que la fillette du récit n’était autre que Lyria, mais il voulut s’en assurer.

— L’enfant que vous avez sauvée, c’était... Lyria, n’est-ce pas ?

Le vieil homme le fixa d’un regard vitreux avant de fermer les yeux et de hocher doucement la tête.

— Oui.

Un silence pesant s’installa durant lequel Kyeran accusa le coup. Lyria était une expérience de laboratoire et non un hybride issu d’une union naturelle. Voilà un aveu auquel il ne s’attendait pas. Cependant, une problématique le poussa à obtenir davantage d’explications.

— Pourquoi ressemble-t-elle autant à Léona ?

Le regard d’Allister brilla de nostalgie et un mince sourire courba ses lèvres.

— Léona a toujours voulu avoir des enfants. Pendant soixante ans, elle a désespérément attendu qu’un Dragyan se transforme devant elle pour la courtiser. Ça n’est jamais arrivé... parce qu’une Dragyanne stérile n’attire pas de prétendants.

Un goût amer emplit la bouche de Kyeran. Cette femme qu’il avait tant adulée n’avait jamais connu le bonheur de devenir mère. Son cœur se pinça au simple souvenir de l’affection qu’elle lui avait donné et l’image de sa mort le hanta de nouveau.

— Quand elle a su qu’un nouveau projet allait être mis en route, reprit Allister, elle a fait don de ces cellules et la chance lui a souri. Ils ont combiné son ADN à celui d’un donneur humain. Quelques mois plus tard, Lyria voyait le jour.

— Alors, Léona est sa mère, conclut le Dragyan, encore troublé par ces révélations. Lyria m’a dit un jour que vous ne lui aviez jamais parlé d’elle. Pourquoi ?

L’humain adopta une expression coupable.

— Elle le savait, mais j’ai effacé ses souvenirs...

Kyeran tressaillit, puis le fusilla du regard, les poings serrés.

— Pourquoi avez-vous fait ça ?

L’anthropologue allait répondre, mais une nouvelle quinte de toux le saisit. Une fois de plus, sa paume se couvrit d’éclaboussures écarlates et il s’enfonça dans son lit, exténué, le visage d’une pâleur cadavérique.

— Désolé, murmura-t-il, le souffle court, nous reprendrons cette conversation plus tard, si tu le veux bien.

Kyeran dut user de toute sa volonté pour ne pas insister. Après avoir tant parlé, Allister avait besoin de repos. Sa rage enfin apaisée, il n’en restait pas moins ébranlé par cet échange invraisemblable et une piste intéressante pourrait à présent le guider sur l’éclaircissement du Fléau. En reprenant le journal posé sur le drap, il constata que l’humain s’était assoupi et quitta la chambre sans un bruit. Il reviendrait un autre jour.

 

 

La citadelle de Beslan sonnait midi lorsque ses pas le conduisirent dans un parc boisé au sud de la ville. Kyeran tentait de remettre de l’ordre dans son esprit. Son cerveau bouillonnait d’envie de contacter Hayato, mais il devait d’abord se pencher sur son objectif principal : retrouver Lyria. Les potins sur le Fléau attendraient.

Un bip retentit de sa T020-Z. Il s’arrêta et aperçut sa ligne sécurisée clignoter. Éléonore ! Déjà ! Ses lèvres s’étirèrent, pleines d’espoir, puis il hasarda un regard prudent autour de lui afin de s’assurer d’être seul avant d’écouter son message.

« Coucou ! J’ai commencé à prendre contact avec mon entourage, mais pour l’instant, rien de bien concluant. Personne ne semble savoir où se cachent ces salopards, mais ne t’inquiète pas, je vais continuer de chercher. Je te tiens au courant dès que j’ai du nouveau. À plus ! »

Sa bonne humeur se fana et Kyeran soupira, dépité, avant de s’asseoir sur un banc. Trouver le repaire des Red Skulls ne s’avérerait pas aussi aisé qu’il le pensait, surtout quand on ne savait pas par où commencer les recherches. Pour cela, il maudissait sa récente incapacité à se transformer. Grâce à elle, il aurait pu couvrir du terrain en volant pour repérer des indices.

Si tu avais revendiqué ta compagne au lieu de la fuir, tu n’en serais pas là, le railla la voix agaçante de son dragon.

Voilà que la bête le jugeait. Comme s’il avait besoin de ça dans un moment pareil.

Il resta assis, à méditer sur une stratégie, mais aucune idée ne daignait se présenter. Pire encore, une étrange douleur enserrait son cœur et l’empêchait de se concentrer. Ce curieux phénomène était survenu deux jours auparavant. Parfois, il sentait sa poitrine se comprimer, puis le mal disparaissait aussi vite qu’il était apparu, sans aucune explication.

— Eh bah, t’en fais une tête ! l’interpella une voix familière. On dirait que toute la misère du monde t’est tombée sur le dos !

Kyeran sursauta et en relevant les yeux, tomba nez à nez avec son meilleur ami.

— Sköll ? Qu’est-ce que tu fais par ici ? Tu ne travailles pas ?

— Je te retourne la question, maugréa-t-il, les sourcils froncés, ça fait des jours qu’on ne t’a pas vu et ta sœur commence à s’inquiéter.

Il baissa la tête, penaud.

— Désolé, j’ai eu quelques soucis personnels et j’ai eu besoin de m’isoler pour faire le point.

Le coursier croisa ses bras, peu convaincu.

— Je te rappelle qu’Angel et moi sommes tes meilleurs amis, tu aurais quand même pu nous en parler, non ?

Kyeran acquiesça silencieusement tandis que Sköll reprenait :

— Bon, maintenant que je t’ai trouvé, ça tombe bien, j’aurais besoin de ton avis.

— Mon avis ? s’étonna le Dragyan. Sur quoi ?

Le jeune homme se frotta la nuque et grimaça tout en détournant le regard.

— Ben... je me disais que tu pourrais peut-être m’aider à choisir la bague d’Angel pour notre mariage.

— Ah ! Euh... oui, bien sûr. Allons-y.

Kyeran allait se lever du banc quand Sköll posa soudain ses yeux sur quelque chose au loin.

— C’est quoi cette fumée, là-bas ?

Il suivit son regard et aperçut une colonne noirâtre s’élever dans le ciel alors qu’une bourrasque leur charriait une fragrance pestilentielle.

— Bordel ! Ça pue la chair brûlée ! hoqueta son ami, la mine nauséeuse. Il n’y a pas eu d’exécutions, aujourd’hui, alors pourquoi...

Ses mots moururent entre ses lèvres lorsque de l’agitation ne tarda pas à se manifester autour d’eux. Des promeneurs s’arrêtèrent à leur tour pour observer l’inquiétant phénomène tandis que d’autres, plus curieux, commencèrent à se diriger vers les lieux d’où émanait la fumée âcre.

— On dirait que ça vient de la rue où se trouve la bijouterie du vieux Lomassac... fit constater le coursier, les sourcils froncés.

Kyeran ne l’écouta pas. Il se figea et sa nuque se hérissa lorsqu’une onde écrasante effleura sa conscience, provoquant l’agitation de son dragon. Prisonnier au fond de son âme, celui-ci rugissait et labourait de ses griffes une paroi invisible. Un autre Dragyan se trouvait à Zapornia en ce moment même et son aura semblable à celle d’un Alpha se dotait d’un grand degré d’hostilité. Autrement dit, cet individu n’était pas venu ici en paix et un mauvais pressentiment le saisit.

Son mutisme glaçant acheva d’angoisser Sköll.

— Hé ! Qu’est-ce qu’il y a ?

Les muscles raidis à l’extrême, Kyeran restait trop focalisé sur la présence malsaine pour lui répondre. Puis, aussi vite qu’elle était apparue, la vague oppressante s’estompa. L’intrus s’était finalement éloigné du secteur.

Son calme retrouvé, il se détendit et se retourna vers son ami.

— Viens, allons voir ce qu’il s’est passé.

Le coursier haussa un sourcil, mais se contenta d’acquiescer et de le suivre.

Guidé par l’immonde fumée qui s’échappait d’une ruelle en contrebas du centre-ville, Kyeran s’élança, Sköll sur les talons. Sur place, un attroupement d’habitants s’était déjà formé et quelques militaires les entouraient pour maîtriser les débordements. L’exterminateur joua des coudes pour se faufiler parmi la foule et quand il déboucha enfin au cœur de celle-ci, un frisson l’envahit. Un corps carbonisé et à moitié dévoré gisait sur le bitume, au pied de la prestigieuse bijouterie d’Eldric.

À ses côtés, Sköll se figea, sous le choc. Le visage blême, il ne quittait pas des yeux la dépouille qui, à en juger par la position désordonnée de ses membres, avait dû se débattre désespérément pour échapper à son agresseur.

— Ce... c’est qui ? réussit-il à bafouiller.

— On dirait monsieur Montallac, lui répondit une vieille dame avec un mouchoir en soie collé devant le nez.

Des morts, Kyeran en avait déjà vu de toutes sortes. Sans laisser transparaître la moindre émotion, il se détacha du peloton et s’agenouilla près du cadavre pour l’examiner. Seul le bas des jambes avait été épargné de l’immolation et les chaussures vernies encore intactes montraient l’aisance de la victime. Pas de doute, il s’agissait d’Eldric.

— Vous êtes sûre ?

— Oui, je reconnais un bout du costume qu’il a l’habitude de porter.

— Il s’est encore fait cambrioler ? demanda une femme plus jeune.

Un homme s’approcha de la boutique et la scruta avant d’actionner la poignée.

— Non, la porte est bien fermée et je ne vois pas de traces d’effraction.

— Est-ce que quelqu’un a vu ce qu’il s’est passé ? s’enquit Sköll qui avait retrouvé un semblant de contenance.

Les habitants se consultèrent du regard avant de secouer la tête et tandis que des murmures d’incompréhension s’élevaient çà et là, Kyeran continua ses observations. Il passa son index sur la peau brûlée du corps, puis le renifla. L’odeur se composait d’un mélange de sang carbonisé, de soufre et d’aluminium. Il n’avait plus aucun doute quant à la nature du meurtrier : un Dragyan spécialisé dans la pyromancie, peut-être issu d’une lignée d’Alphas rouges.

Il préféra garder le silence à ce sujet. Si une telle révélation venait à se répandre, sa réputation se ternirait à jamais. Une bonne partie de la population humaine le craignait déjà pour ces origines draconiques, ce n’était vraiment pas le moment d’aggraver son cas en avouant l’identité du tueur.

Kyeran releva les yeux vers Sköll.

— Retourne auprès d’Angélina et assure-toi qu’elle ne sorte pas seule dans les prochains jours.


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