La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1

Chapitre 15 : Maladresses

4364 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/02/2021 16:59

              L’après-midi même, Avëlëa laissa enfin Faelor se lever, avec une paire de béquilles et beaucoup de soutien. L’alfombre sentait la douleur irradier depuis ses côtes, sa cheville et son nez, mais il refusait de rester immobile plus longtemps. Maintenant que Raeni était partie, il se sentait responsable des quelques gamins qui restaient. Ils n’étaient plus très nombreux, une dizaine tout au plus, mais ils avaient toujours besoin de soutien, de quelqu’un pour veiller sur eux. Même s’il n’avait jamais été aussi doué que l’hybride pour diriger, même s’il n’affichait pas son assurance, il voulait à tout prix faire honneur à son amie. Il devait prendre sa place, surtout que la situation avait empiré pour eux à cause de leur coup d’éclat. Il se sentait en partie responsable de leur problème, puisqu’il n’avait pas pensé aux conséquences d’un vol aussi impressionnant que celui du navire. Il aurait dû réfléchir davantage. Il se jura de ne plus répéter une telle erreur, à l’avenir. Un instant, il se demanda aussi comment Raeni avait pu ne pas y penser non plus. Elle qui analysait toujours toutes les solutions qui s’offraient à elle, elle aurait dû avoir conscience du risque qu’elle ferait courir à ceux qui étaient restés à terre. Un soupir discret lui échappa. Il ne pourrait sans doute jamais lui demander, avoir de réponse à cette question.

              La grande salle, d’ordinaire toujours animée par quelques conversations d’orphelins des rues qui venaient y trouver sécurité et chaleur, bourdonnait d’un silence pesant, lourd. Trois enfants attendaient, assis au centre de la pièce, sans échanger le moindre mot entre eux. Seul le claquement des béquilles de Faelor sur le sol résonnait entre les murs de pierre. Lorsqu’il entra dans la pièce, les regards se levèrent vers lui. Inquiets, fatigués. Il reconnut Laëlia, Fëlia et un jeune elfe de feu prénommé Falëon. Un pincement serra le cœur de l’alfombre. Les voir ainsi ne lui plaisait guère. Il en déduisit que la situation devait être bien pire que ce qu’il s’imaginait. Il s’efforça cependant de leur sourire, mais ne parvint qu’à esquisser une grimace anxieuse. Avëlëa lui ramena une chaise pour qu’il puisse s’asseoir. Il tenta de refuser, mais l’elfe de feu ne lui laissa pas le choix. Elle lui prit ses béquilles d’un geste ferme, puis appuya sur son bras pour le forcer à obtempérer. Le jeune homme grogna, mais s’exécuta.

—    Tu as encore mal ? s’enquit Falëon.

—    Oui, mais ça va mieux, assura-t-il. Je suis en bonne voie de guérison, grâce à Av. D’ici quelques jours, je pense pouvoir me débarrasser de ces fichues béquilles.

Son infirmière ouvrit la bouche pour protester, mais il ne lui laissa pas le temps de le faire. Il enchaîna aussitôt sur ce qui l’intéressait :

—    Il s’est passé quoi, du coup, ces trois derniers jours ?

—    C’est le bazar complet en ville, expliqua Laëlia. Les gardes sont sur les dents, ils ne laissent plus un seul enfant sortir seul dans les rues. Leurs parents doivent les accompagner partout, sinon ils sont considérés comme liés à la bande et passent des heures à être interrogés par Vanador.

—    C’est stupide, comme raisonnement, remarqua l’alfombre d’un air étonné. Tous les enfants de la ville ne sont pas amis avec nous, loin de là…

—    C’est pourtant ce qu’ils semblent penser, affirma la demi-älfä. Ils ont arrêté plusieurs enfants qui n’ont rien à voir avec nous, déjà. La fille d’un boucher y a eu droit, tout comme les jumeaux de Tata Lalvëna. Ils se sont même pris la tête pendant au moins une heure, hier, parce que les enfants de trois riches commerçants jouaient tout près du quai quand le Perle d’Ambre a quitté le port.

—    Et ils ne s’en sont rendus compte qu’hier, de ça ? s’étonna-t-il.

—    Ils ont eu l’excellente idée de prévenir leurs parents, qui se sont empressés de répéter l’information aux gardes, qui ont répété ça à Vanador, qui en a conclu qu’ils étaient liés à nous…

—    Qu’il aille se faire dévorer par un wyrk, celui-là, grogna Faelor. Mais bon, s’il se met tout seul des bâtons dans les roues, ça nous arrange. Quoi d’autre, sinon ?

—    L’orphelinat est bouclé, rapporta Fëlia. Ils ont isolé tout le monde à l’intérieur, sauf les vraiment tout petits qui ne savent pas parler. C’est un enfer, apparemment. Vanador a fait fouiller chaque chambre dans les moindres recoins, y compris celle de Raeni. Il n’a rien trouvé, à part un plan de l’orphelinat et les sorties classiques qu’on utilisait pour le quitter sans être vus. Du coup, le vide-ordures est surveillé, les fenêtres de la cave aussi, et des soldats sont en poste dans chaque couloir. Il n’y a que Dëvana et Lianën qui ont réussi à filer en passant par la cheminée. C’est d’eux que nous tenons les informations sur ce qu’il se passe à Valmaëlën, d’ailleurs.

—    Personne n’a parlé ? s’inquiéta l’alfombre.

—    Pas pour le moment. Vanador ne semble pas avoir compris que ceux qui sont à l’orphelinat ne savent rien des plans de Rae. Le directeur, en revanche, a dû remarquer quelque chose, puisqu’il s’est entretenu un très long moment avec Anathor hier matin à la forge. On n’a pas pu savoir ce qu’ils se sont dit, par contre. Des gardes surveillaient la rue.

—    Laertha pourrait peut-être aller le voir ? suggéra Faelor. Elle est discrète, personne ne la remarquera.

—    En parlant de Laertha… bafouilla alors Laëlia.

—    Oui ? s’enquit Faelor, le cœur en proie à de soudaines palpitations.

—    Vanador commence à penser qu’un esprit nous aide, avoua-t-elle. La rumeur court que Raeni est en fait une nécromage et qu’elle a le fantôme de quelqu’un sous sa coupe.

—    Comment ça ? s’étonna l’alfombre.

—    On ne sait pas trop comment il en est arrivé à cette hypothèse, mais on soupçonne Khassendrah de l’avoir guidé sur la piste des fantômes. Je n’ai pas pu obtenir de détails sur sa théorie, mais j’ai cru comprendre qu’il pense avoir identifié dans le brouillard qu’Av avait levé sur le port la manifestation d’un puissant esprit, que Raeni aurait invoqué pour couvrir ses arrières.

L’alfombre ne sut pas trop quoi répondre. Cette nouvelle l’inquiétait bien plus que ce qu’il laissait paraître, même si l’absence de certitude le poussait à espérer que sa camarade se soit trompée. Avec Vanador et Khassendrah, il n’osait écarter les pires suppositions.

—    Ma grand-mère n’arrêtait pas de me répéter que seuls les plus grands nécromages réussissent ce type d’exploit, souffla-t-il. Comment Rae aurait-elle pu le faire, surtout sans jamais avoir appris à utiliser la nécromagie ? Il devrait le savoir, pourtant, ce troll…

—    Je t’ai dit que je n’ai pas réussi à avoir des infos claires, soupira-t-elle. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’arrête pas de poser des questions sur les potentiels esprits errants qui peuvent se trouver en ville.

—    J’ai plutôt l’impression qu’il pense qu’elle a pu parler avec des fantômes et s’attirer leur sympathie, intervint Fëlia.

—    Dans tout les cas, reprit Laëlia, Rae est recherchée pour vol et complicité de vol, agression, non-respect des lois, trahison envers le peuple althëlien et mise en danger de la vie d’autrui, mais aussi pour usage non autorisé de la nécromagie. J’ai aussi entendu dire qu’il compte repartir d’ici peu à Torfrirta pour lancer une bande de mercenaires à ses trousses. Il a aussi dépêché des messagers vers les plus grandes villes côtières pour qu’elle soit traquée et pour prévenir du vol du Perle d’Ambre. Si elle se fait attraper, elle sera tuée aussitôt.

Faelor sentit une terreur aussi violente que soudaine lui geler les entrailles. Le silence envahit la salle, aussi pesant qu’une chape de plomb. Son regard croisa celui, inquiet, d’Avëlëa. Même sans parler, tous deux se comprenaient et savaient qu’ils pensaient à la même chose. Aux risques qu’encourait leur amie maintenant que de telles accusations pesaient sur elle. Ils auraient, l’un comme l’autre, aimé pouvoir la prévenir du danger qui la menaçait. Ils auraient voulu pouvoir remonter le temps, posséder un objet magique pour la rejoindre, l’empêcher de se faire attraper. Cependant, ils devaient se rendre à l’évidence. Ils ne pouvaient rien faire d’autre que prier et espérer qu’elle survive.

—    On ne peut plus rien faire pour elle, finit par soupirer l’alfombre à regret. Elle est inaccessible, on ignore où elle se trouve et si elle est encore vivante.

—    Tu ne sais pas où elle va ? s’étonna Laëlia.

—    Non, confirma-t-il, les yeux baissés sur ses doigts. Le but, c’était de prendre le navire et de quitter le port. On aurait dû aviser une fois au large, à l’abri d’une potentielle trahison ou d’un interrogatoire un peu musclé.

—    C’est une bonne chose, je pense, fit remarquer Fëlia. Au moins, si on se fait attraper, ils ne risquent pas de remonter jusqu’à elle à cause de nous.

—    Mais en attendant, on ne peut pas non plus entrer en contact avec elle…

—    Elle va s’en sortir, affirma la demi-älfä. On parle de Raeni, quand même. Elle a toujours été douée pour se tirer des pires situations possibles, ce n’est pas ça qui l’arrêtera, je pense. La seule chose qui peut éventuellement lui poser problème, c’est son manque d’expérience sur un navire, et encore.

—    C’est vrai, avoua Faelor avec un sourire. Elle a toujours été libre et indomptable. Ça ne changera sans doute jamais, ça.

Un nouveau silence, plus léger, accueillit ses paroles. Le petit groupe s’observa un instant, et de pâles sourires furent échangés.

—    Il va falloir qu’on s’organise en attendant le départ de Vanador, déclara Faelor. Au moins pour trouver de quoi manger.

—    Une idée ? demanda Laëlia.

—    Déjà, plus personne ne sort avant la tombée de la nuit, proposa l’alfombre. Les gardes sont moins attentifs en fin de journée, quand il commence à faire noir. Il faudrait aussi éviter les rues bondées, qui sont aussi les plus surveillées.

—    Mais les commerçants se trouvent au marché ou dans le port, fit remarquer Falëon. Si tu veux qu’on n’y aille pas, on va faire comment, alors ?

—    Il y a toujours la campagne, expliqua le jeune homme. Les granges ne doivent pas être très surveillées. On peut aussi trouver des plages tranquilles un peu en-dehors de la ville pour aller pêcher. Il y a aussi tous les arbres fruitiers dans les ruines près de la maison de Rae. Ils n’ont pas tous brûlé, on peut toujours y trouver de quoi manger.

Avëlëa pinça les lèvres. Les autres adolescents, eux, semblaient plutôt ravis des différentes possibilités qu’énonçait leur ami. Un sourire enthousiaste passa sur les lèvres de Fëlia.

—    J’ai aussi repéré quelques collets et pièges pour attraper du petit gibier dans la campagne. Si on surveille bien, on pourrait essayer d’aller les relever avant leur propriétaire pour avoir aussi un peu de viande.

—    C’est peut-être un peu trop risqué, remarqua-t-il. La nuit, il y a beaucoup de bêtes qui rôdent.

—    Pas tant que ça, en fait, assura Falëon. Il y a surtout des félynx et quelques wyrks, mais c’est tout.

—    Et des criminels, compléta l’alfombre. Je n’ai pas vraiment envie de prendre le risque que l’un d’entre vous soit blessé ou tué.

—    Raeni nous aurait laissés faire, grommela Fëlia.

—    Mais je ne suis pas elle, répliqua le jeune homme d’un ton sec.

Il baissa les yeux une nouvelle fois.

—    Je sais qu’elle l’aurait fait elle-même pour assurer votre sécurité à tous, expliqua-t-il. Mais je ne suis pas elle. Je… je préfère que personne ne se mette en danger inutilement, surtout avec Vanador qui rôde et les gardes sur les dents. On va se concentrer sur des choses plus sûres pour le moment.

Fëlia hocha la tête.

—    Je comprends, souffla-t-elle.

Le silence s’installa à nouveau entre eux. Laëlia finit par le briser d’une voix mal assurée :

—    Je peux déjà m’occuper de repérer des coins tranquilles pour pêcher, proposa-t-elle. Je sais comment sortir de la ville sans être vue.

—    Pourquoi pas, accepta-t-il.

Son regard se posa sur les deux autres adolescents.

—    Fëlia, demanda-t-il d’un ton hésitant, tu peux faire du repérage en campagne pour les granges avec Falëon ?

—    A tes ordres ! s’exclama-t-elle.

—    Merci, souffla le jeune homme.

—    Tu as encore besoin de nous ? demanda la demi-älfä.

—    Ça devrait aller, assura Faëlor.

Les trois adolescents s’éclipsèrent donc pour aller remplir leurs nouvelles missions. Faelor les regarda partir, dépité de ne pas pouvoir les aider à cause de ses blessures. Il aurait aimé les accompagner, courir à travers la campagne à la recherche de granges mal surveillées pour y dérober de quoi manger, se glisser avec Laëlia entre les rochers et dévaler les dunes pour dégoter une crique ou deux où trouver des poissons comestibles. S’il avait pu se joindre à eux, il aurait même sans doute autorisé son ami elfe de feu à poser des pièges pour capturer du gibier.

Avec un soupir, il se baissa pour ramasser ses béquilles, puis se leva. La main d’Avëlëa se posa aussitôt sur son bras.

—    Tu comptes aller où ? le questionna-t-elle.

—    Dans le bureau. J’aimerais vérifier quelques trucs sur la carte de la ville.

La jeune femme le laissa passer, et l’aida même à gagner la petite pièce sans briser le silence. Elle l’aida à s’asseoir sur le tabouret, face au plan qu’elle déroula pour lui sur la table. Faelor la remercia, puis entreprit de l’étudier. Ses yeux écarlates suivirent les rues, remontèrent les allées du port, traversèrent les murs d’enceinte pour parcourir une partie de la campagne. Il repéra le vieux silo à grain de Lamlaën le boiteux, ainsi que les prairies où paissaient les bêtes du petit Dëvanion. Il savait le gamin ami avec eux, des années plus tôt. S’il pouvait demander à Anathor de lui passer le message qu’ils avaient besoin de nourriture, peut-être qu’ils pourraient compter sur lui…

—    C’est vraiment obligé, tout ça ?

La question d’Avëlëa le tira de ses pensées. Son regard se posa sur elle, et sur son visage inquiet. Elle lui sembla pâle, fatiguée. Il s’en inquiéta aussitôt, car, même pendant la guerre, il ne l’avait jamais vue ainsi.

—    Ça quoi ? demanda-t-il.

—    Les vols, expliqua-t-elle. Les fermiers ont besoin de nourriture aussi, ils vivent de ce qu’ils vendent…

—    Ils font des réserves, nuança-t-il.

—    Des réserves censées servir en cas de problème, comme un incendie ou une récolte détruite par des parasites. Sans elles, qui sait ce qui arrivera si un malheur vient à frapper la ville ?

—    Tu crois qu’on a le choix ? s’agaça-t-il. On est recherchés, on n’a nulle part où aller. Vanador est prêt à tout pour nous mettre la main dessus alors qu’on n’a rien fait de vraiment mal à part essayer d’échapper à Khassendrah. On est orphelins, beaucoup sont à moitié humains. Personne ne voudra jamais nous aider ni même prendre notre défense. On n’a aucune autre solution, Av. On doit se débrouiller par nous-mêmes, sans plus pouvoir compter sur personne. Ces réserves, on va juste en prélever une toute petite partie… On n’est qu’une petite dizaine, on n’a pas besoin d’en prendre beaucoup.

—    Quand même, s’obstina l’elfe de feu, je n’aime pas ça.

—    Tu crois que ça me plaît, peut-être ?

—    Ça n’a pas l’air de te déranger, avoua-t-elle d’un ton empreint de reproches. Tout comme tu ne te gênais pas pour piquer de la nourriture dans les cuisines de l’orphelinat.

—    Ah parce que ça te paraît normal que Khassendrah vole celle des plus petits ? explosa-t-il. Tu vas me reprocher d’avoir essayé de leur offrir un repas convenable ? Tu vas me reprocher de faire attention à ce que tout le monde puisse manger à sa faim ?

—    Je n’ai pas dit ça, bafouilla-t-elle face au regard noir de l’alfombre. Je dis juste que ça ne me plaît pas de voler…

—    En même temps, toi, tu n’as jamais connu la faim, railla-t-il.

Avëlëa ouvrit la bouche pour protester, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Elle ne pouvait lui donner tort sur ce point-là. Sa sœur aînée avait survécu aux attaques de la ville et avait pu s’occuper d’elle durant quelques années. Même si elle était partie aider à soigner les blessés à l’ouest de Toëlla, à la fin de la guerre, elle n’avait pas laissé sa cadette sans rien. 

La jeune femme baissa les yeux, consciente qu’elle s’était peut-être un peu emportée dans ses propos.

—    Désolée, souffla-t-elle d’une petite voix.

Faelor ne répondit rien. Il semblait s’être replongé dans l’étude de la carte, mais elle savait qu’il faisait exprès de l’ignorer. Elle remarqua que son poing, posé sur la table, tremblait un peu. Elle se mordit la lèvre. Elle l’avait blessé, elle le sentait. Et elle s’en voulait.

—    Je… je vais te laisser, je crois, bredouilla-t-elle.

L’alfombre ne réagit pas plus. Elle hésita un instant, puis finit par quitter la pièce. Dès que la porte se referma derrière elle, un léger courant d’air vint effleurer les cheveux du jeune homme. Un sanglot lui échappa, très léger. Un murmure à peine audible envahit son esprit, porté par le fantôme à ses côtés.

—    Je sais, souffla-t-il au bout de quelques instants sans pour autant cesser de pleurer. Mais je la pensais plus compréhensive…

Il fut enveloppé par un froid glacial. Ses larmes inondèrent ses joues, glissèrent sur sa peau jusqu’à tomber sur la table de bois. Il se sentait à la fois blessé, désemparé et profondément coupable. Il attendait d’Avëlëa qu’elle l’aide et le soutienne, pas qu’elle désapprouve ce qu’il essayait de faire pour les orphelins à présent recherchés pour le vol du Perle d’Ambre. Lui-même n’appréciait pas trop l’idée de dérober des choses, plus encore aussi vitales, mais il restait persuadé qu’il n’en avait pas le choix. Il songea avec amertume que sa grand-mère n’aurait sans doute pas approuvé sa décision, ce qui l’enfonça davantage dans le désespoir.

Ses pensées se dirigèrent ensuite vers ses parents, absents depuis si longtemps qu’il se souvenait à peine d’eux. Deux grands guerriers alfombres, venus s’installer à Khaëlentis pour rester proches de sa grand-mère. Partis au combat dès le début de la guerre. Disparus depuis si longtemps que Faelor les considérait comme morts. Il ignorait comment ils auraient réagi. Sans doute ne l’auraient-ils pas laissé faire non plus. Ils combattaient pour les thalëni, ils n’auraient pas couru le risque de se mettre Vanador à dos, même s’ils avaient décidé de s’éloigner de Torfrirta pour élever leur fils. Cette simple pensée le rendit encore plus triste.

L’image de Raeni surgit alors devant ses yeux, aussi nette que si la jeune femme se trouvait devant lui. Son regard décidé rencontra le sien. « Et elle ? » souffla la voix de Laertha dans sa tête.

Faelor observa son visage aux contours quelque peu anguleux, ses joues creusées par des repas à peine suffisants pour la rassasier. Il plongea dans ses iris orangés, dont les légers reflets rougeoyants portaient tant de fougue et d’assurance. Il revit son sourire insouciant, son expression déterminée quand elle souhaitait faire quelque chose. Son air soucieux quand la vie des orphelins était menacée. Il se surprit à penser qu’elle ne l’aurait jamais laissé pleurer. Qu’il n’aurait jamais perdu espoir si elle avait été à ses côtés pour le soutenir. Il songea aussi qu’elle aurait pris la même décision que lui, plus naturellement, et que rien ne l’aurait fait changer d’avis.

En un instant, il sut qu’il avait fait le bon choix, que les protestations d’Avëlëa ne devaient pas l’arrêter. Il devait rester prudent, oui. Eviter de causer plus de mal qu’ils n’en avaient déjà fait avec le vol du navire. Mais il ne pouvait pas laisser ce qui restait de la bande mourir de faim à cause de Vanador et de Khassendrah. Même si survivre impliquait de s’écarter de la loi, leur survie à tous importait davantage que des questions morales sur l’obtention de leur nourriture. Leurs vies étaient en jeu, désormais. Et elles devaient passer avant tout le reste.

D’un geste sec, il essuya ses yeux et se redressa. Pleurer avait réveillé la douleur dans son nez et dans ses côtes, mais il se sentait mieux. Un instant, il se demanda comment Raeni faisait pour prendre tant de décisions aussi importantes, trancher sur des questions aussi graves. Il se sentit effrayé par les responsabilités qui pesaient désormais sur ses épaules, se prit à penser qu’il ne serait pas à la hauteur. Un nouveau courant d’air le frappa, aussi soudain et claquant qu’une gifle. Il se reprit aussitôt, conscient que Laertha le surveillait et qu’elle ne le laisserait pas sombrer dans de sombres pensées. Un vague sourire éclaira ses lèvres.

—    Tu mériterais plus que moi de les diriger, souffla-t-il au fantôme. Tu es bien plus forte que moi.

Une vague d’air froid lui ébouriffa les cheveux. Un petit rire lui échappa.

—    D’accord, d’accord ! lâcha-t-il d’un ton un peu plus apaisé. Je ferai de mon mieux, promis.

Un scintillement léger lui indiqua que l’esprit semblait satisfait. Son sourire s’agrandit, et il baissa le regard vers son médaillon, qu’il caressa du bout du doigt. Même s’il doutait de lui, même s’il avait peur, même s’il ne se sentait pas capable de tout gérer, il devait tout faire pour leur permettre de survivre. Pour Raeni.

Son regard se dirigea ensuite sur la porte. Avëlëa devait s’en vouloir de l’avoir blessé. Il jeta un nouveau coup d’œil à la carte, puis ramassa ses béquilles. Il devait aller lui parler, la rassurer. Ne pas laisser la situation ternir leur amitié.


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