La prophétie de la dernière sorcière - Tome 1 : Résurgence
Chapitre 36 : Le Cochon Pendu
Néala resta bouche bée devant le départ impromptu de Kogan. Elle hésita un instant à bondir à sa suite mais elle avait bien mangé et sentait cette torpeur caractéristique des suites de repas un peu trop copieux. Kogan était grand, il allait savoir prendre soin de lui. Elle demanda de l’eau chaude à Griselda et se prépara une infusion. Tout en mélangeant les herbes dans sa tasse, elle écoutait d’une oreille distraite les conversations qui allaient bon train.
Une tablée parlait du Roi Audric La Poigne, se plaignant d’une nouvelle levée d'impôts pour financer les conflits qu’il générait en essayant de s’approprier Valperdu. Une autre, composée de plusieurs marchands originaires de différentes régions, échangeait des histoires concernant des jeunes gens qui auraient disparu dans des conditions étranges :
– Oui, j’entends de plus en plus d’histoires comme ça, disait l’un. Vers Vertesprairies, une jeune fille a raconté qu’elle avait vu des feux follets dans la forêt. Deux jours plus tard, elle a disparu sans laisser de trace.
– Et à Berdoule, dans le comté de Désolitude, c’est un jeune homme qui a parlé d’une mélodieuse voix de femme qui venait de la rivière Stagnante, lui non plus on ne l’a pas revu.
– Pareil au Lac aux Nénuphars de la Côte Fleurie, des chants qui envoûtent et des gosses qui manquent à l’appel.
– Et d’autres qui se font manger, y en a de plus en plus ça aussi ! Rien que dans les Faubourgs, c’est un des caïmandiles des douves qui a trouvé le moyen d’en sortir pour chasser !
– C’est vrai, j’ai vu sa tête au pied de la Tour du Dragon…
– Ouais, un sacré bestiau! Y a des attaques de loups aussi à ce que j’ai entendu dire et il paraît même qu’il y a des monstres...
Néala frissonna à l’évocation du caïmandile et des monstres, ces histoires de disparitions l’inquiétaient et résonnaient étrangement similaires à celle concernant Elzannah. Elle se promit de faire part de ces informations à Kogan dès qu’il serait revenu. D’ailleurs le temps lui semblait long, il avait pourtant prétendu revenir vite.
Son infusion ayant apaisé sa sensation d’avoir fait des excès, Néala décida de profiter de la nuit au ciel dégagé pour aller faire une petite balade digestive. Elle enfila sa mante en laine bouillie et sortit de l’auberge, confiante.
L’air était froid et humide et le sol pavé encore glissant des dernières averses. Les lueurs mouvantes des flammes dansaient derrière les fenêtres et autour des torches qui éclairaient faiblement les rues. Néala leva le nez pour contempler le ciel étoilé où l’astre nocturne resplendissait. Elle s’enfonça progressivement dans Vieillespierres, suivant le canal où flottaient quelques barges.
Des rats dodus et hirsutes, qui fouillaient dans les poubelles, trottinèrent mollement vers leur cachette à son arrivée. Un gros chat bondit sur l’un d’entre eux, le saisissant couinant dans sa gueule pour aller l’achever plus loin.
Les bruits de la vie quotidienne se faisaient entendre dans les habitations alentour : scènes de ménage, pleurs d’enfants, discussion, ébats… Néala ouvrait grand les yeux, fascinée par l’ambiance de la ville, si étrangère à ce qu’elle connaissait.
Une ruelle tortueuse attira son attention à cause de son étroitesse. Curieuse, elle s’y engagea, se tordant le cou pour essayer de voir le ciel entre les entrelacs de branches nues qui avaient poussé entre les toits de connivence. Elle déboucha dans une rue plus large et son attention se reporta sur des rires gras, de la musique et des chants semblant provenir d’une autre auberge un peu plus loin. Néala se dirigea vers la source de ce joyeux remue-ménage.
Des personnes étaient rassemblées devant l’établissement, assistant à une bagarre entre deux hommes visiblement ivres. Néala resta bouche bée devant les coups qu’ils s’échangeaient sous les rires des spectateurs. Parmi eux, des hommes brandissaient des chopes et fumaient d’épais cigares en serrant de très près des femmes légèrement vêtues et très maquillées. Ils semblaient faire des paris sur le vainqueur, encourageant leur favori en vociférant.
La musique provenait de l’intérieur de l’auberge dont l’enseigne était un cochon aussi rose qu’hilare, suspendu par les pattes arrières avec une bouteille de vin fichée dans le groin. Néala se faufila au milieu des badauds pour pénétrer dans l’établissement dont la fumée âcre lui irrita les yeux et la gorge. Elle toussota, attirant l’attention sur elle :
– Tiens, v’là un nouveau !
– Eh, jeune homme, tu viens faire une partie de carte ?
– Sans façon, déclina Néala.
– Oh l’est mignon avec sa p’tite voix, dirait presque une donzelle avec ses grands yeux !
Néala frissonna à cette remarque. Elle détourna le regard et décida de s’enfoncer plus loin dans l’auberge, se dirigeant vers les danseurs qui s’agitaient au gré du musicien dont les paroles osées la firent soudainement rougir. Elle commençait à regretter de s’être aventurée en cet endroit. Les gens, de grande taille par rapport à elle, l’entouraient en riant de plus en plus fort. Une fille de joie, aux interminables boucles brunes et aux yeux de biche, la prit à partie en l’entrainant par la main alors qu’elle secouait négativement la tête :
– Viens mon mignon, je vais te faire découvrir les merveilles de la vie !
– Non, non merci…
– N’aies pas peur, tu seras pas déçu ! Je vais même te faire un prix. Je parie que tu es puceau, tu as l’air tellement paniqué, ajouta-t-elle en riant. Tiens, touche comme c’est doux, continua-t-elle en plaçant d’autorité la main de Néala qu’elle avait saisie, sur son opulente poitrine à peine couverte par un voile transparent.
– Lâ… lâchez-moi, s’il vous plaît !
Une main s'abattit soudainement sur l’épaule de Néala, lui faisant pousser un cri de surprise. Regardant l’individu qui l’avait ainsi agrippée, la plantureuse brune papillonna des yeux en se passant la langue sur les lèvres :
– C’est ton petit ami ou je peux espérer te mettre toi dans mon lit ? demanda-t-elle aguicheuse tandis que les hommes à proximité tendaient l’oreille pour savoir s’ils allaient avoir la joie de tabasser quelques sodomites.
– C’est mon petit frère, ma jolie, et j’avoue que ta proposition est fort tentante. Nolan, il m’avait semblé t’avoir demandé de m’attendre, gronda Kogan à l’intention de Néala.
– Je suis prête à vous faire un bon prix pour tous les deux, si tu veux, reprit la fille avec un sourire charmeur. Pour des spécimens comme toi je suis disposée à faire beaucoup d’efforts !
– Je vais y réfléchir, mais j’ai d’abord à discuter avec mon frangin, affirma Kogan avec une œillade avant d'entraîner Néala loin des oreilles indiscrètes.
La brune les regarda s’éloigner avec une moue déçue avant de décider de se chercher un autre client. Les danses reprirent de plus belle au milieu des tables de jeu.
Kogan et Néala se trouvaient aux abords plus calmes d’une des réserves de l’établissement où la serveuse, rouge et échevelée, faisait régulièrement des allers-retours pour se réapprovisionner en alcool. L’homme se sentait contrarié et inquiet. Ce n’était pas pour rien qu’il était venu là sans Néala, aussi quand il l’avait aperçue, attirant l’attention de tous les clients, il avait un instant songé à la laisser se débrouiller avant de craindre qu’elle ne fasse sauter leur couverture ou ne s’attire d’autres ennuis. Il s’était donc résolu à la tirer de son mauvais pas mais comptait bien lui faire savoir le fond de sa pensée.
Il n’en eut pas le loisir : alors qu’il pensait qu’ils étaient sortis du centre d’attention, il se rendit bientôt compte qu’un groupe d’hommes, à l’allure patibulaire, s’approchait d’eux en souriant avec à leur tête la personne pour qui il avait fait le déplacement. Kogan offrit son sourire le plus carnassier et s’exclama d’une voix qu’il fit volontairement porter :
– Alistair Adama, quel déplaisir de te revoir. Tu es encore plus gras et dégoulinant que dans mes souvenirs ! Une vraie boule de suif bien puante !
Dans le soudain silence du lieu, l’aubergiste adipeux aux cheveux devenus gris et plus gras que jamais rougit violemment sous l’insulte. Néala vit les gros bras qui le suivaient commencer à sortir de courtes matraques de l’arrière de leurs ceintures, elle paniqua, interpellant Kogan :
– Qu’est-ce que tu fais ?
– Reste en dehors de ça. Tu as entendu la remarque sur les sodomites ? Il faut croire qu’on ne les a pas convaincus et que ça dérange ces messieurs que deux hommes puissent s’aimer.
– Mais…
– Chut. J’étais de toute façon venu pour ce porc. Reste en dehors de ça. Arrange-toi juste pour ne pas me gêner.
Pressentant qu’il allait y avoir du grabuge, les clients de l’auberge s’étaient prudemment reculés de là où était sur le point de se produire l’affrontement. Néala, qui s’était instinctivement placée derrière Kogan, se rencogna discrètement à l’entrée de la réserve dont l’encombrement ne lui permit pas de fermer la porte. Elle sentait son coeur tambouriner férocement dans sa poitrine et avait la gorge serrée. En décidant d’aller se promener, elle n’avait pas du tout imaginé se retrouver dans une telle situation.
– Quand vous voulez messieurs, on ne va pas y passer la nuit ! harranga Kogan. Alors, Vieux Porc, c’est tes nouvelles Mouches à Merde qui te suivent à l’odeur ? T’as été obligé de remplacer les anciennes vu que je les ai écrabouillées ! lança-t-il encore en portant machinalement la main à son sabre.
Il ne rencontra que du vide et jura grossièrement en se rappelant qu’il avait dû le laisser au gorille à l’entrée de l’établissement, qui l’avait rangé au râtelier. Les choses ne se déroulaient pas du tout comme il l’avait prévu. A la base, il escomptait attirer l’aubergiste couard à l’abri des regards pour lui rendre la monnaie de sa pièce en toute discrétion et il se retrouvait, une nouvelle fois à cause de Néala, sur le point de se battre à main nu contre cinq malabars. Qu’à cela ne tienne, il ne s'entraînait pas depuis toutes ces années pour s’inquiéter d’une poignée d’hommes.
Néala avait constaté le désarmement de Kogan avec angoisse. Avisant le balais calé à côté d’elle, elle jugea opportun d’interpeller son ami en le lui lançant. Son intervention provoqua l’attaque des gros bras de l’aubergiste qui se ruèrent sur lui en hurlant. Il réceptionna habilement l’arme de fortune et en testa rapidement l’équilibrage avant d’envoyer la brosse en paille en plein visage du premier assaillant, s’abaissant aussitôt pour éviter le coup de matraque qui siffla à ses oreilles puis effaçant une épaule pour éviter le suivant.
Kogan se releva vivement, pivotant sur lui-même pour heurter de l'extrémité du manche l’abdomen du malabar qui essayait de le contourner par la droite dans l’idée d’accéder à la réserve où était réfugiée Néala. L’homme se plia en deux, le souffle coupé et Kogan le faucha au niveau des jambes, le faisant s’écraser violemment au sol, sa tête heurtant avec un son creux le pavage en pierres.
Deux acolytes attaquèrent de front, pensant l’atteindre des deux côtés simultanément. Kogan fléchit le genou et brandissant le balais à la verticale devant lui, bloquant aisément la double attaque. Il riposta aussitôt en visant celui de droite à l’interne de la cuisse et, utilisant l’énergie du rebond, la nuque de celui de gauche, qui s’effondra avec un gémissement. Celui touché à la cuisse fit mine de se relever mais Kogan lui envoya sa botte en pleine face avec un rire réjouit qui fit sursauter Néala depuis sa cachette.
– Je commence à bien m’amuser ! A qui le tour ? lança Kogan en fauchant les jambes de celui qui courait vers lui, avant de lui asséner un grand coup sur la poitrine pour le faire aussitôt retomber au sol.
Il vit alors le gérant des lieux disparaître derrière une porte et poussa un cri de rage, bousculant le public pour se jeter contre la porte verrouillée. La chaleur familière enflammait son plexus solaire, décuplant son énergie. « Hors de question que tu t’en sorte aussi facilement ! » maugréa-t-il en envoyant de violents coups d’épaule dans la porte qui finit par céder dans un craquement sinistre.
L’homme blême avait tenté de disparaître dans un coffre mais le couvercle n’avait pas pu se fermer. Kogan le souleva sans peine par le col de son vêtement, l’entrainant dans la pièce principale dans le but assumé de l’humilier comme lui l’avait été. Une mauvaise surprise l’attendait. Néala était à la merci du seul gros bras qu’il n’avait pas assommé. L’homme aux longs cheveux et à la barbe blonde la tenait contre lui, son avant-bras épais appuyé sur sa gorge. Elle suffoquait, l’air paniquée, en battant des pieds dans le vide et lui le fixait d’un regard froid, un sourire sinistre aux lèvres :
– Regarde, t’as mon patron mais moi j’ai ton p’tit ami. On va devoir s’entendre toi et moi.
Hors de question pour Kogan de renoncer à sa vengeance.
– Je joue pas aux échecs avec un poulet ! annonça-t-il.
Sans lâcher sa proie, il s’accroupit alors vivement et saisit le couteau qu’il avait glissé dans la botte gauche, le lançant avec précision entre les yeux du blond qui tomba à la renverse, entraînant Néala avec lui.
– Quelqu’un d’autre veut jouer ? demanda-t-il à la cantonade. Maintenant, si vous ne voulez pas assister à la suite, je vous conseille de mettre les voiles et de garder votre langue sur ce que vous venez de voir. J’ai des comptes à régler avec ce Porc et aucun d’entre vous ne souhaite finir sur ma liste, n’est-ce pas ?
De l’argent termina de changer de main et en moins de deux minutes, l’établissement se vida. Néala, qui peinait à reprendre son souffle, dut lutter pour se débarrasser des bras de l’homme mort qui pesaient sur sa gorge et sa poitrine et l’empêchaient de se relever. Elle bascula sur le côté juste à temps pour rendre le contenu de son estomac, choquée par la vue du manche en bois dépassant du front de son agresseur. Kogan qui tenait toujours fermement Alistair Adama la regarda, surpris de sa réaction puis reporta son attention sur sa proie :
– Enfin tranquille. On va pouvoir se mettre à l’ouvrage, sourit-il férocement.
– Qu’est… qu’est-ce que vous me voulez ? bredouilla l’aubergiste.
– Tu ne te souviens pas de moi ? Je suis le gamin que tu as accusé de vol sans raison. J’ai été roué de coups par ta faute, puis jugé et humilié sur la place publique.
– Je… je ne me souviens pas.
– Et bien moi je ne t’ai jamais oublié et je suis là pour régler ma dette, remettre les compteurs à zéro.
– Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda Néala d’une voix blanche.
– Pas grand-chose, juste le pendre comme le porc de son enseigne, le rouer de coups comme je l’ai été et probablement le noyer avec son vin… Ou plutôt juste lui en faire boire jusqu’à ce qu’il n’ait pas d’autre choix que de se pisser dessus histoire qu’il soit totalement à son avantage quand on le retrouvera, je suis pas encore sûr.
– Pi-pitié…
– Ta gueule ! le gifla Kogan.
Néala était tétanisée. Elle regarda Kogan, qui déplaçait le gérant résigné comme s’il s’agissait d’un fétu de paille, mettre sa menace à exécution. Il récupéra une corde dans la réserve et la lança habilement par dessus la poutre centrale après l’avoir liée aux chevilles de l’homme visiblement paniqué. Faisant fi de ses suppliques, il le hissa alors à la force des bras jusqu’à le suspendre la tête en bas, comme il le lui avait promis, et lui attacha les bras dans le dos. Il récupéra alors son sabre dans le râtelier déserté à l’entrée de l’auberge.
Néala se mit à trembler de tous ses membres et dut s'asseoir à même le sol. Elle sentait ses tripes se nouer, incapable d’émettre le moindre son, ni le moindre geste pour s’opposer à ce que s’apprêtait à commettre Kogan. Elle le regarda passer sa main dans ses cheveux ras puis lisser sa moustache avant de tirer la lame du fourreau avec un sourire réjoui. Le sabre chanta faisant geindre de peur le gérant des lieux.
Alistair Adama avait viré au rouge cramoisi et ses yeux exorbités reflétaient sa terreur. Il transpirait à si grosses gouttes qu’elles tombaient sur le sol avec un son écoeurant. Ses longs cheveux gras devenus gris avec l’âge pendaient lamentablement. Ses vêtements subissaient également la gravité, dévoilant en partie les bourrelets adipeux qui n’étaient pas tenus dans ses braies.
La lame siffla. Néala détourna le regard, incapable d’assister à cela. L’homme cria mais la douleur ne vint pas. Kogan réitéra son geste avec une précision chirurgicale jusqu’à ce que sa proie se retrouve dans le plus simple appareil.
– Voilà qui correspond mieux à ton enseigne ! Je m’en vais de ce pas faire rosir cette peau flasque immonde, renchérit Kogan en s’emparant du balais pour frapper l’homme, se délectant de chacun de ses cris et suppliques.
Néala sursautait à chaque coup qu’il portait. Elle connaissait l’histoire de Kogan et comprenait son désir de vengeance mais y assister était tout simplement insoutenable pour elle. Pourtant, elle ne parvenait toujours pas à faire quoi que ce soit. Elle revivait son impuissance pour le chiot puis pour ses amies, ne pouvant s’empêcher de trouver Kogan monstrueux.
L’aubergiste avait renoncé à supplier, se contentant d’encaisser les coups, luttant pour se replier sur lui-même pour en limiter l’impact. Ses cheveux dégoulinaient de sueur, de larmes et de morve mélangées et la flaque en dessous de lui s’agrandissait à vue d’oeil. Kogan jubilait de le voir ainsi humilié et ne loupait pas une occasion de le lui faire savoir en l’insultant et le dénigrant sans relâche.
– Pour la couleur on est pas mal. Du vin mon cher, du vin !
Totalement obnubilé par sa vengeance, il passa à côté de Néala sans même remarquer qu’elle s’était recroquevillée sur elle-même et se balançait compulsivement, les joues baignées de larmes. Il revint de la réserve en roulant un tonnelet qu’il fixa habilement sur l’excédent de corde ayant servi à pendre sa victime. Le robinet se trouva alors à la hauteur de la bouche de l’homme. Il lui redressa la tête et l’obligea à écarter les mâchoires en lui pressant brutalement les joues puis enfonça le robinet dans sa cavité buccale et ouvrit en grand.
Le liquide rouge envahit la bouche du gérant, s’échappant en partie par ses narines dilatées. Il toussa, essaya de s’échapper mais la poigne implacable de Kogan l’empêchait de faire quoi que ce soit. Il tenta de déglutir pour pouvoir respirer mais le flot continu ne lui permettait pas de reprendre son souffle. Paniqué, luttant contre la noyade, il perdit ce qu’il lui restait de dignité en urinant sur lui. Il sentit le liquide chaud couler sur son ventre, dont la graisse tressautait, pour arriver sur son visage suffoquant. Kogan le lâcha pour éviter sa part d’urine qui compléta la flaque au sol. Il ferma le robinet du tonnelet en ricanant sinistrement :
– Et maintenant la touche finale : le sourire du Porc !
Traversant joyeusement la salle, il alla récupérer son couteau dans la tête du blond, l’extrayant avec un son spongieux écoeurant, et revint vers l’aubergiste qui reprenait difficilement son souffle. Néala réagit enfin :
– Je t’en prie Kogan, ne fais pas ça !
Le guerrier suspendit son geste alors qu’il allait entailler Alistair Adama à la commissure des lèvres. Il tourna un visage étonné vers Néala, semblant soudainement se souvenir de sa présence. Il constata son air déplorable et lui intima :
– Sors tout de suite et attends-moi dans la ruelle dehors, j’ai presque fini. De toute façon, la milice risque d’arriver.
– Je t’en prie… Il en a déjà assez bavé…
– Je crois pas non. Sors je te dis. Et ne discute pas.
Néala serra les dents et les poings en secouant la tête. Elle n’avait pas la force de lutter contre lui. Elle partit avec un dernier regard atterré sur l’homme qui attendait la fin de son calvaire. Sitôt la porte refermée sur elle, elle entendit un hurlement de douleur qui lui glaça le sang. Un deuxième suivit quand elle se fondit dans l’ombre de la ruelle. Serrant les bras autour d’elle, sanglotant en silence, elle attendit que Kogan la rejoignit.