Divalis : l'éveil

Chapitre 4 : Une perspective d'avenir.

4875 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/06/2022 13:10

Un mois s'est écoulé depuis que Vlase m’a intégré dans sa meute. Ma patte n’est pas encore parfaitement rétablie, mais j’ai recommencé à me déplacer. Comme je restais encore à la tanière, il y a peu, j'ignore comment les autres occupent leurs journées. Reki et Luna s’échangent leurs places pour allaiter les petits quand l’une ou l’autre s’en va avec la meute. Quant à moi-même, je ne m’éloigne pas des masses, premièrement parce que je n’arrive pas à marcher longtemps sans être essoufflée et deuxièmement, parce qu’en échange de leur protection, je joue aussi les baby-sitters. Abysse, Buntar et Dogost restent donc à mes côtés une grosse partie du temps. Je suis perchée sur une saillie rocheuse de façon à avoir les yeux et sur la tanière et sur les petits, même si avouons-le, un prédateur venait à surgir, je ne serais pas qu’un grand renfort.

 

Aujourd’hui, les petits veulent aller à la rivière. Je préviens Reki avant de partir et je suis les petits qui me montrent le chemin que je connais pourtant à présent. Il fait plus chaud que les jours précédents, Abysse est plus active, mais l’hiver arrive tout de même et bientôt elle dormira… Autre incommodité que la saison froide apporte avec elle, c’est le plaisir de se tromper de lisii puisque les pigments de leurs pelages leur donnent dorénavant, à tous, une couleur blanche et noire. Le mien est devenu plus dense et c’est éclairci également.

 

Alors que les petits se désaltèrent, mon regard se porte sur un des mâles que je reconnais uniquement à sa taille qui vient en ma direction et… Je ne sais absolument pas si c’est Ukus ou Vlase ?

 

–Tu ne devrais pas forcer sur ta patte, Croquette.

 

Si le pelage me met à chaque fois en doute, cette voix douce, c'est celle d’Ukus ! Nous le rejoignons, ma queue se balançant lentement derrière moi. À force de les observer, j’ai fini par imiter leur langage corporel, même si je reste tout de même récalcitrante, en ce qui concerne les interactions physiques.

 

–Je ne mets pas mon poids dessus… C'est ton frère qui râle habituellement.

–Il fait le tour de nos frontières, il faut bien que je le remplace. Je venais vous mettre en garde, les lynx commencent à envahir nos terres.

–Ils n’ont pas peur de vous ?

–Pas quand la faim est plus forte que leur crainte.

 

Je grimace… C’est vrai. Des bébés et un blessé sont des proies faciles et quand on meurt de faim. On fait fi des paires de crocs à côté. Il serait peut-être temps que je me rende réellement utile à la meute. Je relève les yeux vers le renard qui lui est concentré sur les petits qui sont venus le taquiner.

 

–Dis Ukus… Je n’ai jamais appris à pister, ni à chasser…

 

Il me regarde, étonné, puis se met à rire.

 

–Tu sais que même les petits savent attraper de petites proies ?

–Ça va… Je n’en avais jamais eu besoin avant…

–Tu sais différencier les odeurs ?

 

Je secoue négativement la tête et il me fait un signe pour le suivre. Nous revenons vers la tanière, sans toutefois entrer dans les galeries où se trouvent actuellement Reki et ses renardeaux.

 

–Ton premier exercice va être simple, Croquette, Abysse va te cacher, les garçons, attendez.

–Nous, elle ne pourra pas nous trouver, ricane Dogost.

–Vous serez l’étape suivante, confirme Ukus.

–Suivante ? Mais ils n’ont pas d’odeur, répliqué-je.

–Non. Mais ils jouent dans la terre et s’ils n’ont pas leurs odeurs propres, ils ont celle de la meute, sourit, moqueur Ukus…

–Il faut que tu apprennes mon odeur, maman, rit Abysse.

 

Je regarde de ce fait Abysse… Son odeur… Je la renifle. Je perçois la vase, mais son odeur, comment la différencier de tout ce qui m’entoure ? Je relève les yeux vers Ukus, pas certaine de ce que je fais. Elle vient de partir en courant pour se cacher, amusée par la situation.

 

J’essaie de la pister, je ne vois pas la différence entre la terre humide et les feuilles mortes qui jonchent le sol. Dogost et Buntar sont à côté de moi… l’odeur des autres… Je n’arrive pas à faire de différence. Je soupire désespérée et regarde Dogost qui tape sa patte au sol tout en me regardant. J’ai vu partir Abysse, mais bien sûr, je ne sais pas où elle est allée, ni où elle s’est cachée, c’est le but de la manœuvre. Je hume l’air là où Dogost vient de taper, c’est légèrement différent. Une senteur… Sucrée ? Non, je ne saurais pas le dire, mais je la perçois maintenant, elle est légère et elle flotte dans l’air. Ce serait la sienne ? Je la suis, les renardeaux sont sur mes talons, Ukus les retient pour qu’ils ne soient pas tentés de me montrer le chemin.

 

–Le parfum des animaux, celui des cryptides ou encore celui des humains, ont des notes sucrées. L’odeur des végétaux et de la terre est amère. Les plantes toxiques sentent âcre et nous répugnent de manière générale, m’explique Ukus.

 

Je n’y ai jamais fait attention, c’est plutôt au goût que je peux savoir ce genre de chose. Pour moi, soit ça sent bon, soit ça pue… Je continue à chercher la coïste dont je n’arrive plus à distinguer l’effluve, le vent souffle un peu plus fort ici. Je regarde Ukus qui se couche alors en m’observant… J’espérais son aide à vrai dire…

 

À défaut de pouvoir jouer avec Abysse, c’est leur oncle que les petits ennuient. Je m’ébroue et continue ma recherche même si j’ai totalement perdu sa trace. J’entends alors un rire venir de sous les racines. Mon ouïe, elle, fonctionne bien, je me baisse sous les branches.

 

–Bouh !

–Tu as été longue pour me trouver ! Je ne suis pas allée loin, me nargue la bleue.

 

Je me fais même chambrer par les petits maintenant… Ukus se relève et nous le suivons jusqu’à la tanière. Vlase, Tsveta et Molnii sont de retour avec une proie. Un ours ? Enfin, l’avantage avec le froid ambiant, c’est que cela gardera la carcasse plus longtemps. Comme à chaque fois qu’une proie fraîche est apportée, les femelles et renardeaux se nourrissent en premiers, Vlase et Ukus y vont ensuite et le renard m’apporte après un morceau. La vue d’une charogne continue de me répugner même si je mange plus de viande qu’avant.

 

Les jours et les nuits se succèdent et les renards m’apprennent chacun à leur tour à pister. J’ai encore un peu de mal, mais j’arrive peu à peu à différencier les odeurs de chacun. Maintenant, le jeu a changé, pour m’apprendre à me déplacer discrètement, à savoir jouer avec mon environnement. Pour cela, les mâles nous poursuivent et nous devons les éviter. Plus facile à dire qu’à faire, ils se déplacent à la vitesse du son ! Comment je rivalise avec ça ? 

 

En fait, je n’en ai encore jamais vu un seul le faire jusqu’à présent et pour cause. Cela n’est pas sans risque pour eux. Surtout dans une zone boisée où ils peuvent se rater à tout instant et se prendre le décor. C’est Vlase qui me l’a expliqué, j’avais remarqué qu’il avait une drôle de démarche par rapport aux autres, mais j’ignorais que c’était parce qu’il s'était disloqué les os en passant le mur du son.

 

Je suis couché entre les buissons, j’avance à pas de loup sans mauvais jeu de mot pour ne pas me faire repérer… La discrétion ce n’est pas encore ça et bien sûr, Vlase me repère tout de suite. Je fuis m’attendant à ce qu’il m’attrape, mais il ne le fait pas. 

 

Je suis sûr qu’il n’a pas de réelle difficulté à me poursuivre parmi les arbres. Je suis assez surprise de mon agilité, mais pas au point de rivaliser avec un Lissi tout de même. Pourtant, j’ai vraiment l’impression qu’il a du mal à me suivre… Est-ce qu’il aurait mal à cause du froid ? Mince, à force de le surveiller, je n’ai pas fait attention à ma trajectoire. Je me retrouve face à une paroi rocheuse un peu trop abrupte à mon goût. 

Le renard me rattrape et dans un réflexe instinctif, je m’élance en l’air et grimpe avec la dextérité d’un lémurien à un grand pin. Me voilà maintenant cramponnée. Vlase s’appuie avec ses pattes avant sur le tronc, gardant ces pattes arrière au sol, en souriant.

 

–Ben alors, les renards ne grimpent pas aux arbres ? Me permets-je de le narguer.

–Nan… Et tu comptes rester longtemps là-haut ?

–Bah ici, tu ne peux pas m’attraper, je le nargue.

 

Je redescends prenant garde à ma patte. Ma cicatrisation est plus rapide que celle des humains, mais je dois tout de même éviter les imprudences.

 

Il reste encore les femelles à trouver. Habituellement je retourne à la tanière une fois l’exercice terminé, mais il a une autre idée en tête. Cette fois, c’est à moi d’être le chat ! Je ne suis pas franchement certaine de pouvoir les traquer, mais il semble convaincu du contraire…

 

Je hume l’air et m’élance sur ce que je suppose être une piste, suivie par le canidé. Il me faut un bon moment avant de comprendre que Molnii se joue de moi en tournant en rond autour de la même zone. Vlase, lui, avait remarqué, bien sûr, et cela l'a bien fait rire, lorsque que je m’en suis rendue compte.

 

Vlase et la renarde se battent alors pour de faux, je reste cependant à distance, les observant simplement. Il n’y a aucune violence, ils ne font que jouer, Molnii essaie parfois avec moi… Mais quand l’un d’entre eux le fait ça, je recule, préférant éviter ce genre d’interaction. 

 

Que ce soit Vlase ou Ukus, quand ils jouent avec les femelles, il y a toujours un moment, malgré le fait qu’ils soient plus forts, où ils se placent volontairement en position de soumission. Je ne comprends pas ce que cela signifie et j’ai peur d’être prise pour une idiote si je pose la question. Alors, je reste spectatrice à les étudier en faisant des suppositions sur leurs mœurs.

 

Enfin, notre jeu a continué… Les mâles m’ont tout de même aidée, mais j’ai trouvé les renardeaux et Reki sans leur aide ! Les renards me taquinent parce que j’en suis fière alors que je devrais savoir le faire depuis longtemps. Mais quand je regarde Vlase, malgré sa dégaine de chien des enfers, je suis certain que ce sourire est sincère…

 

L’air froid nous rappelle à l’ordre et nous retrouvons le chemin de la tanière. Je pense qu’il va neiger ce soir : le vent pique et le ciel est couvert. Revenue à la tanière, je me glisse contre Abysse qui, cette fois, hiverne.

 

La neige tombe à gros flocons, j’aurais aimé qu’Abysse voit ça, mais elle dort à poings fermés… Les renardeaux sont déjà dehors à tenter d’attraper les flocons qui recouvrent bien vite le décor d’un épais manteau blanc.

 

Une nouvelle fois, je les envie et cela me rend triste. Je n’ose pas me joindre à eux, j’ai toujours cette crainte au fond de moi qui persiste. Je suis certaine que si je baisse ma garde, cela se retournera contre moi. Il fait nuit, mais la neige, avec le clair de lune, scintille de mille feux. 

 

Le froid me glace le sang. La meute est là, pourtant je ressens toujours cette solitude en moi. J’ai envie de me joindre à eux, mais cela m’effraie tant …

 

Une sensation humide me fait sursauter et je me retourne confuse sur Vlase qui vient de glisser sa truffe couverte de glace sous ma fourrure et cela l’amuse bien sûr ! Il veut que je me rapproche d’eux… Cela m’angoisse et de ce fait, je m’énerve. Je sens mon ventre se tordre et mes crocs ont envie de mordre. D'accord, je m’habitue à lui, à la meute, je pense même avoir l’impression qu’ils souhaitent que je reste, mais je ne peux pas… Dès la fin de l’hiver, au réveil d’Abysse, nous partirons vers le sud…

 

Au fil des jours, l’épaisseur de la neige est plus conséquente. Les proies se sont également rassemblées. La plupart des femelles herbivores sont pleines. Les Lisiis ne les chassent pas pour éviter de tuer par ailleurs de futures proies. Nous nous rabattons sur les rongeurs et lapins que nous pouvons trouver, mais il est clair que pour les renards, cela n’est pas suffisant.

 

L’hiver est rude et fait ressortir le mauvais d’entre nous. Le froid et la faim nous rendent susceptibles. Les altercations entre Ukus et Vlase sont plus sérieuses, mais aussi entre les femelles. Pour la première fois depuis que je suis dans la meute, j’ai vu une réelle soumission hier soir entre Tsveta et Molnii… Elles se sont mordues jusqu’au sang, au point que Vlase en a été forcé d’intervenir.

 

L’hiver ici dure près de six mois, le sol est gelé d’octobre à mars et la neige est présente du début à la fin. Nous sommes en fin février, le dégel a commencé, mais le froid est toujours mordant par moment, notamment de nuit. 

 

Je veille continuellement sur Abysse, elle a très peu bougé pendant l’hiver et je ne sais pas si cela est bon ou mauvais signe. J’ai vraiment hâte que le printemps s’annonce pour la voir revenir à elle… Ce sera également le moment de leur dire au revoir…

 

Ces derniers jours, la meute est plus dynamique. Ils se déplacent beaucoup, les petits restent avec Reki ou Luna et j’ai pris l’habitude d’accompagner la meute dans leurs rondes. Il faut surveiller les proies, les potentielles intrusions et les prédateurs rivaux. J’avais du mal à les suivre sur tout le territoire au début, mais maintenant j’ai pris leur rythme. Je sais désormais me déplacer silencieusement, relever les traces laissées par les autres créatures et chasser de petites proies avec bien plus de succès ! À force d’observation, j’ai appris à comprendre et reproduire leurs codes sociaux, comme placer ma queue sur le côté de mes pattes en guise de respect, remonter l’encolure face à Ukus quand il me défie ou encore baisser mes oreilles et me lécher le museau quand j’approche des femelles.

 

Depuis l'aube, nous parcourons les bois à vive allure, afin de nous réchauffer. Parfois l’un ou l’autre glisse une pente, plus vite qu’il ne l’aurait voulu… Ce qui se finit en fou-rire à chaque fois, en particulier lorsque Vlase se moque allègrement des autres et qu’il se retrouve à faire la glissade la plus ridicule d’entre tous. Oui, nous nous entendons bien et je me suis vraiment faite à leur façon de vivre, mais…

 

Ces derniers jours, je les trouve énervés. Ukus dérange beaucoup Molnii. Tsveta et Tucha elles sont franchement râleuses et pas toujours à raison. Reki et Luna quant à elle sont les seules en dernier lieu à rester posées.

 

Nous faisons une pause dans la clairière, j’ai soif, mais le ruisseau est encore gelé et mordre dans la glace n’est pas aussi facile que je l’aurais cru…

 

–Tu sais que manger la neige, c'est plus simple ? Intervient alors Vlase.

–J’avais envie de changer…

–Si cela t’amuse de te geler le cerveau, réplique le renard.

 

Je viens d’avaler la glace que j’ai arrachée avec mes dents… Le froid fait se raidir mon corps d’un coup, provoquant une douleur dans ma tête. D’accord… Je pensais que ce n’était que les crèmes glacées qui pouvaient faire cela. Il reste statique, me dévisageant, puis se met à rire à chaudes larmes, confirmant ses dires sur le fait que la neige, c’est moins traître.

 

Je me suis décidée à chasser, mais je garde avant tout un régime végétal. Au même titre que les proies, je ne suis pas capable de tout digérer. Je ne peux pas manger n’importe quelle plante. J’affectionne surtout les fruits et les baies sauvages. En ce qui concerne les animaux, je ne digère pas les poils, les os, les viscères ou encore la chair avariée. Ouais j’ai l’estomac raffiné… Les renards eux n’ont pas ce problème. Hormis les poils et les gros os, tout y passe, même les charognes.

 

La meute se remet en mouvement. Vlase toujours derrière moi, attire mon attention. Habituellement, il est plutôt devant avec Ukus, mais je remarque que ce dernier est, lui aussi, derrière Molnii. Tsveta et Tucha sont un peu plus en avant avec Reki et Luna. Je ne sais pas ce qu’il fait, il hume l’air on dirait, je regarde autour de moi en l’imitant. Il aurait repéré un danger ? Finalement, le voici qui retourne devant…

 

C’est en fin d’après-midi que nous sommes revenus à la tanière. Buntar et Dogost vont sur leurs dix mois et Abysse a dépassé les un an. Cette fois les renardeaux font ma taille. Abysse a développé, depuis sa mue à l’âge de ses six mois, des écailles qui luisent à la lumière de la lune et qui changent également de couleur en fonction de son humeur.

 

Je suis allée me coller à Reki et Luna qui sont près des petits pour me réchauffer. Vlase est allongé dehors, Tsveta et Tucha sont couchées juste à côté de nous, et Ukus et Molnii… Je me fige alors ! En tant qu’animal, je ne rougis pas, ce qui ne m’empêche pas de tourner la tête sur le côté. Peut-être, est-ce le fait que j’aie conscience de la pudeur, mais je trouve cela déplacé de les voir s’accoupler… Une minute… C’est ça que vérifiait Vlase tout à l’heure ? Je secoue ma tête, non, je dois me méprendre ! Oui, il devait contrôler la présence d’intrus.

 

Le lendemain matin, Abysse, à peine sortie de sa torpeur, a faim ! Cela fait du bien de la retrouver. Nous sommes parties à la rivière pour qu’elle attrape quelques poissons. De mon côté, je m’allonge dans l’eau encore frisquette et la regarde faire. Elle ne va pas apprécier, mais…

 

–Abysse, nous allons reprendre la route dès demain.

–La meute veut changer de coin ? Me demande-t-elle en relevant sa tête confuse.

–Juste nous deux, nous n’allons pas les déranger plus qu’il n’en faut.

–Mais, j’aime bien jouer avec Buntar et Dogost…

–Je le sais, mais ils ne sont pas comme nous et…

–Tu ne te sens pas à ta place ?

 

Je me retourne sur Vlase et baisse les oreilles en détournant la tête, tout en hochant du chef, pour confirmer ses dires. Il s’approche et s’assoit sur la terre ferme. Abysse se jette immédiatement sur lui, le taquinant…

 

–Tu as l’impression que nous attendions ton départ ?

–Non, mais…

–Alors pourquoi ne pas rester ?

–Je ne suis pas comme vous.

–Et ? Tu t’es adaptée à nous, même Abysse, votre présence ne nous dérange pas.

–Je le sais, mais… Il y a quelque chose qui m’appelle. C’est là en moi. Je veux aller… vers le sud.

–Pourquoi le sud ?

–Je n’en sais rien.

–Fais ce que tu penses être juste… La cohabitation inter-espèce n’est pas naturelle après tout.

–Désolé Vlase…

–Saches que s’il te prenait l’envie ou le besoin de faire demi-tour, nos frontières te resteront ouvertes.

 

Encore ce sentiment contradictoire qui me réchauffe et m’étouffe en même temps. Pourtant, ces mots me donnent l’effet d’une caresse et pour la première fois depuis que je les côtoie, je me glisse contre lui dans une brève étreinte.

 

Nous revenons à la tanière, je n’ai pas envie de rester plus longtemps, mais je veux laisser Abysse s’amuser une dernière fois avec ces frères d’adoption. Nous pourrons toujours revenir une fois que j’aurais trouvé ce que je cherche… Ce que je cherche ? Les lueurs orangées qui s’annoncent dans le ciel terminent cette journée sur une note parfaite. Je me tourne sur Tucha qui s’approche de ses sœurs et moi-même.

 

–Tucha ?

 

Elle ne répond pas et se jette soudain sur les petits, ce qui ameute les autres ! Je réagis au quart de tour, lui faisant rater ces cibles. Les mères se dressent alors contre elle…

 

Ses yeux… Ils sont injectés de sang et le coup de dents de Reki pour la faire reculer, n’a pas l’effet escompté. Bien au contraire, les renardes sont en train de se battre ! Tucha est résolue à tuer Reki. Luna aide sa sœur à lutter contre leur ainée. Elles arrivent à la repousser, mais Tucha s’entête à vouloir planter ses crocs dans les autres.

 

Ukus et Vlase interviennent à leur tour, se rendant compte que quelque chose cloche. Ils tentent de contenir et contrôler Tucha, mais il n’y a rien à faire. Elle n’est plus elle-même… Impossible pour les mâles de tuer l’une de leurs compagnes. C’est Reki, qui, blessée, saute brusquement à la gorge de sa sœur qui retombe au sol, inerte. 

 

Je suis restée prostrée au-dessus des petits et d’Abysse. Les renards se dispersent, secoués par ce qu’il vient de se passer. Luna et Ukus sont grièvement blessés et j’ai peur de comprendre le mal qui infeste Tucha et de ce fait j’observe les blessés la peur au ventre.

 

Buntar et Dogost retrouvent leur mère et les filles de Reki qui marche depuis peu en font de même. Reki a été mordue par sa sœur... 

 

Ukus et Vlase s'occupent d’éloigner la dépouille de la tanière. Je reste assise avec Abysse entre mes pattes, silencieuses à ne pas savoir où se placer, ni comment réagir à ce qu’il vient de se passer. Les mâles sont de retour et se placent près des renardes…

 

C’est un coup dur pour la meute… Que s’est-il passé ? Comment Tucha a-t-elle été contaminée ? Nous n’avons rien vu venir, elle a changé si vite de comportement ! La boule dans mon ventre est de retour. Je regarde les renards qui hurlent à présent leurs peines au ciel.

 

Je n’arrive pas à pleurer malgré la tristesse, je me sens… En colère… Effrayée… À un point tel, que j’en tremble !

 

Les pleurs sont à présent terminés et les canidés se sont couchés chacun de leur côté. Alors que le calme est revenu, un couinement et un bruit sourd me donne soudain des palpitations sévères ! Reki vient de tuer une de ces filles ! J’ai vu sa gueule s’ouvrir sur la nuque de l’autre. Ce fut folklorique… Je suis rentrée dedans, j’ai happé la petite et me suis éloignée de la mère qui est maintenant prise d’assaut par les autres. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas d’où j’ai puisé cette force…

 

Reki est mise au sol par les autres femelles, mais elle n’est pas le seul problème. Luna agit de la même façon ! Sans attendre, je pousse les petits plus loin. Impossible d’aider les femelles et j’ai beau les appeler, impossible de les dissuader de fuir. Je m’éloigne avec les petits, mais derrière moi, je sais que la mort est de passage…

 

Ukus me fait face ! Je n’ai pas la taille, ni la force de le combattre. Il m’attaque et je dois me défendre ! Je pousse les petits pour qu’ils ne restent pas à porter des dents… Ukus est intercepté par Vlase… S’il se fait mordre, c’est foutu, si je me fais mordre, même scénario…

 

Vlase est mis à terre par son frère. Le virus ne lui fait pas sentir les morsures et Vlase n’arrive pas à attraper la jugulaire d’Ukus. Putain ! J’ordonne à Abysse de partir avec les petits… Mauvaise idée, voir les petits fuir l'excite. Je secoue ma tête en renâclant de colère, allez bouge-toi ma fille ! Je le rattrape et enfonce mes crocs dans son dos, mais la nuque de Dogost vient de lâcher entre les crocs d’Ukus … Et à présent, c'est moi qu’il tient entre ces canines, serrant l’étreinte sur ma nuque. J’essaie de me défendre, mais il est trop lourd ! 

 

Il bascule soudain et je réalise que Vlase tient la gorge de son frère entre ses mâchoires et serre en grondant. 

 

Je n’entends plus les renardes… C’est terminé. Elles sont toutes mortes. Vlase lâche son frère et me regarde en me montrant les crocs et tombe à son tour, le sang s’écoulant de ces nombreuses morsures… 

 

Mon corps est étrangement chaud, j’ai été mordue moi aussi… Je regarde les petits et Vlase. Il est lourd… Mais la rivière n’est pas loin. Si je le plonge dans l'eau, peut-être qu’il ne sera pas infecté ? Non, je le sais très bien que c’est de la connerie, mais c’est tout ce que je peux faire. Je le traîne tant bien que mal dans l’eau, nous laissons entraîner par le courant s'acharnant à garder la tête du canidé hors de l’eau. Le liquide est glacial, mais pour l’instant je n’en ressens pas l’effet… Abysse et les petits nous suivent sur le rivage.

 

Plus nous nous éloignons plus la rivière devient profonde. Les petits sont obligés de sauter dans l’eau et de s’accrocher à nous pour ne pas se perdre. Heureusement que le courant n’est pas fort, je n’aurai pas pu lutter, tout en m’assurant de garder les petits sur le dos de Vlase. Si le froid ne m’atteint pas, ce n’est pas leur cas et s’ils y restent trop longtemps, immergés, leurs petits corps fragiles risqueraient, l’hypothermie.

 

La rivière s’enfonce un peu entre les parois rocheuses et crée des cavités surplombées de lierres.

 

C’est ici que je décide d'arrêter notre avancée. Malgré la hauteur des arbres environnants, la lumière nous éclaire suffisamment. L’eau est si claire qu’il nous est même possible d’en voir le fond et les poissons qui y nagent. Mais mon attention est obnubilée par tout autre chose. Je peux remercier profondément Abysse de prendre en charge Buntar et Sansa. Je lui ai demandé de rester à distance de Vlase. L’eau a nettoyé ses plaies, pourtant elles continuent à saigner abondamment. Comme il l’a fait pour moi quelque temps auparavant, je prends soin de lécher les plaies. Le goût métallique qui se répand dans ma gorge me dégoute au plus haut point… Alors pourquoi est-ce que je continue ? Je suis si fatiguée…

 

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