Divalis : l'éveil

Chapitre 6 : Prochaine étape.

2545 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/06/2022 13:42

J’entends ce qu’il se passe autour de moi. Les pas d’Abysse et des renardeaux, la respiration saccadée de Vlase… Mais, je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Pourquoi est-ce que je reste dans cet état végétatif ? J’ai l’impression de sentir mes os exploser, je meurs de chaud et j’ai cette affreuse sensation d’être dans un tourniquet !

Combien de temps s'est écoulé depuis l’incident ? Pourquoi est-ce que j’arrive à ressentir la vie en Vlase, alors que la mienne semble prendre la fuite ?

 

Tu ne vas pas mourir… Ce n’est pas encore le moment… Réveille-toi…

« Encore toi ? Tu as le chic de réapparaître quand je suis au plus mal. Je dois encore perdre la tête. Enfin, ce n’est plus une première, n’est-ce pas ? Tu as toujours été là, au fond de moi, même si j’ignore pourquoi je délire de la sorte. »

 

Je cligne des yeux, éblouie par le rayon de soleil qui se fraie un chemin parmi le lierre jusqu’à mon iris. Je ne me sens pas bien et faiblement, je me redresse sur mes pattes avants. Ma vue trouble fait sa mise au point, mon cœur qui vacille reprend sa cadence normale. Ma respiration est lourde et cette sensation de brûlure me quitte peu à peu. Je relève ma tête vers le corps allongé sur le sol qui lutte encore contre son mal. Je veux me lever, mais mon corps me lâche dans ma manœuvre. Je chute en avant tout en serrant les crocs. Mes pattes sont douloureuses et j’ai la tête qui tourne.

Mes yeux fixe le renard. Son état à lui n’a pas changé, il est toujours léthargique. Je prends sur moi et sur la souffrance qui se répand dans mes muscles. Tremblante, j’arrive à me relever dans un ultime effort pour vérifier ses plaies… Étrangement cicatrisés. Je suis certaine que cela ne fait pas plus d’une semaine que nous dormons.

Je remarque alors le poisson posé sur le sol et regarde autour de nous, m’attendant à voir les petits. J’essaie de marcher, mais après quelques pas, je m’écroule près de l’entrée et sous le rideau de lierre qui nous couvre. Le vent, en faisant frissonner les feuilles, m’apporte l’odeur des jeunes dont les voix finissent par atteindre mes oreilles. Soulagée d’entendre leur rire, je reviens à l'intérieur avec maladresse et regarde à nouveau la truite. Je n’aime toujours pas le poisson, mais j’ai si faim que je vais m’abstenir de faire la fine bouche ! Je me laisse tomber, n’en pouvant plus de supporter mon propre poids et regarde le renard en grimaçant.

Il y a très peu de maladies chez les cryptides, mais elles ne sont pas inexistantes. La rage crypta en fait partie et elle est plus agressive que son homologue original. En quelques heures, elle nous affecte, nous rend fous et finit par tuer l’hôte.

Il est certain que nous l’avons contractée. Mais, comment se fait-il que nous n'ayons pas succombé ? Ce qui me perturbe le plus : c’est comment avons-nous réussi à la combattre ? Je ferme les yeux, m'énervant sur moi-même. Je suis revenue, mais lui, pas encore ! Je refuse d’être encore la seule à survivre ! Je ne serais pas capable de m’occuper des trois petits sans Vlase. Je le regarde et m’allonge contre lui, la tête sur son flanc qui me berce un peu trop efficacement. Ou peut-être est-ce la fatigue tout simplement ?

Une pression sur mon ventre me sort de ma torpeur. J’ouvre les yeux et les tourne vers la coïste qui me regarde sans pouvoir retenir sa joie. Je relève ma tête et m’assure que les deux renardeaux sont là, eux aussi.

 

–Tu te sens mieux ? Me demande la créature bleue.

–Oui, ne t’en fais pas. J’ai dormi longtemps ?

–Quatre lunes, me répond la bleue.

 

Les renardeaux viennent voir le mâle, j’en profite pour vérifier que personne n'ait de bobos. Abysse est toujours aussi énergique, ce qui me rassure. Ils ont l’air de s’en être tirés tout seuls. Sansa garde ses distances avec moi, mais Buntar lui, vient manifester sa joie en glissant sa tête sous la mienne, taquinant Abysse, partageant sa joie.

 

–Croquette, Papa est réveillé ?

–Pas encore Buntar…

–Il va se réveiller, hein ? Me demande le renardeau.

–Il est plus grand que moi, il lui faut un peu plus de temps pour guérir.

 

Je le regarde, incertaine de la tournure des évènements, espérant qu’il reviendra à son tour. Accompagnée des petits, je suis d’un pas lent Abysse jusqu’à la pleine qu’ils ont découvert pour me rassasier des herbes que mon corps peut assimiler. En relevant ma tête, je remarque un peu plus loin plusieurs ratons laveurs près de la mare. Ils ne sont pas spécialement rapides, mais il y a une différence entre tuer d’un coup un campagnol ou encore attraper la patte d’un cerf le temps que Vlase ou Ukus ne lui mordent le cou.

Tapie dans l’herbe, j’avance jusqu’aux ratons laveurs, un mouvement sur mon flanc me fait m’aplatir tout d’un coup. Abysse et Buntar m’imitent. Je ne suis pas là mieux placée pour leur apprendre à chasser, mais soit. Je leur indique d’un regard, de faire le tour de l’autre côté et d’attendre mon signal pour sauter dessus. Je rampe tout en les observant. Ils sont plus doués que moi de toute manière.

Je me place en face d’eux et aboie sur les ratons. Abysse a sauté dans l’eau, je ne sais pour quelle raison et Buntar vient de s’aplatir à même le sol. Les petits mammifères se ruent directement vers moi, paniqués en s’apercevant de la présence des deux autres. Je sors de ma cachette et bondis sur le plus proche qui se retourne sur le dos, les pattes en l’air en couinant. Gueule béante, je me fige juste au-dessus de la créature qui tente de me mordre pour se défendre. Je n’y arrive pas… La pauvre bête n’a pas le temps de profiter de mon hésitation pour fuir, Buntar c’est jeté dessus. Je regarde Abysse qui sort de l’eau en penchant la tête de biais.

 

–Pourquoi tu as plongé dans l’eau ? En ris-je confuse.

–J’ai été surprise de t’entendre aboyer, j’ai cru qu’un méchant arrivait, rit Abysse.

–Je me suis aplatis en pensant la même chose, rit Buntar.

–Vous ne m’aviez jamais entendue auparavant ? M’étonné-je.

 

Les petits me regardent et secouent en cœur la tête. Ai-je déjà grondé en leur présence ? Non, c’est vrai, hormis des raclements de gorge ou des courts grognements. Je n’avais jamais prêté attention au fait que je ne produis pratiquement aucun son. La parole et les cris ne sont pas tout à fait pareils. Tout comme le fait que nous avons un langage commun que nous appelons le crypta, qui nous permet de tous nous comprendre et qui n’a rien avoir avec nos cris bestiaux.

Je ramène la proie près de Sansa restée à l’orée du bois pour qu’elle puisse aussi en profiter. Elle se cache directement derrière les jeunes une fois que je l’approche. Je sais qu’il lui faudra du temps pour se faire à sa nouvelle vie sans sa mère. En attendant, je les laisse se repaître tout en profitant du soleil et de la chaleur qui change de l’humidité de la cachette.

Les petits me demandent pour retourner voir Vlase au cas où il serait réveillé. Nous voici donc à faire chemin arrière pour retourner vers la caverne près de la rivière. Bien que les jeunes soient pressés de se glisser sous le lierre, je les retiens et leur demande de rester sur leurs gardes. Même si cela ne les ravit pas. En soulevant le lierre, je découvre que Vlase a la tête relevée. Semblant sous le choc, il ne nous remarque pas tout de suite. Il tourne sa tête vers nous, langue pendante, en appuis sur ses pattes antérieures. Son regard est normal, sa respiration aussi, son rythme cardiaque que je peux étrangement ressentir s’est calmé. Mes pattes tremblent tellement je suis ravie de le voir bouger !

 

–J’espère que tu aimes le raton-laveur, lui dis-je en m'asseyant.

–J’ai si faim que je mangerai tout ce que tu veux ! Réplique le renard.

 

Rassurée, je laisse les petits le rejoindre. Ceux-ci se jettent sur lui sans ménagement tout en couinant de joie, sautillant autant à côté de lui que dessus. Je les observe, ne sachant quoi dire au canidé sur la perte qu’il vient de subir. Une nouvelle fois, les jeunes nous guident jusqu’à la plaine où Vlase s’allonge comme une masse au soleil. Buntar et Abysse lui apportent la carcasse du mammifère avec zèle. Je m’allonge à mon tour, tout en gardant un œil observateur sur Vlase, même s’il ne semble pas montrer de signe d’infection.

Abysse et Buntar s’amusent sur l’herbe fraîche où ils disparaissent par moment. Sansa est logée contre Vlase et ne le quitte plus d’un poil. Le renard est silencieux depuis qu’il est éveillé. Je n’arrive pas à savoir s’il est triste ou simplement pensif. Lui qui est habituellement une grande gueule, cela m’est étrange qu’il soit silencieux. Je ne sais quoi lui dire… Quoi faire.

 

–Tu voulais partir il me semble, brise-t-il soudain le silence.

–Je n’ai pas envie de vous laisser, les petits et toi…

 

Le renard a les yeux sur moi, puis il se redresse en s’ébrouant, tout en se penchant sur Sansa qui s’en retrouve à l’envers et surprise ! Il ne l’avait pas sentie...

 

–Où veux-tu aller ? Me demande-t-il en poussant la petite pour l’aider à se relever.

–Vers… Le sud.

–Pourquoi là-bas ?

–Je n’en sais rien.

 

Il ne fait que sourire en laissant un soufflement de nez passer, comme une évidence qu’il est bien seul à comprendre. Il baisse les yeux vers les renardeaux, puis se tourne vers l’horizon.

 

–Mon territoire est vaste, tu ne l’as pas encore quitté, je vais te guider jusqu’aux frontières.

–Tu vas rester ici ? Et si le virus se répand ?

 

Il se fige comme happé par quelque chose derrière moi. Je me retourne de ce fait pour m'apercevoir que la forêt là où nichait sa meute est en feu. Plusieurs hélicoptères survolent la zone. Le renard s’agite, nous rassemble et nous fait presser le pas pour quitter au plus vite le coin. Il nous dirige vers la rivière où nous nous désaltérons un bon coup et nous voilà prêts à nous mettre en route. Je ne pensais pas devoir reprendre une cadence aussi vigoureuse alors que mes membres s’engourdissent trop vite à mon goût. Il en est de même pour le renard qui a une démarche de canard. Buntar veille sur Abysse et Sansa s’assurant qu’elles nous suivent exactement comme il faisait avec son frère. Vlase ne montre rien… Je déglutis, j’aimerais au moins le soutenir.

 

–Je suis désolée…

–Je le sais, me coupe-t-il.

 

Il s’arrête tout en soupirant et me regarde ensuite franchement.

 

–Tu n’as pas à t’en faire pour moi. Ta famille ou la mienne, on ne peut pas revenir en arrière, on doit avancer, même si cela fait mal.

 

Il reprend sa marche et je le regarde, désemparée. Ça m'énerve ! Je le rattrape, m’autorisant à une fantaisie en venant glisser ma tête contre son flanc. Au moins lui montrer que je compatis, qu’il n’est pas seul malgré sa perte. Je le vois sourire et cela m’agace. Je ne suis pas aussi forte que lui. Perdre ceux que l’on aime, ça fait mal…

 

–Ta volonté m’impressionne…

–J’en ai une bonne raison, dit-il en nous balayant des yeux.

 

Je sens mon cœur se soulever, même si j’ai peur de me méprendre sur ce regard. Il a dit qu’il nous accompagnerait jusqu’à ses frontières, mais son territoire est en feu. C’est vrai qu’il ne va pas avoir le choix de s’en trouver un autre. Espère-t-il que je reste avec eux ? Que j’abandonne mon idée d’aller vers le sud ? Cette attraction ne me lâchera pas… Et s’ils m’accompagnaient jusqu'à là-bas ? Serait-il d’accord de changer de mœurs juste pour que l’on ne se sépare pas ? J’ai peur de m’emballer, de penser qu’il tient autant à la bleue et moi qu’aux renardeaux. Je regarde Abysse qui est devant moi et qui se chamaille avec Buntar. J’ai peur de cette sensation qui vient de m’envahir. Je suis égoïste, je devrais me suffire de la compagnie d’Abysse. Pendant un instant, j'étais heureuse d'espérer que le mâle puisse ne pas vouloir se séparer de nous. Je devrais garder mes états d’âme pour moi. D’une, nous ne sommes pas de la même espèce et de deux… Je suis en train de perdre ma volonté sur ce que je m’étais imposée.

 

–On va suivre Croquette et Abysse jusqu’au sud, papa ? Demande alors Buntar.

 

Vlase se contente de sourire... et moi de le suivre tout en gardant les yeux sur les petits pour m’assurer qu’ils suivent. Nous avons atteint la frontière de son territoire. Il se fige un instant, regarde le paysage derrière nous, puis se tourne sur moi tout en faisant un mouvement de tête, pour m'inciter à continuer. Je regarde à mon tour en arrière. D’ici, on peut voir l’épais nuage de fumée provoqué par l’incendie. Le renard monte la tête vers le ciel et pousse un hurlement sourd qui vient à m’écraser le cœur. Les petits l’imitent tout comme Abysse. J’en baisse la tête, le regard posé sur les brindilles qui s’élèvent au pied de l’arbre, puis remonte les yeux vers le canidé qui se remet en marche. Celui-ci sort de ce qui était autrefois chez lui, pour se diriger vers le sud.

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