Divalis : l'éveil

Chapitre 7 : Après la neige, vient le soleil.

2807 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/07/2022 21:35

Après plusieurs jours de marche, notre paysage a complètement changé d'apparence. Finis les hauts arbres nous gardant à l’ombre et les terrains escarpés. Bonjour à l’immensité des steppes peu vallonnées et pratiquement sans aucun arbre à l'horizon, avec de l’herbe sèche aussi haute que Sansa, Abysse et moi, s’étalant sous nos pas.

Jour après jour, nous nous éloignons de ce qu'était le quotidien de Vlase. Nuit après nuit, nous nous rapprochons les uns des autres pour former un clan à notre manière. Sansa s’habitue doucement à moi. Abysse et Buntar sont complices et nous suivons Vlase comme un modèle.

Les petits parlent parfois de l’ancienne meute et dans ce cas, Vlase les ignore où il change carrément de conversation. La seule fois où il nous a dit quelque chose, c’était pour affirmer qu’il fallait laisser l’incident derrière nous et aller de l’avant. 

Je ne sais pas si c’est parce qu’il est un cryptide sauvage ou si c’est uniquement dans son caractère. J’ignore si c’est une bonne chose que de penser ainsi. Si je l’écoutais et que j’appliquais ses préceptes à ce qui m’est arrivé, je devrais donc oublier ce qu’il s’est passé et me dire que je peux recommencer ? Non, moi, je ne peux pas. Je n’en ai pas le droit. Si nous avons tous les deux perdu nos proches, ce n’était pas de la même façon. Il n’y est pour rien dans ce qui est arrivé à sa meute. Pas moi. Oublier, ce serait ignorer qui je suis réellement… Une menteuse.

J'essaie pourtant d’être comme le renard, de ne pas y penser, mais j’ai toujours ces flashs qui me reviennent. Des images horribles quand ils se collent à moi et qui me rappellent le danger que je représente pour eux. J’ai tenté d’en parler à Vlase, mais… Je crains d’être rejetée, de me retrouver une nouvelle fois seule avec cette voix qui continue de s’adresser à moi, même si je tente de l'ignorer.

Souvent, je me demande si ce voyage ne serait pas l'œuvre de cette folie qui m’habite ? Peut-être n’est-ce qu’un désir que je ne pourrais jamais atteindre ? Vlase est persuadé que je me dirige vers l’un des miens. Et, dès qu’il en parle, je ne peux pas m’empêcher de rejeter son idée avec dédain… Cela fait sept ans depuis l’incident. J’aurais dû en croiser un, même par hasard.

Les semaines s’écoulent et l’hiver est à notre porte. Le renard s’assure de la cohésion de notre groupe en jouant au chef. Nous ne sommes pas toujours du même avis, mais de manière générale, je ne m’oppose pas spécialement à ses idées.

Tous les jours, Vlase hurle après d’autres lisiis. Qu’est-ce que nous ferons, Abysse et moi lorsqu’il trouvera une nouvelle meute ? Abysse est faite pour une vie en société et non pas pour déambuler vers nulle part avec une solitaire à moitié folle. À tour de rôle, nous gardons Abysse au chaud. C’est grâce à la meute si je parviens à mieux me débrouiller, mais je dois admettre quand sans la présence de Vlase. L’hiver aurait bien plus rude. La plupart du temps, Sansa reste avec Abysse. Mois après mois, le printemps fait son retour. La chaleur ravive les sens d’Abysse et bientôt notre routine pourra reprendre.

Les gouttes qui perlent le long des branches et s'engouffrent entre les crevasses de notre tanière, tombent l’une après l’autre sur ma fourrure humide. Le froid soudain me fait vivement sursauter ! Les masses allongées à mes côtés remuent légèrement, à peine dérangées par mon mouvement. Je baille à m’en décrocher la mâchoire, alors que les faibles rayons du lever du jour percent l’entrée de la galerie. Je m’étire et quitte ma place, m'apercevant que Vlase semble d’humeur matinale, de par son absence.

J’en jette un rapide regard vers les jeunes avant de partir. Abysse et Buntar entrent dans leur deuxième année. Sansa, elle, a tout juste un an. La coïste est aussi haute qu’un loup ordinaire. La lisii et moi faisons la taille d’un lévrier irlandais et Buntar celle d’un daim. Maintenant qu’ils perdent leurs poils d’hiver, Sansa tire dans le roux et Buntar dans le vert terne.

Je marche le long du sentier que nous avons créé pour faire nos aller-retour tout en observant les alentours. Les arbres bourgeonnent et l’air frais accompagne ma marche. J’entends Vlase hurler, il n’est pas loin. Si mon envie de repartir vers le sud ne m’a pas quittée, celle de se trouver des renardes pour Vlase, non plus. Je me demande si Abysse aimerait qu’un coïste nous rejoigne ? J’en ris presque de sarcasme, je passe mon temps à me répéter que je suis un danger pour les autres et me voilà à rêver d’une meute multi-espèce.

Je perçois le renard assis parmi les buissons. Je m’ébroue, occasionnant une envolée disgracieuse de poils, super, je vais bientôt muer. Le canidé observe quelque chose qui n’est pas encore à la portée de ma vue. À mon approche, il agite sa queue et baisse sa tête vers la mienne pour ensuite, dans un mouvement bref, me montrer le jeune alces qui se frotte contre les arbres pour éliminer sa mue. Cervidé qui nous a remarqué, mais qui ne se méfie pas spécialement de nous puisque qu’il n’est pas une proie habituelle pour les lisiis.

 

–À deux, ça devrait passer.

–En méchouis !

–En quoi ?

–Comment veux-tu tuer une chose aussi grande ? Je te rappelle que j’arrive à peine à attraper des lapins !

–Détourne son attention et je me charge de la mise à mort.

 

D’accord, il n’a pas sa taille adulte, mais avec des sabots qui peuvent nous fendre le crâne en deux, je ne suis pas certaine de son idée pour le coup. Il s’avance vers la bête et moi, je piaffe sur place avant de le suivre en m’aplatissant alors que mon estomac et mon cœur se concurrencent pour sortir de ma cage thoracique. Je ne suis pas aussi instinctive qu’il ne le pense. J’ai juste envie de prendre mes jambes à mon cou et de fuir.

Je n’arrive pas à gérer cette excitation qui naît au fond de moi quand on chasse. Elle me dégoûte autant qu’elle m’attire. Le danger me plait, mais la mort d’un autre être vivant, non. Vlase est rapide, oui, cependant même s’il est un renard géant, sa morsure n’est pas très puissante. En force pure, l'élan, bien qu’il soit un jeune individu avec des bois peu développés, le surpasse.

Vlase attend que j’attire l’attention du cervidé, néanmoins ma lenteur à agir nous rend suspects. Inquiet, l’animal nous charge tout en frappant ses pattes antérieures au sol. Nous esquivons dans un premier temps. Cette montagne de muscles m’effraie ! De ce fait, le canidé tente une attaque frontale pour lui attraper la gorge. Sauf qu’il est vient à se retrouver coincé sous les sabots du cervidé, qui lui en a entaillé l’épaule. Vlase tente de le mordre pour le faire reculer, mais cela ne le dissuade aucunement.

. Je me jette sur le cervidé et plante mes crocs dans son postérieur. Sous la panique, je serre tellement les dents, que je lui en brises l’os ! Apeuré et souffrance le cervidé se dresse et tente dans un bon de nous fuir, les crocs de Vlase agripper à sa gorge ne le laisse pas faire. L’herbivore se fatigue, ses muscles manque d’oxygène et bientôt l’animal cède sous son poids dans un dernier souffle. Vlase relâche aussi vite sa prise, haletant.

Je tiens toujours son postérieur dans ma gueule alors que je devrais le libérer. Mon corps est chaud, je sens mes muscles se raidir et se relâcher dans des spasmes frénétiques. J’en ai conscience, mais je n’arrive pas à lâcher le membre dans ma gueule.

Vlase ne comprend pas ce que je fais. Il n’y a pas de réelle dominance entre nous, juste un semblant de hiérarchie. Nous ne nous battons pas pour la nourriture. C’est donc sans méfiance qu’il se rapproche de moi. Qu'elle en fut sa surprise que je vienne à en claquer les dents vers lui ! Il ne pense pas à mal, il n’a pas à s’écraser. Mais le voir me menacer, ne m’aide pas à me calmer. Sans le moindre avertissement, je me jette sur lui.

Je recommence, je perds le contrôle ! Heureusement, je ne suis pas assez rapide pour le renard. S’il n’a pas su s’extirper de la prise du cervidé tout à l’heure, me contrer n’est pas un problème pour lui. Il m’esquive et se tourne alors que je pense l’avoir et ses crocs viennent se fermer sur ma nuque et m’écraser au sol. Furieuse, je me débats alors que le poids du canidé m’enfonce dans la boue. Je m’épuise inutilement, puis me calme enfin. Les battements de mon cœur redeviennent normaux. Si pour la plupart des créatures en stress, celui-ci accélère son rythme, dans mon cas, lorsque la folie me prend, il devient anormalement lent.

Il me libère et je vais m’asseoir plus loin, énervée contre moi-même. Mine de rien, je tourne les yeux sur lui. Il se remet de ses propres blessures, mais je n’ai pas l’impression de ressentir la moindre hostilité dans son attitude. Bordel, dire que tout allait bien jusqu’à maintenant ! Même s'il a réussi à me maîtriser, ça ne sera peut-être pas toujours le cas.

 

Pathétique. Ferme-la.

Pourquoi fuir ta nature ? Restes-en dehors de ça… 

Eena. Elle n’est plus là, alors tais-toi...

 

La carcasse est trop lourde, on ne peut pas la ramener à la tanière. Vlase se relève et s’en va chercher les jeunes. Je le regarde s’éloigner, hésitant franchement à prendre mes pattes à mon cou…

 

Tu as peur ? Bien sûr que j’ai peur. 

Pourquoi ? Tu as vu ce que je viens de faire ? 

Tu es un prédateur. Tuer pour se nourrir et tuer sans raison, n’a rien avoir. 

Tu n’as fait que te défendre. Elles n’étaient pas la menace.

Tu n’étais pas toi-même.

 

Une nouvelle fois, je secoue ma tête et soupire. Dès que mes émotions sont mises à mal et que la folie s’éveille, il se manifeste. Il a toujours été là, depuis le début… Je ne comprends pas ce qui m’a fait réagir. La blessure de Vlase ? La chasse en elle-même ? Je n’arrive pas à savoir, tout ce que je ressens maintenant, c'est cette culpabilité qui me ronge.

Vlase est de retour avec les petits. Je regarde le paysage essentiellement composé de conifères. J’ai peur de mordre dans la chair et de sentir le goût du sang dans ma gorge. Je préfère passer mon tour pour cette fois, excusant le fait d’avoir encore l’estomac retourné par la chasse. À présent qu’ils sont repus, ils s’allongent sur un monticule de terre pour digérer au soleil.

De son côté, le renard reprend ces hurlements… A-t-il compris que je perdais la tête ? Cela fait quelques minutes qu’il s’époumone, mais il n’a pas encore obtenu de réponse. Cela n’a rien de surprenant. Les cryptides ne sont pas nombreux. Aucun statut de conservation n'existe pour nous. Certaines espèces ne dépassent pas les dix individus. Le recensement moyen chez les cryptides est d’environ trente individus par espèce.

Pas une seule fois, il n’est venu me parler de ce qu’il s’est passé. Il nous a fallu plusieurs jours pour finir la carcasse et les charognards ont été plus que ravis de voir les restes que nous leur avons laissés.

Nous avons quitté la tanière et les renards continuent de suivre mon sillage, comme si de rien n'était. Nous sommes toujours sur les plateaux où les zones boisées laissent place à des prairies avant de redevenir forêts. Nous avons croisé quelques habitations, mais rien d’inquiétant pour l’instant. Toutefois, nous avons dû franchir quelques routes. Vlase et moi connaissons les voitures et le danger qu’elles représentent, mais pas les petits. La curiosité de Buntar et Abysse, leur font parfois prendre des risques inconsidérés. Vlase est tout de même plus nerveux d’être aussi proche des humains. Rien d’étonnant là-dedans, cependant, ils ne nous aiment pas et ils ont tous à fait le droit de nous tuer à vue.

À présent, c'est vers l’ouest qu’il faut continuer. Il nous faut franchir un hameau. Il y a beaucoup de terres agricoles et comme les arbres commencent seulement à refaire leurs feuillages, nous ne pouvons pas rester discrets.

 

–Croquette, on avance de plus en plus sur le territoire des humains, intervient Vlase.

–Je le sais.

–Est-ce bien nécessaire de nous faire courir ce risque ? Réplique le canidé.

–Peut-être pas. Je ferais mieux d’y aller seule. Ce n’est plus très loin, je peux le sentir.

–Tu as déjà vu comment les humains organisent des battues ?

–Je suis plus maligne que ça.

–Certes, mais la panique nous fait aussi faire des choses idiotes.

 

Je soupire… Il veut juste me faire entendre raison. Je baisse la tête résignée et mon estomac se tord à l'idée de renoncer à ce qui m’attire là-bas.

 

–N’y va pas tête baissée, on va simplement contourner le village.

–Je ne sens plus mes pattes, maman, je ne serais pas contre une petite pause… Même une grosse, se plaint la coïste.

–Moi aussi, ajoute Sansa.

 

Buntar lui est déjà sur le dos, les quatre pattes en l’air. Abysse s'avachit contre lui dans une plainte bruyante et la renarde l’imite. Nous sommes tournés sur eux. Les observants en souriant. On en a assez fait pour aujourd’hui.

La soirée est tombée, les canidés et la coïste dorment à poings fermés. Le village doit être à bon kilomètre à vue de nez. Je tourne les yeux sur les autres. Je le sais que c’est une mauvaise idée, mais seule, j’attirerais moins l’attention. Je lève les yeux vers le cercle rouge qui se dresse dans le ciel noir. Il fait plus sombre à cause de l’éclipse. Je n’arriverai pas à fermer l’œil, je me sens toujours nerveuse lors de ces nuits…

Je me suis levée d’un pas silencieux et je me dirige d’une allure soutenue vers le village. Je me faufile parmi les rues désertes et je rejoins un bosquet en partie coupé où des rondins de bois sont empilés à plusieurs endroits en forment plusieurs tas. Je slalome entre les sillons de boue que les engins agricoles ont laissés dans leur passage. C’est ici, je le sens, mais je ne vois rien. Je m’assieds dans la boue presque sèche et soupire. Serais-je juste sotte ? Je serre les crocs, autant de colère que de tristesse. Mon corps en tremble alors que mes yeux s’humidifient sous la confusion qui me prend. 

 

Pourquoi ? Tu voulais te punir, non ? Tu ne fais qu’errer comme une idiote depuis des années en pensant avoir un but à atteindre et voilà que tu ne reçois aucune réponse ! 

 

Je secoue la tête, ma céphalée me revenant. Je fais volte-face, décidée à retourner auprès de Vlase et des petits, puis m’immobilise soudain ! Je reperds la tête, je vois une forme fumante avec des yeux rouges qui me regardent…


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