Divalis : l'éveil

Chapitre 11 : Adaptation.

3252 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/10/2022 20:50

Abysse vient de me réveiller en se levant. Elle doit aller au petit coin. Je garde un œil sur elle et sur les alentours. Les oiseaux commencent à devenir bruyants, au point de tirer les renards de leurs songes, contrairement à Aéon, qui ne se réveille pas, malgré les coups de museau de Vlase, qui, dépité, bougonne et préfère s’éclipser.

Son fils et sa fille suivent ses pas alors que, de mon côté, je demeure près de l’endormie. Depuis l’altercation que nous avons eue, Vlase et moi, je préfère rester discret. Je suis censé veiller sur Aéon, lui apprendre à agir comme un individu de son espèce. Je me sens inutile parce que, mis à part lui parler de nos mœurs, je suis plutôt un poids pour eux.

Dans l’autre monde, je n’avais pas besoin de lutter pour vivre, j’étais seul, sans prédateur. Je sais que je crache du feu, j’ai joué avec plus jeune et je me suis brûlé. Par la suite, je n’ai plus tenté de m’en servir. On n’en a pas parlé, mais je ne suis pas le seul vers qui Aéon se dirige. Elle continue de chercher les nôtres. Kotcheï ne nous a plus parlé depuis l'éclipse de lune, voilà plusieurs semaines à présent.

Je soupire tout en baissant les yeux sur son pelage doré. J'ignore ce qui lui arrive, si cela est normal. C’est sans doute un coup de chaleur comme le pense le renard. 

Le vent qui siffle dans mes oreilles, l’humidité, le cycle jour et nuit, tout cela, je l’ai découvert d’un coup. J'essaie d’imiter mes compagnons de route en y faisant abstraction. Le plus difficile, c’est quand ils se mettent en tête de traverser un cours d’eau. Je n’ai pas longtemps su cacher ma peur et le fait de ne pas savoir nager. Aéon tente de m’apprendre, mais c’est impossible pour moi de mettre plus de deux pattes dans la flotte. Je suis à la fois trop réactif à ce qui nous entoure que pas assez prudent aux éventuelles menaces. Je suis moins débrouillard qu’un louveteau d’après ce que les renards me disent. Parfois, j’en ressens une certaine frustration, puis je refoule mes sentiments, leur souris et les laisse dire. Que puis-je faire contre l’évidence de toute manière.

En parlant de réagir comme un idiot, me voici à plat ventre ! A cause d’un bruit sourd au-dessus de ma tête. Je regarde ces choses qui volent parmi les branches en décrivant des cercles. Ce sont de insectes étranges qui ressemblent à des cailloux volants. Elles font un bruit de fou et ça a beau être petit, leur nombre me font, progressivement, me réfugier à reculons dans la tanière. Je n’aime pas les bestioles… 

Je regarde Abysse qui arrive en courant semblant ne pas être perturbée par leur présence. Et part dessus ça, elle rit de moi. Elle ne craint pas ces machins ? Elle s’approche de moi tout en regardant les insectes.

 

–Ce sont des hannetons, ça fait du bruit, mais ce n’est pas méchant, m’explique-t-elle.

 

Elle pivote pour me montrer son dos ou plusieurs de ces bestioles qui lui marchent dessus. Les insectes que je connais pour l’instant, ce sont les mouches, les moustiques, les abeilles, les moustiques, les sauterelles, les moustiques, les araignées… Ces saletés de moustiques qui adorent venir me piquer et qui me rendent fou avec les démangeaisons que je me paie après !

Abysse repart de nouveau rejoindre Sansa et Buntar, non sans jeter tout fois un œil curieux à la dorée toujours assoupie. Je m’allonge près de ma congénère, tout en gardant les yeux sur les jeunes qui jouent dans le lac… Quelle idée. Quand je les regarde s’amuser, ma queue s’agite à chaque fois et par moments, je serais bien tenté d’aller les rejoindre. J'ignore si les adultes jouent eux aussi ? Je n’ai jamais vu Aéon et Vlase avoir ce genre d’interaction. Les jeunes font semblant de se mordre et les filles ont tendance à rester soumise, mais j'ignore si cela veut dire quelque chose ou non ? Si ! Aéon et Vlase peuvent avoir des interactions entre eux. Souvent, le renard vient près de nous et il a toujours cette manie de placer sa tête par-dessus notre épaule. Quand il fait ça, je préfère reculer et baisser ma tête, même si parfois, une envie au fond de moi me dit de le mordre. J’ai déjà observé Aéon quand il fait pareil avec elle, elle lui montre les dents et s’assoit. Je vivais seul, donc je ne sais pas toujours comment réagir à certaines situations et Kotcheï ne me parlait pas des codes sociaux. Je crains parfois de faire un truc de travers et qu’ils ne le prennent mal. Perdu dans mes pensées, je ne sens pas tout de suite Aéon bouger. Elle se redresse et bâille à s’en décrocher la mâchoire. Je lui souris tout en agitant lentement la queue, alors qu’elle s’étire.

 

–Ça va ?

–Ma tête me fait mal.

–Continue de dormir.

–J’ai froid…

 

Froid ? Par cette chaleur ? J’hésite à me blottir contre elle. Déjà parce qu’en général, elle me montre les dents. Ensuite, parce que je me demande si cela ne pourrait pas aggraver son état. Ces maux de têtes sont devenus fréquents. Est-ce que cela pourrait avoir un lien avec nous ? Dans le sens où l’éveil de son pouvoir pourrait les provoquer ou le fait qu’elle se rapproche ou inversement s’éloigne des nôtres ?

La divalis s’est tournée sur elle-même, se rapprochant un peu de la lumière, pour avoir le dos au soleil. Tout au long de la journée, elle a ouvert les yeux, a changé de place, puis s'est rendormie et quant à moi, j’ai continué de veiller sur elle, Abysse venant me tenir compagnie par moment.

Il commence à faire nuit. La bleue est affalée sur mon dos. Elle s'est trouvé un nouveau jeu, elle s’amuse à attraper mes cornes et se prend dessus. J’ai adoré sa tête, quand je me suis relevé avec elle sur mon dos, alors qu’elle me pensait trop petit que pour la soulever. 

Aéon est de retour parmi nous. Si Abysse en est heureuse, ce n’est pas notre cas à Vlase et moi. La dorée se tient de travers, comme si elle n’avait plus d’équilibre et elle grimace, ce qui signifie qu’elle a toujours mal à la tête.

 

–Tu te sens mieux ? Lui demande Abysse en venant se glisser contre elle.

–Oui, ne t’en fais pas, répond-elle à la petite.

–C’est quand même étrange que ce que tu as. Tu devrais peut-être envisager de reprendre ta forme humaine pour voir un de ces guérisseurs humains ? Lance Vlase.

 

Je ne suis absolument pas du même avis. C’est bien trop dangereux de leur faire confiance. S’ils la démasquent, elle pourrait avoir de gros problèmes. Mais il n’a pas tort, les humains ont leur technologie et il existait des guérisseurs humains qui acceptaient d’aider les cryptides quand j’étais enfant.

 

–Ça va passer, je n’ai pas besoin d’aide, réplique-t-elle sobrement.

 

Elle se lève, je la regarde s’en aller jusqu’au lac suivi par les jeunes qui l’y accompagnent. Je me tourne sur Vlase qui échange un regard septique avec moi. Bien qu’elle se remette à peine et qu’elle ne semble pas aller mieux, elle veut déjà reprendre la route, ce qui nous déplait bien sûr.

 

–Oublie ! Intervient sèchement Vlase.

–Il fait frais ce soir, nous devrions en profiter pour continuer, réplique-t-elle.

 

Ben tiens, je l’aurais parié ! J’allais intervenir, mais une nouvelle fois Vlase est plus rapide :

 

–Certainement pas. Si tu t’écroules, je n’ai pas envie de faire route arrière ! On attend quelques jours, on va chasser et après, on reprendra la route, intervient Vlase.

–Nous devons bouger pour trouver une proie. Les pleines sont asséchées, la plupart des herbivores sont allés plus bas dans les terres. C'est toi-même qui as fait cette remarque.

–Il y a des poissons dans l’eau, je peux en pêcher pour tout le monde ? Propose Abysse.

 

Aéon n’est toujours pas fan de poisson et pour ma part, il en est de même. Cela fait un moment que nous n’avons pas mangé de grosses proies, mais nous pouvons tenir avec des en-cas.

 

–Cela doit-être le seul point d’eau du coin et les herbivores ne sont pas les seuls à se déplacer vers l’est, insiste Aéon. 

–Je te préviens, si tu t’écroule je te mords pour te faire bouger ! Gronde le renard.

 

Nous avons tout de même attendu la nuit pour nous en aller. Je la vois tanguer devant moi, Abysse et Buntar la surveillent, à chaque fois, elle se secoue et continue mine de rien. D’où tire-t-elle cette capacité à ignorer la douleur ? Je la rattrape pour qu’elle puisse prendre appui sur moi. Sauf qu'elle le refuse, me repoussant presque violemment. Pendant une fraction de seconde, je me fige, puis ravale ma frustration et je reviens à ses côtés. 

 

–Aéon, quand tu me cherchais. Tu avais ces migraines ?

–Elles n’étaient pas aussi intenses et récurrentes.

 

Les enfants d’alpha développent leurs capacités une fois l’ancien alpha éteint ou le relai passé. Ils doivent apprendre seuls à contrôler cette force. Kotcheï m’a parlé de ceux qui ont précédé Aérin, il était tous adultes, mais Aéon est la première à être née en tant que tel. Lorsque Aéon sera mère à son tour, elle passera également le relais à sa fille à un moment. Pris dans mes réflexions, je n’ai pas pris garde à la distance entre nous. Je m'empresse donc de rattraper le groupe. La lumière de la lune rend ses côtes encore plus saillantes qu’en plein jour. Cette-fois, c’est elle qui réengage le dialogue :

 

–Les nôtres vivent en meute ?

–Je pense que oui.

–Et quel est leur système hiérarchique ? Continue-t-elle.

–Je ne saurais le dire. Je suppose que nous nous soumettons et suivons tous l’alpha.

–Par alpha, tu veux dire moi ? Me regarde-t-elle.

–Évidemment.

–Même si je suis un mauvais alpha ? Tu me suivrais si je devenais violente avec toi ?

–Bien sûr, tu en as le pouvoir ! Peu importe comment tu te comportes, tu es notre chef ! Réfuté-je.

–Tu n’as pas l’impression d’être privé de liberté ? Si je venais à commander tous tes faits et gestes, tu le tolèrerais ? Me regarde-t-elle confuse.

–Ce n’est pas de cette façon que les meutes fonctionnent ? 

 

Comment ça, privé de liberté ? Elle a cette capacité, c’est qu’il doit forcément en être ainsi. Elle ne semble pas du même avis et je peine à comprendre son raisonnement. Si ce n’est pas pour nous diriger, à quoi lui servirait l’esprit de ruche ?

 

–Dagan… Est-ce que Kotcheï t’a parlé de divalis qui perdent la tête ? Me demande-t-elle soudain.

 

Je la regarde alors qu’elle dévie les yeux, comme si elle avait honte de me poser cette question.

 –Nous appelons ça, la folie, c’est une tare commune aux nôtres. Quoi que tu puisses te reprocher, si tu y as cédé, sache que tu n’y es pour rien.

 

Cela n’a pas spécialement l’air de la rassurer... Je porte mon regarde sur Vlase et les autres. Avec eux ? J’y ai cédé moi aussi, mais puisque j’étais seul, je pouvais me le permettre. Ce sont les émotions fortes qui provoques cet état. Quelque chose de vif et intenses qui nous plongeons dans un état second. On ne s’en rend pas tout de suite compte, plus nous nous emportons, moins nous nous raisonnons.

 

–Je me demande si nous ne devrons pas vivre uniquement entre nous.

 

J’en penche la tête sur elle, tout en me souvenant des paroles de Vlase.

 

–L’esprit de ruche permet le contrôle sur les autres, donc aussi sur ce problème, lui dis-je.

 

Elle me regarde confuse, semblant réfléchir à ce que je viens de dire.

 

–Être le gardien et non le bourreau… Marmonne-t-elle.

–Aéon la gardienne de nos têtes, lui dis-je en riant.

–Donc tu vois que cela n’a rien avoir avec le fait d’être un chef ?

–Mais les nôtres te suivront malgré tout toi.

–Pas si on ne leur parle pas de cette particularité… Après tout, nous ne savons pas comment vivaient réellement les nôtres et ne me dis pas que tu connais les codes sociaux via les souvenirs des feux follets. Il y a une différence entre théorie et pratique.

 

Sur le coup je cligne des yeux… Théorie et pratique ? Je ne comprends pas ce qu’elle entend par-là. Il est vrai que je ne suis pas toujours certains du comportement à adopter et il en sera de même pour chacun d’entre nous, puisque nous n’avions pas grandi avec les codes de nos aînés. Mais…

 

–Nous avons tout de même des comportements reflexes et l’instinct est là aussi.

–Qu’est-ce que tu entant par comportement reflexe ? Je sais que je mange aussi de la viande, pourtant j’ai mis du temps à me décider à chasser.

 –Oui, mais tu as senti que tu en avais aussi besoin ?

–J’en mangeais à l’époque où je vivais avec ma mère, mais je ne devais pas courir après un steak.

–Un quoi ? Tu n’avais pas besoin de chasser à ce moment-là, mais tu sais instinctivement quand tu dois en manger plus et quand il te faut plus de fruits. Ah ! Kotcheï ne m’a jamais dit que les femelles se lient qu’à un seul mâle.

–C’est vrai… Je le sais et on ne me l’a jamais dit. Mais c’est bizarre, non ? Si les alphas se reproduises par parthénogenèse. Cela ne devrait pas m’être innée. Mais, je ne suis pas née de cette façon non plus…

–C’est plus agréable la vie en couple, lui dis-je en souriant.

 

Elle me regarde avec un sourire crispée. Je suis presque sûr qu’elle rougit !

 

–Kotcheï m’a dit que l’alpha qui a choisis cette méthode de reproduction la faite, car en se liant avec un mâle, elle en partageait aussi l’esprit de ruche et que cela avait entrainé des soucis.

–Je ne peux pas le maitriser maintenant, mais il n’est pas dit que le jour où je le pourrais, je ne deviendrais pas un tyran…

–J’ai un doute là-dessus, tu n’aimes pas dominer, cela se voit. Je me demande si en partageant l’esprit de ruche, si cela pourrait également apaiser tes maux de têtes ?

–Je n’en sais rien…

–On peut toujours essayer ?

 

Elle en a un hoquète de surprise, se crispe et me regarde comme si j’étais menaçant, puis accélère le pas pour rattraper les autres. Je la regarde alors s’éloigner avec hâte en clignant des yeux. Mouais… Je devrais me rappeler que je suis beaucoup plus vieux et sans doute intimidant à ces yeux.

Plusieurs jours se sont écoulés après notre départ du lac. La météo est devenue clémente, avec quelques averses qui ne nous ont pas arrêtés. Nous venons de tomber sur un troupeau de bisons. Je ne connais pas cet animal et je ne suis pas serein à l’idée que Vlase veuille me faire chasser avec eux. Il a insisté pour que je le suive. Nous allons abattre cette bête ensemble. Depuis peu, j’arrive à manger des rongeurs, seul. Les bisons s’échangent des coups de tête qui résonnent jusque dans mon être. J’ai les yeux écarquillés et je les tourne sur Vlase, quelque peu sceptique quant à l’envie de tuer ça…

Le renard m’a expliqué la technique : nous voulons un des jeunes mâles. Mais, pour cela, nous devons le séparer du troupeau. Apparemment, les bisons ne sont pas toujours coopératifs et se retournent facilement pour défendre les leurs et je n’ai pas spécialement envie de savoir si je me ferai aplatir ou non. J’observe Vlase qui est à plat au sol. Les bisons ne nous ont pas vus et visiblement la bête qui leurs fonce dessus à toute allure, non plus ! 

Le renard se relève aussi vite, surpris, alors que le fracas de leurs crânes résonne jusqu’à nous au point de m’en faire crisser des dents. Tandis que je me rétablis et me déporte un peu en arrière du canidé, le troupeau s’agite et fuit le prédateur qui vient de mettre à mort l’un des leurs.

 

–Putain, c’est quoi ça ? S’énerve le renard.

 

La créature est directement allée sur le plus coriace, tête baissée, comme s’il ne visait pas. Le bison lui a fait face pour s’en défendre. Mauvaise idée. Je regarde le renard qui en fait de même.

 

–On rejoint les autres, j'ignore ce que c’est comme cryptide, me confie-t-il.

 

Nous retrouvons de ce fait Buntar, Abysse, Aéon et Sansa qui sont tout aussi troublé que nous ne le sommes. La renarde veut se cacher entre les pattes de Vlase, manquant de faire tomber celui-ci, ce qui lui vaut un bon coup de dent à l’épaule pour la faire reculer. Je disais à Aéon de ne pas craindre d’être méchante pour commander. Peut-être que je commence à comprendre son point de vue. Je ne me mêle jamais de leur interaction, mais j’ai de la peine pour Sansa.

Sans savoir si le cryptide est solitaire ou non, nous préférons nous éloigner, du moins jusqu’à ce que l’individu se dresse sur ses pattes arrière et ne nous fixe. Vlase se braque, Aéon, elle se place devant les filles et j’imite le renard adulte en venant me mettre à sa hauteur tout en maintenant Buntar derrière nous. Pour la première fois depuis que je les côtoie, j’exhibes les crocs avec sérieux !

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