Divalis : l'éveil

Chapitre 15 : Garder espoir.

2894 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2022 17:04

Je redresse ma tête, les oreilles pointées vers le ciel pour écouter l’écho d’un hurlement que le vent nous amène. Nous sommes partis à la recherche de divalis dès que nous avons remarqué leur absence. Il n'y avait que l’odeur de Dagan et Aéon là où ils ont disparu et vu les traces de lutte, j’en ai déduis qu’ils avaient dû se battre… 

Sansa et Abysse sont allées sur le flanc ouest de la montagne alors que Buntar et moi avons suivi le cours d’eau allant à l’est. Les filles nous informent de leur avancée et d’après le hurlement que la renarde vient de pousser, elles sont arrivées à une impasse.

Il est peu probable que les divalis aient été emportés vers l’ouest. Là où se sépare la rivière, le courant allant vers l’est, est plus fort, donc avec plus de risques de se faire entraîner. Ce côté-ci de la rive est plus facile d’accès et la plupart des animaux viennent s’y désaltérer, prédateurs y compris. Sansa est rapide, mais pas Abysse, c’est pour cela que j’ai préféré les envoyer à l’ouest. Buntar et moi arrivons à la fin de notre avancée où la rivière laisse place à un petit lac dont nous avons bien vite fait le tour. Évidemment, pas la moindre trace de l’un ou l’autre divalis. Je m’en doutais, mais au moins, maintenant, on en est certain. Buntar vient de me rejoindre et nous repartons aussi vite dans l’autre sens pour rejoindre les filles.

 

–C’est tout de même étrange ? Il y avait une tension entre eux, on découvre des traces de lutte et les deux disparaissent dans les rapides ? Dagan… Je ne l’ai jamais vraiment senti, me dit alors mon fils.

–Sans savoir ce qu’il s’est passé, on ne peut pas juger, Buntar.

–Tu penses vraiment que c’est un accident ? On ne trouve aucune trace d’eux et s’ils ont été emmenés en direction de la chute d’eau ?

–Aéon sait nager, mais pas Dagan, elle a peut-être peiné à le sortir de l’eau. Il y a de fortes chances que nous les retrouvions au-delà de la chute d’eau. Vu sa taille et son poids, je ne pense pas qu’elle ait réussi à le sortir des rapides.

 

Ce n’est pas le bon moment pour avoir deux blessés dans la meute avec l’hiver qui arrive à grands pas. L’eau est froide, il se peut aussi qu’ils soient en hypothermie, et donc incapables de bouger. Je préfère garder mes craintes pour moi, mais j’ai peur du dénouement de cette histoire.

J'ai les yeux sur Buntar qui court devant moi. Avec cette température, j’ai également du mal à tenir son rythme effréné. Mes os me font mal et je boite plus facilement et ce terrain accidenté ne m’aide décidément pas dans mes manœuvres. Buntar se retourne pour la énième fois sur moi et vient à en ralentir le pas… Merci pour le coup de vieux que tu viens de mettre dans les dents, fils.

Nous venons de passer l’embouchure où Sansa et Abysse nous ont quittés. Il nous faut quelques minutes de plus pour enfin rejoindre les filles à la chute d’eau. Dès notre approche, je capte le regard d’Abysse, elle nous sourit pour ne pas montrer son inquiétude, mais n’y parvient pas vraiment. Buntar, dans un geste de réconfort, se glisse contre elle, quant à moi, je m’assieds, le regard fixé sur l’eau, dissimulant mon propre stress.

 

–Laissez-moi reprendre mon souffle et on continuera les recherches, haletè-je.

–Tu te fais vieux, papa, ricane alors Buntar.

–À dix-sept balais, je vais t’en foutre une de vieux !

 

Le renard ricane esquissant un sourire chez la bleue qui n’en a pas envie cette fois. Je regarde la vallée que l’on peut apercevoir d’ici… Il y a un village humain là-bas, je n’ai aucune envie de m’en approcher. Cependant, comme je ne sens pas l’effluve d’Aéon dans les environs, elle se trouve donc au moins à trois kilomètres de nous…

Mes poumons ayant retrouvé leur calme, je me redresse, imité par les jeunes pour descendre la pente et atteindre le pied de la chute d’eau. Nous  inspectons tout de même le coin, puisqu’il y a une plage et que le courant est beaucoup moins fort ici. Elle aurait dû parvenir à retrouver la berge ici. Même si elle s'était mise sur le côté pour nous attendre, elle nous l’aurait fait savoir. J’ai bien peur qu’elle ne puisse avoir perdu conscience en tombant dans l’eau. Pour qu'une telle chose arrive… Le combat a dû être plus violent que je ne le pensais. Encore une fois, je ne laisse rien paraître, mais si elle est gravement blessée par sa faute, qu’il soit de son espèce ne changera rien au fait que je l’étriperai ce con !

Nous continuons, Abysse ouvrant la voie puisqu’elle est la moins rapide et soudain, nous venons à nous immobiliser ! Il y a l’odeur de Dagan dans le coin, alors Aéon ne devrait pas être loin en toute logique et pourtant, je ne la sens pas. Nous suivons la piste du rouge, jusqu’à ce que celui-ci vienne à sortir d’entre les buissons. Les filles s’apprêtent à le rejoindre, mais je les empêche de le faire.

 

–Putain, t’es qui toi ? Répliqué-je tout en dévoilant les crocs.

–Kochtcheï, me répond une voix qui n’est pas celle de Dagan.

–Qu'as-tu fait à Dagan ?

 

C’est bien Dagan qui est là, son odeur ne me trompe pas, mais il y a autre chose. Son rythme cardiaque est anormalement bas et ses yeux sont entièrement noirs. Ses plaies sont infectées et vu sa façon de tenir sa patte avant, elle est cassée. Il est debout, pourtant, il semble inconscient.

 

–J’ai pris possession de son corps.

–Tu es en train de le tuer, grondé-je.

–Au contraire, je lui ai sauvé la vie.

–Où est Aéon ?

–Beaucoup plus loin. Je ne pouvais pas la faire marcher jusqu’ici. Elle est hors de danger, je l’ai amenée à l’autre divalis.

–Pardon ? Et, où se trouve-t-il ?

–Au village.

–Maman est donc saine et sauve ? Se réjouit Abysse.

–Elle l’est, lui répond l’entité.

 

Cela m’agace, mais si je m’énerve davantage, je ne ferai qu’inquiéter Abysse. Il vaut mieux qu’elle garde cette information en tête tant que l’on ignore de quoi il en retourne. J’observe Dagan : de son corps émane une sorte de fumée noire qui se dissipe alors que le divalis s’écroule à même le sol. Ils en avaient un peu parlé de ce Kochtcheï, mais jusqu’à maintenant, je ne l’avais pas encore vu se manifester. J’ignorais même qu’il pouvait les posséder. Je pose mon museau sur la peau de Dagan. Il est gelé, ses blessures malgré l’eau sont moches et que dire de sa patte qui me semble bien être cassée. Sansa et Abysse s’en rapprochent cette fois.

 

–On va déjà commencer par le réchauffer, leur dis-je.

 

Je m’allonge en partie sur lui et les jeunes en font de même. S’il pouvait reprendre conscience cela m’arrangerait, je n’ai pas envie de perdre mon temps avec lui. Je regarde vers la vallée. Elle, elle ne craint rien, donc nous n’avons plus à nous précipiter, mais où vit ce divalis ?


–Gardez-le au chaud, je vais voir s’il n’y a pas un abri où nous installer.

 

Ils ne font qu’incliner la tête en guise de réponse. Je m’éloigne afin de trouver une racine, une tanière, n’importe quoi qui pourrait servir d’abri. Un peu plus loin, je tombe sur plusieurs arbres qui se sont effondrés les uns sur les autres et que le temps a couverts de lierre. Je vérifie qu’il n’y a aucune présence hostile, mais hormis des écureuils et un hérisson, rien à signaler.

Je fais demi-tour et reviens vers les jeunes. Buntar m’aide à tirer le rouge jusqu’aux arbres où nous le dissimulons. Encore une fois, je laisse les jeunes s’occuper de lui, tandis que je regarde le courant et hésite à partir en éclaireur. Puis-je vraiment faire confiance à l’entité ? Est-ce que ce divalis est sûr ? Est-ce qu’elle nous cherche ? À quel point est-elle blessée ? J’inspire profondément, refoulant une énième fois ma colère et ignorant cette douleur que me provoque mon cœur à l’idée de ne jamais la retrouver. Je tourne la tête vers les jeunes. Je ne peux pas les laisser seuls. Buntar n’est pas encore assez grand et fort pour lutter contre un prédateur tel qu’un ours et je n’ai plus aucune confiance en Dagan. Il est hors de question de le laisser seul avec eux. Et, ce qui m’enrage le plus c’est que j’ai grandement envie de le laisser là et de le laisser tirer son plan [1]. Mais, je sais que si nous parvenons à retrouver Aéon, elle s’en pressera à activer son mode : je suis un chien pisteur, pour le rejoindre. Je soupire, devant m’avouer que cette femelle me fatigue.

Alors, je prends mon mal en patience, et comme les jeunes, j’ai veillé sur le rouge. J’ai soigné ces plaies, veillé à lui tenir chaud pendant que Buntar et Sansa chassaient des proies pour Abysse et moi. La coïste est transie d’inquiétude et bien que son instinct prenne le dessus avec le froid qui la plonge lentement dans son hivernation, elle lutte contre le sommeil, mordant parfois Dagan en espérant le faire revenir à lui. 

Il le fait après deux jours... Vaseux, il nous dévisage tout en regardant l’espace autour de lui, semblant chercher quelque chose, sans doute la femelle. Il s’ébroue, et progressivement, s’assied tout en clignant des yeux et avant même qu’il n’ouvre la gueule, je lui dis :


–Elle n’était pas avec toi. L’entité t’a mené à nous et il aurait conduit Aéon à un autre divalis qui était plus près.

–Pardon ? S'il s’en prend à elle ?

–J’espère qu’il n’est pas comme toi.

 

Le rouge se braque, puis baisse aussi vite les oreilles en détournant la tête, bien que je n’aie pas eu le temps de réagir à son comportement. Je me relève et le groupe m’imite. Ils sont déjà prêts à reprendre la route pour retrouver Croquette. Il y a une légère brume et l’air est froid. Je me retourne sur la meute occupée à s’étirer derrière moi. Je surveille surtout Abysse parce que je crains le ralentissement de son métabolisme. Je regarde Dagan et sa patte cassée… C’est vrai, il y a ce détail aussi.

 

–Tu penses pouvoir marcher ?

–Ça devrait aller, me répond le rouge.

–On part en direction du village.

 

Dagan n’arrive pas à poser sa patte au sol, mais il n’a pas l’air spécialement lent. En revanche, il ne va pas tenir longtemps à sautiller comme un lapin. Nous avons à peine marché un kilomètre avant qu’il ne s’allonge en haletant. Je me retourne sur lui qui tente de se relever aussi vite pour retomber immédiatement sur le sol.

 

–Cela ne sert à rien de t’entêter, repose-toi.

–Dagan, tu veux que je t’attrape à manger ? Lui demande Abysse qui revient vers nous.

–Ça va aller, c’est gentil, lui répond le rouge.

–Tu es sûr ? Ça ne me dérange pas.

–J’ai juste besoin de repos.

–Papa, on peut aller se trouver un truc pour nous ? Je commence à avoir les crocs et le ventre d’Abysse me fait peur, plaisante Buntar en se tournant sur la bleue.

–Moi au moins, je ne hurle pas dans mon sommeil ! Réplique cette dernière.

 

Je les laisse bien sûr y aller et les jeunes s’éclipsent. Je reste sur place pour tenir compagnie à l’éclopé qui s’allonge sur son flanc, ne sachant comment poser sa patte. Je me tourne vers la forêt où ils ont disparu, puis m’assois dans le gravier qui garnit le bord de rivière. Dagan a l’oreille droite déchiquetée, de larges lacérations au poitrail et une morsure assez profonde à l’épaule. Rien n’est refermé, mais les filles ont déjà arrêté l’infection en le léchant.

 

–Tu vas te décider à me dire ce qu’il s’est passé entre Aéon et toi ?

–Nous nous sommes emportés.

–Elle s'est retournée sur toi ?

–Non.

–Toi ?

–J’ai voulu forcer un peu les choses…

–Tu crois que c’est ainsi qu’elle va céder ?

–Elle n’a pas à me repousser, je suis le choix le plus logique pour elle, réplique le divalis.

–T’es pas foutu de chasser seul, pas foutu de la protéger et en plus de cela, tu l’agresses ! Excuse-moi de remettre en cause ta légitimité ! Je me contrôle pour le moment, en revanche, je te préviens, si tu l’as trop amochée ou si elle me le demande, je te tue sur l’instant, dis-je en claquant les crocs devant sa mâchoire.

 

Il recule tout en baissant la tête et acquiesce par la même occasion. Je me relève, me secoue dans un geste nerveux et m’éloigne de lui pour aller voir où en sont les jeunes dans leur traque. Les voici qui reviennent justement avec des lapins dont un qu’ils ont attrapé pour Dagan et moi. Nous mangeons puis reprenons la route en suivant l’allure de Dagan. Un rythme saccadé pas si lent au final, car le divalis s’est rendu compte qu’il peut se déplacer sur ses pattes arrière. Voilà donc la raison pour laquelle leur bassin est si haut par rapport à leurs épaules. Effectivement, j’ai déjà vu Aéon marcher sur ses postérieurs quand elle se retourne et j’avais trouvé qu’elle le faisait avec fluidité. Dès qu’il arrête d’avancer, il reprend immédiatement sa posture quadrupède. D’après lui, quand il reste immobile, ça lui fait vite mal au dos et il est moins endurant également sur deux pattes.

Pause après pause, nous nous rapprochons du village et nous ne percevons toujours pas l’odeur d’Aéon, ni de l’autre divalis. Nos pas nous conduisent sur le flanc de l’autre montagne.  Cela ne m’emballe vraiment pas, mais la rivière passe juste en contrebas de la vallée.

À quelques kilomètres de là, enfin, je perçois un léger effluve que je reconnais, ainsi qu’Abysse qui s’éveille un peu avec ce froid. L’autre imbécile n’a pas réagi…

Je peine à trouver une piste, c’est trop volatil. Elle est passée par ici, mais cela doit faire quelques jours. Néanmoins, ce qui me stresse le plus, c’est la flagrance nauséabonde des humains qui me trouble un peu les sens, tant je crains de les croiser.

 

–Vlase, ça sent trop l’humain, on devrait s’éloigner, me dit Dagan.

 

Pour une fois, je pense comme lui. Je me tourne vers eux, réfléchissant.

 

–On pourrait aller voir dans le village, elle y est peut-être ? Demande Abysse.

–Les humains n’aiment pas les cryptides, j’espère sincèrement qu’elle n’y est pas ou que si le divalis l’y a emmenée, qu’il la cache bien.

–Sauf s’il est du genre à vendre sa propre espèce, rétorque alors Dagan avec rage.


Je le regarde surpris par ses propos. L'extinction de son espèce serait-elle due à une trahison d’un des siens ?


–Pas de déduction hâtive Dagan, je te rappelle que tu n’es pas le mieux placé pour juger les autres.

–Tu vas souvent me le rappeler ? Cassons-nous d’ici, ça me rend nerveux de les savoir si près.

 

Encore une fois, j'approuve et fais demi-tour pour remonter plus haut dans la montagne tout en gardant un œil sur le rouge qui me semble être à fleur de peau. Commençons par trouver un abri et dès demain, je hurlerai pour signaler nos présences aux divalis.


[1] Tirer son plan (Belgique) Se débrouiller.

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