Divalis : l'éveil

Chapitre 16 : Les blessures que l'on ne peut voir.

3311 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/01/2023 16:28

Tiens, cela faisait longtemps que je n’avais plus vu cet espace vide où je ne pourrais pas dire s’il y fait clair ou sombre. En tout cas, cela ne m’avait pas manqué et comme à chaque fois que je me retrouve ici, je suis tout bonnement incapable de bouger. Je ne peux que suivre des yeux l’être de fumée qui lui se déplace sans gêne, autour de moi. Quand s’est-il manifesté pour la dernière fois ? Je ne saurai le dire, en général, je préfère ne pas y penser. Cela se produit quand je dors lorsque la lune rouge approche. Pendant deux à trois jours, les mêmes scenarii se répètent et je ne peux qu’attendre que cela se termine ou que je ne me réveille.

 

–J’ai essayé de m’éloigner, Eena, commence Kochtcheï.

–Ne m’appelle pas ainsi.

–Tu es bien placée pour savoir ce que c’est que de supporter la solitude.

–Tu n’avais qu’à me parler.

–C’est plus compliqué. Tu ne baisses plus ta garde ces derniers temps.

–Qu’est-ce qui change aujourd’hui ?

–Le conflit que tu as eu avec Dagan te rend nerveuse et fragile mentalement.

–Il vit ?

–Oui.

 

Au moins une bonne nouvelle…

 

–Je peux t’aider à le retrouver, mais pour cela, j'ai besoin de me lier pour avoir un impact dans ton monde.

–Fais-le avec un objet, je déteste ça !

–Je n’ai plus assez d’énergie, j’ai besoin de toi.

–Dagan aussi pourrait le faire…

 

Je soupire, je sais qu’il ne lâchera pas l’affaire. Kochtcheï a besoin de mettre ce qu’il appelle « sa mort » dans un objet ou un être vivant pour réussir à se matérialiser dans notre monde. Je sais qu’il l’avait fait avec Aérin et que la mort de cette dernière, a donc entraîné la perte de son pouvoir et la possibilité de se matérialiser dans notre monde.

 

–Ta mère aussi refusait que je me lie à elle. Elle est même parvenue à me chasser de son esprit.

 

J’en penche la tête confuse. Qu’est-ce qu’il raconte là ? Il parlait aussi à maman ?

 

–Elle ne pouvait plus se transformer, mais elle a hérité de la mémoire d’Aérin. Elle savait ce qu’elle était, elle savait pour l’extinction.

–Ma mère savait que je me transformerai ?

 

Il s’approche de moi sans me répondre… Pourquoi me parler de maman si c’est pour me laisser dans la confusion juste après ? 

Il s’approche un peu plus et comme à chaque fois, je tente de reculer, de fuir, mais je suis incapable de bouger dans cet espace. Tout ce qu’il se passe ici n’est pas réel, je le sais, Kochtcheï ne peut pas me toucher. Pourtant, je sens son souffle chaud dans ma nuque et ses crocs se figer dans ma peau. Ça n’est pas réel, mais les sensations sont bien là. Surtout quand je manque de céder sous son poids lorsqu'il rabat ses pattes sous mon ventre. C’est dans ma tête alors, je respire profondément et tente de concentrer mon attention sur autre chose. Plus jeune, je ne comprenais pas ce qu’il faisait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je ne le supporte pas… Mais, jamais, il ne s’arrête. Je me répète encore que cela ne se passe pas pour de vrai même si ça fait mal.

Je sens une prise sur mon épaule qui me fait vivement me retourner en couinant. Cela s'est arrêté… Il devrait me laisser tranquille, maintenant qu’il a eu ce qu’il voulait. Je lève les yeux vers Aziel tout en déglutissant. Le regard confus, il recule pour me rendre mon espace, s’asseyant à mes côtés tandis que je reprends mon souffle et surtout mon calme pour faire cesser mes tremblements.

 

–Ce n’était qu’un cauchemar.

Désolé... Ça faisait longtemps. Tu reviens tard !

–Un drake à opérer, il est quatre heures du matin. Dit-il en plaçant la main devant sa bouche alors qu’il bâille à s’en décrocher la mâchoire. 

 

Il m’agrippe alors et me rassemble dans ses bras, sous mon plus grand étonnement. Puis se dirige vers le corridor qui débute juste après la salle à manger et qui donne à la fois accès à la cuisine ainsi qu’aux chambres et à la salle de bain. Il ouvre la porte juste après celle de la cuisine et y entre pour me poser avec peu de délicatesse sur le lit présent dans la pièce. Il n’a même pas allumé la lampe en rentrant.

 

–Mets-toi à droite, je dors à gauche.

Je pouvais rester sur le divan.

–Tu dois avoir l’habitude de dormir avec ton clan et notre espèce est grégaire.

 

Je suis toujours assise sur le matelas à le regarder avec circonspection. Puis m’allonge en m’enroulant sur moi-même. J’aurais préféré avoir Abysse et Vlase contre moi, mais je ferais avec. Il se sépare de ses vêtements hormis de son caleçon pour venir s’allonger sous les couvertures.

 

–Tu m’excuseras, mais j’ai la flemme de mettre un pyjama.

 

Je regarde vers sa fenêtre, la lune est bien visible toutefois pas encore rouge… Ce sera pour demain, je m’allonge, mais je ne parviendrai pas à retrouver le sommeil malgré la présence du divalis.

Au premier rayon du soleil, son réveil vient à sonner, je sursaute non pas à cause du bruit, mais de la claque que le pauvre appareil vient de se prendre ! Aziel gémit en se cachant la tête sous son coussin. Je pensais qu’il serait en congé, visiblement non. Il se redresse en se tournant vers moi tout en ayant un geste de recul, puis soupire en se frottant les yeux. Je le regarde, sentant ma queue s’agiter alors qu’il se redresse pour aller vers sa commode. Il prend son linge, ramasse ceux de la veille qu’il a laissés au sol et se hâte dans sa salle de bain avec des petits bons de ballerine qui me font sourire. Alors qu’il va fermer la porte avec la délicatesse d’un bulldozer. Il s’est peut-être dépêché pour que je ne regarde pas trop longtemps ses jambes de biche ? Il a les épaules plutôt larges et du genre musclé. Je suis sûr que les filles craquent facilement sur lui… J’en secoue ma tête, gênée par mes propres pensées.

En attendant, je suis retournée dans le salon. Comme la baie vitrée est toujours entre-ouverte, je me permets de la franchir pour aller faire un petit tour à l’extérieur. Je m’éloigne un peu du jardin, pour me mettre hors de vue des fenêtres, afin de soulager ma vessie. 

Je reviens à l'intérieur en même temps qu’Aziel qui arrive dans la cuisine. Un bruit sourd me fait soudain m’aplatir au sol ! Il y a un tremblement de terre ou quoi ?

 

–C’est Fafnir qui réclame sa bouffe. J’arrive, m’avertit Aziel en s’éclipsant tout aussi vite. 

 

Je ne fais que le suivre de la tête jusqu’à ce qu’il s'éclipse. Je saute comme un éléphant dans un arbre pour retrouver le divan et après quelques minutes le voici qui revient avec la moitié d’une carcasse de poulet.

 

–Mange-le hors du divan, merci.

Je peux aller dehors si tu préfères.

–Comme tu veux. Tu auras assez ?

Même de trop, je ne suis pas habituée à manger tous les jours. Je m’en rends compte, mais ton poulet à toi aussi était cru hier ?

–Je reste un cryptide.

Ça ne te dégoûtait pas au début ?

–J’en ai ressenti le besoin quand je me suis transformé. J’ai grandi assez vite et la dépense d’énergie a fait que j’ai été vite attiré par ce que je donnais aux drakes. Mais, oui, ça me rebutait au début.

Est-ce que tu l’as compris, que tu étais différent ?

–On me l’a surtout fait ressentir. Comme tu l’as dit, j’ai des caractéristiques peu communes.

 

Je relève les yeux vers lui en baissant les oreilles. Cela doit être encore plus dur de vivre entouré, mais rejeté de tous.

 

–J’ai plusieurs consultations ce matin, je reviendrai pour midi. En attendant, si tu sors, prends garde à ne pas te faire voir. Cela nous mettrait tous les deux en danger.

Ne t’en fais pas, je suis têtue, mais pas idiote.

 

Les oreilles droites, j’ai la queue qui se dandine derrière moi, comme si je venais de dire quelque chose de drôle. Il me regarde avec son habituelle expression de tueur, puis juste avant de détourner les yeux, il esquisse un semblant de sourire que j’ai eu le temps de voir.

Il se dérobe à ma vue, s’en allant pour son travail. Je me demande s’il me supporte vraiment ? Il est vraiment froid ce garçon…

 

Je me demande si elle me tolère… Ou est-ce qu’elle n’attend que l’occasion de fuir ? J’ai tout de même dû lui faire peur quand je l’ai rattrapée. Et, quelle idée de la faire dormir avec moi ? Elle a mentionné Kochtcheï… Si elle a vraiment un lien avec cette entité, j’ai bien ma petite idée de ce qui l’a mise dans cet effroi quand je suis rentré. Quel idiot de l’avoir prise avec moi, je l’ai certainement affolée pour rien. Enfin, je suppose qu’elle m’aurait montré les crocs si cela lui avait tant déplu ?

Assis à cru sur le dos de Fafnir, je me dirige vers la clinique, Silva est juste derrière nous. Je relève les yeux vers le bâtiment devant lequel je suis arrivé. Je descends du dos de Fafnir que je laisse partir et entre dans la clinique. À l’intérieur, je salue, je ne sais pour quelle raison, Irina qui en fait de même, elle-même se surprenant par nos gestes réciproques. Je m’approche d’elle et son regard confus se dérobe sur son plan de travail.

 

–Tu as le planning ?

–Heu…Oui, tiens.

 

Elle me tend la feuille que je lis avant de lui rendre et me dirige tout de même vers le cabinet d’Ulrick. J’y entre et rejoins l'homme assis à son bureau et qui m'accueille de son éternel sourire.

 

–Bonjour, Ulrick.

–Bonjour Aziel, tu es de voyage aujourd’hui !

–J’ai vu sur le planning.

–Tu l’as demandé à Irina ? Dit-il en soulevant un sourcil.

–Aucune grosse opération prévue ?

–Non, juste les visites de contrôle pour les courses à venir. C’est une idée ou tu sembles de bonne humeur ? Il s’est passé quelque chose ? Tu es en couple ! S’exclame Ulrick en frappant les mains sur le bureau, s’emballant peut-être un peu trop vite.

–J’ai vraiment une gueule à l’être ? Dis-je en m’énervant, puis continue sur un ton plus calme : Je pense participer à la course cette année.

–Vraiment ? Je viendrai te soutenir si c’est le cas ! Dit l’homme toutefois étonné par ma décision.

 

Je souffle du nez en guise de réponse et me dirige vers la salle d’opération pour rejoindre la sellerie où est rangé le matériel pour les auscultations hors clinique. Un drake y est présent, mais il ne s’agit pas de l’un des miens. La créature de couleur argentée se retourne sur moi tout en renâclant et expirant l’eau de ces naseaux puisqu’il buvait. Je m’en approche et lui caresse la tête alors que celui-ci ronfle pour me saluer.

 

–Les rhumatismes te rattrapent ?

Ne m’en parle pas, ma patte me fait mal, il va faire très froid !

–Tu le dis chaque année.

Et, à chaque fois, il fait très froid !

–C’est le principe de l’hiver, Grisfer.

 

Je regarde le drake qui renâcle de mécontentement. Grisfer appartient à Ulrick et il n’est plus tout jeune. Voilà sept générations qu’il est dans sa famille ce qui est exceptionnel. Lorsqu’un drake se lie à une personne, il reste avec celui-ci jusqu’à ce que son meneur soit trop vieux pour le monter ou meurt. Dans ce cas, soit le drake renoue avec la descendance de son ancien meneur, soit il peut se laisser mourir. Dans mon cas, Silva ne se liera pas à moi parce que j’ai déjà Fafnir et qu’un meneur ne peut avoir deux drakes. Je sors du bâtiment, après avoir pris le nécessaire pour les contrôles d’avant courses et charge Fafnir qui est venu me rejoindre. J’espère qu’Aéon ne va pas s’ennuyer…

Une bonne partie du village participe à la course. C'est la dernière de cette année. Je vais commencer par les drakes les plus proches du cabinet . Je ferai ainsi en sorte de me diriger vers la maison, pour y faire un petit détour à midi, changer les pansements d’Aéon.

Le premier contrôle se fait chez deux coureurs. Le plus jeune fils participe avec sa mère. Il faut avoir douze ans minimum pour les humains et sept pour les drakes qui ont une croissance osseuse plutôt rapide pour des animaux de leur taille.

Le contrôle des drakes consiste à vérifier le rythme cardiaque, la tension et l’allure générale. Jusqu’à maintenant, il n’y a jamais eu de problème de santé, ni de fraude au dopage, mais les visites sont obligatoires, même si ce n’est que dans le village que les courses se déroulent.

L’évènement est mondialement connu. Les touristes vont affluer d'ici à deux jours, ainsi que les journalistes qui vont couvrir l’affaire. Il va falloir faire attention à Aéon avec le monde qu’il va y avoir. J’espère que son clan ne va pas tenter de se rapprocher quand ils verront les hélicoptères qui filmeront la course.

Mes visites s'enchaînent... Pourquoi est-ce que j’ai dit à Ulrick que je voulais reprendre les courses ? Je ne l’ai plus fait depuis l’incident… Je me demande si elle regardera la course. Elle préfèrerait sans doute voir Silva et ma mère que Fafnir et moi. À l’époque, j’étais encore en intermédiaire. Cette année, j'ai l’âge de passer en pro.

Mince, je dois recommencer. Perdu dans mes pensées, j’en ai oublié de compter les pulsations cardiaques du drake. Je suis arrivé à la dixième maison, il n’y en a qu’un seul ici. Il n’est plus tout jeune, mais il a encore la forme. Autre méfait de la domestication d’un cryptide, ils ont une espérance de vie beaucoup moins longue que leurs congénères sauvages. Ils vont rarement au-delà de cent ans, parfois deux cents. Merde… J’ai reperdu le décompte.

 

–Il y a un problème ? Me demande son propriétaire.

 

Il attend mon verdict depuis quelques minutes.

 

–Non, je perds le fil avec sa respiration.

–Ce n’est pas mauvais signe ?

–Pas du tout, il va même très bien, il peut concourir.

 

Je signe alors une attestation prouvant que la créature a été contrôlée. Cette fois, je repasse à la maison, je ferai les dix autres après la pause de midi.

Je me demande si elle est encore là ? 

Comme depuis le début, Fafnir me sert encore une fois de taxi alors que je fais route vers ma demeure, Silva nous suivant dès que je pars travailler. Me rapprochant de la maison, j'aperçois alors une personne qui m'attend devant le porche. Je reconnais tout de suite, Cornelia, la fille d’Ulrick. Je fronce les sourcils et à peine le drake eut-il le temps d’arriver devant l’allée, que je saute de son dos pour me diriger sur la jeune femme.

 

–Qu’est-ce que tu veux ? Lui dis-je d’un ton sec.

–J’aimerais tenter un lien avec Silva, comme j’ai perdu sa sœur.

 

Je jette un œil discret autour de nous en espérant qu’Aéon l’ait entendue et qu’elle s'est bien planquée dans la maison. Cornelia s’avance d’un pas hésitant vers moi qui m’écarte de ce fait en soupirant, pour lui laisser l’accès à Silva.

 

–Fais comme tu veux.

 

Je doute fortement que le drake se laisse amadouer, mais c’est plus une envie qu’une conviction. Cornelia s’approche à pas mesurés tout en parlant doucement à Silva, qui la regarde avec défiance, dans les yeux. Le drake est née chez Ulrick mais Cornelia a créé un lien avec la grande sœur de Silva, une drakinne que nous avons euthanasiée il y a maintenant quatre ans, à la suite d’une chute dans la montagne. Depuis, Cornelia refusait tout lien.

L’année dernière, Ulrick lui avait suggéré d’essayer d’approcher la drake, en vain. La perte de sa drakinne lui était encore douloureux. Je suppose qu’elle s’est décidée à le tenter comme Silva et Sinak se ressemblent comme deux gouttes d’eau et que faire tous les trajets à pied, doit-être pénible… Je la regarde faire, avec une pointe d’angoisse au cœur. Silva était à ma mère, mais cela ne fait pas de moi son propriétaire. Toutefois, même si je dois accepter que les autres tentent de l’amadouer, je dois aussi avouer être ravi que Silva refuse le lien. Je n’ai pas envie de la voir partir…

Elle place la main sur le chanfrein du drake qui gigote en sifflant de colère. Cornelia sursaute alors que la noiraude se dresse sur ses postérieurs, gueule béante.

J’attrape sans ménagement la femme par l’épaule et la place derrière moi et hors de portée des mâchoires de la créature que je repousse en lui donnant un coup dans le poitrail. Celle-ci s’agite et s’en va en renâclant, Fafnir roucoulant derrière elle pour la calmer.

Cornelia me dévisage, affolée et se sauve sans demander son reste. Je ne cherche pas à la rattraper, cela ne servira à rien d’essayer de s’expliquer de toute manière, mais bordel, quoi ! Si je n’étais pas intervenu, elle aurait pu se faire tuer ! Quoique que je fasse, ils continueront à me craindre. D’accord, j’ai retenu une bête de près d’une tonne, que cela n’est pas normal, mais merde, quoi ! Un peu de reconnaissance, pour une fois, est-ce trop demander ? Je m’adosse contre le bois de la porte et me laisse couler contre celle-ci tout en portant les mains à mon visage, refoulant avec peine cette boule de rage qui ne fait que grossir dans mon estomac.

Laisser un commentaire ?