Divalis : l'éveil

Chapitre 17 : Confidence pour confidence.

4888 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/01/2023 18:08

J’étais restée dans le jardin le temps qu’Aziel fasse sa journée. Je ne m’attendais pas à ce qu’il ait de la visite puisqu’il est censé travailler. Je me suis éloignée le plus vite possible dans le bois pour observer la personne de loin, sans être vue. Peu de temps après son arrivée, Aziel n’a pas tardé à se montrer, et donc à rejoindre l’humaine. Je ne peux pas entendre ce qu’ils se disent d’ici, ce qui ne m’arrange pas. Bien qu’Aziel semble sincère, pour un mec qui n’a jamais de visite, il en reçoit tout de même comme par hasard une dès le lendemain de ma présence… Cette fois, c’est sur Silva que l’humaine se tourne. Spectatrice, je ne peux que regarder la scène tout en penchant la tête confuse. Pas le temps de me poser la moindre question que la créature se lève pour l’attaquer. Si la réaction du drake m’étonne, voir Aziel la retenir d’un bras, m’épate encore plus. Il n’est pas humain, d’accord, mais jamais, il ne devrait être en mesure de pouvoir repousser une bête de ce gabarit !

L’humaine vient de fuir et Aziel, quant à lui, s'est écroulé contre la porte d’entrée de sa maison. Je m’assure en jetant un rapide coup d’œil qu’elle ne se soit assez éloignée pour aller rejoindre le bicolore.

Il lève les yeux à mon approche tandis que je m’assieds face à lui.

 

Tu vas avoir des problèmes ?

–Cela dépend d’elle.

Tu l’as pourtant protégée.

–Ce n’est pas ce qu’elle va retenir.

Que vas-tu faire ?

–Ulrick va sans doute lui demander de se taire.

Pourquoi Silva l’a attaquée ?

–Elle refuse de se lier à d'autres meneurs et elle se montre de plus en plus agressive.

Mais… Elle n’est pas à toi ?

–Il n’y a pas de propriété sur les coureurs.

Les coureurs ?

–Ce sont ceux avec lesquels nous pouvons nous lier, mais il y a aussi des reproducteurs qui eux appartiennent à l’élevage.

Donc, même si elle appartenait à ta mère, tu n’as aucun droit sur elle ?

–Non, parce que j’ai déjà Fafnir.

C’est pour ça qu’elle refuse de se lier à toi ?

–Les drakes c’est un peu les membres d’un couple, ils se jalousent… Tu as faim ? 

Pas trop... Si le lien est aussi fort entre un drake et un humain, , peut-être n’a-t-elle tout simplement pas encore fait le deuil de ta mère ?

–C’est possible. Je n’arrive pas à lui parler, elle le refuse même si je suis un cryptide.

Je peux le tenter, si tu veux ?

–Un lien ?

Non, de lui parler.

–Fais tout de même attention à ce qu’elle ne se retourne pas sur toi. Ça me dérange de le dire, mais les cryptides domestiques sont plus primitifs que nous.

Je le tenterai quand je la sentirai calme.

 

Il se relève et ouvre la porte pour nous faire entrer. Je retourne m’allonger dans le fauteuil, le temps que le bicolore se prépare un sandwich dans la cuisine. Aziel revient avec une tartine en bouche tout en m’en tendant une autre. Je secoue la tête pour la refuser. Il finit sa pitance puis je le vois partir en courant pour sortir de la maison. Je n’ai pas le temps de comprendre quelle mouche l’a piqué, qu’il est déjà de retour avec une sacoche qu’il pose dans le divan.

 

–J’avais oublié les pansements, voyons ça.

 

Il se penche sur moi et je lui donne en premier mon cou. Il coupe le bandage avec une paire de ciseaux et en nettoie la plaie tandis que je patiente.

 

–Tu as bien cicatrisé, plus besoin de la protéger.

 

Je m’allonge puisque la lacération suivante parcourt une bonne partie de mon flanc droit. Il enlève le pansement qui s’accroche un peu à ma peau ce qui me fait crisser des dents. Toutefois, je n’ai pas souvenance que Dagan m’ait touchée à cet endroit-là.

 

Je ne me souviens pas de cette plaie.

–Ce n’est pas un coup de griffe, tu as dû t’entailler sur la roche en tombant dans l’eau.

Elle est laide, non ?

–Ça ne fait que cinq jours, tu guéris assez vite, même pour un cryptide. Je vais juste mettre du cicatrisant.

 

Ce qu’il fait alors que je me dandine à cause du froid de la pommade. Je me penche dans l’optique de lécher ma plaie et me redresse face à lui, alors qu’il vient de me mettre une claque sur le museau, choquée par son geste !

 

–Ne lèche pas, imbécile !

Pas besoin de m’en mettre une pour ça, dis-je vexée.

–Pardon… Habitude avec les animaux, en a-t-il un léger sourire.

Prends-moi pour un chien, je t’en prie.

–J’me suis excusé, arrête de ronchonner.

 

Ma queue se balance lentement, puis se fige alors qu’il finit par le dernier morceau qu’il reste ou devrais-je dire, que je n’ai plus. À nouveau, il découpe la bande et libère mon moignon que je n’ose pas regarder, par dégoût. Je l’entends tiquer et préparer une nouvelle compresse débordant de cicatrisant qu’il applique sur ma patte, la douleur me faisant sursauter.

 

–Pardon, je vais devoir serrer la bande.

 

J’incline la tête en serrant les crocs le temps qu’il refasse le pansement… J’ai encore du mal à me dire que je ne pourrais plus me déplacer comme avant. Pour un chien, cela n’est rien, ils savent s’en sortir et même se remettre à courir sur trois pattes, mais pour un animal sauvage, cela signifie également devenir une proie facile. Même si Vlase est là, je n’ai pas envie de devenir un poids pour la meute. C’est à moi de protéger Abysse… Bien que je n’en aie jamais été capable et que ma présence ne soit à présent plus d’aucune utilité.

Aziel a fini, il range le matériel non utilisé et s’en va jeter ce qui a été souillé pour revenir vers moi tout en regardant sa montre.

 

–Il me reste quinze minutes avant de reprendre du service.

Tu vas faire ça combien de jours ?

–Jusqu’à demain, Ulrick fait son côté du village. Il y a plus ou moins cent participants pour cette dernière session. Ah, j’y pense, mais il va venir faire Fafnir.

Je me cacherai.

–Il n’a rien contre les cryptides.

 

Il va se chercher une bouteille de soda et revient s’asseoir à mes côtés en se laissant tomber si lourdement dans le fond du canapé que j’en décolle presque. Voilà le retour de la délicatesse à l’état brut d’Aziel ! Il me dévisage alors qu’il prend une gorgée de son soda et porte son regard sur ma patte, ce qui me fait tourner la tête en déglutissant.

 

–Je pourrais te créer une prothèse.

Ça demande du temps, non ?

–Ma présence te dérange à ce point ?

Là n’est pas la question, Aziel. Je veux juste retrouver mon clan.

–Je t’ai dit que je t’y aiderai. C’est un peu compliqué pour le moment avec la course qui arrive et je ne t’ai pas non plus entendue hurler pour leur signaler ta présence.

 

J’en ferme la mâchoire tout en couchant les oreilles pour finalement détourner la tête.

 

Je n’y arrive pas…

–Tu ne serais pas anxieuse de les retrouver, plutôt ?

Pourquoi je le serais ?

–Tu ne sembles pas porter de rancune envers ce Dagan, mais peut-être pas tes amis ?

C’était un accident… Mais, Vlase va s’énerver quand il verra que… Je suis amoindrie.

–C’est une belle façon de dire que l’autre t’a rendue infirme.

En l’occurrence, TU as sectionné ma patte.

–Je ne pouvais pas faire autrement, la substance te rongeait de l'intérieur. J’ai gratté, mais une fois l’os atteint, je ne pouvais qu’amputer.

 

Encore une fois, je détourne les yeux en me pinçant les lèvres et en plaque les oreilles sur mon crâne. Il regarde sa montre et se relève du fauteuil en s’étirant tout en se tournant en partie vers moi.

 

–On réfléchira à tout cela ce soir, je dois y retourner.

 

Le voilà parti finir sa journée... C’est une impression ou il parait fâché quand je mentionne mon envie de retrouver les autres ? J’en baisse les yeux sur mes pattes, agitant mes griffes en prenant garde de ne pas trouer le cuir du canapé. Je me tourne vers la baie vitrée et le jardin, me lève et y retourne paresseusement m'écrouler. Le froid commence à mordre, la neige ne devrait plus tarder à arriver et Abysse à hiverner. Nous avions trouvé une tanière, mais ils l’ont sans doute quittée pour nous chercher Dagan et moi. Je pourrais tenter de hurler, peut-être seront-ils à portée de voix ? Mais, je crains d’attirer l’attention des humains… Non, si je ne le fais pas, c’est parce que je n’y parviens toujours pas. Je soupire et remue un peu, ignorant que faire de cette patte manquante. Le froid me tiraille, en revanche la glisser sous mon ventre est bien pire. Il me suffirait de retourner me mettre au chaud dans le divan. Pour une raison obscure, je préfère serrer les dents et jouer à l'entêtée en restant dehors comme un chien puni.

Je me suis endormie malgré la fraîcheur. C’est un bruit assourdissant provenant de l’écurie, se trouvant sur la gauche de la maison, qui me fait sortir de ma torpeur et m'apercevoir qu’il fait nuit noire. Je ne m’en inquiète pas plus que cela, je reconnais les râles de Fafnir qui réclame son repas du soir.

Doucement, je me rétablis sur mes pattes pour aller rejoindre Aziel dans la maison. Du moins, jusqu’à ce que je le voie passer au-dehors du jardin en toute hâte et s’éloigner dans les bois, sans même porter un regard vers la maison.

J’en fronce les sourcils, hésitant à le suivre. Je devrais le laisser tranquille, mais mon intuition, ou devrais-je dire mon entêtement, me fait me relever. Pendant vingt longues minutes à me maudire, tandis que j’escalade cette pente escarpée qui me donne bien des soucis ! Je suis à bout de forces, mais je l’aperçois enfin adossé à un saule qui me rappelle vaguement quelque chose. Je me laisse tomber à plat ventre. J’ai les poumons en feu et des fourmis dans les pattes. Je reprends une bonne inspiration et me relève avec effort pour me diriger vers lui, enfin, jusqu’à ce que son odeur me parvienne et que la colère qu’il émane ne m’immobilise ! Alors que tout en moi me crie de ne pas l’approcher, je le contourne, la tête et la queue basse, jusqu’à me mettre devant lui, tout en gardant mes distances. Son regard, plus froid que d’habitude, se braque sur moi. D’un geste nerveux et rapide, il s'essuie les yeux, comme si je ne le voyais pas faire et se penche sans quitter sa position assise, pour me hurler :

 

–Dégage !

 

J’en eus un sursaut qui me fit tomber sur mon derrière, dans un couinement que je pensais retenir. Le divalis, bien qu’il ne bouge toujours pas, me fixe comme s’il était prêt à me rentrer dedans. Je détourne les yeux, quelque peu intimidée, puis finalement, ose soutenir son regard en m’allongeant, quoiqu’en gardant une certaine distance, tout en bâillant… J’ignore s’il comprend ce genre de langage ? Enfin, je le saurai bien assez vite, puisqu’il continue de me fixer. Je me lèche le museau en détournant un peu la tête et m’aplatis sur les feuilles qui jonchent le sol terreux de la forêt. Je l’entends alors soupirer et le vois se détendre, pour reposer le dos contre le tronc et me dire plus doucement :

 

–Laisse-moi… S’il te plait.

 

Une nouvelle fois, je m’obstine et refuse de le laisser à sa solitude. Je continue mon avancée pour venir juste en face de lui, dois-je l’avouer, avec une pointe de stress. Je me fige alors que je le regarde dans les yeux, tandis que ses iris violets me sondent froidement. J’ai l’impression que je vais m’écrouler, tant j’ai contraint mon corps. Dans un ultime effort où j’envoie se faire voir mon instinct de survie, me glisse contre son torse tout en y enfouissant ma tête. Ma queue se pose sur le côté de mes pattes…J’ai toujours peiné avec les interactions sociales, je ne supporte pas quand Dagan me colle. Je me demande tout de même pourquoi en cet instant, je le fais malgré tout ? 

Aziel recule en oubliant le tronc qu’il a dans le dos et se raidit sans pour autant me repousser.

 

–Tu es dangereuse, se plaint-il. 

Je sais.

 

Le divalis reste inactif, puis lentement, il rabat les bras sur mon dos. En y réfléchissant, Aziel n’aime peut-être pas ce genre de chose ? Consciente de cette réalité, je me redresse pour rétablir nos distances.

 

Que s’est-il passé ?

–Les villageois me poussent à bout.

Qu’est-ce qu’ils y gagnent ?

–Mon départ d’Ecolyne.

Pourquoi tu ne le fais pas ?

–Ulrick et la maison de mes parents.

Ulrick ne peut vraiment pas t’aider à changer le comportement des villageois ?

–C’est déjà ce qu’il fait.

Tu ne peux pas continuer ainsi, tu vas devenir fou.

–J’ai appris à faire avec.

 

Je soupire et le pince sans méchanceté à l'épaule, ce qui le fait tressauter, puis penche les oreilles pour lui sourire doucement… Je me demande si j’arrive réellement à montrer l’expression que je veux afficher ?

 

Est-ce qu’il y aurait un moyen de faire changer les gens et la façon dont ils te voient ? 

–Ils se méfient de moi, je suis un cryptide avec une force hors norme qui refuse d’être dressé. Enfin, je dois probablement être domestiqué, version sale cabot.

Je te vois plutôt comme un loup qui tente de se faire passer pour un gentil caniche à sa mémère.

 

Il souffle du nez alors que je lui souris tout en agitant la queue, puis il soupire et se redresse, tout en me prenant entre ces/ses bras pour me porter et prend le chemin en direction de sa maison. Il marche plutôt vite et me secoue comme un chiffon avec ça ! Il s’aventure sur la pente que je trouve encore plus raide à cette hauteur et à un moment, il part en arrière, manquant de s’en retrouver allongé sur le dos !

 

–Saleté de chaussures ! Il y a de quoi regretter les griffes !

Sauf quand tu amasses les feuilles avec, riais-je.

 

Il me répond un "ouais" qui en dit long. Nos griffes sont en partie rétractables et les premiers jours après, au début de notre transformation, les muscles ne sont pas assez forts pour les maintenir relevés. Alors, on se retrouve avec des amas de feuilles coincés au bout des pattes, ou bien, on reste accrochés à des troncs en haut des arbres.

Il descend une pente plus courte, mais également plus raide. Je le sens me serrer davantage tout en gérant son équilibre. Son pied glisse dans la boue et j’ai beau me contracter de toutes mes forces, ça ne l’aide aucunement à garder l’équilibre et il finit inévitablement par se retrouver sur le dos. Il ne m’a pas lâchée, évidemment, et le voici étalé dans la boue de tout son long. 

 

–Putain ! 

 

Il se redresse et tente d’enlever un maximum de saleté de ses vêtements, je le regarde, amusée. Ses cheveux sont dans un de ces états !

 

Tu veux que je te porte moi ?

–Je peux aussi te laisser sur place et rentrer seul, crache-t-il.

Tu dis ça sérieusement ou c’est de l’humour ?

–Je vais vraiment te laisser là, Aéon.

J’ai vraiment du mal à savoir si tu plaisantes, dis-je de peur de le vexer.

–A ce point ?

Tu as toujours ce ton agressif, donc oui, parfois, je me le demande.

–Je peux blaguer aussi… Je suis si ingrat ?

Parfois, tu parles moins fort, mais tu restes tout de même mordant.

 

Il s’assied et me reprend dans ses bras, pour continuer sa route jusqu’à la demeure que l’on aperçoit déjà d’ici. Sur le chemin, il m’a un peu expliqué ce que les patients lui ont dit. Ceux-ci sont visiblement dérangés par le fait qu’il se débrouille sans Ulrick à présent. Les jeunes de son âge auraient tendance à l’agresser à plusieurs, d’après ce que j’ai compris et bien sûr même si les adultes voient qui commence, ils ne le soutiennent jamais.

 

Tu as du courage de rester ici à supporter tout ça.

–Si je reste, c’est parce que je ne me suis jamais senti capable de survivre comme tu l’as fait toi : seul.

Si j’avais été jusqu’au bout de mes idées, je ne serais plus de ce monde.

 

Il ne semble pas réagir, même son odeur ne change pas. Je ne suis plus aussi courageuse, n’est-ce pas ? Nous avons atteint sa maison dans laquelle il vient de rentrer. Il me pose sur le fauteuil et s’étire les épaules. Je m'allonge comme une masse, épuisée par ma grimpette improvisée sur trois pattes. Il regarde l’heure, puis s’en va dans la cuisine.

 

–Tu as faim ?

J’ai juste un petit creux.

–Tu as déjà mangé des sarmalés ?

Non, qu’est-ce c’est ?

–De l’agneau, du riz et des feuilles de vignes… Des tomates… Ulrick les fait trop bien, attends.

 

Il sort un plat de son réfrigérateur et le place au micro-ondes jusqu’à ce que l’appareil sonne. Il revient ensuite vers moi qui le regarde avec un petit sourire.

 

–Quoi ?

C’est drôle que tu réchauffes ça alors que tu manges de la viande crue.

–C’est meilleur chaud, goutte !

 

Il me l’enfourne dans la bouche et je manque de me brûler avec la pâte. Je tente de mordre dans la roulade sans la recracher par politesse tout en expirant pour tenter de la refroidir. Il rigole en s’excusant, ce qui me fait un drôle d’effet. C’est la première fois que je vois cette expression. J’en détourne les yeux, avalant la bouchée de travers. Je dois reconnaître qu’il est plutôt… Mignon. Il souffle sur l’autre morceau qu’il me présente et mord dans le sien. Effectivement, quand on ne se crame pas avec, c’est plutôt bon, mais ce que s’est chargé en oignons ! Mon ventre ne va pas apprécier.

 

–Je peux te demander comment tu as perdu ta famille ?

 

Sa question soudaine me fige. J’en détourne la tête, mal à l’aise, avant de lui répondre :

 

Ils ont été tués…

 

Je sens son regard sur moi. Je n’ai pas envie d’aborder le sujet, même si j’ai moins peur que lui me rejette. Mon regard revient sur Aziel qui de son côté continue à me fixer.

 

–Mon frère a été le premier à se transformer, le stress lui a fait perdre la tête et ç'a aussi été mon cas. J'ignore exactement ce qu’il s’est passé, mais à mon réveil, Baal avait disparu et j’étais à côté des cadavres de mes parents. Nous ne pouvions pas savoir et encore moins prévoir ce genre de chose, ni toi, ni moi.

 

J'ignore pourquoi il me dit ça… J’ai l’impression qu’il a compris. J’ai beau relever les yeux vers les siens, je n’ai pas l’impression qu’il voit en moi le monstre que je renferme et ça m’énerve !

 

C'est trop facile.

–De ?

Plaider la folie pour justifier une faute.

 

J’en viens à claquer la queue contre le fauteuil, de colère, ce qui a pour effet de faire sursauter Aziel. À nouveau, je sens qu’il m’observe… Que va-t-il faire maintenant qu’il sait qu’il a une meurtrière à ses côtés ?

 

Je ne me le pardonne pas.

 

Il tient ses coudes pliés sur ses genoux, la bouche posée sur ses mains, il a juste les yeux tournés vers moi. Je n’arrive pas à savoir s’il me juge ou non. Je serre les dents, frustrée et l’estomac retourné. J’espérais qu’il me trouve affreuse, qu’il me dise que je n’aie pas le droit de vivre avec une meute comme si de rien n’était ! Mais, il se tait… Aziel et Baal se sont sans doute sentis menacés par l’autre, moi, rien ne me menaçait. Je secoue ma tête pour empêcher mes larmes de couler, ce qui ne fonctionne bien évidemment pas. 

Aziel se penche alors sur moi, passant le bras de l’autre côté de mon épaule pour me rabattre contre lui. Je lui oppose résistance, mes pattes sur son torse comme pour garder une barrière entre nous. Ça m’énerve ! Je ne veux pas être soutenue ! Alors, pourquoi je ressens de l’amertume à ce qu’il le fasse, mais également une certaine sérénité de ne pas être rejetée ? Je reprends mon espace et Aziel se déplace sur l’avant de fauteuil.

 

–Excuse-moi, mais je suis épuisé et j’ai envie de rattraper ma nuit. 

 

Je hoche du chef et m’allonge sur le canapé pensant dormir ici pour cette nuit puisqu’il y a une lune rouge ce soir.

 

–Tu te traînes où je t’embraque ?

Avec l’éclipse ?

–Dans l’immédiat, je veux une douche et dormir.

 

Je grimace bien que je sois tout de même allé dans sa chambre le temps que lui aille à la salle de bain qui est juste en face de sa chambre. Comme la veille, je me place sur la droite et m’enroule sur moi-même, attendant son retour. Est-ce qu’il me laisserait prendre un bain ? Bien chaud ! La porte s’ouvre et Aziel vient s’allonger à sa place. Mon regard sur lui, je déglutis sans comprendre la liesse qui me traverse en le voyant avec les cheveux humides. J’en secoue ma tête et regarde vers la fenêtre ou j’aperçois la lune rousse.

Aziel s’allonge sur son dos tout en passant les bras derrière sa tête. Il a les yeux fermés et les miens sont rivés sur la fenêtre. Je ne me sens pas plus étrange que d’ordinaire, si ce n’est que mon mal de tête est de retour. Je n’arrête pas de changer de sens, comme si cela allait apaiser la douleur. De plus, je n’ai pas envie de fermer l’œil de crainte que Kochtcheï ne recommence. Quelques minutes s’écoulent sans que j’arrive à me détendre.

 

–Ça va ? Demande, Aziel.

Pardon, je ne voulais pas te réveiller.

–Je ne dormais pas encore.

 

Un blanc se fait avant qu’il ne me demande :

 

–Ça s’éveille ?

Non, mes maux de tête recommencent, j’en ai souvent.

–Ça vient d’où ?

Ben… La tête.

–Au niveau des yeux, des oreilles, la nuque ?

Partout, c’est comme si j’avais une barre au niveau des tempes qui appuie et relâche.

 

Il se redresse pour se porter sur moi, sa main et ses doigts appuyant le long de mes vertèbres cervicales.

 

Qu’est-ce que tu fais ? Lui dis-je en m’aplatissant, penaude.

–Tu as peut-être une vertèbre déplacée.

J’aurais mal en permanence dans ce cas ?

–Pas forcément.

 

Ses doigts parcourent ma nuque jusque sous la base de mes oreilles puis repartent dans l’autre sens pour atteindre la pointe de queue. J’ai les yeux sur lui, bien que je reste statique, analysant ses gestes.

 

–T’es tendue comme un string !

 

Surprise par sa spontanéité, je viens à glousser. Il continue d'exercer des pressions le long de la colonne, par endroit, ça fait un peu mal, mais au lieu de vite passer, il se concentre à cet endroit.

 

Que fais-tu ?

–Je vérifie tes tensions, la chiropractie cela ne te dit rien ?

Non.

–On le pratique souvent sur les drakes, à la base ce n’est pas naturel de les monter, même si l'on prend garde, cela arrive souvent qu'on leur bloque des vertèbres ou des nerfs.

 

Je viens à sursauter en poussant un couinement, alors qu’il fait craquer les os entre mes épaules et le regarde, surprise. Mes mouvements ne me gênent plus ! Ce n’est tout de même pas cela qui me donne mal à la tête ?

 

–Pour le reste, tu as juste des tensions.

 

Il se place cette fois face à moi, pour venir glisser ses pouces de mes tempes jusqu’entre mes yeux. Bien que je sois un peu perplexe sur ce qu’il fait, je me laisse sans y prêter immédiatement attention, emportée par le sommeil… M’en apercevant, j’en secoue la tête pour me maintenir éveillée, à la surprise du bicolore. Ce n’est pas que ce qu’il fait me déplaise, mais je préfère tout de même le faire arrêter :

 

C’est gentil, mais je préfère que tu arrêtes.

 

–Pardon.

Ne t’excuse pas… Mon mal de tête est passé grâce à toi, mais je préfère éviter de dormir pour cette nuit.

–Pourquoi ?

J’ai tendance à cauchemarder lors des lunes rouges.

–Comme hier… Tu veux en parler ?

Il n’y a rien à dire, ce ne sont que des rêves.

–Qui te font bien flipper.

C’est le principe d’un cauchemar, non ?

–Certains nous touchent plus que d’autres.

Je sais juste à quoi m’attendre.

–Les éclipses de lune sont également appelées : lunes de sang. Elle a un effet sur les cryptides démonoïdes. D’où le fait que les femelles divalis soient fécondes à ce moment-là.

Je ne vois pas le rapport entre nous et la lune rouge ?

–Nous avons du sang de démon dans les veines.

Dans le rapport, il est dit que nous sommes de la famille des draconiens ?

–Ils ont aussi du sang de démons, à vrai dire, une majeure partie des cryptides sont plus proches des démons que des humains.

En parlant de dragon, as-tu déjà tenté de voler ?

–Pas tout à fait. J’ai essayé de faire apparaître mes ailes, mais rien.

C’est aussi écrit que les mâles peuvent cracher du feu et les femelles de la glace. Dagan, quand il s’est énervé, il l’a fait.

–Il est de l’ancienne génération, c’est bien ça ?

Oui.

–Peut-être qu'en désactivant le gène chez nos parents, l’ancien Alpha, nous a fait perdre certaines aptitudes.

Sans doute.

–Mais pour en revenir à tes rêves, je t’ai entendu prononcer le nom de Kochtcheï, hier.

Je n’ai pas envie d’en parler.

–Certaine ?

 

J’affirme d’un léger hochement de tête, alors qu’il s’allonge en restant dos à moi. J’en fais de même, je n’ai pas l’impression que mes instincts me dérangeront cette nuit.

 

Toi aussi, si tu as besoin de parler… N’hésite pas.

 

Il souffle du nez tout en laissant un « hum » passer. Étrangement, cette nuit-là, je suis parvenue à dormir sans être dérangée par Kochtcheï.

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