Divalis : l'éveil

Chapitre 19 : Balade en montagne.

6720 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/03/2023 11:35

Cela change de pouvoir se réveiller un peu plus tard ! Je m’étire tout en restant sur mon flanc, ma colonne venant rencontrer celle d’Aéon. J’en sursaute presque, non pas que je l’ai oubliée, mais c’est de la savoir si près de moi. Et, j'ai encore ce frisson qui me traverse… Depuis hier soir, cela n’arrête pas. Quand je la regarde et qu’elle me sourit, quand je l’ai prise sur mon dos, quand elle me parlait de son passé. Cela ne fait que trois jours que l’on se côtoie, mon cerveau déconne ou quoi ? C’est sans doute parce que l’on est de la même espèce, cela doit-être ça. À mon mouvement, elle ouvre les yeux et monte la tête vers moi, puis elle me sourit avant de bâiller tout en s’ébrouant et elle s’assied face à moi.

 

–Je ne pensais pas que le confort d’un lit me manquerait à ce point, me dit-elle.

–La pierre et la terre ne sont pas confortables ? Plaisanté-je.

–On se fait des nids de feuilles lorsqu'on le peut, sinon on préfère l’herbe. C'est surtout le fait de ne pas sentir le vent ou la pluie nous tomber dessus, me répond-elle sans avoir visiblement compris mon ironie.

–L’hiver doit vous sembler interminable.

–Oui ! particulièrement les nuits les plus froides. Même si l'on se sert les uns les autres, l’air reste tout de même mordant… Abysse doit ralentir la cadence du groupe.

–Ce qui veut dire qu’ils vont devoir s’arrêter, et donc ne pas s’éloigner d’ici… C’est ton pelage d’hiver ça ?

–Il va encore pousser et toi avec l’épaisseur que tu te paies, tu vas ressembler à une peluche ! Ris Aéon.

–Ce n’est pas déjà le cas ? Plaisanté-je.

 

Elle me sourit en faisant aller sa queue. Bordel ! Cela ne s’arrête jamais ? Je me lève, suivi par la dorée qui titube toujours. On rejoint le jardin et je me cambre alors qu’elle me regarde surprise, ce qui me place tout d'abord dans l’embarras, même si elle détourne bien vite la tête.

 

–Je pensais qu’il n’y avait que Dagan qui ne levait pas la patte, plaisante-t-elle.

–Nous ne sommes pas des canidés…

–Qu’est-ce que cela à avoir ?

–Nos organes sont internes…

 

Elle n’a toujours pas l’air de comprendre. En revanche, je n’ai pas envie d’aller dans le détail, donc elle se contentera de cette réponse. Nous revenons à l’intérieur, Aéon se glisse sur le fauteuil et je me rends à la salle de bain ou je reprends ma forme humaine pour m’habiller. En revenant, je lui demande tout de même si elle a faim, bien que je m’attende à un non, ce qui est le cas. Nous allons être calés pour plusieurs jours avec ce que nous avons mangé hier.

Je m’empresse d’aller nourrir les drakes avant que Fafnir ne fasse un trou entre l’écurie et la maison. Et, une fois ceci de fait, j’appelle Ulrick sur son téléphone portable pour le prévenir que je pars dans la montagne avec Aéon. Je me tourne à présent sur la divalis qui tente de se gratter avec sa patte absente. Celle-ci me regarde, gênée, puis sourit bêtement.

 

–Les réflexes, me dit-elle.

–Le membre fantôme, ça va te passer. Je change ton pansement et l'on se met en route.

 

Elle acquiesce tandis que je me lève pour aller chercher le nécessaire. Je reviens vers elle en posant un bol rempli de compresses humides, ainsi que les bandes.

 

–Je connais cette odeur… La fleur blanche en forme de cloche qui ressemble au muguet.

–Des racines de sceau de Salomon, j’en ai toujours en réserve.

–Tu utilises des plantes ?

–Que crois-tu qu’il y ait dans les pommades ?

–Tu n’utilises pas les produits chimiques créés par les humains ?

–Nous l’évitons un maximum. Il y a une culture sur le haut du village, ils préparent les onguents.

–Si je comprends bien, votre village est autonome ?

–Plutôt autosuffisant, lui expliquais-je tout en relevant de temps à autre les yeux vers elle.

–Comment cela fonctionne pour l’argent ?

–Nous avons un salaire minimum et comme Ecolyne sert de village touristique, l’état nous subventionne également. Pour ce qui est de la nourriture, nous avons tous le droit à un pack que nous allons chercher une fois tous les quinze jours dans la ferme. Nous faisons aussi du recyclage avec les bouteilles que l’on ramène. Nous n’utilisons que du verre et bien entendu, les sodas et la bière sont faits main.

–Et les touristes, où vont-ils ?

–Il y a plusieurs auberges. Des touristes, il y en a toute l’année. On propose des promenades en charrette dans la montagne, hors des saisons de course. J’en fais parfois avec Fafnir et Ulrick aussi.

–Je m’en souviens, mon père nous avait promis de venir ici en vacances, dit-elle à voix basse, ce qui me fait tourner la tête vers elle.

–Tu n’avais jamais mentionné ton père, je pensais que tu ne le connaissais pas.

–Il est photographe. Il ignore que je suis toujours en vie et… Je n’ai pas envie de l’affronter, ni de lui raviver de mauvais souvenirs si je tente de reprendre contact avec lui, explique-t-elle, le regard bas.

–C’est ton père, il ne peut pas te détester, lui dis-je en la regardant.

–Je n’en sais rien… De plus, j’ignore où il est et ce qu’il est devenu.

–Si tu connais son nom et son prénom, il est possible de le retrouver.

 

Elle secoue la tête, refusant catégoriquement. Je soupire, lui ébouriffant le toupet, alors qu’elle me sourit simplement. Je sais qu’elle avait envie de voir les drakes, une promenade sur le dos de Fafnir devrait lui changer les idées. Elle me suit jusqu’à l’extérieur où elle s’immobilise devant les écolyns qui sont devant la porte. Ceux-ci sont surpris par sa présence et viennent de ce fait la humer, Aéon me lançant des regards inquiets.

 

Tu as une odeur comme Aziel, je t’aime bien, souffle Fafnir.

 

Je rentre dans l’écurie et prends ma selle, poussiéreuse, pour venir harnacher Fafnir. Je me bats avec les sangles un peu justes puisqu’à la base, elles sont faites pour une bête de deux mètres de haut et non trois.

 

–Tu le harnaches ?

Ouais, sinon gare aux fesses irritées, se marre Fafnir.

 

Je me raidis et le regarde froidement… Il n’en rate jamais une ! Aéon me regarde avec les yeux plissés et un rictus en coin. Bien sûr, cela l’amuse. Je la soulève pour la placer devant la selle et entre la crête de Fafnir et me hisse à mon tour sur le siège. Ensuite, je la fais reculer contre moi, pour que je puisse la maintenir, au cas où elle viendrait à glisser.

 

–Si tu y arrives, laisse tes pattes arrière pendre et prend appuis contre la crête de Fafnir pour te bloquer contre moi, de cette façon, tu resteras bien en place.

–D’accord, mais n’allez pas trop vite…

–Ne t’en fais pas, je te tiens.

Aziel peut donc faire preuve de douceur ? Intervient Fafnir.

 

Je soupire en me laissant tomber les épaules et d’un mouvement de bassin lui demande de se mettre en route. Aéon se tend contre moi avec une telle force qu’elle pourrait bien me faire glisser hors de ma monture. Nous nous rendons dans la montagne où nous rejoignons le saule, puis la rivière un peu plus bas. Tandis qu’Aéon hume l’air, je jette un rapide coup d’œil à Silva qui nous suit comme à son habitude, ne trouvant rien de changé dans son comportement malgré la présence d’une divalis supplémentaire.

 

–Tu ne veux pas marquer le coin ?

–C’est trop près du village, je doute que Vlase ou même Dagan viennent jusqu’ici. Ils ne font pas confiance aux humains.

–C’est toi qui vois.

 

Combien de temps va-t-elle encore tenir sur place sans avoir de nouvelles des siens ? Nous continuons notre route sur bien trois kilomètres en suivant la rivière. Je me penche sur la dorée qui regarde alors intensément sur la gauche.

 

–Il y a l’odeur de Vlase…

–Il est proche ?

–Il a marqué, là-bas, un peu plus loin, si le vent n’avait pas tourné, je ne l’aurais même pas remarqué.

 

Je descends, la pose au sol et la laisse tituber jusque-là. Elle se frotte alors contre les arbres, ce qui attire mon attention. Elle identifie une nouvelle fois les effluves environnants et continue de s’enfoncer dans le sous-bois, tandis que je la suis tout en gardant une petite distance, pour avoir l’œil sur ceux qui nous entourent. Fafnir et Silva sont restés un peu plus loin, bien qu’ils prennent garde de rester en vue.

 

–Il est passé récemment ?

–Un ou deux jours…

–Hurle ?

 

Elle se tourne vers moi puis baisse les oreilles. Apparemment, notre capacité à chanter serait liée à notre psyché. Nous ne le faisons que si nous nous sentons bien. On dirait qu’elle en a envie, mais qu’elle se bloque physiquement. Je pourrais le faire, l’autre imbécile devrait reconnaître un hurlement d’un individu de son espèce, toutefois, faudrait-il pour cela être sûr qu’il soit en mesure de m’entendre. Ce n’est pas que je n’y arrive pas, c’est juste que je me dis qu’il y a peu de chance qu’un de ses amis comprenne que je veux les guider jusqu’à nous… Je baisse les yeux sur le sol, en donnant un coup de pied sans force dans une branche, puis regarde la dorée qui vient de s’écrouler. Je me précipite vers elle et m’assois à ses côtés, alors qu’elle respire comme un asthmatique.

 

–Je ne pensais pas qu’il serait si difficile de marcher sur trois pattes. Pourtant, je suis habituée à faire des kilomètres, ça m’agace !

–Tu étais musclée pour répartir ton poids sur quatre appuis, il faut que tu t’adaptes et cela demande du temps. Cela ne fait que trois jours, tu te débrouilles mieux que tu ne le penses.

–Je ne suis même pas capable de faire plus de cinq mètres sans tomber de fatigue.

–Il faut une vingtaine de jours à un humain pour cicatriser et attendre au moins deux semaines avant de pouvoir placer une prothèse. Il ne te faudra pas attendre aussi longtemps et sois contente que ton corps élimine seul l’infection de ta patte. Ce n'est pas le cas pour les animaux et les humains. 

–Même si cela ne prend qu’une semaine, Vlase et les autres risqueraient de quitter la montagne.

–Il est venu jusqu’ici, non ? Tu sens l’odeur des autres ou juste la sienne ?

–La sienne seulement.

–Et elle remonte au moment de ton réveil, peut-être a-t-il hurlé lorsque tu étais inconsciente. S’il se méfie des humains, il a sans doute dû s’établir dans la montagne pour laisser ton clan sur place et faire les recherches, seul, pour être plus discret.

 

Elle baisse encore une fois la tête tout en grimaçant.

 

–Parfois, j’ai l’impression que tu n’as pas envie d’être retrouvée.

–Je ne sais pas… Tu es bien placé pour savoir que nous représentons une menace pour les autres. Ce n’est peut-être pas plus mal qu’ils restent entre eux.

 

Je soupire tout en fermant les yeux. Je comprends parfaitement ce qu’elle veut dire, mais ce n’est pas pour cela qu’elle doit penser que l’isolement est la solution. Si le lisii est venu jusqu’ici, c’est qu’il se doute que le courant l’a entraînée dans cette direction. Je ne connais pas les membres de sa meute, mais il est évident qu’il y en a un qui la cherche. Elle a la tête basse et une moue triste. 

 

–Est-ce que tu as déjà perdu la tête en leur présence ?

–Une fois… J’ai failli. C’était la première grosse proie que je chassais avec Vlase. J’ai montré des signes d’hostilité… À vrai dire, j’ignore si c’est le gout du sang ou le fait que Vlase soit blessé qui m’a fait perdre les pédales.

–Tu as chassé après ça ?

–Difficilement.

–Cela s’est reproduit ?

–Non… Enfin, jusqu’à l’incident avec Dagan.

–Ce sont les émotions fortes qui enclenchent la folie. À mon avis, c’est une accumulation, l’excitation et la nervosité de la chasse puis la peur et sans doute la colère causée par la blessure.

–Sûrement, mais cela ne m’en rend pas moins dangereuse. Si, à chaque fois que je me retrouve dans une situation délicate, je cède, ce que j’ai fait subir à ma mère et ma sœur, pourrait bien leur tomber dessus.

–Alors vois le côté positif à cette patte en moins. Penses-tu être encore une menace ?

–C’est sadique ce que tu viens de dire ! mais… Tu n’as pas tort.

–Donc, tu n’as plus à craindre de retourner auprès d’eux, appelle-les !

 

Elle me regarde, pensive, puis penche les oreilles en baissant légèrement la tête tout en me souriant. Elle la lève alors au ciel et lâche un cri semblable à l’aboiement d’un renard. Loin de m’y attendre, j’en écarquille les yeux avant de me prendre un sacré fou-rire. Il me faut quelques secondes pour me reprendre et respirer de nouveau. Je m’en tiens les côtes tout en m’essuyant les yeux. Elle détourne alors la tête, vexée.

 

–Désolé, je ne m’y attendais pas, ris-je, essoufflé.

–C’est ça, marre-toi, ronchonne-t-elle.

 

Un hurlement qui s’élève au loin, nous surprend. Elle se retourne et sa queue s’agitant frénétiquement, me fait immédiatement comprendre qu’il s’agit d’un des siens. Elle communique avec l’autre et au fond de moi, je ressens comme une douleur. S’ils ne sont pas loin, ils vont venir la chercher, elle va repartir et moi, je reprendrai mes habitudes…

Elle continue ses jappements de renard malade pour l’avertir de la présence des humains et lui annoncer qu’elle est blessée mais en sécurité. Ensuite, elle le rassure sur ma présence, pour finalement lui demander d’attendre quelques jours que les humains s’éparpillent pour qu’ils puissent se retrouver. Je la dévisage, l’autre ne discute pas et lui demande juste d’appeler pour lui dire quand il pourra venir. Je m’attendais à ce qu’elle choisisse d’aller les rejoindre immédiatement, ce qui est possible puisqu’il n’a pas l’air loin. Mais, elle préfère attendre la fin du festival pour ça.

Étrangement, cela me plaît qu’elle reste encore un peu. Mais, je ne devrais pas m’emballer, elle pourrait simplement craindre de croiser ce Dagan. Enfin, elle semble plus détendue, c'est déjà ça. Je l’attrape pour la remettre sur le dos de Fafnir qui se baisse pour m’aider.

Je monte à mon tour, juste après elle et nous redescendons vers la maison.

 

–Tu te sens mieux maintenant que tu sais qu’ils t’attendent ?

–Abysse doit être impatiente.

–Tu a l’air d’y tenir à cette petite, mais ce n’était pas ma question.

–Elle est la première à m’avoir sortie de ma solitude, elle resplendit de joie de vivre et oui, je suis rassurée. Abysse va t’accueillir comme si tu avais toujours fait partie du clan, me sourit-elle.

–J’en doute et de toute façon, je ne me montrerai pas puisque deux des tiens détestent les humains.

–Ils ne te rejetteront pas, affirme-t-elle en levant la tête vers moi.

 

Je la dévisage, puis détourne le regard en raclant ma gorge et rentrant la tête dans mes épaules, pas aussi confiant qu’elle de cette affirmation.

 

–J’ai hâte de voir la tête de Vlase quand je lui expliquerai qu’il m’aura fallu attendre que tu me sautes dessus, pour m'apercevoir que tu étais divalis, pouffe la dorée.

–Je voulais juste te rattraper…

–J’ai vite compris que la douceur et toi, ça fait deux, continue-t-elle de me narguer.

–Je ne pensais pas que tu allais aussi vite apparaître sous mes pattes et tu as directement tenté de me mordre alors question délicatesse, on repassera ! M’énervé-je, tout en appuyant sur le haut de sa tête, pour la charrier.

 

Je lui avais dit de rester là, j’ai eu peur qu’elle ne tombe sur un prédateur. Et, puis, on en parle de sa façon de me fuir ? J’ai cru qu’elle voulait s’accoupler avant de comprendre qu’elle passait entre mes pattes arrière ! 

Fafnir maintient la cadence, glissant par moments sur la boue à vouloir aller trop vite. On peut apercevoir d’ici, le champ qui va être utilisé pour le départ de la course, les stands sont déjà installés en grand nombre et j’entends des camions qui font des allers-retours devant chez moi. Vu les véhicules qui circulent et la forte chance de croiser quelqu'un en rentrant, je la couvrirai de ma veste au moment de sortir du bois.

Nous sommes revenus à notre point de départ et comme prévu, je la cache pour les derniers mètres afin de la dissimuler aux regards indiscrets. Elle s’accroche à moi pour descendre et je dessangle vite fait Fafnir pour le laisser partir. Je rentre immédiatement avec Aéon dans les bras. Heureusement que nous ne pesons pas lourd pour des bêtes pouvant faire entre un mètre et un mètre trente. Ça, on le doit à nos os spongieux comme ceux des oiseaux. Je dépose Aéon sur le divan où elle se couche directement en bloquant ma veste sous ses pattes. Elle le fait exprès de ne pas me la rendre. Alors que je porte mon téléphone à mon oreille, j’attrape la capuche de mon blouson et tire un coup pour lui coincer la tête avec et m'assois dessus pour la maintenir bloquée. Quand j’entends la sonnerie résonner, je libère Aéon en la narguant tandis qu'elle reprend son souffle. Ulrick décroche enfin :

 

« Allo Aziel ? »

–Ça va, papy, tu tiens le coup ?

« Je vais t’en foutre des papys, minot ! Alors ç'a donné quoi avec la miss ? »

–Elle a su communiquer avec son clan.

« Elle est toujours avec toi ? »

–Oui.

« Bonne nouvelle ! Donc, tu m’appelles pour ça ? »

–Cornelia n’a pas changé d’avis ?

« Non, mais ne t’en fais pas, ta proposition l’a touchée et elle reconnaît avoir été un peu dure avec toi. Elle va aller voir un drake de six ans à l’élevage de Petran. Je pense qu’elle ne serait pas contre d’essayer Fafnir, toutefois. »

–Je vois. Qu’elle vienne à la maison si elle veut aller faire un tour avec lui dans la montagne.

« Je le lui dirais, je te laisse mon grand ou me parle en même temps. »

 

Il a raccroché… J’en avais parlé à Ulrick de laisser Cornelia faire la course avec Fafnir à défaut de Silva. C’est l’avantage d’avoir un drake cool, si je lui demande, il l’acceptera sans rechigner. 

Je m’assieds et m’étire de tout mon long, sursautant alors qu’Aéon me donne un coup de museau pour attirer mon attention et me montrer ensuite le jardin. Celui-ci est délimité sur les abords de la maison par les murets, sauf le fond ouvert. Visiblement, les gens n’ont pas la notion de propriété puisqu’ils se permettent tout de même d’y entrer. Je m’énerve et me redresse rageusement tout en posant le téléphone sur la table basse.

 

–Je vais aller mettre du ruban, parce que visiblement, ils n’ont pas de cerveau.

–Tu veux que j’imite un chien méchant pour voir si ça les fait reculer ?

–Si tu pousses le cri que tu as fait tout à l’heure, cela pourrait fonctionner, dis-je en la narguant.

 

Ce qui me vaut un tirage de langue de sa part. J’attrape le ruban dans l’armoire et sors dans la hâte alors que ces imbéciles s’approchent des drakes qui se reposent dans le jardin. Les deux hommes qui doivent avoir dans la trentaine, se tournent vers moi lorsque je les interpelle : 

 

–La notion de propriété cela vous parle ? Approcher des créatures de près de deux tonnes que vous ne connaissez pas, vous trouvez ça malin ? Dis-je d’un ton étonnement calme, pour l'instant.

–Les drakes d’Ecolyne sont dressés, non ? Me répond bêtement l’un des hommes.

 

Sa réplique me hérisse le poil tant elle est stupide et j’inspire profondément pour contrôler ma colère et ne pas être vulgaire, bien que j’aie fortement envie d’insulter cet imbécile :

 

–Vous caressez d’office tous les chiens que vous croisez ?

–Non…

–Alors, dégagez de chez moi et réfléchissez avant d’agir !

 

Celui qui est resté silencieux s’avance vers moi d’un pas agacé. Cependant, son collègue le retient tout en précisant que je suis le fameux « Aziel ». L’homme me dévisage et je me contente de lui sourire, narquois, voire défiant. Je n’ai aucun plaisir à faire cela, j’ai pris la manie de sourire par ironie lorsque les gens osent me dire ce genre de chose directement en face. Je ne veux pas leur donner raison, mais pour le coup, il vaut mieux jouer là-dessus pour les dissuader d’approcher.

Les deux finissent par s’éloigner et j’accroche le ruban aux barres de fer des murs pour le tendre, en espérant que les gens ne tenteront pas de passer par-dessus. J’ai peur pour Aéon, je me demande si je ne devrais pas l’enfermer dans ma chambre.

Le festival n’est pas collé à la maison, il doit y avoir une bonne centaine de mètres entre les stands, le kiosque et nous, mais quand même… On ne sait jamais. Je vais enfermer les drakes jusqu’à demain, ils ne vont pas être heureux, mais je n’ai pas le choix. 

Quand j’ai terminé, je me rends compte que j’ai un peu déconné avec le nombre de bandelettes. En revanche, j'espère que ça démotivera la personne qui aura l’idée de passer au-dessus ou au travers. Du coup, je dois revenir par la maison pour me rendre à l’écurie. Fafnir et Silva sont à l'intérieur, je leur donne leur pitance et ferme la porte de l’écurie à clé, en plaçant cette dernière dans ma poche. Je me tourne pour faire les quelques pas qui me sépare de l’écurie à la maison et remarque alors une femme qui me paraît perdue à sa façon de marcher. Celle-ci me regarde avec insistance tout en approchant. Je l’attends donc, supposant qu’elle cherche l’entrée du champ qui se trouve derrière ma maison et qui ne se voit pas depuis le chemin à cause de la hauteur du talus qui donne sur ma propriété. Je suis en hauteur et le chemin qui accède à ma propriété est en pente. Normalement, ce sont les cultivateurs qui vivent en hauteur, puisqu’ils sont juste à côté de leurs champs de cette manière. Celle-ci est une prairie à bétail, elle est donc clôturée. 

La femme arrive face à moi et me demande :

 

–Excusez-moi, je cherche l’entrée de la prairie qui servira au départ. Me demande-t-elle.

–Elle se trouve juste ici derrière la maison, longez les murs par là et ce sera juste en face de vous. Vous ne pouvez pas vous tromper, expliqué-je en maîtrisant mon timbre de voix.

–Vous faites partie des concurrents ?

–Oui.

–Et vous êtes ? Demande-t-elle tout en me tendant la main.

–Aziel Stat, je pilote Fafnir, répondis-je tout en acceptant sa poignée.

–Oh ! Vous êtes le fils de Camélia Stat ?

–Oui.

–Angela Cardei, journaliste, je sais pour qui je parierai demain, lance-t-elle avec un clin d’œil.

–Enchanté et merci…

 

Elle me fait signe alors qu’elle s’éloigne et je la regarde partir tout en clignant des yeux. Les fans de ma mère viennent parfois me voir pour me poser des questions sur elle. Les touristes font fi, du moins pour ceux qui ne sont pas habitués, des ragots colportés à mon égard. Quand ils viennent me parler, j’en suis tellement surpris que je reste souvent sans voix. Mais, dès que leur répond, il ne faut pas longtemps pour que le malaise s’installe. C’est ma faute, je ne suis pas agressif physiquement bien sûr, mais je le suis dans ma façon de parler. Je ne le fais pas exprès, néanmoins, je leur donne l’impression qu’ils me gênent, alors ils m’évitent. Ulrick en a l’habitude, il me le fait fréquemment remarquer et je le remarque moi-même, pourtant, j’y pense après, pas sur le coup. Là, si j’y prends garde, c’est grâce à Aéon.

Je retourne à l’intérieur pour aller m’asseoir aux côtés de la dorée qui me dévisage tout en agitant lentement la queue et en secouant les oreilles.

 

–Ça va ? Me demande-t-elle.

–Ouais, une fille est venue me parler sans suspicion, c'est bizarre.

–À ce point ?

 

Cela l’amuse visiblement

 

–Les habitués d’Ecolyne m’évitent de manière générale. Quand on m’adresse la parole, ça me surprend toujours, dis-je tout en me vautrant au fond du canapé.

–En discutant de ça, quel genre de rumeurs circulent sur toi ?

 

Elle s’allonge tout en gardant les yeux sur moi.

 

–Que je suis un fou qui a tué ses parents. Que je recours à la violence à la moindre contrariété… Des choses dans ce style, soupiré-je.

–T'es-tu déjà battu avec quelqu’un pour qu’ils te pensent violent ?

–Plusieurs fois… Je leur reproche d’être mauvais avec moi, mais je ne suis pas un ange. J'évite les autres pour la simple raison que je ne maîtrise pas ma colère. Et je ne parle pas du coup de rage que tu as pu voir la dernière fois. Tant que ce ne sont que des paroles, je me maitrise, mais il suffit d’un geste pour que j’éclate. J’attaque et je ne me calme pas tant que je n’ai pas mis la personne au sol, quitte à gravement la blesser, expliqué-je en me massant les tempes.

–Ce ne serait pas ton instinct animal qui t'incite à dominer ceux qui te défient ?

–Cela n’excuse pas le fait que je devienne vraiment violent et il est difficile de m’arrêter. J’ai déjà manqué de tuer un gars par le passé.

 

Elle me regarde en écarquillant les yeux… Ouais, je ne suis pas une bonne personne.

 

–Donc, tu t’isoles pour ne pas craquer quand tu les croises.

–Il vaut mieux les éviter que de tenter le diable. Je n’attaque pas le premier, mais ils savent comment me faire craquer, détourné-je la tête.

–Je vois, répond-elle.

–Toi aussi, tu vas te méfier à présent…

–Nous avons eu une altercation et même si tu m’as mise à terre, tu ne t’es pas montré inutilement agressif avec moi. D’après ce que tu me dis, tu es violent parce que tu te défends. Pas parce que tu es un malade mental ou alors, je le suis moi aussi, puisque j’arrive à avoir confiance en toi, me répond-elle d’un sourire.

 

Je détourne les yeux en serrant les dents tandis que mon cœur accélère sous l’effet de ses paroles. Je me relève en hâte pour aller dans la cuisine nous chercher à boire. J’ai chaud et me connaissant, je dois être rouge… Ulrick se rirait bien de moi. Je ne suis pourtant pas timide bordel !

Mon calme revenu, je retourne près d’Aéon en oubliant les boissons… Dehors, ils ont mis en route les enceintes pour diffuser les informations et de la musique folklorique en alternance avec de la moderne. J’allume la télévision pour voir s'il a déjà des informations sur la course. 

 

–J’installerai la télévision dans la chambre ce soir, tu pourras suivre le direct. 

–J’aurais le droit à un petit déjeuner au lit ? Me dit-elle en plaisantant.

–Seulement si tu es sage.

–Je suis toujours sage !

–Non, tu ne m’écoutes pas quand je te dis de rester tranquille !

 

Elle me regarde et me tire la langue pour la énième fois. La sonnette de la porte nous fait soudainement soudain sursauter. Je n’attends pas de visite, à moins qu’Ulrick ait fait un détour par la maison, puisqu’il aide depuis ce matin à l’organisation de l’évènement. Je me lève tout en laissant le temps à Aéon de se cacher dans ma chambre avant d’ouvrir à la jeune femme de tout à l’heure. Surpris, je me fige un peu tandis qu'elle me sourit chaleureusement…J’espère qu’elle ne compte pas m’interviewer, je déteste ça !

 

–Bonsoir Aziel, les stands sont ouverts, je me demandais si tu accepterais d’aller boire un verre avec moi ?

–Heu… Je ne suis pas franchement apprécié, dis-je tout en me grattant la tête, embarrassé.

–J’aime me faire ma propre opinion, répond-elle tout en me faisant un clin d’œil.

 

Le malaise me prend tandis que je pense à celle qui se cache dans ma chambre.

 

–Je suis navré, mais j’ai encore quelques affaires à terminer, m’excusè-je.

–Je peux t’aider ? Ça ne me dérange pas un peu de tranquillité.

 

Elle s’avance de ce fait vers moi qui recule aussi vite, mon visage et mes oreilles devenant chaudes comme jamais !

 

–C’est que… Ma petite amie est du genre jalouse. Pourquoi je dis ça ?

–Ah oui, je comprends ! Je n’insiste pas alors, bonne soirée, réplique-t-elle tout en s’en allant aussi vite qu’elle est venue.

 

Je la suis des yeux, tandis qu'elle s’en va, un sourire crispé au visage. Ma petite copine ? Ça, c'est à cause d’Ulrick ! Enfin, au moins, elle est partie. Je souffle un coup et me tourne vers la chambre d’où sort la tête d’Aéon qui aborde un large sourire amusé. Je verrouille la porte et me presse à éteindre la lampe…

 

–Que fais-tu ?

–On va déjà s’installer dans la chambre. Vas-y j’embarque la télé.

–Dans le noir ?

–Je suis nyctalope comme toi, hein.

–D’accord, d’accord, me dit-elle en riant alors que j’entends le cliquetis de ses griffes sur le sol.

 

Le téléviseur installé, je vérifie que les rideaux sont bien fermés, puis m’allonge sur le lit, par-dessus la couverture et aux côtés de la dorée qui continue à me regarder avec cet air amusé.

 

–Je ne te savais pas timide, ricane Aéon.

–Je ne le suis pas, dis-je d’un ton sec.

–Ta petite amie est jalouse, me nargue-t-elle.

–J’avais besoin d’une excuse… Ronchonné-je.

–Elle ne te plaisait pas ? 

 

Elle se penche sur moi qui détourne les yeux, en raclant ma gorge.

 

–Ce n’est pas ça…

–Pourquoi ne pas avoir accepté ? Tu aurais pu t’amuser, répond-elle avec assurance.

–Je n’allais pas te laisser en plan et elle doit avoir au moins vingt-cinq ans, dis-je un poil agacé.

–J’aurais regardé la télé ou dormi. Tu ne me dois rien, je ne suis qu’un animal blessé parlant, plaisante-t-elle.

–Je préfère tout de même éviter, dis-je en baissant les yeux : Quand j’avais seize ans, je suis tombé amoureux d’une fille qui était de passage. Seulement, elle voulait juste s’amuser. C’est sans doute parce que je suis divalis, je m’attendais à quelque chose de sérieux.

–Ou parce que tu étais simplement amoureux, réplique-t-elle.

–Et toi ? Tu as déjà eu un petit copain, détourné-je le sujet.

–J’avais dix ans quand je me suis transformée !

–Et ce Vlase ?

–Vlase doit avoir dans les vingt à trente ans !

–La croissance des cryptides est particulière, une fois que l’on a atteint les quinze ans, on ne fait plus trop la différence entre un individu de vingt ou de cent ans, physiquement parlant.

–Quand bien même… Ça m'indiffère.

 

Elle détourne la tête, ses oreilles s’aplatissant.

 

–Tu n’as que seize ans, tu en as encore le temps.

 

Elle secoue négativement la tête, comme fermée à cette idée, le bout de sa queue s’agite frénétiquement. La conversation la met franchement mal à l’aise. J’y songe, mais ne verrait-elle pas d’un mauvais œil les relations de couple ?

 

–Je refusais de me lier d’amitié à cause de la folie, alors tomber amoureuse est hors de question, rétorque-t-elle.

 

Je la dévisage, étonné par ses propos. Elle est radicale, mais je comprends son raisonnement, cela doit sans doute être lié à sa crainte de la folie. J’aurais aussi tendance à me dire que Dagan et Kochtcheï ne l’ont pas non plus aidée à se faire une bonne représentation de l’amour. 

 

–C’est radical quand même, lui dis-je.

–Avoir un clan est amplement suffisant… Même si nous pouvons apprendre à nous contrôler, à quel point pouvons-nous le faire ? 

 

Elle se redresse pour me regarder, vraiment troublée par cette question qu’elle se pose.

 

–Je n’en sais rien…Lui réponds-je en déviant les yeux.

–Je me demande s’il y a une raison à cette tare ?

–Je pense qu’il s’agit d’un défaut des amygdales. Il y a une mauvaise réponse face à une situation qui implique du stress. Le corps se met en situation de danger et l'hormone censée nous calmer ne répond pas ou le fait tardivement, expliqué-je, comme s’il fallait toujours que je trouve une explication logique à tout.

–Mais… J'ai été opérée des amygdales quand j’étais petite après une vilaine grippe. Ce serait à cause de ça ?

–Ce n’est pas le même organe, celles dont je parle sont situées dans le cerveau, pas dans la gorge, ris-je.

–Enfin, cela reste un problème génétique, donc est-ce vraiment possible de le contrôler ?

–Cela doit-être possible puisque le zoologue a dit que cette information lui vient directement de l’alpha.

–Peut-être…

 

Elle soupire et s’allonge, la conversation s’arrêtant là. On entend la musique et les spots qui éclairent les stands arrivent à être assez puissants pour passer au travers des rideaux. Aéon se place sur le flanc sans me coller. Je regarde le plafond tout en songeant à la course de demain. Je me retourne dans un sens, puis dans l'autre, ne parvenant pas à trouver le sommeil.

 

–Tu es nerveux ? Chuchote Aéon.

–Je n’ai plus participé aux courses depuis quatre ans, réponds-je simplement. 

–Ça va aller pour reprendre ?

–On parcourt assez souvent la montagne, on devrait s’en sortir. Fafnir a tendance à tout donner au début et à se fatiguer trop vite, je ne le monte jamais avec sa bride, je ne sentirai plus mes bras demain.

–Sa quoi ?

–Ce qu’ils ont sur la tête comme les chevaux, cela permet de les guider et pour Fafnir, à le retenir. Les drakes ont beaucoup de force dans le cou.

–Vous mettez un truc dans leur bouche à eux aussi ?

–Un mors ? Non, pas besoin.

–Ton frère et ton père couraient eux aussi ?

–Mon père n’était pas à l’aise avec les drakes, il aidait le maire dans la gestion du village et mon frère comptait l’aider.

–Ta famille avait une certaine importance pour ton village alors ?

–Ma mère était un peu la représentante des pilotes d’Ecolyne et mon père, c'était l'ami du maire.

–Je vois. Tu t’entendais bien avec Baal ?

–Je le prenais comme modèle et j’adorais l’emmerder et lui piquer ses affaires.

–Aïna faisait pareil, me dit-elle en riant.

–C’est joli comme prénom.

–C’est ma mère qui nous les a choisis.

–Nous, c’est mon père… Chouette idée de nous avoir donné des prénoms de démons, réfuté-je avec sarcasme.

–Je trouve qu’il te va bien, répond-elle et encore une fois, mon cœur accélère.

–Et toi, tu l’aimes bien ? 

–De quoi ?

–Ton prénom, le vrai, je veux dire.

–Je n’ai pas envie de me le rappeler…

 

Sa bonne humeur, c'est éclipsée d'un coup, elle se tient basse et je ne saurais dire si elle est agacée ou triste.

 

–Pourquoi ?

–Je ne suis plus, elle.

–Tu es toujours celle que tu étais, même si aujourd’hui, tu n’as plus la même apparence.

 

Elle se crispe, ses oreilles se plaquent sur son crâne alors qu’elle se recroqueville un peu sur elle-même. Sentant son malaise, je lui caresse doucement la tête, me rapprochant un peu. Puis, elle remonte les yeux vers moi, reprenant la parole :

 

–Je veux bien te le dire, mais ne m’appelle pas ainsi…

–Je ne le ferai pas.

–Eena… Murmure-t-elle.

 

Je lui souris, continuant de la caresser, m'apercevant que je le fais comme si elle était un chien, mais elle ne semble pas en être dérangée. Peut-être que ça l’apaise ? Je la dévisage puis pouffe alors qu’un souvenir me revient :

 

–Avant ma naissance, ma mère pensait avoir une fille, elle voulait m’appeler Danaé.

–J’aime bien, c’est mignon.

–Je préfère tout de même Aziel !

 

Cette fois-ci, je me sens partir et vu son rythme cardiaque, elle aussi va s’endormir. Je ferme les yeux, ne prêtant plus attention au fait que j’ai toujours le bras sur elle et finit par rejoindre ceux de Morphée.

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