The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 4 : Souvenirs éparpillés ooOoo Corentin ooOoo

2829 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/04/2022 20:50

ooOoo Corentin ooOoo

 

 

Je me souviens de la première fois que je l’ai vue, Jessy Ketchum, plus connue de nos jours sous le pseudonyme de Red Dragon, la chanteuse de The League. C’était lors d’un concours de jeunes talents sur une île tropicale. Artus et moi, on s’était programmé ça pendant nos vacances de printemps. Elle, j’ai bien dû admettre qu’elle était vraiment très belle. Jeune aussi, pourtant elle dégageait un de ces trucs… Ce que je trouvais bizarre, c’était qu’elle formait un duo avec sa sœur jumelle, sauf que sa rouquine de frangine n’était pas aussi magnétique. Elle passait pour la plus jolie des deux, mais elle me laissait complètement indifférent, alors que Jessica… Oh punaise ! Cette voix… J’crois que si je n’avais pas été gay, je serais tombé amoureux d’elle au premier regard. Un véritable coup de foudre.

 

Quand elles sont montées sur scène toutes les deux, j’ai trouvé que leur chanson ne leur correspondait pas. Elles chantaient bien, c’était pas le problème. Elles étaient super kawaï – et sans cosplay – mais y avait un truc qui n’allait pas. C’était trop doux, trop mélancolique, trop… Mièvre.

 

J’étais agacé. Mon oreille commençait à être aguerrie, j’avais pas entendu une aussi belle voix depuis Artus, et elle était gâchée par une reprise de soupe teen pop. Et puis, je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais j’ai senti que leur chanson était aux antipodes de leur personnalité. Une heure plus tard, j’ai pigé pourquoi.

 

Ce n’était pas notre premier concours de talent à Artus et moi. Au lycée, et pendant qu’il faisait le conservatoire, on a participé à une douzaine de concours au moins. On était toujours sur le podium, toujours. C’était jouissif. À chaque fois on jouait les modestes, mais j’avais pas peur de la concurrence. Personne n’égalait mon Artus. Et moi, malgré mon jeune âge, je me débrouillais bien comme auteur-compositeur. Les jumelles Train Twins, je savais qu’on allait les moucher comme il faut, comme tous les autres, mais elles se sont retrouvées deuxièmes mine de rien. Je m’demandais si le jury avait perçu comme moi le potentiel de Jessy, ou si c’était juste pour le plaisir de reluquer une dernière fois ces deux lolitas.

 

— Et enfin, les grands gagnants de ce concours de nouveaux talents : Mate le jukebox ! On applaudit bien fort ces messieurs qui iront loin, je le sens !

 

Artus m’a tapé dans le dos avant de monter sur scène, il était super heureux. À l’époque, il avait encore du mal à réaliser qu’il avait un talent de malade et un boulevard devant lui pour faire carrière. À chaque fois qu’il recevait un prix, il était ému. C’était un aspect de sa personnalité que je trouvais craquant. Après il a pris le melon, et je l’aimais toujours autant.

 

— Alors les garçons, quel effet ça vous fait d’être premiers ?

— Ça surprend toujours un peu, mentis-je.

— Votre chanson était superbe ! Comment l’avez-vous écrite ?

— C’est Matt qui compose et écrit nos chansons. Moi je ne fais pas grand-chose à part chanter.

 

C’est là que c’est arrivé. Je la revois arracher le micro des mains du présentateur, j’étais sur le cul.

 

— S’cuse j’ai une annonce à faire.

— Ah, euh, ok, mais, on n’avait pas f…

— Salut à tous ! Ma sœur et moi on monte un groupe et on recrute ! En priorité un batteur, mais si vous jouez d’un autre instrument : piano, saxo, trompette, violon, même de la flûte qu’importe, on est preneuses ! Rendez-vous demain matin ici même ! Merci à tous ! Bonne soirée !

 

Elle a balancé le micro dans les mains du pauv’mec qui était en train de nous interviewer. Le truc a bien failli atterrir dans le nez d’Artus, c’était énorme ! J’étais trop perplexe pour rigoler, pourtant j’en avais envie. Je l’ai regardée quitter la scène sans pouvoir m’en détacher. J’ai eu le déclic, Artus pas vraiment.

 

— Dans la famille sans-gêne, je demande la fille ainée… Les gosses de nos jours, marmonna-t-il.

 

J’ai ri silencieusement, on n’était pas beaucoup plus âgés qu’elle, mais bon, Artus avait un don pour se comporter comme un vieux bourgeois, déjà au lycée. Je n’ai pas arrêté de penser à Jessica toute la soirée. Très honnêtement, je me suis demandé si je n’étais pas en train de tomber amoureux. Je ne m’étais jamais intéressé à une fille avant elle, après elle non plus en fait. Au diner, je cogitais sur la question tout en regardant Artus manger son risotto. Ses lèvres délicates soufflaient parfois la fumée émanant de sa fourchette brulante, ou se posaient sur son verre de vin blanc qu’il tenait par le pied, du bout des doigts, avec ses manières un peu snob… Mouais, j’étais indubitablement gay et raide dingue de lui. Il n’empêche que j’allais nourrir une certaine obsession pour Jessy pendant plusieurs années, au point même de réécrire la première chanson que j’avais offerte à Artus en son honneur.

 

Aujourd’hui encore, je fais une fixette sur Jessica, parce que je lui dois énormément et elle n’en est même pas consciente. Faut dire que je n’ai jamais eu le courage de lui dire en face. J’ai ma fierté, et il n’est pas commode le p’tit dragon. Sans le vouloir, elle m’a conduit jusqu’à Corentin, et plus tard, jusqu’à Scott. Quand j’y repense… Ce putain de hasard… J’ai bien fait de suivre mon instinct, de la suivre elle. La femme de ma vie, c’est elle.

 

Le lendemain, j’ai saqué Artus du lit sans ménagement en retirant son drap et en lui balançant ses fringues sur la gueule. Il m’a gratifié d’une belle grimace.

 

— Bouge tes fesses Artus, on a un rendez-vous à ne pas louper ce matin.

— De quoi tu parles ?

— T’as oublié le casting des Train Twins ?

— Quoi ? Tu plaisantes ? s’écria Artus horrifié.

— Nan ! Amène-toi, je veux voir la tête des prétendants de ces demoiselles.

— Bon dieu Matt, tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu voulais qu’on joue avec elles !

 

Artus a poussé un monstrueux soupir de soulagement en enfilant sa chemisette. Je lui ai souri. En fait, c’est précisément ce que je comptais faire, mais j’ai réalisé que ce n’était même pas possible d’en discuter avec Artus. Jessy avait un potentiel démentiel, pour moi c’était flagrant, mais Artus, lui, ne voyait qu’une gamine superficielle et pénible, avec un double démoniaque par-dessus le marché. J’étais un peu déçu.

 

C’est vrai que je mourais d’envie de la revoir pour des raisons émotionnelles dirons nous, mais mon esprit tactique restait le plus fort. Le casting sauvage de Jessy était une idée grandiose : s’il y avait des talents cachés dans ce petit coin de paradis, ils allaient sortir de leur trou. Jessy rabattait le gibier pour moi, la chasse était lancée.

 

Y avait du monde sur la scène d’impro ce matin-là, c’était impressionnant, j’étais presque jaloux. Je suis quasiment sûr que si j’avais fait la même annonce que Jessy, y aurait pas eu le tiers des candidats à la porte. Artus et moi on s’est posé sur un banc, loin de la masse et de la scène, avec deux gobelets de café. Artus a ronchonné sur le fait qu’il aurait préféré du thé, moi j’ai regretté de ne pas avoir pris du pop-corn en plus, le spectacle promettait d’être intéressant.

 

— Elle est bonne cette fille, me dit Artus à propos de la première candidate.

— Elle se débrouille, mais j’suis meilleur qu’elle au piano et elle…

— Je veux dire qu’elle est jolie. Bien sûr que tu joues mieux qu’elle, tu joues mieux que n’importe qui.

 

Ah ! Artus et les grosses poitrines, toute une saga… C’est lui qui a finalement dépucelé Maddie en terminale. Ensuite, il est venu se plaindre auprès de moi comme quoi elle avait un soutien-gorge rembourré – je l’avais dit. Il était un peu misogyne aussi. Ce n’était pas le défaut qui me dérangeait le plus ma foi, j’étais pas concerné par le problème. En fait, j’étais même content qu’il traite les femmes comme des objets, alors que moi il me considérait comme un être humain, ça me donnait de l’importance. On se console comme on peut.

 

En regardant les auditions, j’ai très vite perçu qui était vraiment Jessica : féroce, exigeante avec elle-même autant qu’avec les autres… Elle savait ce qu’elle voulait, même si elle était incapable de le verbaliser. Y’en a un qui lui a mal parlé, il s’est fait taser. Ça a fait fuir la moitié des candidats masculinistes. C’était un drôle de numéro et, ce qui m’a tout de suite plu, elle avait de l’instinct, tout comme moi. Elle triait les candidats comme je l’aurais fait, elle avait l’ouïe fine. Du coup, je n’ai pas compris pourquoi elle a refusé de prendre Corentin au final. C’était de loin le meilleur batteur qui s’était présenté devant elles.

 

Depuis mon poste d’observation, j’ai regardé les jumelles lui parler. J’sais pas ce qu’ils se sont dit, je ne l’ai jamais demandé à Coco, mais Jessy a brutalement fait volte-face et l’a planté en pleine conversation. Elle s’était barrée, comme ça, subitement. Sa sœur a été obligée de lui courir après.

 

— Attaque super-efficace et le manuel de savoir-vivre est K.O… commenta Artus.

 

J’ai souri à sa blague, mais j’avais de la peine pour le pauvre Coco. Il était perplexe, hébété même, immobile et droit comme un i. Il était vachement grand en plus, alors c’était ridicule de le voir tout seul, au milieu de nulle-part comme un couillon. J’ai donné un coup de coude à Artus avant de me lever pour le rejoindre.

 

— Salut vieux ! C’était super ta démo.

— Salut, merci… Eh mais je vous reconnais : c’est vous qui avez gagné le concours hier !

— Mate le jukebox en personne mon gars ! Tu veux venir déjeuner avec nous ?

— Aller, pourquoi pas ! Je ne crois pas que les Train Twins vont revenir me chercher.

— Je n’pense pas non plus, répliquai-je amusé.

— À mon avis, tu as échappé à une belle paire de galères, lui dit Artus.

— Peut-être, mais elles restaient mignonnes.

 

J’les ai laissé parler paires de fesses pendant un moment. Le délire de Corentin, c’était plutôt les grandes maigres. Contrairement à Artus, il aimait les femmes intelligentes, avec de la personnalité et du répondant, alors évidemment il bavait devant Jessy et Jenny. Elles auraient pu chanter comme des casseroles, il aurait quand même tenté sa chance, juste pour pécho. M’est avis que ce n’était pas le seul à s’être pointé dans cette idée ce jour-là. À croire que j’étais l’unique mâle au monde à m’intéresser vraiment au talent musical de Jessy. C’est la malédiction des jolies filles, les gens ne voient que l’emballage.

 

— J’ai adoré votre chanson hier ! nous dit Coco.

— Si tu veux, on peut te l’apprendre, déclarai-je sous le regard suspicieux d’Artus.

— Ah mais ouais, carrément !

 

Il me plaisait bien Coco. Il était souriant, extraverti, cultivé, et il maniait les baguettes comme un chef. Je parle évidemment de la batterie, pas du resto asiat’, même s’il engouffrait ses bouchées vapeur à la vitesse d’un ninja. Malgré un p’tit côté BCBG, il n’avait pas la classe d’Artus. C’était un gros bavard aussi. Il nous a raconté qu’il avait commencé la batterie à quatre ans. C’était un enfant hyperactif et ses parents voulaient le canaliser. Ça expliquait beaucoup de choses.

 

Je l’avais entendu à son accent : il était originaire de la même région que nous, il était juste venu au festival pour les vacances. Quand j’le dis que le destin m’avait à la bonne ! En plus, il nous regardait Artus et moi avec des yeux brillant d’admiration, j’trouvais ça flatteur. Corentin était le plus jeune de la bande, Artus et moi on avait vingt-et-un ans, lui il en avait tout juste dix-huit.

 

— C’est quoi ton projet pour la suite alors ?

— Je ne sais pas trop encore. Je me suis inscrit à la fac de géo pour l’année prochaine et mes potes vont déménager, alors je vais me retrouver sans groupe.

— Ah mais c’est parfait ça !

— Euh, non, c’est surtout merdique, a-t-il répliqué avec un rictus.

— J’t’assure que non : on cherche justement un batteur, ça te dirait de te joindre à nous ?

— Sérieusement ?

— Ouais ! Alors, désolé, on n’est pas aussi sexy que les Train Twins, mais j’te promets qu’on est plus sympas. Et surtout, nous on les gagne les concours !

 

Corentin a éclaté de rire. Il avait le même genre d’attitude que moi : il était ouvert et jovial, sauf que lui il l’était spontanément. Il n’avait pas à se forcer pour charmer son entourage. Je l’ai toujours envié pour ça.

 

Ma proposition l’a tout de suite emballé, mais il devait y réfléchir calmement. On a convenu de se retrouver chez nous, quelques semaines plus tard, pour en reparler. Artus est resté en retrait, il m’a laissé faire, mais j’ai bien senti qu’il m’attendait au tournant. Ça a pas loupé : quand on s’est enfin retrouvé tous les deux seuls, en fin d’aprem, il est venu râler.

 

— Tu aurais pu me consulter avant de recruter Corentin.

— Il a pas encore dit oui.

— C’est pour le principe.

— Ok désolé, mais on a besoin de s’associer avec d’autres musiciens pour avancer dans notre projet et il est excellent, tu l’as entendu comme moi.

— Oui, je sais Matt, je suis d’accord avec toi, mais tu aurais dû me demander mon avis ! s’agaçait Artus.

 

J’avais bien compris ce qu’il me reprochait, mais je tournais autour du pot pour ne pas le vexer. C’était plus fort que moi : quand j’avais une idée en tête, je devais l’appliquer et les autres avaient tendance à me ralentir, même Artus.

 

Avec un sourire sage, je lui ai lancé :

 

— Tu as confiance en moi ?

— Évidemment.

— Alors ne le prends pas mal. Je sais qu’on est partenaires et qu’on doit prendre les décisions ensemble, mais parfois quand je suis inspiré, il faut que tu me laisses écouter mon instinct. Fais-moi confiance. Je ne ferai jamais rien que tu désapprouverais.

 

Il a soupiré, il me connaissait mieux que quiconque. Il savait que j’étais malin, mes choix étaient toujours justes et pertinents, et il savait aussi que ma seule limite, c’était lui. Si j’avais vraiment écouté mon instinct jusqu’au bout, j’aurais démarché Jessy, mais j’ai préféré préserver la santé mentale d’Artus et respecter son opinion. Moi aussi je le connaissais mieux que quiconque, je savais ce qui passait et ce qui ne passait pas avec lui.

 

— D’accord. Tu veux embaucher d’autres gens à part Corentin ?

— Il nous faut un bassiste ou une deuxième guitare.

— Et tu penses à quelqu’un en particulier ou tu attends qu’une autre paire de jumelles organise un casting à l’arrache ?

— Oui, j’ai quelqu’un en tête.

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