La prophétie de la dernière sorcière - Tome 2 : Vengeance

Chapitre 4 : Asraya

3394 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/07/2022 18:22

Chapitre 4 : Asraya


Des scènes d’injustice et de violence, Elzannah en connut malheureusement trop d’autres et, chaque fois, elle prit de plein fouet les sentiments de détresse des victimes et la violence jubilatoire des agresseurs. Tout cela la contaminait dans des mélanges déstabilisants assortis d’images et de sensations physiques parfois insoutenables. Plus la jeune fille prenait conscience de son hypersensibilité et plus ses perceptions semblaient exacerbées et son père observait cela avec inquiétude. Il en vint à éviter les villages pour limiter leurs rencontres.

L’adolescente restait néanmoins en demande de tout découvrir, se repaissant de la variété des paysages. Elle adora Vieillespierres, dont l’architecture et l’ambiance contrastait totalement avec La Roseraie. Elle resta un long moment bouche bée devant la tour du dragon qu’elle ne connaissait qu’à travers les récits de son père et de Kogan. Découvrir l’immense statue d’obsidienne fut un réel émerveillement et elle se surprit à rêver d’avoir la chance de rencontrer un jour une telle créature. Elle prit d’ailleurs le temps de croquer l’édifice avant d’accepter de suivre son père dans les différentes rues menant à « La Patate Éméchée » où ils passèrent la nuit.

Griselda fut ravie de faire sa connaissance et de lui raconter comment était Kogan quand elle l’avait rencontré. Elzannah eut le cœur serré quand, le lendemain, ils passèrent devant les carcans où il avait été humilié. Elle se laissa ensuite envelopper par l’ambiance pittoresque du marché où son père rassembla les derniers éléments commandés par le roi. Il lui offrit, pour l’occasion, un très joli poignard, une ceinture de cuir ouvragée et le fourreau assorti. Ainsi armée, elle se sentait plus puissante, solide par rapport aux regards concupiscents qu’elle sentait peser sur elle et qui n’avaient pas échappés à son père.

Ce soir-là, quand il lui proposa de lui enseigner quelques gestes de parade et de défense, elle repensa aux leçons de Kogan et fut ravie de lui montrer de quoi elle était déjà capable.

– Kogan ne m’avait pas dit qu’il t’avait entraîné à te battre !

– C’est normal, je lui avais fait promettre de garder le secret.

Amoric feignit de gronder en évitant le geste vif de sa fille mais son sourire trahissait sa fierté. Elzannah fit une manœuvre qui lui permit d’esquiver l’attaque suivante d’Amoric pour se couler d’une pirouette souple jusqu’à venir placer sa dague sous la gorge de son père.

– J’ai gagné, souffla-t-elle à son oreille.

– Je comprends mieux pourquoi tu affirmais avec tant de conviction n’avoir pas peur de partir seule sur les routes. Néanmoins, tu restes une jeune femme fluette et, aussi habile sois-tu, tu ne feras pas le poids face à un individu entraîné. N’oublie jamais que la meilleure défense, c’est la fuite.

Joignant le geste à la parole, Amoric prit Elzannah par surprise en la plaquant contre son dos d’une main tout en projetant son buste vers l’avant, la soulevant de terre comme si elle ne pesait rien. La jeune fille laissa échapper un cri de surprise en basculant vers le sol, incapable de maintenir plus longtemps la dague contre la gorge paternelle. Il accompagna sa chute pour lui éviter d'atterrir rudement sur le dos puis lui tendit la main pour l’aider à se relever.

– Ne laisse jamais l’occasion à un ennemi de mettre en œuvre ce type de manœuvre. Si tu l’as à ta merci, frappe sans hésiter, ton intégrité physique et même ta vie sont en jeu.

Elzannah acquiesça gravement, ses grands yeux océan plongés dans le regard d’émeraude de son père. Amoric l’attira à lui pour la serrer contre sa large poitrine. Blottie, bercée par les battements tranquilles de son cœur, elle savoura l’intensité de son amour qui l’enveloppait en même temps que ses bras.


.oOo.


La dernière portion de trajet vers Valperdu se fit en une quinzaine de journées lumineuses et clémentes. Les nuits à l’arrière du chariot étaient bercées par une fine pluie qui faisait resplendir la végétation alentour. Les champs et les pâturages verdoyants qui entouraient Vieillespierres laissèrent progressivement place aux vignes et aux vergers, qui s’estompèrent à leur tour au profit d’espaces plus sauvages, à mesure que grandissait face à eux la Cloison, barrière naturelle qui séparait Terrenoire de Valperdu. Ils touchaient au but.

Ils arrivèrent au campement peu avant la mi-journée et furent accueillis par Audric La Poigne lui-même. Elzannah fut d’emblée saisie par son étrange regard bicolore, scrutateur et calculateur. Le roi la détailla longuement. Elle frissonna, heurtée par des images mentales bien trop réalistes à son goût de l’homme posant ses lèvres contre la peau fine de son cou. Il se ressaisit néanmoins vite et reporta alors son attention sur son père, ramenant ses pensées sur ses désirs de conquête et de gloire, dont la force de volonté imprégna un instant la jeune fille.

Cette émotion assez grisante fut vite remplacée par la crainte qui émanait de ses hommes qui arrivèrent à son appel. Tous avaient le regard fuyant de ceux qui craignent les réactions de leur supérieur. Ils s’empressèrent de s’occuper du chargement tandis que leur roi entraînait Elzannah et son père vers sa tente personnelle pour procéder au règlement.

Audric aligna consciencieusement neuf piles de dix écus d’or puis les poussa vers Amoric qui éleva un sourcil contrarié :

– Ce n’était pas ce que vous aviez indiqué, Sire.

– En effet, j’ai encore un service à vous demander, qui sera lui aussi largement récompensé. Nous discuterons des modalités demain matin, avant votre départ.

– J’imagine que je ne suis pas libre de refuser.

– On est toujours libre de ses choix, et des conséquences qui les accompagnent, mon cher Amoric. En attendant, je vous ai fait préparer une tente et vous convie à dîner, vous et votre charmante fille. Mes hommes vont mettre à profit les produits que vous nous avez fournis pour faire un petit banquet en votre honneur. D’ici-là, n'hésitez pas à prendre un peu de repos.

Si Amoric afficha l’air impassible d’un homme rompu aux âpres négociations, Elzannah ressentit clairement son irritation. Elle le suivit à travers le campement, sobre mais parfaitement organisé. Les personnes qu’ils croisaient irradiaient de lassitude et d’incertitude doublées de crainte respectueuse teintée d’admiration à l’égard de leur chef. La présence de la jeune femme agita quelques esprits qui étaient privés de compagnie féminine depuis trop longtemps et Amoric dut tenter de détourner plus d’un regard concupiscent posé sur sa fille. Il faisait rempart de sa présence, un bras posé sur ses épaules, le regard féroce, avertissement à quiconque prétendrait s’approcher de sa progéniture.

Les quelques heures de repos avant dîner furent appréciées pour leur confort après les dernières semaines sur la route. On offrit à Amoric et Elzannah de se rafraîchir dans l’espace d’eau d’ordinaire réservé au roi : une source avait été détournée à l’aide de troncs évidés, elle passait dans un chaudron chauffé par un four enterré pour terminer dans un baquet de bois. C’était le comble du luxe, tout particulièrement dans une région aussi reculée. Le gros des troupes devait se contenter de se laver à même le ruisseau, récupérant l’eau sale mais chaude de leur souverain quand elle y était rejetée, s’ils y étaient au bon moment.

Elzannah savoura la chaleur délassante du bain et prit plaisir à utiliser un des savons parfumés produits chez elle. Quand elle en sortit, toujours dissimulée par le paravent, son père lui indiqua que le roi avait fait déposer pour elle une toilette qu’il souhaitait qu’elle mette pour le dîner. Elzannah resta bouche bée devant la robe soyeuse à la couleur précisément assortie à celle de ses yeux. Mal à l’aise, bien plus habituée à porter les pantalons de ses frères, ce qu’elle avait fait pendant tout le voyage, elle voulut protester mais son père lui rappela qu’il serait très mal vu qu’elle refusât le présent de leur souverain.

La robe était curieusement parfaitement à la taille d’Elzannah. Elle flattait sa silhouette fine et longiligne et mettait en valeur le bleu profond de ses yeux. Des perles brodées en des motifs délicats venaient attirer le regard sur le joli décolleté qui mettait en valeur ses courbes féminines. La taille était marquée par une ceinture assortie. la jeune femme la remplaça néanmoins par sa ceinture de cuir avec son poignard. Elle refusait de se sentir totalement vulnérable au milieu de tous ces hommes.

Un silence se fit quand ils pénétrèrent sous la tente commune. Tous les regards s’attardèrent sur Elzannah qui se sentit terriblement vulnérable, bien qu’elle eût en partie caché son décolleté sous ses longs cheveux blond cuivré, qu’elle avait déliés. Audric lui offrit un sourire radieux :

– Je vois que mon présent vous va parfaitement, ma chère. Vous m’en voyez ravi.

– Oui, merci, rougit l’adolescente. Je suis étonnée que vous ayez ce genre de toilettes ici. Vous offrez des vêtements à toutes les femmes qui vous rendent visite ?

– Nullement, délicieuse enfant, cette robe je l’ai fait venir par corbeau aujourd’hui-même, tout spécialement pour vous. Je ne réserve ce genre d’attention qu’aux plus belles femmes à mes yeux.

Une nouvelle fois, de puissantes images à charge érotique s’imposèrent à l’adolescente mal à l’aise. Elle sentait le désir troublant du roi et sa volonté palpable de soumettre quiconque à son bon plaisir.

– N’oubliez pas que vous vous adressez à ma fille, Sire.

– Ne vous en faites pas, Amoric, je peux vous garantir qu’aucun mal ne sera fait à votre petite. Je ne lui veut que du bien. Allez, venez vous asseoir à mes côtés et dînons. J’ai faim.

Oui, Amoric connaissait Audric qui tenait toujours parole mais ne supportait aucune contradiction, sous peine de se montrer impitoyable. Son bras droit et garde du corps, Dimit n’ouvrait jamais la bouche mais était constamment prêt à abattre sa hache au moindre signe de son suzerain, si le roi ne décidait pas de régler les problèmes lui-même. Sa personnalité toute puissante et son intolérance à la frustration faisaient de lui une personne redoutable et Amoric savait qu’il devait la jouer fine pour tirer son épingle du jeu.

Elzannah aurait pu se laisser séduire par le charme du roi, donc la voix douce et chaleureuse et le charisme étaient fédérateurs, malgré la crainte qu’il provoquait chez ses sujets. Il se dégageait de lui quelque chose de magnétique, une puissance sécurisante qui invitait au lâcher prise. Néanmoins, ses émotions et ses pensées ne laissaient pas le moindre doute quant à ses intentions et la jeune fille essayait de faire bonne figure tout en se demandant comment elle allait échapper à ses projets.

Tout le repas se déroula en discussions politiques qu’Elzannah écouta d’une oreille distraite, son attention portée sur les saveurs des plats ponctuées de flashes incommodants. L’alcool coulait à flot pour la joie des soldats qui profitaient de la fête. De la musique fut jouée, des danses s’improvisèrent, Audric souriait, satisfait de la tournure des évènements. Il convia Elzannah à danser et elle ne sut refuser. Elle passa alors de bras en bras, de soldat en soldat, grisée, désorientée. Quand elle revint au roi, Amoric n’était plus là. Voyant qu’elle le cherchait du regard, Audric lui indiqua :

– Votre père était las, il est allé se reposer. Il souhaitait vous emmener avec lui mais vous sembliez tellement vous amuser que je lui ai demandé de vous permettre de rester encore. Je vous promets une soirée mémorable avant de vous ramener à votre tente, délicieuse enfant, mais d’abord dansons. Nous irons ensuite nous promener au clair de lune.

Ce n’était pas une demande. Elzannah n’avait pas plus le choix de supporter la compagnie du roi qu’Amoric ne l’avait eu de prendre congé. Il avait bien essayé de différer son départ mais Audric s’était montré inflexible, bien déterminé à passer du temps avec Elzannah sans la présence importune du père inquiet qui faisait à présent les cent pas dans sa tente gardée par deux soldats.

Cette fois, le roi garda jalousement sa partenaire de danse, la serrant fermement contre son corps musculeux tandis qu’il la faisait tournoyer dans le large espace que lui avaient dégagé ses hommes. À la fin du morceau, il raccomapgna Elzannah vers leurs places et couvrit ses épaules d’un châle douillet pour l’emmener dans la fraîcheur nocturne, ordonnant à ses hommes de continuer à s’amuser.

Le roi, bien déterminé à séduire sa jeune cavalière, la hissa sur le pommeau de Leliti, qu’il avait fait préparer. La jeune fille caressa la robe noire soyeuse et la crinière ondulée, réceptive au calme qui émanait de la jument du puissant homme. Audric lança la jument dans un galop confortable et Elzannah oublia l’espace d’un moment le danger qui la guettait, se laissant émerveiller par l’ambiance dans le défilé vers Valperdu.

L’écho des sabots ferrés de Leliti résonnait gaiement entre les parois de granit. Devant elle, la jeune fille découvrait la silhouette massive des arbres vénérables dont les feuilles se devinaient sous les rayons argentés. Certains étaient parés de fleurs blanches illuminées par la lune et dont le parfum porté par la brise nocturne venait lui chatouiller les narines. Une chouette passa en silence, silhouette fantomatique qui hulula en disparaissant dans la végétation.

Le sol, sous les pieds de Leliti, devint plus souple, amortissant les sons. Audric la fit la guida jusqu’aux habitations en cours de construction. Il fit descendre la jeune fille, la prit par la main et lui montra avec fierté ce qu’il était en train de faire construire, lui expliquant avec emphase ses projets. C’était l’enthousiasme et la passion qui prédominaient alors, le rendant étrangement touchant aux yeux d’Elzannah. Quand la colère la frappa de plein fouet à l’évocation des multiples destructions qu’avait déjà subit le camp, elle se rappela soudainement les projet du roi à son égard et ne put s’empêcher de manifester un mouvement de recul alors qu’il voulait lui saisir la main.

Le regard du roi se durcit et il se ferma comme une huître :

– Il est temps de rentrer. Votre père va s’inquiéter et j’ai encore quelque chose à vous montrer.

Son lit. Il l’imaginait nue sur son lit. C’en fut trop pour Elzannah qui tenta de se défaire de sa poigne. Audric resserra sa prise, excité par sa résistance. Elzannah feignit alors de lutter en tirant vers l’arrière alors qu’il l'entraînait vers la jument qui broutait à l’attache un peu plus loin. Au moment où il ne s’y attendait pas, elle inversa son mouvement, fonçant dans la direction même où il la tirait. Déstabilisé par la manœuvre, Audric perdit prise sur le poignet délicat et se retrouva avec son propre bras tordu dans son dos. Il éclata de rire puis jura en sentant la lame contre sa gorge.

L’instant d’après, Elzannah lui asséna un coup la tempe puis s’enfuit dans les broussailles, terrifiée d’entendre le roi, a peine sonné, se lancer à sa poursuite à travers les fourrés. La robe délicate se déchira dans les ronces, qui s’en prirent alors à sa peau fine. Le châle s’accrocha dans une branche et elle dut l’abandonner. Elle fonçait tout droit, sans stratégie, évitant les arbres et espérant simplement mettre sa rapidité au service de sa survie. Elle finit par s’immobiliser dans la nuit silencieuse, dissimulée derrière un tronc immense, dont les branches les plus basses l’invitèrent à l’escalade.

Elzannah grimpa sans un bruit vers la cime. Aucune trace du roi. Alentour tout semblait immobile. La nature retenait son souffle avec elle. Elle se blottit là où elle était et attendit.

Un long moment s’étira. Elle était saine et sauve mais perdue dans la région la plus sauvage du continent. Elle s'apprêtait à descendre pour revenir sur ses pas quand elle aperçut de la lumière. Elle se figea, intriguée. C’était une lueur dorée et dansante. Elle pensa d’abord à une torche brandie par l’homme qu’elle avait fuit mais les déplacements de la source lumineuse ne collaient pas avec cette hypothèse.

La petite flamme chaleureuse formait des arabesques autour des arbres, disparaissant dans la végétation pour réapparaître un peu plus loin. Elle ralentissait par moment pour accélérer subitement, s’élevait le long d’un tronc puis plongeait brusquement dans un tailli et recommençait son manège, se rapprochant progressivement du perchoir d’Elzannah.

– Feu follet… se surprit-elle à murmurer.

La lueur fonça alors brusquement dans sa direction, se figeant à hauteur de son visage qu’elle avait instinctivement protégé de ses bras.

– Pas vraiment. Je suis une fée en réalité.

Elzannah regarda avec émerveillement la ravissante petite femme ailée qui lui faisait face. Elle était entièrement blanche depuis sa peau diaphane jusqu'à sa chevelure immaculée, en passant par ses vêtements de dentelle en soie d’araignée. Seuls ses yeux luisaient d’un bleu froid, assorti à ses ailes irisées et démenti par son sourire chaleureux.

– Zibellule, pour te servir, reprit-elle d’une voix douce.

– Enchantée, moi c’est…

– Elzannah, je sais. Ça fait un moment que je t’attends, ma jolie. Allez, suis-moi, nous avons besoin de toi.

– Comment…

– Nous parlerons de tout ça en temps voulu, pour l’heure il faut vraiment y aller, le soleil va bientôt se lever.

L’adolescente hésita un instant, pensant tristement à son père, qui devait s’inquiéter, puis à la rage d’Audric quand elle l’avait frappé avant de s’enfuir. Elle n’avait pas vraiment le choix. Elle ne savait même pas par où était le campement et ne pourrait y retourner sans se confronter au roi. Elle descendit donc prudemment de son perchoir et suivit la petite fée à travers la végétation.

Un lac se révéla sous l’astre lunaire et Elzannah y aperçut des naïades, telles que son père les lui avait racontées. Elles sortirent de l’eau à leur approche, leurs longues chevelures vertes dissimulant leurs corps nus, et les précédèrent sous une immense arche de pierres où elles disparurent subitement sous les yeux ébahis de la jeune fille.

Elle s’avança à son tour à la suite de la fée et se retrouva subitement en plein jour, dans une moiteur étouffante. La végétation autour lui était inconnue. Tout semblait démesuré, couvert d’immenses fleurs colorées aux parfums sucrés et de fruits comme il en arrivaient parfois de Yazuli mais avec des formes et des couleurs plus extravagantes encore.

– Où sommes-nous ?

– Bienvenue à Asraya, la terre cachée des survivants de la Grande Épuration.


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