La prophétie de la dernière sorcière - Tome 2 : Vengeance

Chapitre 6 : L'esquisse d'une alliance

2763 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/08/2022 17:36

Chapitre 6 : L’esquisse d’une alliance


Le soleil était proche de son zénith quand Elzannah, Kogan et Néala émergèrent. La veille, l’adolescente avait passé un petit moment à échanger des informations avec les deux amis, buvant avidement les paroles de Kogan et retrouvant sa fascination d’enfant face à lui, avant de s’assoupir, épuisée. 

En proie au décalage horaire, le guerrier et la guérisseuse avaient passé le reste de la nuit à réfléchir à la suite des événements pour conclure à la nécessité de repartir à Midrilemi afin de secourir Amoric, qu’ils se refusaient à considérer comme mort, et Jimbo, en espérant qu’il ne se soit pas retourné contre eux. Ils avaient fini par s’abandonner au sommeil au lever du jour, blottis l’un contre l’autre sur la paillasse de la hutte mise à la disposition de Néala. 

Ils furent réveillés par Elzannah qui frappa doucement à la porte et déposa à leur intention de quoi faire un brin de toilette et se changer, les informant que le conseil s’était réuni et souhaitait leur présence. 

Après avoir revêtus les vêtement confortables et adaptés au climat, ils se confrontèrent à la chaleur du soleil. Plissant les yeux pour contrer son éblouissement, ils se dirigèrent vers le centre du village qu’ils découvraient enfin. Diverses huttes et cabanes avaient été montées au cœur de l’enceinte, au sol pour certaines, nichées dans les arbres pour d’autres. Les plus grandes l’étaient assez pour accueillir des familles entières, les plus petites, à l’instar de celle dans laquelle ils avaient passé la nuit, semblaient plus rudimentaires et davantage destinées à du stockage ou à des hôtes de passage. 

Le silence se fit à leur arrivée et on leur proposa un siège. Curieuse, Zibellule quitta aussitôt l’épaule de Sang-Lin pour demander à s’installer sur celle de Kogan qui accepta de bon cœur, amusé. Il reprit néanmoins un visage plus sérieux en annonçant sans préambule :

– Néala et Elzannah m’ont fait part des difficultés que vous rencontrez ici mais vous allez devoir vous débrouiller sans nous : nous devons retourner à Midrilemi sans tarder.

– Ici, c’est moi qui dis qui fait quoi et quand, trancha en retour Sang-Lin. Et tant que je vous en aurais pas donné l’autorisation, vous n’irez nulle part. C’est bien compris ? 

Il s’ensuivit un duel de regards silencieux entre la femme à la peau ambrée et le guerrier aux yeux bleus. Aucun ne concéda le moindre pouce de terrain à l’autre et une certaine tension s’installa dans les rangs. Les habitants d’Asraya se préparèrent à épauler leur supérieure. 

– De toute façon, il n’y a pas d’urgence, murmura Zibellule à l’oreille de Kogan.

Il eut un mouvement d’humeur à son égard, faisant mine de la balayer de son épaule.

– Au contraire ! Je dois m’assurer qu’Amoric va bien. Je dois énormément à cet homme et je ne laisserai personne se mettre en travers de mon chemin. Il esquissa un geste vers son sabre qui avait retrouvé sa place dans son dos, lié par une corde rudimentaire confectionnée à partir du linge qui lui avait été fourni la veille. 

Avant qu’il eût pu s’en saisir, il le sentit s’échapper de son fourreau et le vit s’élever dans les airs pour arriver entre les mains d’un nain au visage glabre et à la chevelure blond cendré. 

– Bel acier, apprécia Fahlil en testant le tranchant de l’arme d’un pouce averti avant de faire glisser ses doigts sur le plat de la lame. Je reconnais les runes de mon peuple. Il a été forgé dans les Montagnes Rousses ce sabre, n’est-ce pas ?

– Rendez-le moi immédiatement, gronda Kogan.

Néala et Elzannah, dans un parfait ensemble, posèrent chacune une main apaisante sur lui pour lui éviter de se lever.

– Vous le récupérerez quand je l’aurai décidé. Nous avons d’abord des choses à discuter sur comment vous allez nous aider ici. Ce qu’il se passe sur le continent attendra. De toute façon, pour ce que nous en savons, le temps y passe trois fois plus vite qu’ici. Ma grand-mère, Wilfried, le frère de Wulfur, sa compagne Kalinka et leurs compagnons, Belor et Fibrim ont compté soixante-cinq ans depuis leur arrivée. Il s’est pourtant écoulé deux siècles depuis la mort de Mina chez vous, non ?

Kogan acquiesça sèchement. Sang-Lin conclut : 

– Il s’est donc déjà écoulé plus de trente-six heures à Midrilemi depuis votre arrivée. Les dés sont jetés pour les personnes que vous avez laissées derrière vous. Vous ne pouvez rien pour elles, pour le moment.

Néala et Kogan échangèrent un regard inquiet. Amoric était vraiment mal en point quand ils l’avaient quitté. Zibellule, perçut leurs émotions et frissonna. Elle laissa passer quelques longs instants pour murmurer à l’oreille de Kogan :

– Il est en vie. Vos chemins se recroiseront. Enfin, si mes visions sont justes.

Elle laissa planer ce léger doute juste pour profiter un peu encore de leurs sentiments mais Sang-Lin avait besoin d’eux pour essayer de sauver Asraya. La cheffe reprit la parole :

– Maintenant, Néala tu vas accompagner Elzannah et Maroussia jusque chez la doyenne de notre monde, ma grand-mère, Shen-Lü. Quant à toi, Kogan, je vais te demander de me donner toutes les informations que tu as sur Midrilemi et Audric La Poigne. Si nous ne trouvons pas comment empêcher Asraya de disparaître, nous devons établir un plan pour gagner Midrilemi et y faire notre place et je n’ai aucune confiance en votre roi. 


.oOo.


Nikushi prit une profonde inspiration avant de s’engager sur la passerelle du Perle d’Ambre. Après ces semaines passées en mer, la terre ferme lui parut curieusement instable sous ses pieds. Pouvait-on avoir le mal de terre ? Il rajusta son col et enfonça ses mains dans ses poches, retrouvant avec émotion le Port des Alliés Inespérés quasiment tel qu’il l’avait quitté. Il prit note des quelques nouveaux bâtiments qui avaient été construits, attestant d’un accroissement de sa population, et de l’ambiance animée qui régnait dans le port. 

Sur le quai, il fit la queue en attendant que le quartier-maître lui remît son paiement. Ce dernier le salua d’une brève poignée de main et d’un signe de tête avant de lui tendre sa solde avec un air pincé. Le voyage avait été particulièrement calme et le marin était contrarié de verser une telle somme à quelqu'un qui n’avait rien fait d’autre que de profiter du paysage et de l’air marin. Ainsi allaient les accords mais, si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait réparti la somme pour offrir un coup à boire à ses hommes.

Sentant la réticence de l’homme à le payer, et pleinement conscient de sa contrariété, Nikushi prit le parti de lui offrir un éclatant sourire avant de se diriger résolument vers « La Mouette Rieuse » pour y prendre un repas chaud et un peu de repos. Le panneau d’affichage suspendu sur une zone abritée de la coque attira alors son attention par un croquis familier. 

Il étudia attentivement l’avis de recherche promettant une généreuse récompense à quiconque aiderait à capturer Kogan Zenido ou le dragon noir qui avaient été aperçus pour la dernière fois à Valperdu. Nikushi décrocha le document et poussa la porte de l’auberge, déterminé à contacter au plus vite l’auteur de l’annonce. 

  


.oOo.


Jimbo regarda le visage blême et perlé de sueur d’Amoric, alité à ses côtés. Le marchand n’avait toujours pas repris conscience depuis qu’il avait été ramené de Valperdu l’avant-veille, réagissant à peine aux sollicitations pour combler ses besoins primaires, et le géant blond avait été assigné à son chevet. Deux gardes postés devant la cabane, dont les fenêtres avaient été clouées, évitaient toute possibilité d’évasion. Jimbo était condamné à prendre soin de cet homme qui comptait tant pour son vieil ami et à attendre que le roi Audric ou son bras droit daignassent lui fournir quelques informations sur ce qu’il s’était passé pour Kogan et Néala qui n'avaient toujours pas reparu.

Amoric s’agita dans son inconscience et Jimbo tenta de l’apaiser, tamponnant son front brûlant à l’aide d’un linge humide. La fraîcheur sur son visage ramena l’homme aux portes de la conscience. Il papillonna des paupières avant de croiser le regard inquiet de celui qui se trouvait à son chevet. Amoric voulut parler mais sa gorge douloureuse l’en empêcha. Il souleva avec grand peine sa main pour venir toucher le pansement couvrant sa plaie au cou puis la laissa retomber, replongeant malgré lui dans la douceur cotonneuse de l’inconscience.

Audric entra à ce moment-là, faisant sursauter Jimbo. Il tira une chaise pour s’asseoir et fixa sans mot dire le géant blond et le marchand inanimé, l’air contrarié.

– Je vois qu’il n’est pas encore revenu à lui. Tant pis. Vous allez le laisser ici et me suivre. Je tiens à ce que vous voyiez ce que votre ami à fait à mon garde du corps avant que vous ne m’aidiez à le capturer.

– Kogan s’est échappé ?

– Non, il joue de la mesariya avec mes soldats pendant que sa rouquine se dandine ! Est-ce que vous pensez vraiment que je serais là à me demander comment vous allez m’aider à lui remettre la main dessus si les choses s’étaient déroulées comme je l’avais prévu ?! 

– Et pourquoi vous aiderais-je alors que vous me gardez enfermé depuis notre arrivée ?

– Parce que vous êtes un homme bon et vous ne tenez pas à ce que j’achève notre brave Amoric ici présent.

Audric pointa nonchalamment la pointe de son épée vers l’abdomen d’Amoric. Jimbo déglutit péniblement. Certes, il connaissait peu le marchand mais il avait appris à l’estimer. De plus, il savait combien il comptait pour Kogan et connaissait la nature impitoyable du roi. Aucun doute sur le fait qu’il mettrait ses menaces à exécution, s’il ne lui obéissait pas. Il sentit ses mâchoires se crisper et ses entrailles se nouer en réalisant qu’il allait à nouveau devoir trahir son ami d'enfance. 


.oOo.


Dimit ouvrit péniblement les yeux en entendant la porte s’ouvrir. La douleur épouvantable pulsait sur tout l’arrière de son corps qui avait été enduit de baumes gras et laissé à l’air libre pour lui épargner le moindre contact. La fièvre lui arrachait des tremblements incoercibles qui accentuaient ses souffrances. Souvent, il appelait la mort de ses vœux et pourtant il luttait. Il luttait parce que sa mission n’était pas terminée. Il devait encore vivre pour voir Audric atteindre ses objectifs. Là enfin, il pourrait s’autoriser au repos éternel.

Jimbo eut un haut-le-cœur en découvrant la chair calcinée et à vif de l’homme. L’odeur qui régnait dans la pièce était épouvantable, relents de viande brûlée et de plantes médicinales. Une vieille femme édentée assise dans un coin les fixait de ses yeux pointus. Elle interpella le roi :

– Je t’ai dit qu’il a besoin de repos. Il ne va pas s’en remettre si tu viens sans cesse le tirer du sommeil et c’est pas un cabinet de curiosité ici. M’as-tu au moins apporté les plantes que je t’ai demandées ?

Audric La Poigne hocha la tête et lui tendit le sac de toile qu’il avait récupéré auprès d’un soldat avant d’entrer. Il la regarda évaluer le contenu et claquer sèchement la langue sur son palais.

– Ils sont allés chercher ça du mauvais côté de La Cloison. C’est défraîchi, ça a pris le gel. Envoie tes hommes à Valperdu. Si tu veux que ton ami survive, il faut te donner les moyens de le soulager. J’en ai vu supplier qu’on les achève pour moins que ça. 

Le roi serra les dents et fusilla la vieille du regard. 

– Où est passé le médecin que tu es venue assister ?

– Je l’ai renvoyé dans ses quartiers. Tu m’as fait venir, sache que par habitude je travaille seule et n’accepte aucune contestation. Je ne tolérerais sa présence que s’il se soumet à mes ordres et il ne semblait pas décidé à le faire. 

– J’ai pleinement confiance en ses compétences, il me les a prouvées à plusieurs reprises.

– Tu parles, le lait lui sort encore du nez. Quand il aura atteint mon niveau d'expérience, il pourra prétendre avoir voix au chapitre. Mais si tu préfères, je m’en vais et tu lui confies le rétablissement de ton ami.

– Non, non, fais comme tu le sens mais s’il meurt… tu regretteras d’être encore en vie.

La vieille éclata de rire en écho à sa menace.

– Allez, mon petit. Va chercher les plantes que je t’ai demandées et laisse-moi travailler. J’ai plus sérieux à faire que de m’inquiéter de la mort. Elle marche à mes côtés depuis bien longtemps.

Le roi sursauta, serra les poings et tourna les talons. Une fois à l’extérieur il gronda à l’égard de Jimbo :

– Qu’elle se marre la vieille bique. Quand je n’aurai plus besoin de ses services elle rira beaucoup moins ! On verra si elle s’amuse encore à me donner du « mon petit » dans la salle des supplices.

Des gouttes glacées coulèrent le long de l’échine de Jimbo. Il déglutit avec peine en devinant le type de calvaires qu’était en train d’imaginer l’homme marchant à ses côtés. Un croassement sinistre le sortit de ses sombres pensées. Audric leva son poing ganté et le corbeau se posa aussitôt, laissant son maître détacher la missive.

Les traits tirés et contrariés laissèrent progressivement place à un regard déterminé accompagné d’un léger sourire. Audric se tourna vers Jimbo :

– Récupère un cheval et des vivres auprès du soldat en faction au Nord. Tiens, voilà les croquis des plantes réclamées par la vieille et un laissez-passer. Va à Valperdu et fait le nécessaire. Je te veux de retour demain avant le que le soleil n’arrive à son point culminant. Amoric paiera pour le moindre retard, tu m’as bien compris ? 

Jimbo acquiesça et Audric le regarda s’éloigner d’un pas alerte. Il repartit aussitôt vers ses quartiers et écrivit ses ordres avant de les faire partir par corbeaux. Un certain Nikushi, qui venait de Yazuli et se disait expert en traque et abattage de grands reptiles, lui proposait ses services. Pour le faire venir jusqu’à lui le plus rapidement possible, Audric ordonna qu’on lui fournisse des chevaux frais gratuitement à chaque lieu de repos et qu’on lui mette à disposition des vivres et tout moyen de transport pouvant accélérer son voyage. Cela devrait lui permettre de traverser les comtés en quelques semaines. 

Se renversant dans son fauteuil après l’envol du dernier volatile ténébreux, Audric se frotta les mains d’un air réjoui. Kogan ne perdait rien pour attendre. Bientôt il le débusquerait et l’asservirait, avec Jimbo et Amoric comme garanties de sa bonne volonté. Fermant les yeux, le roi rêva, une fois encore, qu’il survolait le continent à dos de dragon, sous les yeux émerveillés et soumis de ses sujets.



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