La prophétie de la dernière sorcière - Tome 2 : Vengeance

Chapitre 19 : L'évasion

4106 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/04/2023 18:12

Chapitre 19 : L'évasion 


Kogan fonçait à travers la forêt. Des branches le cinglaient au passage mais il s’en fichait. Il avait hâte d’avoir les informations et de repartir en guerre. Elzannah n’avait pas tort sur ce point, il avait soif de sang et son rejet avait rendu cette soif encore plus impérieuse. Tous devaient souffrir et périr pour ce qu’ils lui avaient fait subir. Freya bondissait joyeusement à ses côtés, grisée par la course qu’elle prenait comme un jeu. Les jumeaux haussèrent les épaules de concert en le voyant s’éloigner. Ils se contentèrent d’allonger légèrement le pas. Ils avaient fait ce qu’ils avaient à faire.  

Sang-Lin et Zibellule sursautèrent quand Kogan fit irruption dans la pièce où elles réfléchissaient ensemble aux dernières informations. Il tira un billot de bois et s’assit sans y être invité, fixant durement la femme à la peau cuivrée. La petite fée frémit en sentant sa rage et sa peine.

– J’allais intercepter les éléments du piège mais j’ai été interrompu pour revenir ici. J’espère que c’est important.

La cheffe des Asrayens fit un signe de tête vers la petite fée albinos qui prit la parole :

– Justement, c’est à propos du piège. Quand j’ai assisté à la réunion d’Audric avec ses hommes, il disait vouloir le placer dans la clairière à proximité de l’arche. Mes visions m’informent du contraire. Tout va se jouer à l’extérieur de La Cloison. Il va y avoir une grande bataille. J’ai vu bien plus d’hommes qu’Audric n’en a au camp. Ça ne sera pas beau à voir.

Kogan vit ses ailes frissonner.

– Nous sommes en train de préparer une riposte et Nawa va essayer de rallier les nains à notre cause, indiqua Sang-Lin.

– J’ai vu ta fin, Kogan. Tu vas affronter plus fort que toi. Ce sera un combat à mort.

– Sauf qu’Audric me veut vivant.

– C’est vrai. Mais ce n’est pas lui que tu affronteras.

Kogan haussa les épaules avec désinvolture et la petite fée laissa échapper une grimace en percevant sa jubilation à la perspective d’un combat difficile.

– Tant mieux. Ça me changera de massacrer des agneaux. Il y a bien longtemps que je n’ai pas affronté un adversaire digne de ce nom. Et si je dois mourir ainsi, ce sera avec honneur. Je n’ai plus grand chose à perdre, ajouta-t-il avec amertume en repensant aux paroles d’Elzannah. 

– Tu sembles oublier qu’Audric garde tes amis en otage, renchérit la fée albinos.

– J’ai bien l’intention de les délivrer et de tuer Audric par la même occasion. Que les choses soient claires, j’ai bien l’intention de faire mentir tes visions, Zibellule. Je ne suis pas encore arrivée au bout de ma vengeance et bientôt commencera avec moi une ère où régnera une Justice implacable. J’en fais le serment.

Sang-Lin émit un petit râclement de gorge. Kogan choisit d’ignorer son air pincé.

– Je prends des provisions et je vais de ce pas terminer ce que j’ai commencé. On se retrouvera à Terrenoire, délcara-t-il en se levant.

Il les salua d’un bref signe de tête et sortit, bousculant les jumeaux en passant entre eux alors qu’ils venaient faire leur rapport. Zibellule quitta l’épaule de Sang-Lin et fonça vers Kogan :

– Je t’accompagne, annonça-t-elle. Mes visions pourront t’être utiles. J’aimerai beaucoup découvrir ton monde d’après, donc si je peux t’éviter de mourir…

Il ne protesta pas et la laissa se nicher dans son col. 

Derrière eux, Sang-Lin venait de réagir, elle interpela Kogan avant qu’il ne s’éloigne vers les réserves.

– Je veux que tu emmènes Maroussia avec toi. Elle te sera utile pour soigner Néala quand tu la retrouveras. Pour ce que nous en a dit Zibellule, elle est encore très affaiblie par ses blessures.

Kogan serra rageusement les poings à la mention des souffrance de son amie. Il était responsable de ça. La guérisseuse allait le ralentir, c’était certain, mais la cheffe des asrayens avait raison, Néala le ralentirait encore plus et serait plus difficile à protéger si la douleur l’empêchait d’avancer. 

– Très bien, mais qu’elle se prépare vite. Je n’ai pas de temps à perdre.

Il rassembla des vivres et trépigna d’impatience le temps que la femme brune le rejoigne. Quand tout fut enfin prêt, il siffla Freya qui attendait hors du village et tous quatre partirent en direction du défilé.


.oOo.  


Les poneys trottaient vaillamment, tirant les deux attelages contenant les éléments du piège. Sur le banc de conducteur de tête, Gromgur restait concentré pour guider les équidés. Son cousin, Gromki, restait dans son sillage, regardant craintivement les paysages de part et d’autre. Les hommes d’Audric ouvraient la marche à cheval et les nains ne voulaient pas les perdre de vue. Tous étaient inquiets depuis qu’ils avaient croisé le tableau macabre des soldats massacrés.

À l’arrière du chariot de Gromki, une petite tête hirsute émergea de sous la bâche, jeta un œil rapide puis disparut tout aussi vite. 

– Alors ? chuchota Karmina.

– Toujours dans la forêt, répondit Ignil. J’ai cru apercevoir le reflet du lac mais je suis pas sûr.

– Je savais que c’était pas une bonne idée, maugréa Maugs.

Il émit une plainte quand un cahot plus prononcé lui fit se cogner la tête.

– Je pensais qu’ils allaient faire une pause mais depuis qu’on les a entendu parler de cadavres, il déglutit bruyamment, ils n’ont fait qu’accélerer. Il faut qu’on trouve le moyen de descendre.

– Oui, si on se fait prendre ici, on va passer un sale quart d’heure, renchérit Karmina. En plus, on pourra pas expliquer aux asrayens comment désactiver le piège, si on ne les rejoint pas. 

– Si un jours nos parents apprennent qu’on a fait ça…

Maugs roula des yeux effrayés.

– On doit le faire. Le Roi est un mauvais homme, je le sais. Et les gentils c’est les asrayens. Elles ont toujours été sympa avec nous Nawa, Manon et Elzannah. On peut pas les laisser tomber.

– Chu d’accord avec toi, renchérit Karmina.

Les trois jeunes nains échangèrent un regard en sentant l’attelage ralentir. Ignil jeta un oeil dehors et indiqua :

– C’est plein de branches, de cendres et d’arbres noircis qui encombrent la route. Ça les oblige à aller moins vite. 

En tête, les hommes d’Audric houspillèrent les nains. 

– C’est pas le moment de ralentir la cadence, le plan à changé, nous devons traverser le défilé au plus tôt.

– Nous faisons aussi vite que nous pouvons vu l’état de la route. C’est le dragon qui a fait ça ?

– Ça se pourrait. En tous cas, c’est pas le moment de discutailler !

Karmina, Ignil et Maugs hochèrent la tête. C’était le moment de filer. Ils attrapèrent leur sac de toile et sautèrent en marche, roulant maladroitement sur le sol de terre battue. Maugs rouleboula jusque dans un bouquet de jeunes orties et se retint de pousser un cri. Tous trois se hatèrent de se dandiner jusque dans les fourets. Ils regardèrent les attelages s’éloigner et laissèrent échapper un soupir. Maintenant il s’agissait de trouver le Village Caché des Asrayens.


.oOo.


Au camp reculé, Audric se réjouissait de voir ses plans se concrétiser. Les pièces pour le piège étaient arrivées au camp reculé depuis peu et s’apprêtaient à repartir vers Terrenoire pour leur installation, dès que les nains auraient pris un minimum de repos. Les poneys et les chevaux, fatigués par la course, tiraient profit d’une litière de paille et d’une copieuse ration de foin. Le matériel avait été transféré dans un chariot plus volumineux appartenant à l’armée du roi et des chevaux frais avaient été attelés. 

Gromki et Gromgur étaient attablés devant Pratt qui était une fois encore missionné pour les repas. Il leur avait servi une copieuse plâtrée de purée de légumineuses accompagnée d’un bock de bière, de pain et de fromage. Les deux frères étaient dubitatifs quant à la qualité du plat mais appréciaient l’attitude chaleureuse de l’homme, ils prenaient donc leur temps pour déguster, la route avait été longue et il leur restait encore du travail à accomplir avant le coucher du soleil. 

– Alors comme ça, vous nous amenez de quoi capturer l’dragon ? s’enquit l’homme.

Gromgur hocha la tête.

– On s’est contenté de suivre les plan d’un gars de chez vous et d’y mettre notre petite touche personnelle. 

– Votre touche personnelle ?

– Votre roi souhaite garder le dragon sous son pouvoir, n’est-ce pas ? Et bien nous avons créé un objet qui lui en donnera le pouvoir. Une fois que le dragon sera immobilisé dans le piège, le roi n’aura plus qu’à lui passer le collier. Un bracelet à taille humaine fonctionne en connexion avec cet objet unique. Celui qui le portera pourra contrôler le dragon. C’est aussi simple que ça.

– Simple, c’est vite dit, grommela Gromdur, c’est pas toi qui en a gravé les runes. D’ailleurs, nous n’avons pas eu l’occasion de vérifier leur efficacité. 

– En tous cas on la connaît en ce qui concerne les médaillons des Zenido.

– Les médaillons des Zenido ?

Les nains se retournèrent d’un bloc en entendant la voix d’Audric La Poigne derrière eux. Il se joignit à leur tablée.

– Mais je vous en prie, continuez, cette conversation m’a l’air très intéressante. 

– Mon frère expliquait à votre homme que nous avions utilisé des runes anciennes pour renforcer le piège et créer deux objets de pouvoir : un collier que vous pourrez passer au cou du dragon et ce bracelet qui vous permettra de le contrôler.

Gromki tendit au roi un large bracelet argenté sur lequel était finement gravé un dragon. Son corps sinueux s’enroulait autour du bijou et à l’intérieur Audric reconnut des symboles comparables à ceux ornant l’arche de pierre. Ses yeux vairons laissèrent percevoir un éclair de satisfaction.

– Bel objet, sourit Audric en le passant à son poignet. Je vais le garder sur moi, si ça ne vous dérange pas.

– Bien entendu, Sire.

– Je vais également vous enjoindre à accélérer le mouvement. Ce piège ne va pas se poser tout seul.  

– Cela va de soi, Sire.

– Fort bien. Je vous laisse terminer votre repas. Tout est prêt, mes hommes vous attendent.

Audric repartit aussitôt et les nains se regardèrent. Gromgur murmura à l’oreille de Gromki :

– J’avais oublié à quel point il était impressionnant.

– Oui, il fait froid dans le dos. J’espère que notre peuple ne commet pas une erreur en s'associant à lui…

– Il a toujours voulu l’exclusivité.

– Mieux vaudrait qu’il ne l’obtienne jamais. Allez, plus vite nous en aurons fini avec cette histoire, plus vite nous pourrons rentrer chez nous. Il y a de la menace dans l’air, ça ne me dit rien qui vaille.

Ils hochèrent la tête et engloutirent en quelques coups de cuillère ce qu’il leur restait à manger.


.oOo.



Quelqu’un frappa discrètement à la porte de la cabane de Nikushi et Néala. L’homme bondit sur ses pieds et alla ouvrir au soldat. Il le rejoignit dehors, fermant délicatement la porte pour ne pas réveiller sa compagne de chambrée. Torse nu, il frissonna dans la brise nocturne qui vint le caresser.

– Le roi vous fait dire que tout est en place. Les chevaux des prisonniers sont prêts, le piège installé, partez avant le lever du jour, au moment du changement de quart, nous nous arrangerons pour laisser champ libre afin qu’ils ne se doutent de rien, lui chuchota l’homme avant de tourner les talons et de s’en aller. 

Nikushi leva les yeux vers le ciel pour estimer le temps qu’il leur restait avant le départ. Il doutait de pouvoir se rendormir : le moment qu’il attendait depuis des années était sur le point d’arriver. Il rouvrit la porte en douceur, Néala ronflait légèrement. Il prit le temps de se vêtir puis repartit dans la nuit. 

L’information avait circulé. Les soldats que Nikushi croisa lui firent un signe de tête en le laissant passer à travers le camp endormi. Ils avaient l’air lasses et stressés. Eux aussi sentaient les affrontements proches et, au vu des escarmouches dévastatrices à Valperdu, ils n’avaient pas hâte du tout de se frotter à nouveau aux démons. 

Il salua le garde en faction devant la geôle d’Amoric et Jimbo et l’homme s’eclipsa, content de pouvoir dormir quelques heures de plus. Nikushi entra sans frapper et avança à pas de loup dans la pièce. Amoric, qui avait l’habitude de ne dormir que d'un œil se redressa sur son lit, prêt à se battre, si nécessaire. Il s’apaisa en reconnaissant l’homme qui prenait soin de Néala et tendit le bras pour réveiller Jimbo qui émergea en sursaut :

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

Amoric lui fit signe de se retourner et il découvrit la silhouette de Nikushi révélée par les flammes dansantes du feu mourant.

 – Vous partirez peu avant l’aube. J’ai préparé des chevaux et des vivres qui nous attendent aux écuries. Quand sonnera le changement de quart, vous vous faufilerez dehors et irez m’attendre là-bas, je me suis occupé du soldat qui gardait votre porte. Tenez, enfilez ces uniformes, vous passerez inaperçus. Vous avez un peu de temps pour vous changer et rassembler vos effets, bientôt vous serez libres et Néala aussi. Je me charge d’elle.

– Tiyani ?

– Hmm ?

– Merci pour ce que vous faites pour nous…

– Je dois la vie à Néala. C’est le moins que je puisse faire…


Néala dormait encore profondément quand Nikushi la rejoignit. Elle rêvait qu’elle était de retour à Boismoussu, entourée des bras protecteurs de sa mère et sa grand-mère. Elle se sentait heureuse, choyée. Elle ne comprit pas pourquoi sa mère répétait son prénom avec insistance en la secouant doucement par l’épaule. Elle secoua la tête puis ouvrit les yeux pour plonger un instant dans le regard vert de son geôlier. Elle n’était pas à la maison. Elle était toujours blessée, prisonnière et exilée. Des larmes amères coulèrent sur ses joues et elle les essuya rageusement en entendant la voix de Kogan la railler intérieurement. Elle n’avait pas le droit d’être faible.

– Est-ce que ça va ? hasarda Nikushi.

– Pas le choix. Pourquoi m’avoir tirée de mon rêve ?

– Il faut vous lever et vous préparer. Le moment est venu de partir. Jimbo et Amoric vous attendent à l’écurie. Il faut faire vite.

Le cœur de Néala s’emballa. Elle fit ce qu’il lui demandait et il se tourna pour lui laisser la possibilité de passer les vêtements qu’il lui avait apportés en toute intimité. La tenue de soldat était un peu démesurée aussi l’aida-t-il a en retrousser les braies et les manches. Il lui rendit ses affaires qu’il avait récupérées. Il fouilla sa poche et lui tendit un dernier objet. Néala leva sur lui des yeux surpris.

– Je le croyais perdu. C’est donc vous qui l’aviez…

– Oui. Quand je l’ai découvert à votre cou le jour où vous avez été blessée, je me suis dit que c’était un objet important et ai préféré le faire disparaître.

– Pour quelle raison ?

– Je l’ignore, avoua Nikushi. Je ne voulais juste pas qu’il tombe aux mains d’Audric. 

– C’est une bonne chose que vous ayez empêché ça, murmura-t-elle en passant le lien de cuir et son rubis enchassé autour de son cou. 

Elle fit disparaître la pierre précieuse, clef de la crypte des Zenido, dans son décolleté et apprécia de la sentir à nouveau nichée en sécurité. Elle s’enveloppa dans une cape et dissimula dessous sa sacoche de guérisseuse contenant ses effets.

– Vous êtes prête ? Suivez-moi et ne dites rien. 

Il ouvrit la porte et sortit dans la nuit pâlissante. Elle lui emboîta le pas et serra les paupières quand il assomma le soldat en faction devant sa prison. Elle retint une question, s’inquiétant qu’il ait des ennuis avec sa hiérarchie.

Ils traversèrent le camp aussi rapidement que le lui permettait la faiblesse de ses jambes et les douleurs de son dos. Elle serrait les dents pour ne rien laisser paraître mais il n’était pas dupe et prenait soin de ne pas aller trop vite pour elle. Il savait pertinemment qu’elle aurait eu besoin de quelques semaines de plus mais ils ne les avaient pas.

Audric lui avait accordé quelques dommages collatéraux au sein du camp. Néala, Amoric et Jimbo ne devaient pas se douter que tout était orchestré et assommer ou blesser quelques collègues était un moyen efficace de le leur cacher. Il choisit néanmoins de zigzaguer entre les rondes jusqu’à l’écurie, y entrant en silence. Elle semblait vide. Seuls les chevaux laissaient entendre leurs mâchonnements. Trois bêtes étaient à l’attache, sellées, et bridées. L’une d’entre elles gratta nerveusement le sol de son sabot et Néala lui flatta l’encolure en fredonnant pour l’apaiser. 

Reconnaissant sa voix douce, Jimbo laissa apparaître son visage encadré de ses boucles blondes. Son sourire s’épanouit quand il croisa le regard de la femme. Amoric le suivit hors du box où ils s’étaient cachés. Ils vinrent se positionner de part et d’autre de Néala, lui offrant un peu de chaleur humaine. 

– Ça fait plaisir de te voir, souffla Jimbo. On s’est inquiétés pour toi. 

– C’est pour Kogan que je m’inquiète…

– Pourquoi donc ?

– Zibellule ne vous a pas parlé du piège ?

Amoric fit un signe de dénégation et Jimbo indiqua :

– Nous ne l’avons pas revue avant son départ. 

– Elle a dû rapporter à Kogan qu’un piège qui lui est destiné sera dressé à proximité de l’Arche et que vous servirez d’appât, soupira Nikushi, l’air préoccupé. 

– Et le connaissant, il va se jeter dans la gueule du loup pour nous protéger, murmura Néala.

– Sauf qu’on ne sera plus aux mains d’Audric.

– Chose qu’il ignore, fit remarquer Nikushi.

Amoric signa à Jimbo qu’il fallait le prévenir sans tarder et le géant blond traduisit sa remarque et ajouta :

– Partez vers Terrenoire et Vieillespierres. Je me charge de prévenir Kogan et les asrayens.

Le marchand jeta un regard hésitant vers Néala, son instinct lui disait que c’était une mauvaise idée de laisser Jimbo prendre des risques seul mais il ne se voyait pas la laisser, affaiblie comme elle était, sans protection. Nikushi saisit l’occasion au vol et se proposa de les accompagner :

– C’est le moment pour moi de quitter notre bon roi. Filez ensemble vers l’Est à la rencontre de Kogan et je me charge de mettre Néala en sécurité.

– Pourquoi faites vous tout ça pour moi ?

– Je vous le répète encore, j’ai une dette envers vous et ma loyauté ne va que là où me portent mes intérêts. J’ai, de toute façon, déjà trahi Audric en neutralisant plusieurs de ses hommes, cette nuit. Je ne suis plus en sécurité ici. Trêve de bavardages, il est temps de partir avant que l’alerte ne soit lancée. 

Il flotta un instant d’hésitation avant qu’Amoric et Jimbo acquiescent et se mettent à cheval. Nikushi aida Néala à se mettre en selle. Il rebroussa chemin et fit mine d’aller chercher ses affaires qu’il avait en fait déjà préparées. Comme convenu, le soldat en faction ferma les yeux sur son passage. Nikushi revint bientôt avec son paquetage et ses armes dont une lame semblable à celle de Kogan, vestige de leurs années de formation aux côtés d’Aïmiro.

– La voie est libre, indiqua-t-il en revenant dans l’écurie. 

Il prit la jument alezane de Néala par la bride et l’entraîna derrière lui, suivi des deux autres chevaux et de leurs cavaliers. Ils traversèrent le camp en silence, le bruit des sabots étant étouffé par les linges qu’il avait pris soin de mettre autour de leurs pieds. Ils étaient sur le point de se séparer aux abords du défilé quand un soldat brandissant une torche se manifesta hors du campement :

– Qu’est-ce que vous faites avec les prisonniers ?

Nikushi lâcha la bride et marcha vers l’homme, un sourire confiant aux lèvres. Il sortit nonchalamment son poignard de son étui et l’enfonça dans le ventre du soldat étonné. Alors qu’il accompagnait l’individu dans sa chute jusqu’au sol, il lui murmura à l’oreille :

– Chuttt, ça va aller, tu vas juste mourir tranquillement. Notre bon roi a eu vent de tes projets de désertion et, plutôt que de te châtier en public, il t’a choisi pour renforcer ma couverture, c’est bien pour tout le monde, non ?

L’homme vaincu se tût et Nikushi revint vers Néala pour monter derrière elle. Il la cala contre son torse et mit la jument au pas. Tous deux saluèrent Amoric et Jimbo qui partaient dans le sens inverse puis s’éloignèrent vers les grandes étendues du comté de Terrenoire. 

Néala se laissa bercer par le sentiment de sécurité prodigué par la présence de Nikushi et le roulis du galop puissant de la jument. Le paysage prenait vie sous les rayons du soleil levant et elle se réjouissait de la sensation d’espace et de liberté après ces mois passés enfermée entre quatre murs. Des oiseaux s’envolèrent à leur approche et elle laissa son regard se perdre dans le ciel encore piqué d’étoiles. L’air sentait bon le frais et les fleurs à peine écloses. Un cri de joie jaillit de sa gorge et Nikushi se surprit à y faire écho. Son cœur se gonfla de gratitude et de joie, émotions qu’il connaissait peu finalement. Il serra la jeune femme plus fermement contre lui, savourant sa proximité et s’enivrant du parfum de ses cheveux. À ce moment précis, ses désirs de vengeance sur Kogan n’étaient plus qu’un détail insignifiant. Il était tout simplement heureux. 



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