Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 11 : L'amour est un cadeau

2475 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/11/2023 12:29

Chapitre 11

ooOoo L'amour est un cadeau ooOoo


Au-delà de l’appréhension sourde qu’il avait de révéler ses préférences amoureuses et sexuelles à ses parents, Cyril gardait depuis longtemps dans un coin de sa tête l’incertitude de cette identité qu’il était en train de se forger. Et s’il n’était pas homosexuel ? Et s’il avait juste eu une curiosité pour un garçon qui ressemblait à une fille, justement parce qu’il ressemblait à une fille ? En embrassant Matthieu, il avait acquis la certitude que ce n’était pas qu’une passade. Il aimait vraiment les garçons. Il pouvait donc l’avouer à ceux en qui il avait confiance… La liste était courte. Elle ne comportait que deux noms.

À l’heure du diner, son estomac faisait grève et menaçait le reste de son corps : « si tu avales un truc, je le rejetterai aussitôt. Te voilà averti, espèce de grand stressé ! » Ses parents étaient habitués à repérer les vrais troubles de Cyril derrière sa mine renfrognée quotidienne. Ce soir-là, les signaux étaient très forts.

— Comment s’est passée ta journée ? demanda finalement sa mère assise à sa droite, tout en reposant les couverts à crudités dans le saladier désormais vide.

— Bien…

— Tu t’inquiètes pour tes examens ?

— Non, pas vraiment, enfin, un peu, mais ça va.

— Tes copains vont bien ? Alexandre ne s’est pas fait molester récemment ? J’ai entendu dire qu’il y avait eu pas mal de problèmes avec Eden Fallon.

— Ça va… Ça va…

— Arrête de le bombarder de questions, il n’a même pas le temps de manger, grommela Tim.

Poehina foudroya son mari du regard, il regrettait déjà d’être intervenu. Il aurait bien volontiers déclaré que les tentatives de sa conjointe pour tirer les vers du nez de Cyril étaient vouées à l’échec. S’il n’était pas mûr pour le faire, rien ne sortirait de sa bouche. Mais évidemment, il ne pouvait pas parler aussi franchement devant le principal intéressé.

— Excuse-moi d’essayer de communiquer avec mon fils que je vois à peine trois heures par jour, grand maximum, cingla Poehina sur la défensive.

— Poe, n’utilise pas ton taf pour nous faire culpabiliser.

 — Tu as un sacré culot de me dire ça.

— C’est juste que…

— Tu travailles à la maison, toi. Tu es là quand il prend son petit-déjeuner, tu l’accueilles quand il rentre de l’école, tu joues avec lui, et moi quoi ? J’ai juste le droit de me taire après avoir mis du pain sur la table ? Tu es au courant que l’esclavage a été aboli, Missié ?

Tim se vouta sur son fauteuil, mi-agacé, mi-honteux. Son épouse avait raison, dans l’absolu, mais elle manquait de diplomatie dans ses approches. Le côté brut de décoffrage de Cyk, il le tenait d’elle.

— Écoute, Poe. T’es fatiguée, moi aussi. Peut-être que Cyk aussi n’a simplement pas envie de parler de…

Cyril coupa brusquement la parole à ses parents.

— Je suis gay.

Je l’ai vraiment dit à voix haute ?

Cyk sentait la chaleur lui brûler les joues, il devait ressembler à une grosse tomate flétrie. Il osait à peine regarder ses parents, accordant plutôt son attention à la poivrière.

— Excuse-moi mon chéri, je n’ai pas compris. Qu’est-ce que tu as dit ?

Cyril releva vivement la tête.

Ah non, c’est pas vrai ! Elle n’a vraiment pas entendu ?

L’adolescent était trop perturbé pour analyser l’intonation de sa mère. Elle l’avait parfaitement bien entendu, mais elle doutait de ses oreilles. Le choc de la révélation était violent.

— Je… Je suis homosexuel. J’aime les garçons.

Le visage de sa mère se décomposa. Cyril avait l’horrible impression qu’il venait de lui annoncer qu’on lui avait diagnostiqué une terrible maladie, plus terrible que celle de Tim. Le cœur étranglé, il chercha du regard le soutien de son père, mais ce dernier s’obstinait à fixer son assiette sale. Le silence lourd qui régnait dans la pièce fut le plus abominable de sa vie.

Par pitié, dites quelque chose. S’il vous plaît…

— Tant mieux, lâcha brutalement Tim.

Cyk écarquilla les yeux, sa perplexité recouvrant l’espace d’un instant son angoisse sourde.

Tant mieux ?

— Quoi ? firent à tour de rôle Cyk et sa mère.

— Je ne veux pas que tu refiles ma saloperie à des pauvres gosses. Je croise déjà les doigts tous les jours pour que toi tu sois épargné.

— Mais… Mais je suppose que les… les homosexuels ont aussi des enfants, non ? Avec la… La GPA ou la PMA, ces trucs-là, ou… Ou les mariages arrangés ?

Sa mère semblait perdue. Même s’il n’y avait aucun réel sentiment de rejet de sa part, Cyril sentait qu’elle était en train de céder à la panique.

— Hein, Cyk ? Tu veux quand même avoir des enfants ?

— Euh, j’ai quatorze ans. Je ne sais même pas ce que je veux faire comme métier.

— Tu l’as dit à quelqu’un d’autre ? Qui est au courant ?

Qu’est-ce qui te fait si peur, maman ? Ne pas avoir de petits-enfants ? Que je me fasse harceler à l’école ? Que les voisins nous traitent comme des pestiférés ?

— Personne, juste… En fait, je vous en parle parce que j’ai un petit ami et…

— Qui ça ? s’empressa de demander sa mère.

Sans déconner, t’as peur que je te ramène un vieux vicelard ou un punk ou quoi ?

— Un gars de ma classe, Théo.

— Tu parles de Théo Rivoli ?

— Ouais, c’est lui.

Ça n’a pas l’air de t’étonner. Forcément, tout le monde raconte qu’il est gay depuis qu’il a huit ans.

— Il n’est pas très fiable… finit par ronchonner Poehina.

— Je voudrais l’inviter ici pendant les vacances.

Un nouveau silence de plomb lui répondit.

Depuis la première visite de Théo, aucun copain de Cyril n’était venu à l’appartement, pas même Alex. Cyril le taciturne n’invitait jamais personne. Ses parents s’en inquiétaient. Ils auraient dû être rassurés de le voir sortir avec quelqu’un et réclamer sa présence. Cependant, Poehina était trop abasourdie par l’annonce de son fils pour se réjouir de cette preuve de sociabilité.

— Vous êtes d’accord ? reprit Cyril, convaincu d’avoir perdu ses parents en cours de dialogue.

Sa mère émit un début de bégaiement.

— Euh… Eh bien… Tu… Euh…

— Ouais, bien sûr, répondit simplement Tim, au plus grand soulagement de Cyk.

— Merci... Est-ce que je peux aller dans ma chambre maintenant ?

Son assiette était encore pleine, mais il savait qu’aucun de ses parents ne l’obligerait à la terminer.

— Oh… Oui…

Cyril se leva et ses jambes flageolèrent. Il pensait avoir plus de force que ça. Il passa derrière sa mère. S’immobilisa. Se retourna. Se pencha vers elle et enroula ses bras autour de ses épaules. Poehina ne s’y attendait pas. Elle ne s’attendait pas non plus à sentir des larmes lui monter aux yeux.

Le lien entre les êtres humains est une chose étrange. Ils oublient bien souvent ce qu’il leur reste du règne animal et leur capacité à ressentir. Sans besoin de mot, sans besoin de champ visuel, sans besoin de son, même le toucher est superflus : une mère sent la détresse de son fils. Elle posa ses mains sur les avant-bras de son garçon en train de lui écraser les clavicules.

— Tout va bien, Cyril… Tout va bien mon trésor… On est là…

Les paupières écrasées pour retenir ses propres sanglots, Cyk ne vit pas son père approcher. Tout juste entendit-il le moteur de son fauteuil s’activer. Il ne capta véritablement sa présence qu’une fois la main de Tim posée sur sa colonne vertébrale.

— N’aies jamais honte de ce que tu es, Cyk. Jamais.


oOo


Théo n’était pas revenu chez Cyril depuis leur exposé sur l’ouvrage de Saint-Exupéry, il n’avait pourtant pas oublié l’adresse. Cyk campait derrière la porte d’entrée en attendant son arrivée. Poehina, installée sur la table du salon au milieu des fleurs coupées, des bouts de bois flotté et des vases biscornus, l’observait par intermittence. Elle se chagrinait toujours de cette anxiété mal gérée chez son enfant, il pouvait quand même s’asseoir sur le canapé plutôt que de rester collé à la porte.

Cyk ne laissa pas le temps à Théo d’appuyer sur la sonnette. Il avait entendu des pas sur le palier et avait bondi sur la clenche, le verrou n’était pas mis, pour qu’il puisse ouvrir encore plus vite. Théo gloussa devant la bouille tordue par l’enthousiasme de son petit-copain, il l’imaginait dans un manga humoristique, arrachant le battant de ses gonds. Ça lui donnait également envie de revoir Avengers, il y avait un peu de Bruce Banner dans Cyril Willem.

— Coucou !

— Salut…

Spontanément, Cyk aurait voulu le faire un smack, mais ils étaient encore sur le pallier, et puis il y avait sa mère quelques mètres derrière eux. Arrivait-elle à les apercevoir dans l’angle de l’entrée ?

Théo se souvenait assez bien de la configuration des lieux. Il entra sans chichi et ôta sa veste dans un geste théâtral. Cyk la rattrapa au vol pour ne pas qu’elle atterrisse par terre. Le blondinet aperçut ensuite Poehina dans le salon, sur le point de couper une tige au ciseau. Elle s’immobilisa quand l’adolescent s’adressa à elle.

— Bonjour M’dame Willem ! chantonna-t-il joyeusement.

— Euh… Bonjour Théo…

Cyril tira fortement sur la main de son petit-ami pour le forcer à le suivre jusqu’à sa chambre et ne pas s’attarder dans le salon avec sa mère en plein ikebana. Il tenta vainement de cacher avec son corps le fait qu’il prenait la main de Théo. La scène était cocasse, sans aucune discrétion, d’une grotesque brusquerie digne d’un vieux Benny Hill, mais Poehina, toujours sous le choc de l’aveu de Cyk, n’était pas en état de rire.

Théo s’arrêta devant la porte entrouverte, sourire jusqu’aux oreilles. Il ôta ses chaussures, puis inspira un bon coup avant d’entrer et de décortiquer la chambre dans ses moindres détails. La pièce épurée – lit, bureau, étagère très bien ordonnée, où chaque rayonnage était dédié à un thème différent – lui inspira un mélange de bonheur et de déception.

— Je m’attendais à plus de posters de rockeurs sur les murs. T’as la fibre artistique mon Chewie, déclara-t-il en regardant la seule paire d’affiches accrochée : la jaquette de « Demon Days » par Gorillaz à gauche, et celle de « Love Song » d’Amazarashi à droite, créant un effet miroir intéressant.

— Ce n’est pas la cave de serial killer que tu attendais ?

— C’est pas beau d’être rancunier.

Il sauta plus qu’il ne s’assit sur le matelas aux draps propres et soigneusement pliés.

— Il est où ton père ?

— Parti faire des courses. Ma mère a proposé d’y aller à sa place, mais il a insisté pour le faire lui-même. Vu que tu manges avec nous ce soir, il s’est mis en tête de préparer un diner de fête.

— Eh ben. Tes parents ont l’air de bien vivre ton coming-out.

— Je crois qu’ils sont surtout soulagés que je ne sois pas aussi asocial qu’ils le pensaient…

Théo éclata de rire, et son écho dû résonner jusque chez Madame Otawa.

— Alors on fait quoi ? reprit-il en essuyant une larme au coin de son œil.

Cyril ne répondit pas immédiatement. Avec beaucoup d’embarras, il sortit sa guitare acoustique du placard et fit rouler sa chaise de bureau devant Théo.

— J’ai… Hem. Un cadeau pour toi.

Il s’installa au mieux avec son instrument et se mit à jouer « Love is an open door » en fingerstyle. Son visage se durcit sous la concentration, son jeu était vraiment très fluide. Même un complet ignorant des techniques musicales comme Théo pouvait deviner le travail derrière le vibrato de ses cordes, encore fallait-il qu’il soit en état de réfléchir à la chose. L’expression qu’il avait lorsque les dernières notes s’envolèrent dans la légèreté de la mélodie d’Anna et Hans se rapprochait fortement du Chat Potté larmoyant dans Shrek.

Il m’a contaminé avec ses références pourries.

— Tu as appris une chanson de la reine des neiges pour moi ?

—  Évidemment pour toi. Je n’allais pas apprendre ça spontanément.

—  Mais tais-toi ! Pour une fois que tu fais un truc romantique, viens pas tout gâcher !

Théo se jeta sur Cyril. Il aurait voulu l’embrasser, mais la guitare les gênait. Cyk tenta de s’en débarrasser sans l’abimer. Brûlant d’impatience, Théo remplaça la guitare aussitôt que la place fut libérée. Cyk se retrouva avec cette grande asperge blonde sur ses genoux, nouant ses bras autour de son cou. La chaise de bureau lâcha un craquement sinistre, mais ne céda pas sous leur poids réunis.

— Je suis amoureux ! déclara Théo avec un sourire niais.

Non, Cyk, ne pose pas la question !

Cyril était sur le point de demander : de qui ? Il se trouvait vraiment stupide, parfois.

Pour s’obliger à se taire, il se rua sur la bouche de Théo. Un baiser fougueux serait plus éloquent que toutes les chansons qu’il pourrait trouver.

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