Mangrove idyllique

Chapitre 1 : Idylle d'un naga et d'un triton.

Chapitre final

5780 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/02/2024 21:46

Perchée en haut d’un arbre, affalée sur une branche assez épaisse pour supporter son poids. Le soleil caresse son dos et le chant des oiseaux le berce. Un bras replié sous son cou, l’autre pendant lamentablement dans le vide, il observe depuis quelques minutes les remous dans l’eau peu profonde et calme que procure la mangrove.

Il s’agit d’ondines, en soi, des sirènes et des tritons venus des profondeurs de l'océan pour un petit séjour dans la péninsule. C’est ici que les mères viennent pondre, que les parents vont élever leurs petits et que les jeunes adultes vont se faire la cour.

Le reptile soupire… Doit-il avouer que garder son territoire soit simple puisqu'il n’a pas besoin de se battre pour la place. Il est le seul célibataire parmi les nagas adultes. Il y a à peine un ou deux jeunes qui squattent les différents territoires occupés par les autres couples. Combien de temps devra-t-il attendre pour qu’un jeune adulte se présente chez lui ?

Le reptile repousse sa chevelure qui lui arrive jusqu’au milieu du dos. Dégageant les mèches violettes qui lui tombent devant ses yeux verts. Il s’étire, contorsionnant son dos dont la colonne vertébrale depuis sa nuque jusqu’à la base de queue est parcourue d’une ligne de couleur crème, ainsi que son ventre. Il touche ses écailles violacées, réchauffées grâce au soleil, et regarde en direction d’un plus gros arbre où il va à présent pouvoir aller se rafraîchir. Il descend, se glisse dans l’eau et nage vers les racines de l’arbre qui lui fait envie.

Les tritons font du remue-ménage, l'un d'entre eux a suivi le mouvement, mais à vrai dire, il n’est pas des plus dégourdit pour ce qui est de se dandiner devant une sirène.

Pourquoi est-ce que ses couleurs ne se sont pas développées ? Il reste terne et grisâtre comme un juvénile. Sa seule distinction est qu’il a les nageoires semblables à celle d’une rascasse tête de lion.

Le triton regarde ses compères aux couleurs chatoyantes s’exposer aux femelles. Il ne rivalisera pas face à ses rivaux. Il s’éloigne dans le boyau de branches, espérant au moins y trouver quelque chose d’intéressant…

Il sillonne les canaux tout en contemplant le milieu aquatique des mangroves, tout en se faufilant entre les racines. Il n’y a pas à dire, mais cet endroit est splendide ! Le requin taureau qui lui fait face, beaucoup moins, cependant ! Il attrape une racine et soulève sa queue hors de l’eau pour la faire claquer plusieurs fois pour prévenir du danger, avant de lui-même fuir.

Le triton a voulu se cacher entre les branches, ne s'apercevant que trop tard de leurs étroitesses ! Il ne peut pas entièrement passer, alors il prend de l’élan pour se hisser sur la partie submergée et se rassemble pour éviter le requin. Bien qu’il ne tente pas de sauter, celui-ci arrive à sortir assez sa gueule pour donner des sueurs froides à la créature. Il glisse sur les algues vertes qui ne l’aident pas à garder son calme !

Il émet un son semblable à celui d’un dauphin pour appeler les siens à l’aide, pris de panique. Puis, sans rien n’y comprendre, alors qu’il glisse dangereusement vers le requin taureau, le voici harponné et tiré vers le haut de l’arbre ?

Surpris, il regarde la créature avec confusion, tandis que celui-ci le traîne et le maintient sur la branche et contre lui :

 

— Ne bouge pas, il va abandonner.

— Pourquoi tu m’aides ? Nous ne sommes pas de la même espèce !

— Tu veux que je te dépose ? réplique le naga.

— Non !

 

Rester sur la branche est complexe pour lui : si le reptile ne l’y aidait pas, il en serait tombé à force de glisser. Ses écailles sont lisses, contrairement à celle du naga qui l’aide à s’accrocher un peu comme s’il avait de petites griffes.

Le requin n’apercevant plus sa proie rebrousse chemin, mais le triton ne se sent pas pour autant hors de danger. Le reptile compte peut-être le manger ?

 

— Le retour risque de secouer, déclare le naga.

 

Il maintient le triton par-dessous les bras et l’accompagne jusqu’à ce qu’il soit assez dans l’eau pour le lâcher sans qu’il n’en tombe comme une masse. Le reptile se glisse après quoi, en partie, sur le tronc et les racines au pied de l’arbre, en s’approchant de l’eau, tandis que le triton sort la tête de l’eau.

 

— Merci pour ce que tu as fait, c’était sympa, dit l’aquatique.

— Je ne pouvais pas laisser un jeunot se faire croquer, ricane le reptile.

— Je n’ai pas encore mes couleurs, mais je suis adulte, ronchonne le triton qui immerge la moitié de sa tête dans l’eau.

— Ça va arriver, réplique le naga en levant les mains.

 

En tout cas, le triton l’espère où il sera l’arisée de sa colonie… Il remonte les yeux vers le reptile.

 

— C’est ton territoire ?

— Oui.

— Donc, on pourrait se croiser de nouveau ?

— Possible, mais ne prend pas l’habitude d’être pourchassé par les requins, tu fais ton poids.

— Je préfèrerais éviter autant les requins que les arbres, plaisante le triton.

 

Le reptile sourit et se hisse sur sa branche.

 

— Tu as un nom ? demande le triton.

— Naja et toi ?

— Rascasse.

— J’espère que tu n’es pas venimeux !

— Non, ne t’en fais pas, je n’en porte que le nom, je ne suis pas aussi cool que le poisson, plaisante le triton.

— Je ne dirais pas ça, réplique Naja.

 

Rascasse souffle du nez, les autres ondines se décidant enfin à répondre à son appel à l’aide.

 

— J’avais le temps d’être mangé, à une prochaine fois, dit le triton avant de plonger et de s'éloigner sous les flots.

 

Naja le regarde rejoindre les autres, l’air ailleurs, avant d’être rappelé par les gémissements de son estomac. Avec tout cela, il n’a toujours pas été chassé. Il regarde une nouvelle fois vers les ondines. Il se laisserait bien tenter par du poisson…

Rascasse est près des siens, il jette un œil en arrière, s’apercevant que le reptile n’est déjà plus là.

 

— Tu parlais avec le Naga ? On a vu un requin taureau passer, on s'est fait du souci pour toi, dit l’une des créatures.

— J’ai frappé l’eau et crié, vous ne m’avez pas entendu ? s’indigne le triton.

 

Ses congénères se regardent à tour de rôles tout en grimaçant :

 

— Désolé, nous étions absorbés par nos affaires, nous n’avons rien entendu, nous avons remarqué le requin au dernier moment.

— Ouais, je vois, heureusement que je suis tombé sur un naga sympa ! Il n’y a pas eu de blessé ?

— Non, il est reparti vers le large et toi ? Tu n’as rien ? demande une sirène semblable à Rascasse.

 

Rascasse secoue négativement la tête, le groupe repart vers le lagon. C’est le plus jeune de la bande, il y a quatre mâles et trois femelles. La plus prisée, c’est Zebra, une sirène qui aborde une couleur rouge orangé vive, zébrée de blanc avec de belles et longues nageoires arrondies et rayées. Ses yeux rouges et perçants ne laissent personne indifférent, sauf Rascasse puisqu’il s’agit de sa grande sœur. Il y a ensuite Bariene, une femelle grise avec des bandes jaunes et bleues sur le dos ainsi que sur ses nageoires. Ses yeux bleus sont envoutants, mais c’est plutôt Polyzona qui fait chavirer le cœur de Rascasse. Elle est blanche avec des stries noires, son dos et le haut de ses nageoires ont un reflet jaune, que le triton trouve ravissant. Toutefois, ses iris sombres ont tendance à déplaire aux autres tritons.

À l’inverse, ce sont souvent les grands mâles sombres qui attirent le regard des femelles : Achilles en plus d’être grand et robuste, est presque entièrement noir. Il a une bande jaune sur ses nageoires et sa queue est d’un jaune vif et en plus de cela, elle a une forme de lyre qui plait tout autant aux filles… Ensuite vient Mandarin, comme le poisson dont est tiré son nom, il est bariolé de bleu et d’orange, ses nageoires ont des formes asymétriques, ce qui lui donne un côté excentrique. Entre lui et Achilles la compétition est rude. Il reste Whelleri, un mâle nacré aux striés rosâtres et noirs, parsemé de lignes blanches qui parcourent le haut de son dos jusqu’à sa queue et de points blancs.

Terminer de se pavaner pour l’instant, du moins dans les faits, puisqu’ils vont aller à la pêche et que chaque mâle est bien décidé à trouver la meilleure prise, pour ses dames.

Rascasse grimace, encore une fois, ce n’est pas un domaine dans lequel il excelle. Ils nagent le long de la barrière de corail, riche en variétés de poissons, mollusques et crustacés, et s’immobilisent devant un énorme bénitier. Ils sont délicieux, mais c’est à casse-tête pour les ouvrir !

Achilles remonte avec fière allure une murène fraîchement capturée, qu’il offre à Zebra. Celle-ci est du genre à aller capturer un grand blanc juste pour se faire remarquer, et la sœur est loin d’en être indifférente.

Rascasse dévie les yeux vers Whelleri pas loin de lui, qui se laisse couler comme une masse :

 

— Adieu monde cruel, je te quitte une fois que je serai noyé…

— Tu aurais plus de chance d’aller te faire sécher sur une plage, plaisante Rascasse.

— Pourquoi ce sont toujours les grandes gueules qui ont de la chance !

— Tu as de la chance toi aussi, tu as tes couleurs d’adulte.

— Tu trouveras bien une fille qui aime les retardataires, ricane le triton en se retournant comme s’il était à plat ventre, les mains sous sa tête.

 

Rascasse lui fait une grimace et les tritons continuent leurs explorations… Comme il s’y attendait, parvenir à se démarquer face aux trois autres est à oublier.

Encore une fois, le jeune triton préfère s’éloigner avec une araignée de mer qu’il compte aller déguster dans son coin. Rascasse est allée là où l’eau douce se déverse dans la mer. Avec le changement de la salinité, le décor est différent et plus sombre à cause du feuillage épais des arbres.

Il doit prendre garde aux crocodiles marins, bien plus dangereux que les requins, ainsi que les léopards capables de les traîner sur le rivage.

Il se pose contre le fond et les racines tout en regardant la surface. Il case les pattes de son repas pour en aspirer la chair, attirant de ce fait de petits bancs de poissons profitant des miettes qui flottent.

Il entend soudain un bruit de plongeon qui attire son regard sur les pattes d’un gros rongeur nageant dans sa direction. Il en a déjà vu de ses bêtes, elles sont sympathiques ! Le capibara passe juste au-dessus de lui qui tend son bras pour la caresser en même temps… Du moins jusqu’à ce que celle-ci soit subitement poussée sous l’eau, rascasse évitant de justesse le prédateur qui a raté sa proie, son visage se retrouvant pile en face de celui de… Naja ?

Les deux se dévisagent avec la même confusion tout en clignant des yeux, puis le reptile se tord et regagne la surface sur laquelle son corps semble flotter.

Rascasse qui a agrippé son repas entre ses bras sous la surprise, donne un léger coup de queue pour rejoindre le reptile qui se laisse porter par les flots.

 

— Tu as l’art d’apparaître de manière inattendue ! déclare le triton.

— Je ne savais pas que tu étais là-dessous, je te pensais parti avec les autres ?

— C’était le cas, mais j’en ai un peu marre des idylles…

— On n’est pas bon séducteur ? ricane Naja : j’ai été tellement surpris que j’en ai laissé ma proie partir.

— Le capibara ? Ne me dis pas que tu manges cette adorable bête !

— Il faut bien que je me nourrisse, j’aurais tenu plusieurs jours, ronchonne naja.

 

Rascasse fronce les sourcils de dégout, mais il ne vit pas sur le sol, donc cette créature ne fait pas partie de son régime alimentaire. Il sort son crustacé et le présente à Naja qui regarde la bête avec une drôle de tête.

 

— Ça vient de la mer ça ? On dirait un genre d’araignée mutante, tu es certain que c’est sain de le manger ?

— Oui, c’est même délicieux, répond Rascasse en riant.

 

Il casse une patte et la donne au reptile qui la prend, le sens avec suspicion et croque dedans…

 

— Non, non, il faut aspirer l’intérieur ! Comme cela, dit-il en lui montrant.

 

Le naga l’imite, le goût iodé de la chair lui fait avoir un frisson entre dégoût et appétit ? C’est étrange, mais ce n’est pas aussi mauvais que l’odeur ne le laisse penser.

 

— Comment tu appelles cette bête ?

— Une araignée de mer, répond rascasse.

— Tu ne manges jamais de proie terrestre ?

— Cela peut arriver que nous attrapions des oiseaux, explique le triton.

 

Naja regarde les arbres, puis se hisse parmi les hautes branches pour y cueillir des fruits et redescend avec.

 

— Tu manges aussi des fruits ? demande Rascasse.

— Cela m’arrive et toi ?

— Je mange des algues, mais il n’y a pas de fruits à proprement parler dans l’océan.

— Tiens, goute, ils sont doux.

 

Rascasse tressaille et s’avance vers Naja qui lui tend une sorte de boule jaune à l’odeur sucrée.

 

—   N’avale pas les noyaux, dit Naja.

— Les quoi ?

— Le truc noir et dure au milieu.

 

Il croque tout en prenant garde à ses fameux noyaux, la chair du fruit est tendre et sucrée, il n’avait jamais gouté ce genre de chose ! Il est rougi de satisfaction tant le goût lui plait !

 

— C’est super bon ! Dommage qu’il faille monter aux autres pour en avoir !

— Les fruits mûrs finissent par tomber parfois, mais il est vrai que les oiseaux et surtout les singes les dévalisent bien vite.

— Les petits gris, curieux ? Ils viennent souvent nous voir quand on nagent près de la plage ou des racines… Eux aussi, tu les manges ?

— Je chasse en générales les petites proies, en parlant de proies, tu devrais faire attention, il y a un site de ponte de crocodiles marins, plus haut, dit le reptile en pointant la direction.

 

Rascasse suit la pointe de sa main tout en acquiesçant.

 

— J’avais envie de voir la différence entre l’océan et le marais des mangroves, explique Rascasse.

— Je peux t’y guider, c’est mon territoire, je le connais bien.

— Pourquoi pas, cela pourrait être amusant ! Mais tu ne m’entraînes plus dans les arbres !

 

Naja rigole et zigzag sur l’eau pour guider son invité, qui se place sur le dos et à sa hauteur.

 

— Ça t’arrive souvent de proposer aux créatures marine de visiter ton territoire ?

— C’est la première fois que je le fais, c’est aussi la première fois que je m’approche autant de l’un des vôtres.

— Ça fait longtemps que tu vis ici ? J’ai déjà vu un naga avec les mêmes couleurs que toi quand j’étais enfant.

— C’était tout simplement moi, répond Naja.

— Ouais, c'est vrai qu’une fois adulte, dix ans, ce n’est rien.

— Je vis ici depuis presque quarante ans.

— Seul ?

— Les nagas sont solitaires quand ils ne sont pas en couple.

— Tu dois t’ennuyer.

— Plutôt, il n’y a plus beaucoup de naga ici, je suis le seul adulte dans le coin, il y a bien un jeune qui se balade plus à l'intérieur des terres, mais je le croise rarement.

— Si tu veux, je peux rester ici dans la mangrove, te tenir compagnie ?

 

Naja se tourne sur Rascasse, plutôt surpris de sa proposition, puis sourit avec une certaine ironie.

 

— Tu sais que les nagas sont hermaphrodites et que je pourrais prendre cela comme une tentative de séduction ?

— Pardon ? Je ne suis pas un naga ! Et… Euh… je le sais, mais tu ressembles fortement à un mâle, quitte à choisir une autre espèce, tu ne regarderais pas plutôt les sirènes ?

— Tu dis ça parce que je n’ai pas de poitrine ? ricane Naja.

 

Rascasse le visage rouge s’immerge de nouveau à moitié le visage, il ne s’imaginait pas les nagas effrontés…

 

— Ce n’est pas pareil pour moi, enfin, c'est logique que je sois attiré par ce qui se rapproche d’une sirène… Je pense ?

— Je te charrie Rascasse, si j’avais l’intention de te courtiser, tu penserais que je veux te manger, ricane naja.

— Comment ça ? demande le triton interloqué.

— Quand deux nagas se rencontrent, ils s’affrontent et le perdant accepte l’accouplement si le vainqueur le trouve à son goût.

— Et si le perdant n’a pas envie ? ajoute rascasse devenu blanc.

— Je ne sais pas ? Je ne pense pas que cela arrive ? Je crois ? répond Naja, pensif : c’est notre façon de faire et une fois que la dominance est établie, nous savons comment faire pour donner envie à l’autre.

— C’est vraiment bizarre…

 

Le pauvre ne sait plus où se mettre.

 

— Tu pensais que l’on se dandinait l’un devant l’autre pour se courtiser ? ricane Naja.

— Ben oui… Enfin, ça me parait moins brut, la femelle vient si elle est charmée, elle n’est pas forcée. Les couples se forment normalement à vie, je n’imagine pas le stress de vivre avec un partenaire agressif, dit le triton.

— Nous ne sommes pas agressifs ? dit Naja.

— Non ? Vous vous battez et le soumis est forcé de s’accoupler, tu appelles ça comment toi ?

— C’est juste une épreuve de force, on ne se blesse aucunement, c’est plutôt au premier qui immobilise l’autre. Une fois que c'est fait, c’est au dominant de donner envie au soumis, explique Naja, surpris que le triton soit stupéfait par ses dires.

— Et s’il n’en a pas envie ?

— En toute logique, si un naga n’est pas prêt à s’accoupler, il évite tout simplement les autres.

— Et si cela venait à t’arriver, qu’il se pense prêt puis finalement ne veut plus ?

— Heu… Ben, il aurait un drôle d’instinct, mais si ça venait à arriver, je ne le ferais pas, dit Naja en se grattant la tête, cette pensée lui étant peu probable : ça arrive à vos femelles de reculer au dernier moment ? Ah ! Elles ne contrôlent peut-être pas le moment où elles veulent être fécondes, du coup, ça pourrait s’expliquer !

— Expliquer quoi ? Vous contrôlez ça, vous ?

— Bien sûr !

 

Rascasse dévie le regard, les deux n’étant pas sur la même longueur d’onde. Naja se remet en route tout en tournant les yeux sur rascasse qu’il a l’impression d’avoir perdu, mais celui-ci se lance derrière lui.

 

— Tu n’as pas l’air plus choqué que cela, dit Naja.

— Ça m’a choqué au début, mais tu as tout de même dit que tu ne le ferais pas. Je suppose que le soumis ne doit pas voir cela comme une agression…

— Je ne pense pas, j’ai envie de trouver un partenaire et qui sait, ce pourrait être moi le soumis. Ce n’est pas grave, explique le serpent.

— Danser pour avoir de ses faveurs ne serait pas plus simple ?

— Tu ne fais que gigoter ! C’est bien mieux d’y aller au contact, tu sens directement son corps contre le tien, c’est bien plus aguichant, déclare Naja.

 

Rascasse devient complètement rouge !

 

— Ne dis pas ça ainsi ! répond le triton avant de se cacher sous l’eau.

 

Naja se retourne, son corps en partie sur les racines qui sortent de l’eau. Celui-ci se penche par-dessus l’eau, la masse chevelue blanche de Rascasse, flottant en cachant son visage.

 

— Je commence à comprendre pourquoi tu ne séduis pas les filles, ricane Naja.

 

Rascasse remonte à la surface s’appuyant jusqu’au ventre sur les racines, naja reculant de ce fait pour être à son hauteur.

 

— Comment ça ? Je ne suis pas assez coloré, mais j’ai d'autres qualités !

— Tu en as des couleurs, tu deviens rouge vif d’embarras !

— C’est à cause de ta façon de parler…

— Tu crois qu’il se passe quoi avec les autres ?

 

Rascasse baisse les yeux, l’air boudeur, Naja se rassemble près de lui.

 

— J’ai été trop directe, la solitude me pèse, je voulais juste te dire que partager mon territoire avec un triton ne me dérange absolument pas. Je sais où te guider pour que tu sois en sécurité si tu restes. J’ai juste pensé que ça pouvait remplacer le partenaire que j’attends, sans vouloir dire que je vais te considérer comme tel.

— Tu te sens aussi seul ?

 

Naja acquiesce brièvement.

 

— Je promets que tu ne finiras pas dans les arbres.

 

Rascasse sourit, après tout, il le lui a proposé et il peut comprendre la détresse du reptile. Son espèce ne fait pas partie des cryptides proches de l’extinction contrairement à celle de Naja. Mais, rester avec un lui plutôt que les siens ? Quelle idée a-t-il eue là, tout de même ? Il a suivi Naja une bonne partie de la journée, le reptile prenant garde à rester dans les eaux saumâtres pour ne pas trop perturber Rascasse. En fin de journée, l’estomac de Naja se manifestant de plus en plus, celui-ci dû se résoudre à laisser un peu le triton de côté pour aller se chercher une proie.

Comme Rascasse a déjà mangé, pour l’instant celui-ci ne sent pas son appétit revenir à lui. Il regarde en direction de la plage qui n’est pas si loin en vérité puisqu’ils se sont juste enfoncés dans les racines de la mangrove sans rentrer dans les terres. Il soupire tout en se hissant sur un banc de sable blanc pour s’exposer un peu au soleil en attendant le retour du naga.

 

— Rascasse ? Que fais-tu ici ? On te cherche depuis une bonne heure ! surgit Zebra qui se hisse sur la berge.

— Vraiment ? Je ne voulais pas vous déranger, réplique le triton grognon.

— Eh petit frère, serais-tu fâché de ne pas avoir trouvé de copine ? Ne t’en fais pas, il y en a encore qui devraient arriver et d’ici là, peut-être que tes couleurs se montreront, répond la sirène taquine.

— Ce n’est pas marrant Zebra…

 

Elle s’allonge en rampant aux côtés de son frère et s’aplatit dans le sable.

 

— Pourquoi tu restes ici ? Il y a aussi des bancs de sables immergés là où nous sommes et plus de monde aussi ?

— Je tiens compagnie à Naja, il n’a personne, je n’ai pas envie de le laisser seul.

— Naja ? Le naga ? Pourquoi tu restes avec lui ? Qui te dit qu’il ne compte pas t’emmener dans un arbre ?

Ça s’est déjà fait, pense Rascasse : il est parti chasser, je ne pense pas faire partie de son repas.

— Non, surement trop d’arêtes, réplique le reptile.

 

Zebra se redresse et se glisse pour se remettre dans l’eau, tout en regardant avec inquiétude son frère qui ne le fait pas. Naja se hisse aux côtés de Rascasse, un gros oiseau noir dans les mains.

 

— Tu ressembles à Rascasse, vous êtes de la même famille ?

— C’est ma grande sœur Zebra, répond le triton en souriant.

— Soi sereine, je ne mange pas de petite sirène, enfin pas encore…

— Naja, ce n’est pas drôle.

— Désolé, désolé, sourit le serpent.

 

Il mange sa proie sous le regard peu tranquille de Zebra :

 

— Tu comptes vraiment rester avec lui ? Enfin, ce n’est pas un peu ridicule Rascasse ? Tu ne peux pas quitter trop longtemps l’eau et lui se met en danger s’il reste en permanence au niveau des racines. Toi aussi, les mangroves ne sont pas le meilleur endroit où se réfugier avec nos tailles…

— Je ne crains aucun des prédateurs de mon territoire, ton frère ne risque rien.

— Requin, crocodile et léopard y compris ? réplique la sirène.

— Il suffit de se mettre en hauteur pour deux d’entre eux et pour le troisième, mes anneaux restent plus dangereux que ses mâchoires et griffes, rétorque Naja.

— Pourquoi sembles-tu autant vouloir garder mon frère avec toi ? Tu n’as pas d’autre naga qui pourrait rester avec toi ?

— Justement, il n’y en a pas d’autre, c’est pour ça que je reste avec lui, répond Rascasse.

— Je vois, réponds Zebra : nous sommes toujours là, appelle si tu as besoin d’aide.

— Comme tout à l’heure quand il a été pris en chasse par le requin taureau ? rétorque Naja.

 

Rascasse devient blanc et se raidit alors qu’il dévisage autant le reptile que sa sœur qui préfère s’éloigner sous l’eau.

 

— Ce n’est pas gentil ce que tu viens de lui dire, réplique le triton.

— Je ne fais que dire la vérité, c’est moi qu’elle en voudra. Pas à toi. Tu as dit que tu voulais rester avec moi, non ?

— Oui, mais ce n’est pas une raison pour que je me dispute avec ma sœur !

— Ça va, tu veux que je la poursuive pour m’excuser ?

— Non, en plus c’est de l’eau de mer, dit Rascasse.

— Je suppose assez l’eau de mer pour plonger la rejoindre, réplique Naja.

 

Rascasse s’affale sur le sable fin tout en agitant sa queue pour se mouiller le dos. Naja tendu sur ses bras l’observe, puis adopte un sourire narquois alors que celui-ci cette glisse derrière le triton. Rascasse vient à sursauter et à se tourner vers le reptile alors qu’il sent les mains de celui-ci remonter dans son dos.

 

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Tu es allongé comme une masse au sol, ça m’a donné envie de te masser, ricane le reptile.

— Et ça te prend comme ça ?

— Curiosité, je me demandais si ta peau était pareille à la mienne.

— Mouais… J’ai du mal à te croire là.

— Tu as peur que tes amis te surprennent et trouvent cela étrange qu’un naga te caresse le dos ? ricane le reptile.

 

Rascasse cache sa tête entre ses bras croisés… Naja s’allongeant à ses côtés.

 

— Tu peux… Continuer, marmonne l’aquatique.

 

Naja se marre, il regarde la colonne du triton, sa nageoire dorsal est rabattue comme une voile le long de son dos. Il glisse ses doigts de chaque côté de celle-ci. Ses nageoires caudales sont également abaissées comme un éventail contre son corps. Il a envie d’y chipoter, tant cela l’intrigue ! Il remonte jusqu’aux épaules de Rascasse qui se laisse complètement aller. Naja en soulève un sourcil amusé, il ne se méfie plus du tout de lui, là !

 

— Eh, ne t’endors pas, je compte bien te demander la même chose après, ricane le reptile.

— Sans problème, rigole Rascasse.

 

Visiblement l’incident avec sa sœur semble déjà oublier… La nuit tombante, Rascasse suit Naja jusqu’à arriver à un très gros arbre, presque au milieu de la mangrove. Le reptile se hisse sur les racines immergées et se tourne sur Rascasse qui le regarde alors avec suspicion.

 

— On est d’accord, tu ne m’embarques plus dans les arbres ?

— Ah ah, ne t’en fait pas, je niche au creux de l’arbre, l’eau passe au fond, je te porte pour aller jusque-là.

— Je vais finir par croire que tu aimes ça…

— Tu fais ton poids, tu sais, mais je n’ai pas envie de te laisser dormir là sans que tu puisses te mettre à l’abri.

 

Rascasse secoue la tête de dépit, se hisse sur les racines et laisse le reptile l’attraper pour se glisser dans sa fameuse cachette. Il pensait être plutôt traîné que porter de cette manière… Ne vient-il pas de dire qu’il était lourd ? Il le tient complètement dans ses bras ?

Naja s’insinue dans la tanière et dépose Rascasse au fond de celle-ci, où les racines laissent passer l’eau. Ce n’est pas dans les habitudes de Rascasse de vivre dans une bulle d’eau et à l'intérieur d’un arbre, mais puisque cela lui permet de rester proche de Naja, il ne va pas s’en plaindre. Il roule sur son dos, tandis que le naga vient plus ou moins s’enrouler autour de lui et se placer comme le triton.

 

— Tu ne vas pas dormir dans l’eau tout de même ?

— L’eau saumâtre n’est pas un problème pour moi, non plus, répond Naja.

— Tout de même ? Tu ne risques pas d’avoir de lésions ou de problèmes de peau ?

— Je suis un naga amphibie, ce n’est pas un problème.

— Rien n’est un problème avec toi, ronchonne Rascasse.

— Si, il y en a bien un. Je ne suis pas certain de rester sage en dormant près de toi, ricane Naja.

— Arrête avec ça…

— Ton massage était des plus plaisants, dit-il en tournant la tête vers le triton.

 

Rascasse lui tourne alors le dos, ce qui fait rire le reptile.

 

— Il serait temps qu’un autre naga vienne, tu es intenable !

 

Naja rit et se retourne à son tour pour venir se blottir contre le triton… Celui-ci ne le repousse pas, bien qu’il semble gêné. Il se hisse par-dessus l’aquatique qui le regarde en clignant des yeux. Il se tient sur ses bras tendus, la partie de son corps de serpent maintenue en l’air ondulant comme une vague.

 

— Tu as un problème ?

 

Naja pouffe, puis regarde de nouveau Rascasse en faisant des vagues également avec son ventre cette fois. Le triton, le regard désabusé, puis…

 

— Attends, tu essaies de faire comme nous ? dit-il en se pinçant les lèvres pour s’empêcher de rire.

— C’est ça, fous-toi de moi, tu m’as bien suivi malgré ce que je t’ai dit tout à l’heure, déclare le reptile.

— Parce que tu n’étais pas sérieux, enfin, c'est ce que tu paraissais laisser croire.

— Ça te dérange tant que cela ?

 

Rascasse se redresse d’un coup et bascule Naja pour se hisser sur lui, surprenant tout de même le reptile.

 

— Tu n’es pas vraiment mon style, réplique Rascasse dans un geste provocateur.

 

Naja sourit à pleines dents, sa réponse se fait sans attendre.

 

— Fais attention de ne pas être trop joueur, Rascasse.

 

Naja caresse son visage et se redresse pour se rapprocher de son visage, l’aquatique ne se gênant pas de venir à la rencontre de ses lèvres. En reprenant leurs distances, le regard de Naja descend sur les écailles du triton et écarquille les yeux, avant de toucher son ventre dans une douce caresse.

 

— Tu es aussi gêné que cela pour que tout ton corps devienne rouge ? ricane le reptile.

 

Rascasse baissant les yeux sur lui-même, s’apercevant alors que ses écailles se pigmentent enfin ! Il est rouge orangé vif sur tout le corps avec des rayures blanches. Naja l’admire, glissant ses doigts dans sa chevelure devenue nacrée et sourit au triton qui parait tout de même confus.

 

— C’est bizarre que je change de cette façon tout de même, dit Rascasse.

— C’est peut-être parce que tu te dis qu’il te faut être beau pour moi, plaisante Naja.

 

Rascasse rougit, puis revient sur les lèvres de Naja, tandis que celui-ci échange leurs positions… Un naga peut donc faire preuve de tendresse ! Ce qui n’est pas pour déplaire au triton.

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