Velocity

Chapitre 1 : Appel matinal

1018 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/12/2025 22:11

06:27


Akira tressaille avant même d’être consciente d’être réveillée. Un frisson sec lui traverse l’échine, le genre qui ne prévient jamais mais qui annonce que la nuit a encore joué au couteau sous la gorge. Elle reconnaît ce silence, ce goût métallique dans sa bouche.


Elle rêve encore de cette nuit.

Et ça commence toujours pareil.


La chaleur lourde tombe du plafond, rampe sur les murs, s’insinue sous ses côtes. Dans le rêve, elle rapetisse. Huit ans. Pas un de plus. Son souffle devient fragile, presque en porcelaine.


Le salon de son enfance se referme autour d’elle. Les murs se remontent comme un décor de théâtre malade. Le tapis. La cheminée. Les cadres familiaux qui sourient d’un sourire qu’elle ne voit plus que dans ses cauchemars. Le foyer crépite, ce son sec, régulier, planté dans sa mémoire comme un clou qu’elle n’a jamais pu retirer.


Sa mère est accroupie devant la cheminée. La silhouette, la posture. Entre ses doigts tremble le papier froissé qu’Akira n’a jamais pu lire. Elle hésite. Puis, comme chaque nuit, elle tend la main.

Le papier prend feu, se recroqueville. Un filet de fumée bleuâtre monte. La gorge d’Akira se serre.


Elle veut parler, mais sa voix n’existe plus.

L’ombre apparaît.


Son père.

Grand. Immobile. Les yeux gris, vides comme un puits sans fond. Dans sa main, le tisonnier brûlant pulse encore de chaleur. Même dans le rêve, elle sait que c’est le moment où tout bascule. Inévitable.

Ses jambes se paralysent. Toujours à cet instant. Toujours ce piège.


Sa mère tourne légèrement la tête vers elle. Son sourire est doux, trop doux, fatigué… un sourire qui ne dure jamais.


Le coup part.


Le tisonnier traverse son dos dans un son sec, violent. Son corps s’effondre sans bruit. Les flammes lèchent sa silhouette au sol, comme si elles tentaient de la retenir. Akira recule. Une fois. Deux fois. Les yeux de son père glissent vers elle.


La voix tombe, froide, précise, tranchante.

— Viens ici, sale petite garce.


Le tisonnier goutte encore lorsqu’il arrache la tige en métal du corps inerte. Il avance. La pièce semble se contracter. Les murs se resserrent. Le souffle d’Akira se coince dans sa poitrine. Elle veut hurler, mais rien ne sort. Pas même un reste de courage.


Le rêve éclate.


Akira se redresse d’un coup, haletante. Sa gorge brûle comme si elle avait respiré de la fumée. La sueur glacée colle ses cheveux à ses tempes. Ses mains tremblent.


Autour d’elle, la chambre reprend forme, froide, d’abord floue puis trop réelle. Un contraste brutal avec la fumée fantôme qui s’accroche encore à son nez. Un filet d’air frais entre par la porte-fenêtre entrouverte, rappel simple et brutal que le monde existe encore, et qu’il n’a aucune intention d’être doux.


Elle cligne des yeux, respire profondément, et laisse le froid lui piquer la peau.


Elle checke l’heure.


06:27

Bien sûr. Toujours cette foutue heure. Comme si elle avait besoin d’un rappel précis de sa misère quotidienne.


Elle reste assise quelques secondes, les mains sur les genoux, le cœur coincé quelque part dans sa cage thoracique. Puis elle se lève, enfonce ses pieds dans ses crocs, et ouvre un peu plus la porte-fenêtre. Au moins, lui, le froid, il ne ment jamais. Contrairement à certaines personnes au bureau.


La routine démarre. Douche trop chaude. Petit-déjeuner avalé machinalement, juste par discipline. Uniforme ajusté d’un geste trop automatique pour être sain. Tout est calculé pour repousser le reste. Pour ne pas penser. Pour tenir debout. Ou du moins donner l’impression.


Quelques minutes plus tard, elle est sur son balcon, une cigarette coincée entre ses lèvres. Le quartier se réveille à moitié, tirant des filets de lumière blafarde entre les immeubles gris. En bas, une vieille dame promène son Shiba avec la tranquillité insolente de ceux qui ont gagné la bataille du matin sans lever la voix. Bien sûr, la vraie victoire, c’est de ne pas finir en retard au bingo.


Akira tire une bouffée. Lente. Amère. Comme la plupart des matins.


Depuis des semaines, elle traîne cette sensation qui colle à sa peau. Un décalage. Comme si le monde grinçait à un endroit qu’elle est seule à entendre. Les rêves lourds. Les silences au poste. Les regards entre supérieurs qui n’avouent rien mais trahissent tout. Très encourageant, vraiment.


Le téléphone vibre sur la table basse. Elle se retourne à contrecœur, laisse tomber la cendre dans une tasse vide. Elle souffle une dernière fois et écrase le mégot comme un point final.

— Je suppose que ce n’est pas pour me demander si j’ai bien dormi, murmure-t-elle. Non, ça aurait été trop sympa.


Elle décroche.

— Lieutenant Tsukino ? La voix au bout du fil est rapide, presque tendue. Le chef veut vous voir immédiatement.

— Très bien… j’arrive, répond-t-elle calmement.


Elle raccroche, attrape sa veste, fixe son badge à la ceinture, et claque la porte sans même vérifier si elle se verrouille. Franchement, qui aurait envie de la cambrioler ? À part des amateurs de sensations fortes.


Elle descend les escaliers. La rue l’accueille avec ses sons tranchants : le cliquetis des pas sur le trottoir, le vrombissement des voitures, le cri lointain d’un jeune homme. Tout semble plus net, plus aigu, comme si la ville insistait pour lui rappeler que la réalité l’attend, et que ses fantômes personnels n’ont aucun droit sur sa journée.


Et pourtant, malgré la lumière du matin et le rythme familier de Toyokura… quelque chose d’inattendu l’attend déjà au commissariat.



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