The Drummer

Chapitre 13

1618 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/10/2015 16:01

Un kiosque à journaux se trouvait en contre-bas de mon hôtel. Après une nouvelle nuit bien courte, je me levais de bonne heure afin d’aller chercher le magazine qui m’intéressait.

Lorsque je passai la porte d’entrée de l’hôtel, j’aperçus le camion de livraison décharger par paquet des exemplaires du New York Times, Wall Street Journal et autres périodiques. Plutôt que de me tourner les pouces, en observant la galère des travailleurs matinaux, je me résolus à aller donner un coup de main au jeune homme qui s’occupait de la boutique. Lorsque nous eûmes fini le service, il m’offrit une tasse de son thermos de café goûteux.

- Vous êtes bien matinal vous. Sept heures, ça fait tôt pour son journal.

- Je rentre plutôt dans la catégorie des insomniaques.

- Comme vous voulez. Qu’est-ce que je vous donne ?

- Un exemplaire du Rolling Stone d’aujourd’hui, s’il vous plaît.

- Ça fera quatre dollars quatre-vingt-dix-neuf.

Alors que je commençais à m’éloigner du kiosque en direction du Prospect Parc, mes yeux scrutèrent la couverture. Pour ce premier numéro de mars 2013, la rédaction avait choisi de mettre en avant une photo de Billie Joe Armstrong[1], tatouages plein les bras. Mon interview n’était seulement notifiée que par un petit encart sur la gauche, avec la simple inscription de mon nom. Je me rendis donc en page quatre-vingt-sept, où je découvris trois feuillets, en quatre colonnes, qui m’étaient dédiées. Une photo de moi avec la batterie du studio trônait en haut de la deuxième page, le tout dans un style très épuré. Mais ce qui m’intéressait le plus, c’était ses petites phrases, reprises de l’interview et écrites avec une police marquante, comme si c’était ce qu’il fallait retenir de l’interview. D’après le journaliste, dans mon cas, il fallait retenir « Je pense que l’on est des musiciens marginaux » et « la batterie, c’est ma vie », ce qui me semblait, au vue du reste de l’interview, d’un intérêt quelconque.

  Après avoir lu en diagonale ces trois pages d’un ennui extrême, je feuilletai sommairement le reste du magazine. Lorsque je fus las de lire ces âneries musicales assis sur mon banc, je laissai le tas de papier joncher le fond d’une poubelle et retourna à l’hôtel.

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- Bon, on essaie de finir aujourd’hui.

Kate était en cabine, prête à lancer l’enregistrement, et nous parlait par le micro. Les murs colorés de la pièce faisait monter le son et lui donnait une profondeur unique. Nous envisagions d’enfin terminer l’enregistrement du disque avec le bluesy The Death of Poor Jane, après trois jours d’essais infructueux. Je regardais Jared du coin de l’œil. Il me remarqua, se tourna vers moi et me scruta d’un regard vide et déprimé.

- Ça va ?

- Moyen. Ça a donné quoi ton interview ?

- Ce à quoi je m’attendais.

- Tu penses qu’on pourra en tirer quelque chose ?

- Ça dépend du nombre de couillons qui vont l’acheter.

C’est alors qu’Andrew se mit à jouer, nous empêchant de finir la discussion. Nous nous tournâmes vers lui dès la première note, et nous remarquâmes que ces pupilles étaient aussi grosses que des boules de billard.

- Tout va bien Andrew ?

Il nous regarda droit dans les yeux pendant une dizaine de secondes.

- Des joues coulent sur mes larmes.

Jared me fixa.

- Ecstasy[2].

Cela faisait trois jours qu’Andrew arrivait constamment défoncé aux sessions d’enregistrements. D’après mes investigations, il allait chercher chaque soir, à la nuit tombée, une petite quantité de drogue au coin de 36th Street, qu’il payait avec les avances de Sub Pop. Il rentrait ensuite à l’hôtel, et, après avoir fermé sa porte à clé, il rabattait les rideaux pour s’abriter des regards, et s’ingérait toutes sortes de substances illicites. Andrew disait que cela accompagnait le métier. Jared et moi pensions que sa santé mentale ne résistait pas à la folie des grandeurs, et cela nous inquiétait grandement.

- Tout va bien, demanda Kate par le micro.

Ce fut exactement à cet instant qu’Andrew décida de vomir par terre.

- Je crois qu’Andrew supporte mal la drogue.

¤¤¤

- C’est dans la boîte !

Kate vint nous rejoindre dans le studio.

- La piste est comment ?

- Correcte. Vous voulez écouter ?

Elle fit signe à Dave, l’ingénieur du son qui nous était alloué pour l’album, de lancer la bande.

- Vous en pensez quoi ?

- Ça m’a l’air bien. Hein, Matthew ?

- Ouais, pas mal.

- Vous refaites une bande ?

- Ce n’est pas une mauvaise idée.

¤¤¤

L’enregistrement s’était terminé à peine dix minutes auparavant. Pour fêter ce point final, et le retour à un minimum de décence d’Andrew, Kate nous avait invité à boire un coup au Grey Dog’s Coffee, à deux pas du studio, pour fêter ça. A peine le serveur nous avait-il servi nos pintes que Kate lança le dialogue.

- Bon, on a de nouveaux problèmes à régler maintenant.

- C’est-à-dire ?

- Il faut parler premièrement du graphisme de l’album. Vous avez des idées ?

C’est alors qu’Andrew, dans un éclair de lucidité, entra dans la discussion.

- C’est bien de parler de ça, je voulais justement vous montrer quelques maquettes.

Il extirpa de son sac à dos noir une chemise cartonnée contenant quelques esquisses, qu’il sortit et déposa sur la table pour que nous puissions les observer. C’était des petits carrés d’une dizaine de centimètres de côté, disposés aléatoirement sur des feuilles blanches. Sur chaque bout de papier, le bassiste nous proposait un design différent. Nous nous saisîmes chacun d’un exemplaire que nous examinâmes avec attention. Celui que je choisis exhibait en son recto une modeste guitare folk, représentée par le haut du corps et le bas du manche. Au-dessus de la rosace, on trouvait un drapeau érablé[3] autocollé. Le nom de l’album, comme celui du groupe surplombait le bas de la table d’harmonie. L’ensemble générait un calme qui contrastait avec le contenu musical de l’album. Le verso correspondait au-dessous de l’instrument, ce qui donnait une pochette d’une sobriété notoire, comme si l’on ouvrait l’instrument pour un extrait l’essence même, la substantifique moelle[4] de la musique qu’il contenait.

     Alors que je m’apprêtais à retourner la page, Andrew m’arrêta.

- Je n’ai pas encore dessiné le livret, mais je pensais que pour ce modèle, on pourrait faire la quatrième avec l’intérieur d’une guitare, qui couvrirait tout l’intérieur. Et pour le livret lui-même, mettre des images de nous.

Pendant que le bassiste parlait, Jared et Kate avaient levés les yeux et observer les dessins que je tenais dans les mains. Quand notre camarade se tut, le chanteur me regarda droit dans les yeux, et nous dîmes en même temps :

- On prend celui-là.

 

[1] Chanteur de Green Day.

[2] L’ecstasy est une drogue qui provoque des troubles de la parole. C’est donc grâce à une connaissance pointue des troubles apportés par cette substance que Jared arrive à déterminer ce qu’Andrew a consommé.

[3] Le drapeau du Canada, référence au nom de l’album, Canadian Folk Fiction.

[4] Référence à maître Alcofribas Nasier.

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