La Fleur de Sylle & La Rose

Chapitre 1 : La Fleur de Sylle & La Rose

Chapitre final

5959 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 06/03/2022 10:56

[La Fleur de Sylle & La Rose]


Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : Le jardin maléfique (octobre novembre 2020).


La fillette aux cheveux châtain clair fixait dubitativement la personne assise face à elle, sur une vieille souche. Elle épousseta sa jupe noire, agrémentée d’un fine ligne rose s’accordant avec sa blouse bouffante aux longues manches.

« Donc, tu sais pas non plus comment tu es arrivée ici, c’est ça ? »

Gênée et mal à l’aise, détournant le regard, l’autre fillette pinça les lèvres et hocha la tête, les fins cheveux d’or de sa frange virevoltant alors au gré des secousses.

« Je n’en ai aucune idée », souffla-t-elle.

La première fillette croisa alors les bras après avoir réajusté la petite couronne noire trônant sur le côté de sa tête, observant les alentours de manière perplexe. À la main, elle gardait une peluche de petit lion, qui semblait toujours avoir le sourire cousu aux lèvres.

« Uuh ~ Seule la magie peut expliquer ça !, s’exclama-t-elle

– De la magie ? »

Les grands yeux violets de la petite fille dévisagèrent sa nouvelle partenaire. Ses beaux cheveux flavescents et éclatants tombaient lisses sur ses épaules et rencontraient les bretelles de sa robe blanche immaculée. Celle-ci laissait ses bras libres et tombait au niveau de ses genoux avec d’élégants volants. De fines ballerines blanches complétaient sa sage tenue.

« De la magie, oui. Je suis une sorcière, et je sais que seule la magie a pu nous réunir en ce lieu. Si tu n’y crois pas, je t’y ferai croire, moi. »

La jeune fille au regard violet devait certainement ignorer que son interlocutrice n’était pas à convaincre ; la fillette blonde gardait le silence. Elle réfléchit, se leva et s’approcha de la prétendue petite sorcière. Elle la dépassait de plusieurs centimètres, et songea qu’au vu de son caractère, cela devait l’énerver. Elle s’enquit de lui dire :

« Si je puis me permettre de résumer… Nous étions toutes les deux en train de nous promener dans notre … Notre monde. Je suppose que c’est ainsi que je dois le dire. Et sans comprendre comment, nous avons atterri ici. »

Elle prit elle aussi soin de scruter les alentours. L’obscurité commençait à envelopper le paysage, mais pas assez pour être complète. Ainsi, elles pouvaient distinguer au loin quelques arbres d’une hauteur excessive. Près d’elle, un jardin à la française garni de roses aux couleurs diverses et chatoyantes. Sous leurs pieds semblait se dessiner un chemin de terre. Sur ses bords se dressaient d’immenses lampadaires d’un noir intense, portant de légères décorations sur leurs poteaux. Si elles tendaient l’oreille, elles pouvaient percevoir le son de cascades d’eau qui chutaient à des endroits qu’elles ne pouvaient soupçonner. Le lieu laissait penser à un grand jardin, seulement, n’ayant en apparence aucune échappatoire.

« Ici, où nos deux mondes semblent se mélanger…

– Ce que tu es compliquée ! Pourquoi les grands emploient toujours des mots compliqués ? », se plaignit la fillette aux yeux violets.

Cette remarque amusa sa partenaire de déroute.

« Et pourtant je ne suis pas grande.

– Ah oui ? Moi, j’ai neuf ans. Et, je ne voulais pas te le dire car tu me faisais peur mais comme nous sommes seules ici… Je n’ai pas le choix si je veux comprendre comment rentrer. Je m’appelle Maria. Maria Ushiromiya. Et je veux revoir Maman… Uuh, uuh… »

De ses souliers rouges, elle gratta le sol terreux, les larmes aux yeux, quand elle sentit une main se poser sur son épaule. La jeune fille blonde s’était agenouillée face à elle.

« Je suis Lunafreya Nox Fleuret, mais tu peux m’appeler Luna, j’ai douze ans. Tu vois, je ne suis pas si grande que ça. Et moi aussi, dès que ce sera possible, je voudrais revoir ma maman… Il faut qu’on se soutienne pour réussir à retrouver nos maisons. Es-tu d’accord ? »

Les yeux bleu-violet et limpides de Lunafreya sourirent à Maria.

« Uuh… Je suis d’accord. Mais Lunafreya est un beau prénom ! Je vais t’appeler comme ça, uuh !»

La petite fille commençait à retrouver son enthousiasme. L’ambiance sinistre du jardin dans lequel elles se retrouvaient pour l’instant captives ne l’angoissait guère, elle, la petite sorcière qui aimait plus que tout les sombres histoires qui pouvaient lui être contées lorsque venait Halloween. Et pourtant, nombreuses auraient été les personnes envahies par la panique, enfermées dans ce faux éden par un moyen inconnu. Si d’apparence, il n’était qu’un vulgaire mélange des jardins des mondes respectifs de Lunafreya et de Maria, quand on le regardait en détail, n’importe qui eût immédiatement pris la fuite, dans une direction ne menant sans doute à rien. Elles étaient certes sur un chemin de terre, dans un lieu ouvert, mais celui-ci semblait pourtant clos. La nuit recouvrant rapidement et progressivement le jardin, les ombres se dessinaient et grandissaient, se jouaient des petites filles, avec leurs courbes informes.

C’était Lunafreya qui était anxieuse. Si cet endroit inconnu était bel et bien un mélange de leur deux mondes, qu’avait-il bien pu importer de ceux-ci ? Avait-il pu faire venir ici, en même temps qu’elles… des daemons ?

Elle n’osait l’imaginer, mais cette hypothèse quitta sa tête quand, au milieu des bruits provenant des cascades et de la luxuriante végétation, flottant à l’aide d’un vent qui ne provenait de nulle part, un grognement brisa la sérénité ambiante. Le sang de Lunafreya ne fit qu’un tour.

« Maria, tu as entendu ce grognement ?

– J’ai entendu. Qu’est que c’est ?

– Je l’ignore. Viens, nous ne devrions pas rester ici. »

Sans repère, la petite blonde attrapa la main de Maria qui ne comprenait pas vraiment son angoisse. Elle, elle aurait plus aimé se rapprocher du bruit. Mais elle préféra la suivre plutôt que de se retrouver seule.

Elles ne comprenaient pas. Le chemin semblait tourner en rond. Elles finissaient toujours par se retrouver au centre du jardin d’une parfaite symétrie. Et la densité des arbres qui l’entouraient ne permettait pas de les traverser. Les grognements se rapprochaient. Être prises au piège dans un endroit extérieur, les fillettes étaient d’accord, cela ne faisait vraiment aucun sens. Et pourtant, voilà qu’elles ne savaient plus où se réfugier pour être en sécurité.

Lunafreya était née pour protéger les siens, elle en était parfaitement consciente et l’avait accepté. Et aujourd’hui, Maria en faisait partie, même si elles venaient à peine de faire la connaissance l’une de l’autre. Alors, oubliant la crainte du danger, brûlant du seul désir intérieur de défendre sa protégée, elle se plaça devant Maria, les bras en l’air et les jambes écartées. Celle-ci, plutôt curieuse, jetait un œil par-dessus l’épaule de Lunafreya, tentant d’apercevoir la nature de ces bruits qu’elle trouvait si intrigants.

Le regard fixe et le pied ferme, Lunafreya attendait le moment où leur poursuivant allait finalement se dévoiler, bondir d’un coin sombre, d’elle ne savait où.

Quelle ne fut pas sa surprise quand son œil eut finalement reconnu ce pelage blanc qu’elle connaissait si bien. Ses bras retombèrent seuls sur ses hanches.

« Pryna… C’est donc toi ! Mais… Comment es-tu donc arrivée là, toi aussi ? Pourquoi grognes-tu ? Est-ce parce que tu ne reconnais pas Maria ? N’aie crainte. Elle ne nous veut aucun mal. En plus de cela, sourit-t-elle, apparemment, elle a des pouvoirs magiques.

– Maria est une sorcière ! Uuh, Uuh ! »

Le tic de langage de la fillette amusait Lunafreya. Les grognements cessèrent alors, et sortit de l’obscurité une silhouette canine. Les poils blancs de la chienne-louve semblaient recouverts d’une considérable couche de terre, si bien qu’elle semblait plutôt grise, de loin. Pryna courut jusqu’aux côtés de Lunafreya, qu’elle ne quittait habituellement jamais ; elle renifla Maria pour apprendre à la connaître, mais plus encore, pour la sonder. Lunafreya expliqua à Maria que Pryna n’était pas un chiot ordinaire, mais bien un messager divin. Mais ici, elle ne semblait pas pouvoir utiliser ses pouvoirs, elle les sentait comme entravés.

« Un chien des dieux ? Alors Pryna tu es magique, toi aussi ! »

L’esprit canin divin se laissa caresser par la jeune sorcière qui lui montrait, sans retenue aucune, toute l’étendue de l’affection qu’elle pouvait ressentir envers ce qui avait un quelconque rapport à la magie. Elle ne chercha pas à comprendre l’histoire de Pryna ou à recevoir de plus amples informations, cela lui suffisait grandement. Toutefois, lorsqu’elle recommença à grogner de plus belle, Maria se recula de quelques pas.

« Maria a fait quelque chose de mal… ? », sanglota la petite fille.

Le visage de Lunafreya, qui avait été attendri par l’affection de la fillette portée à son amie canine, se ferma brutalement. Sa frange aux cheveux d’or était de nouveau secouée par les mouvements de sa tête, qui s’agitait pour tenter d’apercevoir ce qui pouvait bien provoquer la colère du chiot. N’étant plus éclairées que par la lumière des lampadaires disposés dans le parc, la nuit étant pleinement tombée, le danger pouvait être tapi à chaque endroit. Après tout, elles ignoraient purement et simplement où elles se situaient. Qu’y avait-t-il de plus angoissant qu’un lieu si familier qui devenait subitement totalement étranger aux deux fillettes ?

« Non tu n’as rien fait de mal, Maria, lui dit alors la plus grande en cherchant à la rassurer. Mais il faudrait que nous réussissions à trouver un endroit sûr. Puisque nous ne pouvons pas rentrer chez nous pour le moment, essayons au moins de rester sauves jusqu’à ce que nous comprenions la manière dont nous pouvons nous échapper de cet endroit… »

Consolée de savoir qu’elle n’avait absolument rien fait qui aurait pu contrarier Pryna, et accessoirement Lunafreya, Maria retrouva un grand sourire. Ses émotions changeaient en un éclair et se transposaient toutes sur son visage très distinctement. Elles évoquaient quelque chose relevant de l’étrange même si Maria souriait simplement, sa grand canine ressortant comme une étoile dans la nuit. C’était comme si la peur avait été anesthésiée chez elle, comme si l’adrénaline de cette aventure sordide effaçait les sentiments de crainte que tout autre personne aurait pu ressentir. Mais Maria n’était pas vraiment comme tout autre personne.

Son amusement interrogeait Lunafreya, bien plus terre à terre, mais ne l’effrayait guère. Elle se demandait comment pouvait être expliqué le comportement d’une enfant si jeune face à des risques si importants, face à cette situation dont elles étaient impuissamment les prisonnières.

Alors qu’elles erraient, recherchant un quelconque indice, un semblant d’abri dans ce grand jardin dont aucune échappatoire ne semblait se dessiner, Maria attrapa le poignet de la plus grande. De son autre main, elle lui indiqua qu’elle devait diriger son regard plus loin, sur leur gauche. Pryna s’était également immobilisée, alerte.

« Ces papillons sont-ils bien… argentés ? »

Au cœur d’un jardin ne semblant abriter nulle forme de vie animale autre que les deux fillettes et Pryna, l’apparition soudaine d’une nuée de papillons aux reflets d’argent captura les voix de ces dernières.

Le battement hypnotisant de leurs ailes était semblable à une danse recelant un message codé, un secret que seuls eux pouvaient comprendre. Et ils semblaient rire. Pourtant, ça ne rit pas un papillon, Maria en aurait certainement fait la réflexion si elle n’était pas complètement obnubilée par le tourbillon incessant de ces créatures ailées.

Étaient-ils en train de se rire d’elles, de s’amuser de leur situation si peu désirable ? Pouvaient-ils présager d’une quelconque menace ?

Leur couleur dérangeait Maria qui marmonna tout bas. Quand Lunafreya s’accorda à dire qu’elle les trouvait quelque peu étranges, elle aussi, elle perçut la voix de Maria la contredire :

« Non… Mais, normalement, les papillons de Béato sont dorés… Ce sont les papillons d’or qui volent toujours à côté d’elle… Maria ne connait pas ces papillons argentés… »

Lunafreya ne comprenait pas un piètre mot de ce que pouvait lui raconter sa jeune protégée. Leur sens semblait lui échapper. Qui était cette Béato, et que faisaient des papillons dorés avec elle ? Ces éléments faisaient certainement partie de son propre monde, et lui étaient naturellement incompréhensibles. Elle chercha cependant à éclaircir ces points obscurs et tenta d’en apprendre davantage, ces nouvelles connaissances pouvant possiblement les aider dans l’assimilation de leur situation.

Folle de joie à l’idée de pouvoir se confier à ce sujet, Maria bondit d'excitation, faisant s’envoler autour d’elle un nuage de poussière terreuse. Tout aussi soudainement, elle s’immobilisa, un voile d’ombre et de déception recouvrant son visage d’enfant. La fillette blonde pencha la tête, ne saisissant pas l’origine de son enchaînement de réactions si opposées ; elle l’interrogea alors doucement à ce sujet.

Gonflant les joues, ne la regardant que par coup d’œil, Maria déclara fermement :

« Je ne te connais pas, je ne suis pas sûre que tu mérites de savoir qui est la grande Béatrice ! En plus, tu ne crois même pas en la magie !

– Qui t’a donc dit que je ne croyais pas en la magie ? »

La question de Lunafreya troubla la petite sorcière. Oui, quand avait-elle déclaré cela ? Elle balbutia alors :

« J-je ne sais pas, mais tu es sûrement comme les autres, à te moquer de moi et à croire que cela n’existe pas ! Mais je n’invente rien. Ni Béatrice, ni la magie !

– Je crois en la magie, Maria, déclara simplement Lunafreya en lui souriant. J’imagine que Béatrice est également une grande sorcière ?

– C’est même la plus forte de toutes ! », s’écria la fillette.

Lorsqu’elle s’aperçut qu’elle avait révélé l’identité de Béatrice, au-delà même, que Lunafreya l’avait devinée seule, son visage s’empourpra immédiatement, faisant alors rire la plus grande.

« Ne t’en fais pas, je ne le dirai à personne. Dis-moi juste une chose, penses-tu que ces papillons aient pu être envoyés par elle, ou par quelqu’un que tu connais ? Je n’ai jamais rien vu de tel, dans le monde duquel je proviens. »

En guise de réponse, Maria secoua lentement sa tête de droite à gauche, avant de croiser les bras, ne laissant à sa peluche que peu d’espace pour respirer. Elle lui raconta alors qu’elle connaissait seulement les papillons dorés de Béato, que jamais celle-ci n’aurait pu en envoyer des argentés, que cela ne serait qu’un gigantesque non-sens, en résumé, que c’était sûrement impossible.

« Je comprends. Après tout, il serait insensé d’imaginer que Béatrice ait pu se retrouver ici. Si tel avait été le cas, je crois qu’elle s’en serait déjà sortie depuis longtemps.

– Depuis bien longtemps déjà ! », appuya Maria.

 

Pendant leur discussion, les papillons avaient poursuivi leur danse dont la frénésie s’intensifiait crescendo. Ils ne semblaient pas se rire d’elles finalement, non… Ils semblaient plutôt les avertir ! Mais d’où provenait ce danger, qui apparaissait si imminent au fur et à mesure que s’agitaient les reflets d’argent ?

Les fillettes s’accordèrent rapidement sur le fait de les suivre. Dans une dimension dont elles ignoraient tout, hormis sa nature menaçante, elles n’avaient rien à perdre à tenter de les comprendre. Peut-être décelaient-ils quelconque indice sur la manière dont elles pouvaient s’échapper ? Suivies de près par Pryna, elles se dirigeaient vers eux par de larges enjambées.

Soudainement, le sol trembla sous leurs pieds. Une première fois si faiblement que seule Pryna le ressentit. Mais cela devint constant, et de plus en plus fort. Quand des ricanements mauvais résonnèrent, toutes trois se retournèrent en un instant.

Devant un des bosquets riches de roses dont certaines, pleinement épanouies, semblaient étrangler quelques autres aux pétales fanant, s’offrit à elles un vision horrifique. Une multitude de gobelins leur faisaient face. Ils devaient approcher de la taille de Maria, Lunafreya les dépassait donc, mais la taille ne représentait point l’amplitude du danger. Leurs nez pointus dessinaient un relief effrayant sur leur visage dont les dents aiguisées semblaient pouvoir déchirer la chair. Habillés de haillons bleu marine laissant apparaître leur corps famélique de la même couleur, ils se rapprochaient du trio. Lunafreya ne les connaissait que trop bien, eux qui comme tous les daemons réduisaient son royaume, Tenebrae, ainsi que celui du Lucis à feu et à sang. Ils étaient donc présents dans cet univers là également ? Leurs vies étaient en danger.

Maria tomba à terre. De ses bras venait de s’échapper sa petite peluche qui embrassa alors le sol terreux. Voilà qu’elle semblait se mouvoir, se transformer. Lunafreya releva la petite fille tout en observant l’étrange scène se déroulant sous ses yeux, Pryna prête à bondir sur les gobelins. Le lionceau de coton que promenait Maria s’était métamorphosé en un genre de petit garçon aux yeux rubis, habillé de ce que l’on pourrait assimiler à un long poncho jaune.

« Sakutaro ? », prononça Maria en s’adressant à lui. Voilà donc quel était le nom de la petite créature. Peureux et timide, Sakutaro n’était pour autant pas couard. Il ferait tout pour défendre la créatrice de son âme qui n’était autre que la petite fille qui le serrait dans ses bras quelques secondes auparavant. Du fait de son statut en son monde, il disposait d’une sorte d’immunité diplomatique qui le protégeait, lui ainsi que ceux à qui il l’accordait, de toute tentative d’attaque physique.

Lunafreya ne s’attendait pas à une telle apparition, elle en fut certes surprise mais son émotion demeura modérée : elle commençait à s’habituer à l’étrangeté de ces lieux et des évènements qui s’y déroulaient.

Une fois debout, Maria se précipita auprès de Sakutaro qui avait, de toutes ses forces, établi autour d’eux quatre un dôme protecteur. Cette barrière n’était qu’éphémère et une fois tombée, ils devraient faire face aux daemons.

Parvint à leurs côtés le ballet des papillons argentés qui formèrent deux spirales tourbillonnantes autour de chacune des fillettes. Le battement de leur ailes, tel ceux des paupières des petites filles, s’accéléraient tandis que les papillons semblaient à leur tour se métamorphoser. Pryna demeura calme et n’émit ni aboiement, ni geignement. À Lunafreya, les papillons se présentèrent en un trident argenté qu’elle saisit sans tarder ; il lui rappelait en étant certes plus petit, le trident dont elle avait hérité par ses ancêtres en son monde. À Maria, ils se révélèrent sous la forme d’une clef, dont l’anneau se présentait sous la forme d’une fleur, colorée en bleu. La petite sorcière n’avait aucune idée de la possible utilité dont était pourvue la clef, mais elle ne tarda pas à la ranger afin de la conserver précautionneusement.

« Ton trident est magnifique !

– C’est vrai… Je crois qu’il va m’être utile, ton ami nous a aidées jusque-là mais il nous faut prendre la relève.

–Uuh, uuh… On va se battre ?

– J’en ai crainte. »

Maria n’en avait pas vraiment crainte, elle. Son sourire dévoilant sa canine pointue s’accompagna d’un long rire à l’origine d’un long frisson qui parcourut la colonne vertébrale de la plus grande. Les multiples facettes de sa personnalité déroutaient Lunafreya, mais elle maintenait son objectif en tête : éliminer les gobelins.

Sakutaro s’excusa dans un faible murmure avant que son espoir ainsi que sa personne ne chutassent. Personne ne lui en voulait, bien au contraire : tout le monde lui était reconnaissant de son aide. Le chiot des dieux vint soulager sa chute avant que son frêle corps ne se soit effondré.

Lunafreya baissa légèrement la tête, ses cheveux d’or épousant ses mouvements, et fronça les sourcils. Ce n’était pas le moment de périr, elle avait un devoir des plus importants à accomplir dans son monde.

Dans un grand tumulte, les deux fillettes s’attaquèrent toutes deux aux daemons. Lunafreya les transperça à coup de trident tandis que Maria récitait des incantations aux pouvoirs dévastateurs que seule elle pouvait comprendre. Lunafreya était d’une agilité et d’une souplesse exceptionnelles, lui permettant d’esquiver avec aisance les coups de griffes assenés par les gobelins. Ce combat était son premier véritable, mais elle ne pouvait pas se permettre d’échouer, de plus, elle se devait d’aider Maria à rentrer chez elle, saine et sauve.

Dans la bataille, alors que Maria s’apprêtait à punir deux gobelins en les faisant souffrir de la manière la plus drôle possible, son mollet se retrouva tenaillé par la mâchoire d’un troisième qui profita de son inattention. La sorcière hurla de douleur, exacerbant ses pouvoirs qui éliminèrent d’un coup les deux daemons. Alertée, Lunafreya fit volte-face et bondit vers la plus jeune pour empaler de son trident celui qui lui déchiquetait le mollet. C’était le dernier, elle lâcha son arme et assit Maria. Le trident s’évanouit alors en un tourbillon de papillons d’argent, les mêmes ayant créé cette arme.

« Uuh !! Maria a mal, Maria a mal ! », hoquetait la plus petite entre des hurlements de pleurs.

Lunafreya essuya quelques-unes de ses larmes, parmi toutes celles qui dévalaient ses joues et dont la source semblait intarissable. Elle lui adressa calmement quelques mots rassurants puis, tout en serrant sa main, elle lui examina le mollet. Le sang ne coulait pas très abondamment mais les contours de la morsure noircissaient rapidement.

« Cela signifie que le processus de daemonification a déjà commencé… », songea Lunafreya.

À travers les villes et les contrées de son monde, les humains se transformaient en daemon à cause de ce fléau. Faibles face à la lumière et forts la nuit, comme les gobelins qu’elles avaient dû éliminer, les deamons se voyaient dépossédés de toute forme de conscience, d’humanité, d’empathie. La petite fille à la chevelure claire devait faire vite.

De sa main libre, elle recouvrit la blessure de Maria qui gémissait continuellement. De celle-ci se mit à émaner une douce et chaude lumière. Cette légère lueur qui se propageait autour de la morsure s’accompagnait de petits éclats qui virevoltaient autour.

« Par la grâce des étoiles de la lumière et de la vie, que nous soyons délivrées du fléau des ténèbres… »

Maria sembla alors se détendre. La main de Lunafreya cessa de scintiller, mais l’autre tenait toujours celle de la petite sorcière qui ne pleurait plus. La blessure de la petite sorcière s’était complètement refermée, elle avait disparu. Lentement, elle tourna le regard vers celle qui lui avait ôté sa douleur, et, elle l’ignorait, qui l’avait sauvée d’une déshumanisante transformation.

« Tu crois à la magie… Car tu es une sorcière, Lunafreya… C’est ça … ? », articula-t-elle faiblement. Un fin sourire éclaira le visage de la plus grande.

« Non, ce n’est pas tout à fait ça… Je ne suis pas une sorcière, mais un oracle. Cependant tu as raison, je ne peux que croire à la magie puisque je la maîtrise également, en une certaine manière. Seulement, nous ne maîtrisons pas la même magie.

– Hmm, Maria comprend. Lunafreya est une sorcière blanche !

– Pas vraiment, Maria, mais je suppose que la représentation que tu te fais d’une sorcière blanche se rapproche sûrement de ce que je suis capable de faire…

– Soigner ?

– C’est cela, conclut Lunafreya en un sourire.

– Dis… finalement les papillons argentés, ils nous ont bien aidées.

– C’est vrai. Je ne sais pas comment nous aurions pu survivre, sans eux… »

Elle s’assura que le mollet de Maria n’était plus douloureux avant de l’aider à se relever. La petite la remercia, en lui exprimant à quel point elle admirait ses talents de sorcière blanche, et l’implora d’accepter de lui apprendre un jour.

« Oh, c’est un don, je ne peux pas te l’apprendre… »

Maria se mit alors à bouder, mais Lunafreya l’interpela au sujet de la clef qu’elle avait récupérée juste avant le combat. Leurs pensées se recentrèrent alors exclusivement à ce sujet : qu’était-elle destinée à ouvrir ? Autour d’elles, pas une seule porte, pas un seul bâtiment. Elles songèrent que ce jardin était alors bien pire qu’un labyrinthe, celui-ci disposant au moins d’une sortie, bien qu’elle soit difficile à trouver, il existait un chemin qui y menait ! Ici, les chemins ne menaient à rien. Et voilà que cette clef, sans porte à ouvrir, constituait un mystère qui venait épaissir un brouillard qu'il l'était déjà suffisamment.

Une autre question était restée sans réponse dans leurs esprits : s’il n’existait ni entrée, ni sortie, comment les daemons étaient-ils parvenus à atteindre ce jardin ?

La seule explication qu’elles purent considérer comme probable fut que les gobelins avaient tout simplement été, comme elles, transportés sans le savoir dans ce jardin. Ce jardin qui n’était finalement, au regard de tous les éléments qu’elles avaient pu réunir, qu’une boule à neige, une maison de poupée dans laquelle elles étaient retenues prisonnières. Mais le vice était poussé à son paroxysme en leur octroyant un sentiment de liberté factice et totalement inatteignable.

Leur seul objectif, une fois cette hypothèse établie, reposait désormais sur le fait de trouver le moyen de briser cette cage, quel qu’il fût.

Maria consolant Sakutaro, tous les quatre ne pouvaient maintenant qu’avancer sur les quelques chemins qui se rejoignaient tous infiniment, immuablement.

L’angoisse les étreignit à nouveau lorsque le silence, jusqu’alors uniquement rompu par leurs quelques discussions, se vit brisé par un bourdonnement sourd et désagréable. Il ne présageait rien de bon.

Devant eux se révéla alors une entité monstrueuse, immense.

« Oh, non… », laissa échapper Sakutaro

Un corps d’homme habillé d’un costume noir élégant dévoilait, lorsque que le regard remontait, une infâme tête de bouc au poil tout aussi noir et aux yeux rouge sang. Son hostilité était grandement perceptible.

« Tu le connais, Sakutaro ? demanda Maria.

– Oui… Il est, comme tous les autres de son espèce, au service de Madame Béatrice, uryu !

– Béato ne pourrait jamais nous attaquer ! »

Pryna grogna, fit un pas vers la créature, prête à lui bondir dessus. Le poil de cette dernière vira au rouge grenat.

« Je n’en ai jamais vu d’une telle couleur, s’exclama alors Sakutaro, ce ne sont pas les mêmes que ceux de Madame Béatrice !

– Pryna, reviens, nous devons fuir ! », lui hurla Lunafreya.

Elle attrapa la main des deux petits avant de se mettre à courir, une fois de plus. Ils se dirigèrent vers des petits escaliers où ils purent trouver, une fois gravis, deux simples bancs qui se faisaient face. Derrière, la barrière d’arbres qui les empêchait de sortir du jardin se poursuivait.

C’en était fini d’eux, cette fois-ci.

Pryna aboya, puis poussa de la tête Lunafreya vers le centre du petit espace au sol terreux. Elle se résolut alors à comprendre ce qu’essayait de lui transmettre la chienne divine.

Ce fut quand elle s’accroupit qu’elle aperçut ce que Pryna avait trouvé.

Un trou de serrure était visible, dessiné dans la terre.

Lunafreya en était certaine, la clef qui leur avait été donnée par les papillons devait s’y insérer. Elle ignorait les possibles issues de cet acte, mais elle préférait encore essayer plutôt que de périr des mains de cet être odieux qu’elle ne pouvait affronter.

Elle indiqua à Maria de regarder le trou et d’y insérer la clef : c’était leur seule chance d’essayer de fuir la mort qui était imminente. Sans poser plus de questions, accordant une confiance aveugle à Lunafreya dès lors qu’elle avait appris sa nature de « sorcière blanche », elle fit pénétrer la clef à la fleur et la tourna.

Un mécanisme retentit alors avec une intensité insoupçonnée. Le bruit semblait résonner de toute part, provenir de partout, et de nulle part. Tout le monde s’était immobilisé.

Soudainement naquit sous leurs pieds un vrombissement qui n’eût tardé de se transformer en un énorme tremblement. Tous s’étaient couchés, ventre à terre, et se cramponnaient solidement les uns aux autres tandis que Lunafreya serrait Pryna d’un bras.

La terre tremblait littéralement sous eux-mêmes… Elle se fissurait ! De grandes fissures recouvrirent de part et d’autre le sol du jardin.

Elles ne tardèrent pas à s’élargir, c’était le jardin lui-même qui était en train de se décomposer ! Les racines des arbres se retrouvèrent au ciel, les branches se brisaient entre elles dans de grands fracas. Les pétales des roses tombaient tandis qu’elles s’évanouissaient, disparaissant éternellement dans les ravins qui s’étaient creusés.

Au-delà du jardin, c’était bien tout ce monde, cet univers clos qui s’effondrait.

Si c’était là bien la fin, Lunafreya la trouvait plus douce qu’une froide exécution par un bouc. Elle leva ses yeux bleus remplis de larmes vers Maria et Sakutaro.

« Je suis désolée que nous devions nous dire adieu de cette manière… Je suis toutefois heureuse d’avoir eu la chance de vous connaître.

– Uuh, ne sois pas trop triste Lunafreya ! Nous avons tous fait de notre mieux… Maria est aussi contente d’avoir connu une sorcière blanche si douée !

– Uryu, renchérit Sakutaro, vous avez été des amis formidables ! »

Tous se retinrent de fondre en larmes et, alors que le morceau de terre auquel ils étaient accrochés se mit à sombrer à son tour dans les abysses, Lunafreya déposa un petit baiser sur le front de Pryna.

« Merci… »

Puis le noir les enveloppa.

Ne demeurait plus rien de ce jardin maléfique, sauf peut-être au loin, le bruit sourd des cascades qui chutaient encore et encore.

Des cascades… Pourquoi des cascades ? Pourquoi en restait-il ?

Lunafreya ouvrit les yeux. Elle était allongée au milieu d’un grand jardin alors que le soleil semblait se coucher. Néanmoins, ce jardin-là, elle le connaissait bel et bien : il s’agissait du sien, le jardin du royaume de Tenebrae. L’eau coulait en trombe des cascades situées sur des petits îlots de terre qui flottaient dans les airs. Une luxuriante végétation l’entourait. Sur ses bras, sur ses jambes, d’innombrables ecchymoses, griffures et autres blessures. Son petit corps avait considérablement souffert, elle n’avait pas inventé ses sensations.

Elle se releva avec difficulté dans le champ de fleurs bleues qui coloraient son jardin. Elle put alors constater qu’à ses côtés dormait tranquillement Pryna, dont la respiration lente et régulière constituait une musique agréable et apaisante à son oreille. Lunafreya orienta son regard vers le crépuscule. Là, ses yeux furent attirés par un élément particulièrement singulier en ce lieu : au milieu des fleurs de Sylle qui habillaient le jardin se dressait fièrement et espièglement une rose dont le rouge était des plus francs.

Lunafreya sourit. Mais son sourire n’était qu’à moitié sincère. Il est vrai qu’elle était rassurée. Elle était vivante, Pryna aussi, ce qui signifiait qu’il en était très certainement de même pour Maria et Sakutaro. Toutefois, ce monde disparu, cette cage de jardin qui les avait enfermés telles de misérables poupées n’avait rien de naturel, tout comme l’apparition des gobelins ou de l’homme-bouc. Il s’agissait forcément d’une machination préparée par un esprit des plus cauteleux.

L’idée de son identité s’aiguisait dans son esprit. Alors elle se dit que quand elle sera plus grande, plus puissante, elle le défierait. Lunafreya était de plus en plus persuadée qu’il avait très certainement joué le rôle principal, en les observant à travers le prisme du manipulateur. En attendant d’avoir la force de défier cette force divine, elle s’entraînerait.

Lunafreya caressa une dernière fois du regard la fleur si spéciale qui avait éclos au cœur de son jardin, puis, pris Pryna dans ses bras avant de se diriger vers le château dont les parois reflétaient les subtiles couleurs du couchant.

Loin, bien loin, en une autre époque, un autre temps, les lèvres d’une fillette se fendirent pour laisser échapper un petit rire, permettant à sa canine apparente de se dévoiler. Elle souffrait, son front accueillait à contre-cœur une bosse visible, mais être débout suffisait à la contenter. Au fond, cette aventure ne l’avait-elle pas amusée davantage qu’effrayée ? Sans doute ne s’avouera-t-elle pas la tristesse et la peur qu’elle avait pu rencontrer là-bas. Dans ses bras se trouvait une petite peluche de lionceau, légèrement abîmée par endroits. Satisfaite, Maria observait de ses yeux violets la fleur bleue qui avait subitement poussé parmi toutes les roses des jardins du manoir des Ushiromiya.

Sur sa tige, elle avait accroché un joli ruban bleu.


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