Kyme - Partie 1 - Tests

Chapitre 7 : Le Village de Hari

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:24

Le Village de Hari


 


 

Linoa contemplait son reflet dans la seule source d'eau du village. Son image devenait souvent invisible sous la vapeur que dégageait le liquide. Cette source d'eau chaude permettait au village d'avoir de l'énergie et une température douce. Comme elle l'avait pressenti, c'était une sorte de second village Shumi. Elle se remémora leur arrivée ici et les évènements qui avaient suivi. On ne pouvait pas dire que le premier contact avait été amical. Cela avait même failli virer au pugilat. Après avoir passé la porte de pierre, cette dernière s’était refermée derrière eux. Elle et Raijin avait sursauté mais Fujin était restée impassible. Rapidement, ils se sont rendus compte qu'une semi- clarté baignait la grotte, leur permettant de s'y diriger. Fujin avait pris la tête et s’était dirigée vers le lieu de sa naissance. Au détour d'un tournant, la clarté était devenue plus forte et ils avaient été éblouis. Le temps que leurs yeux se soient habitués, des dizaines de cris furent poussés et quelques instants après, des dizaines d’hommes s’étaient approchés d’eux d’un air haineux armés d’objets contondants.

- Qui êtes-vous ? Comment êtes- vous entrés ? avait crié l’homme le plus proche armé d’une fourche.

Ils n’avaient pas répondu, surpris par la tournure des évènements. Fujin, elle, s’était mise en retrait .

- Alors répondez ! Ou vous préférez que l’on vous tue ?

- Ça, ça m’étonnerait, avait répondu Raijin impassible en sortant son bâton.

Linoa avait elle aussi armé son tronçonneur dans le même temps et Angel s’était mise à grogner. Fujin était restée immobile, mais les hommes avaient reculé craintivement, voyant que leurs adversaires n’étaient pas de simples voyageurs. Raijin avait remarqué que ces hommes ne savaient pas se battre à la façon dont ils tenaient leurs armes qui étaient plus souvent des outils de ferme.

- Alors vous voulez toujours jouer avec nous ou pas ? avait-il ensuite provoqué.

Les fermiers avaient hésité. Ils leur semblaient évident qu’ils ne pourraient pas l'emporter sur de tels adversaires. Raijin avait alors senti la main de Fujin qui lui avait demandé de s’écarter. Il avait obtempéré. En la voyant, les plus vieux avaient froncés les sourcils. indéniablement, sa silhouette et son maintien leur avait rappelé quelqu’un qu’ils avaient connu, il y avait longtemps. Fujin avait pris son inspiration.

- Je suis Fujin Hoecke, fille de Majin et Edern Hoecke ! Je suis ici sur la demande d’Edéa Kramer, la sorcière que vous avez chassé avec son mari, il y a maintenant seize ans. Je suis à la recherche de renseignements sur Orceïn et Orina !

Un grand brouhaha avait parcouru l’assemblée. Linoa et Raijin avaient regardé Fujin avec étonnement. Elle ne les avait jamais autant impressionné par l’assurance qu’elle dégageait. Son attitude avait complètement changé. Un jeune homme avait alors traversé la foule et avait couru à leur rencontre. Il était habillé d’un jean bleu et un tee-shirt gris sale débraillé. Il était armé d’une faux à la main. Raijin s’était avancé mais Fujin l’avait arrêté d’un signe. Quand il avait été plus près, Linoa avait pu détailler son visage. Il avait l’air avenant, contrastant avec la foule hostile. Ses cheveux bruns entouraient un visage fin aux yeux clairs. Assez grand, il faisait presque la taille de Raijin.

- Fujin, tu m’as manqué !

Et il lui avait aussitôt enserré la taille et l’avait soulevé de plusieurs dizaines de centimètres. A leur étonnement, Fujin s’était laissée faire et n’avait pas réagi. Il l’avait ensuite reposé à terre et s’était reculé de plusieurs pas.

- Que tu as changé ! Je te reconnais à peine !

- Toi aussi, Maxime. ..

Il s’était rapproché à nouveau d’elle et lui avait ébouriffé les cheveux sans qu’elle ne cille. Raijin avait été sidéré. S’il s’était permis de telles familiarités avec elle, il aurait atterri à l’hôpital depuis longtemps. Le jeune homme avait éclaté de rire, mais saisissant le regard sans sentiment de son amie, il se calma.

- Je suppose que tu ne nous a toujours pas pardonné. ..

- Ça ne se serait tenu qu’à moi, je ne serais jamais revenu, ici. Il est encore en vie ?

- Oui...

- Dommage. Ne pas le voir ou sa mort m’aurait facilité la tâche.

- Je te comprends. Mais tu sais, moi aussi, je ne me suis jamais pardonné de t’avoir laissé partir. J ’aurais dû t’en empêcher et te retenir.

- On en a déjà discuté, lui répondit-elle d’un ton plus humain.

- Oui. .. Mais tu...

- Écartez-vous tous !

La voix puissante et sonore avait fait rapidement diviser la foule, ouvrant un passage. Un homme d’une grande stature était passée par l’ouverture, le pas sûr. Son visage était carré et il avait laissé pousser un bouc dans la fossette de son menton. Ses cheveux étaient courts et gris comme ceux de Fujin. Une grande barbour lui recouvrait tout le corps. Une grande prestance se dégageait de lui. Il était plus grand que Raijin. Maxime s’était écarté quand l’h0mme était arrivé à leur portée.

" Sûrement leur chef ", avait songé Raijin. L’homme s’était arrêté à un mètre d’eux et avait dévisagé Fujin avec insistance.

- Comment oses-tu revenir ici ! Tu dois quitter immédiatement ces lieux ! Le village a déjà suffisamment souffert de ton insouciance, alors maintenant, pars ! tonna l’homme.

Linoa s’était tournée vers Fujin et avait rarement vu une telle haine dans un regard. Seule Ultimecia semblait pouvoir la surpasser. Mais Fujin ne s’était pas laissée impressionner et sa riposte fut violente et très radicale.

- Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi, toi qui as laissé mourir ma mère !

La tension entre les deux personnes avait été suffocante. Maxime avait voulu s’interposer.

- Monsieur Hoecke, Fujin voulait juste. ..

- Reste en dehors de ça, Maxime ! le réprimande le nommé Hoecke.

" Hoecke, c’est le père de Fujin ? " s’était étonnée Linoa. Mais la tension était restée lourde et Maxime s'était balancé d’une jambe sur l’autre, cherchant un moyen de désamorcer l’épineuse crise.

- Pars maintenant ! Et vous aussi ! reprit le chef du village en s’adressant à Raijin et Linoa. Vous n’êtes pas les bienvenus ici !

- Nous ne partirons que quand nous aurons obtenu ce que nous voulons ! hurla Fujin.

Linoa s'était demandée comment Fujin avait pu résister à la terrible aura qu'avait dégagé l’homme et qui les avait tétanisé, elle et Raijin.

- Que veux-tu !

- Savoir qui sont Orceïn et Orina ! avait-elle répliqué.

L’homme avait eu un imperceptible frémissement que Fujin avait su déceler. Il n’aurait pas pu le lui cacher.

- Je ne les connais pas. Partez !

- Menteur ! Je ne bougerai pas tant que je n’aurai pas eu ce que je cherche !

Le chef avait alors souri. Un instant, on aurait pu croire qu’il avait été content.

- A ce que je vois, tu es aussi obstinée que ta mère. Dans ce cas. ..

Il s’était tourné vers la foule qui avait attendu les résultats de la discussion. La voix puissante de leur chef leur était parvenu.

- Ces personnes ne veulent pas partir ! Comme je veux éviter un inutile bain de sang, j’annonce qu‘elles resteront ici jusqu’à ce qu’elles se décident à partir ! Quand elles le feront, je les sommerai de ne rien dire de notre village et je les leur ferai juger sur Hyne !

Un murmure de désapprobation avait parcouru la foule. Maxime avait soupiré, soulagé.

- Et que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi, viennent me le dire ! avait-il ajouté d’un ton menaçant.

Ces dernières paroles avaient mit terme à toutes protestations. Linoa était encore en train de se demander comment il pouvait posséder une voix si puissante, quand il s’était ensuite retourné vers les perturbateurs, c’était à dire eux.

- J’espère que tu es satisfaite de toi, Fujin.

- Ne parle plus jamais de ma mère en ma présence, l'avait-elle coupé acide.

- Comme tu veux. Qui sont les deux personnes qui t’accompagnent ?

- Raijin Diamal et Linoa Heartilly.

- Mon nom est Edem Hoecke, chef du village de Hari. Écoutez-moi bien, tous les trois. Sachez que vous ne trouverez rien ici qui puissent vous intéresser. Et que votre séjour ici ne sera pas une partie de plaisir. Vous pouvez rester chez moi jusqu’à votre départ. Mais je vous préviens, si j’apprends que vous causez le moindre trouble au village, je vous expulserai sur le champs et vous ne pourrez rien y faire. Au plus tôt vous partirez, au mieux ce sera.

- Nous repartirons dans une vingtaine, avait déclaré Fujin, glaciale.

- Bien.

Sans ajouter un autre mot, Edern avait commencé à descendre la pente vers la foule. Linoa avait alors pensé qu’ils étaient encore plus accueillant qu’Esthar. En entendant son ventre crier famine, elle avait risqué la question de savoir s’ils avaient la possibilité d’avoir un repas. Le rire qu’avait poussé Edern à ce moment-là l’avait surpris de tout au tout. Un rire plein de chaleur et communicatif. Il lui avait ensuite assuré qu’ils savaient encore bien traiter les gens, tout au moins matériellement, avait-il ajouté d’un ton cynique en traversant la foule qui s’était à nouveau fendue pour les laisser passer.


 


 

Les lumières des lampes externes baissèrent d’intensité signalant l’arrivée de la nuit. Linoa s’allongea dans l’herbe entourant la source. Edern avait dit la vérité. Dans le village, tout le monde les évitait ou les ignorait, mais ils avaient un couvert et un gîte plus que correcte. Edern était très ouvert avec eux et avait écouté leurs histoires avec attention, avide qu’il était de connaître les nouvelles et la forme du monde extérieur qu’il ne connaissait pas. Mais il n’avait guère apprécié de découvrir que Linoa était une sorcière et était redevenu méfiant, craignant qu’elle ne provoque quelques catastrophes. Il fut rassuré de savoir que c’était Edéa qui l’avait formée, mais la prévint qu'en temps normal, les sorcières étaient interdites de séjour au village. Mais vu que des étrangers s’étaient introduits dans leur village secret, ils n’étaient donc pas dans un temps normal, et il lui avait accordé le droit de rester mais en contrepartie elle devait sceller ses pouvoirs pour ne pas inquiéter les habitants. Elle s'exécuta de bonne grâce, mais quand elle voulut en savoir plus sur la raison d’autant de prudence, Edern s’était refermé et n’avait plus rien dit. Depuis, ils avaient tous les trois parcouru le village à la recherche de renseignements mais ils n’avaient rien trouvé. Seul Maxime, très serviable, s’était joint à leur recherche, mais il n’était au courant de rien. Linoa avait donc dirigé ses recherches sur les raisons d’une telle fermeture sur l’extérieur, mais n’avait pas eu plus de succès. Edern, apparemment, était toujours aussi fermé sur ces questions tout comme sur celles sur Orceïn et d'orins. Il devait savoir quelque chose car il était toujours ouvert à leurs autres questions. Il lui avait expliqué avec détails comment fonctionnait ce village fermé et elle l’avait parcouru avec curiosité. Mais on en faisait vite le tour. Elle soupira. Ce condensé de Winhill et du village Shumi était ennuyant. Selphie aurait détesté être là. Cette pensée la fit sourire. Quinze jours s’étaient écoulés depuis leur départ et elle se demandait comment allaient les autres et si leur voyage allait finalement servir à quelque chose. Angel était pareille à elle-même, vagabondant à droite et à gauche, quémandant de la nourriture aux villageois qui s’empressaient de la surgâter. Elle avait plus de succès qu’eux ce qui était un peu ironique. Ils n’avaient rien et elle, elle obtenait toujours gain de cause et tout ce qu’elle voulait. Comparé à la relation que vivait Fujin et son père, elle devait être au paradis. Leur relation était toujours aussi tendue. A table, un voile de glace s’instaurait souvent, brisant l’harmonie qui régnait. Depuis, Fujin s’était rendue sur la tombe de sa mère et avait interdit à son père de l’y accompagner. Celui-ci n’avait heureusement pas protesté vu les vives réactions qu’avaient sa fille à son encontre. Le seul fait notable nouveau était que Raijin allait s’entraîner avec Edern depuis quelques jours. Cela avait été dû au fait qu’ils manipulaient tous deux la même arme. Edern l’avait dissimulée sous sa barbour la première fois qu’il les avait vus et savait servir de façon hors-norme. Si un combat avait eu lieu à leur arrivée, nul doute qu’ils les aurait battus malgré leur puissance et son âge avancé. Il savait cacher habilement sa force. Durant leurs entraînements, Raijin n’avait jamais réussi à le toucher, mais ses yeux pétillaient de plaisir avant chaque affrontement. Cela le stimulait d’avoir un adversaire d’une telle valeur.

Linoa resoupira. Il restait encore dix jours avant le retour de l’Hydre, et elle ne savait plus que faire. Elle commençait à s’ennuyer ferme. Un bruit de pas, derrière elle, attira son attention. Elle tourna la tête et aperçut Maxime qui vint s’asseoir à côté d’elle.

- Ça va ? demanda-t-il doucement.

- Oui, répondit-elle gentiment à sa question, à part que je commence à m’ennuyer.

Il sourit.

- Ça ne m’étonne pas,il n’y a rien à faire ici.

Linoa s’étira et se rallongea.

- Pourquoi restes-tu ici, alors ?

- C’est chez moi.

- Vu comme ça... Mais dis-moi, puisque tu es là, tu ne voudrais pas me raconter comment est morte la mère de Fujin ?

Elle avait déjà pu beaucoup discuté avec lui et elle se doutait qu’il connaissait bien mieux Fujin et son histoire qu’il ne le disait vu l’indéfectib1e amitié qui semblait les lier. Mais Maxime ne sembla pas aimer sa question.

- Pourquoi ?

- Fujin refuse d’en parler et je ne pense pas que son père soit plus ouvert qu’elle sur ce sujet.

- Je vois... Mais il faut les comprendre eux aussi. L’une a perdu sa mère et son œil,et l’autre a perdu sa femme et sa fille.

- Raijin avait raison.

- Hein ? s’étonna Maxime.

- Il avait remarqué qu’elle était différente depuis qu’on est arrivé ici et il avait fait le rapport avec la perte de son œil.

- Il a eu raison. Une des règles du village est que si l’un d’entre nous sort et qu’il se fait attaquer par un monstre, il doit se défendre seul, même s’il doit en mourir. Personne n’a le droit d’aller le secourir, quoi qu’il en coûte. Le secret de notre village doit être maintenu à tout prix. Et je ne sais pas pourquoi, continua-t-il en voyant que Linoa allait lui poser son éternel question sur ce mystérieux secret. C’est ainsi et c’est tout. C’est une des raisons qui fait que nous sortons rarement et juste à quelques pas de l'entrée pour récupérer quelques éléments que nous ne pouvons avoir. Mais c’est ce qui a fait que Fujin a perdu son œil et sa mère. Ce fut la seule et unique fois où nous nous sommes retrouvés face à ce type de situation.

- Que s’est-il passé ? encouragea Linoa.

- Fujin était totalement insouciante à cette âge-là et elle ne faisait que provoquer des déboires au village. Elle ne pensait pas à mal, elle faisait cela pour s’amuser, au désespoir de ses parents. Edern passait son temps à réparer les dommages qu’elle causait. Et puis, il y a huit ans. ..

- Oui ? continua-t-elle à le soutenir, voulant enfin connaître le fin mot de l’histoire. Elle voyait bien que c’était difficile pour lui d’en parler.

- Fujin a décidé de frapper un grand coup. Elle a voulu sortir sans personne avec elle pour prouver qu’elle était une grande fille face à ses parents qui ne faisaient que lui faire des remontrances sur son immaturité, malgré l’amour immodéré qu’ils lui portaient. Fujin n’était définitivement pas une enfant facile à cette époque-là. J’ai essayé de l’en dissuader, mais elle était décidée. Et quand elle était comme ça, rien ne pouvait la faire changer d’avis. Elle était bornée au possible. Elle est sortie et c’est alors que. ..

Maxime marqua une pause. Linoa se tut, voyant bien que l’on arrivait à la partie tragique de l’histoire et que Maxime, même s’il en avait été que spectateur en avait souffert.

- Il faut savoir qu’à cette époque, un troupeau de monstres avait repéré notre présence et attaquait sans cesse avec un malin plaisir les personnes à l’extérieur, en espérant nous faire sortir. Ils ne savaient pas où nous étions mais ils nous cherchaient sans relâche, espérant pouvoir nous exterminer, même si, en général, ceux qui se faisaient attaquer s'en sortaient sans trop de dégât vu que les monstres abandonnaient quand il voyait qu'aucun autre d'entre nous ne se montrait. Tu te doutes bien que s’ils avaient réussi à pénétrer dans la grotte, ça en aura été fini de nous car, comme tu as pu le voir, nous ne savons pas nous battre. En voyant Fujin, seule devant la muraille, ils n’ont pas hésité, ils l’ont attaquée. Tout le village fut aussitôt sur le pied de guerre, prêt à faire face au danger. Mais nous ne pouvions rien faire. Edern, lui-même, qui était déjà notre chef à cette époque-là, nous avait ordonné de ne pas bouger. Cette décision lui coûtait beaucoup, sachant qu’il sacrifiait sa fille aux monstres. Je n’oublierai jamais le regard qu’il arborait ce jour-là. Un regard plein de douleur mais décidé. Il mettait sa fonction au-dessus de tout. Par respect pour lui et sa souffrance, personne n’a agi. Personne n’aurait su sacrifier sa fille pour la survie du village. Mais une personne s’est interposée. Sa femme, Majin.

- La mère de Fujin ? se rappela Linoa.

- Oui... Aussi obstinée que sa fille, elle refusa de risquer la possibilité de la perdre. Elle profita d’un instant d’inattention d’Edern et l’assomma. Elle se précipita au-dehors par une autre sortie pour que les monstres ne puissent la voir et trouver le village, et boucha cette dernière. Les villageois qui la poursuivirent, se retrouvèrent bloqués. Pendant ce temps-là, les autres s’occupaient de réveiller Edern, ne sachant que faire. D’autres, enfin, surveillaient ce qui se passaient au-dehors.

- Comment faites-vous ? Pour observer ce qui se passe dehors, rajouta Linoa.

- Il y a des cavités qui permettent d’observer l’extérieur sans être vu. On les utilise pour savoir si quelqu’un se fait attaquer quand il sort. Il n’y a normalement des gardes qu'à ces moments-là. Mais quand les monstres nous pourchassaient, il y en avait toujours un.

- Mais alors. ..

- Fujin avait endormi le garde avec du somnifère et était sortie, coupa Maxime devinant la question.

- Elle avait de la suite dans les idées. ..

- Oui. Quand le garde reprit conscience, il était déjà trop tard. Les monstres s’approchaient de Fujin en lui coupant toute retraite. Elle ne les vit pas s’approcher, absorbée par ce qu’elle faisait. Le garde a donc couru prévenir Edern, et quand il est revenu à son poste, les monstres l’entouraient et

commençaient à l’attaquer.

- Pourquoi ne l’ont-ils directement tuée ? s’étonna Linoa.

- Ils ont dû jouer avec elle comme un chat avec une souris pour nous obliger à sortir. D'habitude, ils n'insistaient pas en voyant que rien ne se passait. Mais là, ils semblaient enragés. Peu de temps auparavant, un énorme tremblement de terre nous avait tous secoués. Peut-être était-ce lié...

Linoa déglutit difficilement. Elle n’aurait pas aimé être à la place de Fujin ce jour-là. Elle comprenait mieux pourquoi cette dernière était si froide quand on lui posait des questions sur la perte de son œil. Maxime continua.

- Peu après, il vit Fujin perdre son œil et Majin tenter de sauver sa fille. Elle mourut en le faisant.

Les monstres partirent déçus de n’avoir eu plus d’humains à tuer. Le garde vint aussitôt nous prévenir que nous pouvions sortir. Je n’oublierais pas non plus la tête qu’il faisait. Sa pâleur et son dégoût m’avait pétrifié. Il semblait anéanti par son impuissance. Edern avait repris ses esprits un peu avant. Et plus il se rappelait la situation, plus la terreur s’inscrivait sur son visage. Il fallut cinq hommes pour le tenir jusqu’à l’annonce du garde. Ils le relâchèrent alors et il se précipita à l’extérieur suivi par une grande partie du village. Ils ne trouvèrent que le cadavre de Majin et Fujin, inconsciente, cachée sous sa mère. Les monstres l’avaient oubliée. Sa blessure à l’œil saignait beaucoup. Edern la ramena aussi vite qu’il put chez notre médecin. Il ne ressortit que quand le médecin lui assura qu’elle s’en sortirait. Il quitta alors un instant le village pour chercher le corps sans vie de sa femme. Il avait interdit à quiconque de s’en approcher. Personne n’osait le regarder quand il revint avec Majin dans ses bras et moi je pleurais sans cesse, complètement dépassé par les évènements. Ma mère essayait de me réconforter mais rien n’y faisait, je ne pouvais m’arrêter. Je ne me suis arrêté que quand Edem est ressorti de chez lui avec son arme. Je n’avais jamais vu, et n’en reverrait sans doute jamais plus, de visage aussi déterminé et fermé que celui-là. Il s’en dégageait une telle puissance que beaucoup ne pouvait plus bouger. Toute la fureur et la souffrance qui habitaient son corps nous happait tous. Ses yeux étaient totalement inhumains. Certains réussirent quand même à réagir pour l’empêcher de commettre cette folie, mais ils mordirent la poussière dans la seconde qui suivit. Plus rien ne pouvait l’arrêter. Certains essayèrent de le suivre, mais il les distança en un rien de temps. Quand tout le village le perdit de vue, tous espérèrent qu’il leur revienne en vie. Un lourd tribut venait d’être payé et chacun espérait qu’il n’allait pas s’étendre. Chacun rentra donc chez soi la tête basse. Moi, je suis allé voir Fujin; le docteur m’a vite rassuré sur son état. Elle était totalement hors de danger mais avait besoin de sommeil car elle avait perdu beaucoup de sang. Il me laissa tout de même rester à son chevet. L’après-midi se finit donc dans la douleur et le tristesse. Ce n’est que tard dans la nuit que le vigile en poste réveilla subitement tout le village. Edern arrivait. Tous se précipitèrent au-devant de lui. En le voyant couvert de sang, nous avons tous compris que les monstres qui nous avaient tant persécutés et fait tant souffrir, n’étaient plus qu’un mauvais souvenir.

- C’est là qu’il a eu sa cicatrice au bras ?

- Tu l’avais remarquée ? Oui, c’est depuis ce jour-là qu’il l’a. Edern, pour se venger et pour la protection du village, a exterminé tout le groupe de monstres qui nous tournait autour.

- Mais ils étaient combien ? s’étonna Linoa.

- D’après le vigile en poste l’après-midi, une quarantaine.

- Quoi !

- Je sais, ça paraît incroyable, reconnut Maxime. Surtout qu’il n’avait rien pris pour se guérir en cas de problèmes.

- Mais alors pourquoi Fujin déteste-t-elle autant son père ? Après ce qu’il a fait, elle ne devrait pas lui en vouloir.

- Malheureusement, l’histoire n’est pas finie.

Elle eut une moue de surprise.

- Edern est resté impassible devant la joie du village. La fureur se lisait encore sur son visage. Ce fut à ce moment que le médecin annonça que Fujin revenait à elle. Edern est allé la voir et c’est là qu’il a commis la plus grosse erreur de sa vie. Il doit encore le regretter.

- Qu’a-t-il fait ?

- Il a enguirlandé sa fille comme il ne l’avait jamais fait. Il lui a dit que sa mère était morte par sa faute et lui a crié dessus pendant un quart d’heure. Personne n’a réagi, choqué et sidéré par son attitude. Fujin était terrorisée. Elle a dû en être traumatisée, surtout que son père était en sang. Il est finalement sorti de la chambre en claquant la porte et s’est aussitôt écroulé dans le couloir. Ce n’était pas bien grave, il avait juste perdu connaissance à cause de la fatigue. Il s’est réveillé le lendemain. Mais Fujin avait disparu. Elle avait quitté son lit et était sorti de la ville.

- Quoi ! Elle n’a pas fait ça quand même !

- Si. Elle est venue me voir avant de partir et m’a dit qu’elle ne voulait plus rester ici, dans un lieu où son père avait failli la laisser mourir et où sa mère était morte. Pour elle, si sa mère était morte, c’était parce que son père n’avait pas voulu aller la sauver. Elle refusait en bloc l’idée qu’elle puisse être la cause de la mort de sa mère. Pourtant elle connaissait les règles. Mais, moi aussi, j’ai commis l’erreur de ma vie, ce jour-là. Je l’ai laissée partir. Devant sa résolution, je n’ai pas osé la contredire et lui dire qu’elle se trompait, du moins en partie. Mais j’ai voulu partir avec elle. Elle a refusé, car elle disait que ce n’était pas mes affaires et que je devais m’occuper de ma mère qui était fragile depuis la mort de mon père dans un accident au travail. J ’ai malheureusement cédé. Ensuite, je n’ai jamais dit à personne que je l’ai vue partir cette nuit-là. J ’avais peur de la réaction de ceux qui m’entouraient. J ’ai été lâche.

- Tu ne peux pas t’en vouloir, tu devais être encore sous le choc des évènements qui venaient d’arriver, réconforta Linoa.

- Peut-être...

- Et comment a réagi Edern au départ de sa fille ?

- Quand il l’a appris, il est devenu comme fou. Il l’a cherchée partout en vain pendant un mois. Mais rien n'y fit. Fujin avait complètement disparu. Il s’est alors cloîtré chez lui. Perdre sa femme et sa fille a été un rude choc pour lui. Avec le temps, il est redevenu lui-même, mais quelques fois, nous voyions tous que son regard redevenait triste et songeur. Nous le laissions alors tranquille, car nous ne pouvions rien faire pour le soulager de sa peine.

- Mais alors pourquoi quand il l’a revue l’autre jour, il n’a pas été heureux de enfin pouvoir la revoir ? Il n’avait aucune raison d’être aussi rude avec elle.

- Il ne doit pas se sentir digne d’être son père après ce qu’il lui a fait subir. Il a certainement été content de la revoir, mais il l’a caché. Il préfère la considérer comme une fauteuse de troubles que comme sa fille. Ça lui permet de cacher ses sentiments et de parler à sa fille en tant que maire du village et non en tant que père. Il évite ainsi la confrontation direct avec sa fille dont il sait qu’elle le déteste. Il avait quand même choisi de la sacrifier. Il doit encore s’en sentir coupable.

- Il faut changer ça ! s’exclama Linoa. Ça ne peut plus durer ainsi !

- Je doute qu’on puisse y faire quelque chose. Chacun est plus ou moins coupable et refuse de le reconnaître. L’un, parce qu’il allait sacrifier sa fille, et l’autre, parce qu’elle est la cause de la mort de sa mère.

- Oui, mais pour le peu que je connaisse Fujin, je suis certaine qu’elle en veut plus à son père pour la mort de sa mère que pour le fait qu’il allait la sacrifier. Droite comme elle est, je suis sûre qu’elle aurait agi comme son père si la même situation s’était présentée à elle. Donc nous n’avons plus qu’à convaincre Fujin que sa mère a agi à l’encontre de son père ! Elle ne doit même pas savoir qu’il était inconscient au moment des faits ! Pas plus qu’elle ne connaît la réaction qu’a eu son père après la mort de sa mère ! Tout ce qu’elle a gardé de lui, c’est qu’il l’a violemment accusée de la mort de sa mère. Mais il n’était pas dans son état normal ! On doit pouvoir réussir à lui faire changer d’opinion au sujet de son père. Ainsi, elle acceptera peut-être enfin de lui parler et pourra le délivrer de son sentiment de culpabilité à son encontre ! commençait à s’exciter Linoa, heureuse de pouvoir enfin se rendre utile dans ce si tranquille village.

- Pourquoi ne pas demander simplement à Edern de s’excuser ?

- Je doute que nous réussissions à aborder le sujet avec lui, et même si nous y arrivions, telle que Fujin est, elle refusera de l’écouter, tandis qu’Edern, lui, sera prêt à écouter sa fille. Il faut qu’on la fasse changer d’avis ! Suis-moi ! Il faut qu’on retrouve Raijin ! Lui seul pourra nous aider, ici !


 


 


 


 


 


 

NdA :


 

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