Sans perdre de temps

Chapitre 2 : Barry, as-tu du cœur ?

2886 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/06/2020 11:52

Iris West tapota sur son clavier, nerveuse. Elle avait besoin de sommeil, mais il n'était pas encore l'heure de rentrer chez elle. Les heures s'étaient enchaînées depuis la tombée de la nuit, les bureaux s'étaient vidés ils étaient désormais déserts et les seuls sons qui lui parvenaient étaient ceux de la ville au-dehors. Elle jeta un œil à l'horloge : minuit moins le quart. Iris soupira. Elle n'arriverait à rien, aujourd'hui encore.


— Allez, Darren, laisse-moi en apprendre un peu sur toi…


La frustration qu'elle éprouvait était aux limites de l'insupportable. Ses contacts dans les milieux les moins fréquentables de Central City n'avaient jamais entendu parler du bonhomme – ou pire, étaient trop effrayés pour prononcer son nom – et même les fichiers de la police ne gardaient aucune trace de ce Darren Alston.


Elle avait appris son existence trois semaines auparavant, en plein milieu d'un conflit familial et, pour ne rien gâcher, quand la menace de Savitar se faisait d'autant plus présente qu'ils ne pourraient plus s'offrir le luxe de l'ignorer. Barry se comportait de façon bizarre ces derniers temps. Elle pouvait comprendre qu'il était préoccupé par leur ennemi commun, mais il ne semblait plus être le même par moments. Pire encore, il lui faisait des cachotteries. Qu'il puisse bouder dans son coin ou avoir besoin d'être un peu tranquille pour ruminer ses idées sombres, passe encore. Mais qu'il lui dissimule des informations, à elle ou à n'importe quel autre membre de l'équipe Flash, ça, c'était inacceptable. Ils étaient une famille, bon sang !


Elle avait trouvé le portable prépayé dans la poche d'une veste appartenant à Barry. Pas qu'elle soit allée y fouiller de son plein gré, non. Elle était simplement en train de rassembler des vêtements histoire de faire un peu d'ordre dans la maison, quand le téléphone était tombé de sa poche. Bien sûr, le fait que la curiosité l'ait emporté dès qu'elle avait eu l'engin en mains n'avait rien à voir avec le fait qu'elle suspectait Barry d'avoir des choses à cacher.


C'était un modèle des plus basiques, le genre qu'on achète à moins de vingt dollars dans n'importe quel kiosque de la ville. Le genre qu'on achète quand on veut se rendre invisible. Elle n'y avait jeté qu'un bref coup d'œil, un peu honteuse tout de même de violer ainsi l'intimité de celui qu'elle considérait comme son frère – voire plus si affinités. D'un autre côté, s'était-elle dit, quand ledit frère avait le pouvoir de dévier le cours naturel du temps comme bon lui chante, mieux valait se montrer prudent.


Le journal des messages ne contenait qu'une seule conversation, avec ce fameux Darren. Elle avait enquêté en toute discrétion auprès de l'équipe Flash, mais eux non plus ne connaissait personne de ce nom-là, ni dans leurs alliés, ni dans leurs ennemis. Bref, tout ce qu'elle avait récolté comme informations jusque-là, c'était que ce type était un parfait inconnu. On avait vu mieux. Les échanges qu'il avait eu avec Barry ne lui en apprenaient pas beaucoup plus. Les messages étaient cryptiques, à base de « C'est fait » ou de « Je l'ai trouvé ». Impossible de savoir de quoi ils parlaient précisément, et Iris était convaincue que cela ne présageait rien de bon. Elle connaissait trop bien Barry. Jusque-là, elle avait pu deviner qu'il avait chargé Darren de récupérer quelque chose pour lui. Quoi, elle n'en savait rien, mais il était plusieurs fois fait mention d'un « truc ». D'autres messages sous-entendaient qu'ils avaient déjà travaillé ensemble plus d'une fois, ce qui n'avait pas été pour la rassurer.


Cependant, au milieu de ces bouts de correspondance qui auraient pu vouloir dire tout et son contraire, huit d'entre eux, envoyés le jour-même où elle avait trouvé le portable, l'avaient interpellée.


Alors, quel temps tu as, là-bas ? avait demandé Barry.

Quelle importance ? avait répondu Darren.

Je prends des nouvelles, c'est tout…

Comme c'est touchant.

Quand tu rentreras, on ira manger chez Kimchi Ma ? Elle a ajouté une option « challenge » à son menu de rice cake épicé, je me suis dit que ça te plairait…

A quoi tu joues, gamin ?


La conversation s'arrêtait là, du moins de ce qu'elle en savait. Cependant, cela ajoutait une variante non négligeable. Ce Darren n'était pas seulement un homme de main pour Barry, c'était un ami. Et le fait qu'il puisse être ami avec une personne qui semblait ne pas exister était troublant, pour le moins qu'elle puisse en dire.


Elle s'était rendue chez Kimchi Ma, qui s'était révélé être un restaurant coréen bon marché spécialisé dans les recettes épicées. Iris avait prétexté écrire un petit article pour le journal et avait expliqué au fils de la patronne, seul employé dont l'anglais était compréhensible, que Barry lui avait conseillé leur boutique. Elle l'avait décrit en long, en large et en travers, précisant qu'il était sans doute venu accompagné d'une autre personne, mais aucun d'entre eux ne s'en rappelait – ou alors leur avait-on suggéré de ne pas s'en souvenir, souffla la voix de la paranoïa au creux de son oreille. Elle était repartie après avoir joué la journaliste gastronomique et s'était demandé, la bouche en feu et les larmes aux yeux face à son plat « medium », à quel point il fallait être cinglé pour tenter le mode « challenge ». Bref, l'aventure, en plus d'avoir été gustativement déplaisante, s'était révélée infructueuse. Elle avait bien essayé de tirer les vers du nez à Barry, avec quelques questions suffisamment vagues pour qu'il ne se doute de rien, mais il les avait toutes esquivées.


Elle abandonna à la seconde-même où elle se rendit compte qu'elle venait de passer dix minutes à fixer l'écran de son ordinateur. Elle n'avancerait plus aujourd'hui. Elle se frotta les yeux et s'étira. Les lumières des bureaux de Picture News étaient éteintes depuis longtemps, elle se retrouvait plongée dans la pénombre. Il était vraiment temps de rentrer.


Elle arriva chez elle après avoir circulé dans un état semi-comateux sur les routes heureusement désertes à cette heure-ci. Elle s'était tout de même fait quelques frayeurs, et avait regretté de ne pas être rentrée à pied. Quand elle entra dans la maison, Joe n'était pas encore couché. Il s'était installé devant les rediffusions d'un match, dans lequel il était si plongé qu'il n'entendit pas sa fille entrer. Il ne remarqua sa présence que quand elle s'assit à côté de lui.


— Oh, tu m'as fait peur… soupira-t-il, la première frayeur passée.

— Je ne pensais pas être à ce point terrifiante, répondit-elle en lui déposant un baiser affectueux sur le front. Barry n'est pas rentré ?

— Si, si, il est même déjà couché. Je ne sais pas ce qui se trame à STAR Labs en ce moment, mais il n'a pas décroché un mot de toute la soirée. Ça ne me rassure pas…


Iris fronça les sourcils. C'était évident, Barry avait un problème et il y avait des chances que cela ait à voir avec ce fameux Darren. Elle n'en avait pas encore parlé à Joe, préférant attendre d'avoir plus de précisions avant de l'inquiéter pour rien. Bien sûr, plus le temps passait et plus elle doutait que ce soit « pour rien » mais elle ne voulait pas ajouter de l'huile sur le feu qui s'attisait déjà bien tout seul. Ils avaient tous beaucoup à penser. Cependant, de plus en plus, elle songeait à se confier à lui. Elle était certaine que Barry ne pensait pas à mal, et que si Darren était en effet un criminel, ils ne pouvaient s'être alliés que pour une cause noble. Du moins, c'était ce dont elle tentait de se persuader par tous les moyens. Si elle ne pouvait plus avoir confiance en la bonté de Barry, à qui et à quoi pourrait-elle se fier ?


Elle monta se coucher après avoir grignoté quelques restes. Aucun son ne s'échappait de la chambre de Barry. Il semblait effectivement dormir… ou bien, il était parti. La main posée sur la poignée, elle hésita longtemps à entrer, mais finit par renoncer. Elle aurait tout le temps de lui parler le lendemain.


Elle se réveilla vers sept heures trente, sans aucune envie de quitter le confort de son lit et ne réussit à s'en extirper qu'au prix d'efforts surhumains et d'une promesse à elle-même que plus jamais elle n'accumulerait autant d'heures supplémentaires. Aurez-de-chaussée, Joe était déjà levé et buvait son café, assis dans le canapé, comme s'il n'avait pas bougé depuis la veille. Sur la table basse était posé un colis d'une vingtaine de centimètres de hauteur, pour autant de largeur.


— On a commandé quelque chose ? demanda-t-elle tandis qu'elle se servait elle aussi un café dont elle avait bien besoin.

— C'est pour Barry, répondit-il en désignant du doigt l'étiquette du destinataire.


Il n'en fallut pas plus pour piquer au vif la curiosité d'Iris. Elle s'installa dans le fauteuil du salon, jetant un regard faussement nonchalant à l'adresse de l'expéditeur. Sa respiration se bloqua quand elle parvint à le déchiffrer et elle dut serrer sa main autour de sa tasse pour ne pas la lâcher.


— Ça vient de Darren Alston, lut-elle en s'efforçant de garder son calme. Ça te dit quelque chose ?

Joe haussa les épaules.

— Pas du tout.


Elle hocha la tête et prit son mal en patience. Barry ne tarderait pas à descendre et il ouvrirait sans doute le colis tout de suite. Si l'intuition d'Iris était la bonne, il s'agirait de ce fameux objet volé par Alston. Elle avait d'abord pensé à des informations, ou à un objet technologique qui pourrait leur permettre de vaincre Savitar, et à la forme de la boîte, son cœur penchait de plus en plus vers la deuxième solution.


Barry ne fit son apparition qu'un quart d'heure plus tard, les cheveux encore humides après sa douche. A peine eut-il posé le pied au rez-de-chaussée qu'Iris pointa du doigt le paquet posé sur le coin de la table basse.

— Pour toi. De la part d'un certain Darren Alston.


La réaction ne se fit pas attendre. En une fraction de seconde, Barry s'était assis devant la boîte, cutter en main.


— Est-ce que tout va bien ? demanda Iris tandis que, colis sur les genoux, Barry entreprenait d'en découper le ruban adhésif.

— Oui, oui, ne t'en fais pas. J'attendais ce paquet depuis un moment, c'est tout. Avec un peu de chance, ça va nous être d'une grande aide contre Savitar.


Iris ne sut pas si elle devait jubiler ou se contenter d'être soulagée. Elle avait eu raison, il avait monté tout ce plan dans l'unique but de vaincre leur ennemi. Il lui sembla qu'un poids énorme avait quitté ses épaules. Elle avait eu raison de lui faire confiance.


La joie de Barry s'estompa d'un seul coup. Auparavant illuminé par un sourire impatient, son visage se tordit de confusion alors qu'il extirpait une glacière bleue du carton. De toute évidence, ce n'est pas à cela qui s'attendait. Dans un geste d'une lenteur inhabituelle pour l'homme le plus rapide du monde, il posa le cube de plastique sur la table basse et l'observa sans bouger, comme s'il débattait de l'ouvrir ou non. Il avança sa main, jusqu'à effleurer le couvercle, et la retira tout de suite, tremblant.


— Barry ?


Il avança de nouveau sa main et la posa finalement sur la boîte, les yeux fermés, se murmurant à lui-même des paroles qu'Iris ne comprenait pas. Elle avait beau ne pas distinguer de mots précis, elle savait reconnaître une prière quand elle en entendait une. Elle ne remarqua que plus tard qu'il tenait croisés l'index et le majeur de sa main gauche. Que craignait-il donc tant ?


Elle n'eut pas le temps de lui poser la question. D'un geste si rapide qu'elle ne put pas le voir, il ouvrit le couvercle et révéla l'intérieur de la glacière. Iris, trop occupée à scruter la réaction de Barry, ne regarda pas tout de suite, contrairement à son père. Ce ne fut que quand ce dernier se leva qu'elle comprit que la situation était sérieuse.


— Vous deux, leur intima-t-il, ne touchez surtout pas à ça. Je vais appeler le labo.


La tension dans la voix de Joe était palpable, Iris l'avait rarement vu dans cet état. Barry, lui, se leva et se dirigea vers la porte d'entrée. En une fraction de seconde, son teint avant viré au blanc et Iris parvint à distinguer une larme poindre au coin de son œil.


— Faut que j'aille prendre l'air, je me sens pas bien, dit-il sur un ton égal, sans que ce soit adressé à quelqu'un en particulier.


Bien qu'elle n'était plus très sûre de vouloir savoir ce que contenait ce colis, Iris tourna la tête vers la glacière. Elle était remplie aux deux tiers de glace, sur laquelle était posée une masse de chair rouge. Iris s'approcha un peu plus, la curiosité se montrant plus forte que la nausée qui commençait à lui tordre l'estomac.


C'était un cœur, un cœur humain. On l'avait placé dans la boîte comme dans un écrin, comme s'il s'était agi d'un cadeau. Des morceaux de veine pendaient mollement tout autour et rougissaient la glace en dessous. Un morceau de papier rectangulaire et taché de sang accompagnait le tout. Iris le saisit entre ses ongles. Tant qu'elle ne laissait pas d'empreintes, elle pourrait toujours le remettre en place après.


La carte comportait une seule phrase, écrite au stylo, semblait-il à la hâte. L'encre avait un peu bavé par endroits à cause de l'eau, mais le message restait lisible.


Admire les conséquences de tes actes, Flash


D'un geste qui tenait plus du réflexe que de l'acte réfléchi, elle écrasa la carte dans sa main. Elle la montrerait à son père plus tard, mais il ne fallait en aucun cas que les enquêteurs tombent dessus. Elle eut tout juste le temps de la fourrer dans sa poche avant le retour de Joe dans le salon.


— Oui, c'est ça, expliquait-il à son interlocuteur, un cœur humain. Oui, je suis sûr qu'il est humain.

Il marqua un temps de pause.

— Eh ho, je sais à quoi ça ressemble, un cœur de porc, Marcus, et ça ressemble pas à ça. Oui, c'est bon, je t'attends. Non, on touche à rien.


Il raccrocha et poussa un profond soupir.


— C'est bon, le légiste va venir d'ici quelques minutes. Où est Barry ?

— Il est parti prendre un peu l'air, il se sentait mal… Je lui laisse quelques minutes pour se remettre et j'irai voir comment ça va.


Joe jeta un bref coup d'oeil à la boîte, avant de s'en détourner avec une grimace de dégoût.


— Pas étonnant. Quand même, je me demande ce que ça veut dire… c'est quoi, un avertissement ? Je ne sais pas du tout si Barry était mêlé à une enquête délicate en ce moment, mais ça pourrait expliquer… ça.


Iris se leva et se dirigea vers lui d'un pas lent. Il n'allait pas être ravi qu'elle lui ait désobéi, mais c'était pour la bonne cause. Avec précaution, elle sortit le morceau de papier cartonné de sa poche et tâcha de le défroisser du mieux qu'elle put.


— Je pense que c'est à Flash que celui qui a envoyé ça en voulait, dit-elle en le lui tendant.


Un instant, elle voulut évoquer le sujet de Darren Alston avec lui, mais décida finalement qu'il faudrait un peu plus que les quelques minutes qu'ils auraient avant l'arrivée du légiste pour faire le tour de la question. À son grand soulagement, Joe ne parut pas lui en vouloir. Il déchiffra le message, les yeux plissés, avant de glisser la carte dans la poche de son pantalon. Elle avait eu raison, mieux valait garder cette partie de l'enquête secrète.


— Je vais aller voir Barry, déclara-t-elle après un long silence.


Elle le trouva assis sur les marches, la tête entre les genoux. Quand elle vint s'installer à côté de lui, il tourna la tête pendant un instant, avant de se replonger dans sa contemplation du sol. Même dans ce court laps de temps, Iris avait eu le temps de voir ses yeux rougis et gonflés par les larmes. L'interrogatoire en règle qu'elle avait prévu en venant le voir pourrait sans doute attendre, décida-t-elle, et elle se contenta de poser une main réconfortante sur l'épaule de Barry. Après tout, il venait sans doute de perdre un ami, et pas de meilleure façon qui soit.



— Je suis désolée, fut tout ce qu'elle parvint à dire. On va vite découvrir qui a fait ça.


Laisser un commentaire ?