Sans perdre de temps

Chapitre 9 : Des graciés et des punis

3005 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/07/2020 16:30

Cisco arriva dans le Cortex pâle et essoufflé. Il n'avait pas eu la patience d'attendre l'ascenseur et avait monté les marches quatre à quatre, dans l'espoir de réduire l'agitation qui l'envahissait. Par chance, Barry, Caitlin, Harry étaient tous les trois présents, en pleine délibération sur la conduite qu'il fallait adopter à présent qu'il était presque certain que Savitar était impliqué. Oliver, lui, avait prévenu qu'il arriverait un peu plus tard dans la journée. Tant mieux, se dit Cisco. Il avait remarqué la tension entre Barry et lui, et même si la raison lui échappait, il préférait les tenir éloignés l'un de l'autre le plus longtemps possible.


— Faut… Il faut…


Il ne parvenait plus à trouver ses mots. Harry, assis dans son fauteuil, index appuyés sur le menton, soupira.


— Calmez-vous un peu, Ramon, et dites-nous ce qui se passe pour que vous vous mettiez dans des états pareils.


Il lui lança un regard agacé. Est-ce qu'il apprendrait à être sympathique un jour, celui-là ? Les autres l'observaient avec un mélange d'inquiétude et de curiosité, pendant que Caitlin se précipitait sur lui pour lui tendre une bouteille d'eau.


— J'ai vibé une fille en bas de l'immeuble tout à l'heure. Je crois qu'elle est en danger… ou qu'elle est dangereuse… ou les deux…


Il venait de capter leur intérêt. Entre deux gorgées de son latte ultra-sucré, il les fixa du regard tour à tour. D'habitude, ses visions s'estompaient au fil des minutes, si bien qu'il finissait par n'en rester que des bribes. Celle-ci était encore vivace dans son esprit, chaque détail lui sautait aux yeux. Il fallait en profiter.


— Elle a récupéré mon pass au Jitters et m'a suivi jusqu'ici pour me le rendre. On a un peu discuté, je l'ai remerciée, on s'est serré la main…

— Les faits, Ramon.


Nouveau regard assassin.


— Je l'ai vue avec un couteau dans le ventre. Mais c'est pas tout : ses yeux sont devenus rouges, injectés de sang, un vrai regard de malade. Elle a haleté deux secondes et a retiré le couteau comme ça, comme si c'était rien du tout. Et il y avait presque pas de sang autour de la blessure.


Ils jetèrent tous des regards circonspects en direction des autres.


— Un nouveau metahumain ? demanda Harry. Comme si on avait besoin de ça.

— Ça ressemble à rien de ce qu'on a vu jusque-là, répondit Caitlin. Vu ce que tu nous décris, ça a l'air d'être un pouvoir de régénération assez spectaculaire, mais ces yeux rouges, c'est bizarre… Un coup de Bivolo peut-être ?


Cisco secoua la tête, avant de s'affaler dans le fauteuil le plus proche.


— Non, non, ça avait rien à voir avec ces yeux rouges là. C'était vraiment… je saurais pas dire… comme les yeux d'un animal sauvage. Mais c'est pas ça le pire.


Il reprit sa respiration. Bien que sûr et certain de ce qu'il avait vu, il n'arrivait pas encore à y croire.


— Quand elle a enlevé le couteau, elle a dit un truc du genre : « Ça, c'est pas très gentil, chéri » et elle a tiré avec le fusil cryogénique. Sur Barry.

— Le fusil cryogénique, répéta Caitlin. Tu veux dire…

— Celui de Snart, oui. Enfin, celui que Snart a volé et qu'en principe, il était le dernier à avoir en sa possession.

— Et elle a tiré sur moi ?


Il hocha la tête. Un long silence s'ensuivit. Voilà, il avait lâché le morceau. Désormais, restait à leur dire qu'il l'avait invitée à venir chanter avec eux. Cela lui avait semblé être la meilleure solution sur le moment. Ils auraient toute la soirée pour déterminer s'il s'agissait d'une vraie menace ou si une autre explication restait envisageable.


Tandis que chacun y allait de son avis sur la nature de cette vision, passant de la plus simple à la plus alambiquée, Barry demeurait étrangement silencieux. Cisco ne doutait pas qu'il se reproche la mort de Snart, mais quand il le vit sur le point de parler, puis l'instant d'après, se pincer les lèvres pour se forcer à se taire, il sut que quelque chose n'allait pas. Il croisa son regard pendant une fraction de seconde, Barry se contenta de tourner la tête.


Il ne vint vers lui qu'une fois que tous le monde repartit vaquer à ses occupations habituelles. Barry entraîna Cisco par le bras jusqu'à un atelier désert et ferma la porte derrière eux. Plusieurs fois, il regarda au-dessus de son épaule pour s'assurer que personne ne les voyait.


— Cette fille, quand elle m'a tiré dessus… Tu as vu où elle était ?


Cisco dut se concentrer un instant pour s'en souvenir. Les éléments les plus importants de la scène étaient toujours gravés dans sa mémoire, mais les détails s'effaçaient à mesure que passaient les secondes. Du décor, il ne voyait plus que des formes floues, à peine discernable.


— Je suis quasiment sûr que c'était une cuisine. Plutôt dans les tons beiges et gris. Il y avait… euuuh… il y avait un de ces comptoirs en îlot et une énorme hotte en métal. Ça avait l'air d'être dans un appartement, mais je suis pas sûr…

— Est-ce que dans le fond de la pièce, il y avait une porte ?

— Oui… répondit Cisco après un instant de réflexion. Une porte sombre qui menait dans une pièce claire.

— Et est-ce qu'à droite de cette porte, il y avait un grand tableau entièrement bleu ?


Interpellé par la question, Cisco ne répondit pas, et se contenta de dévisager Barry. Il savait quelque chose qu'il ne leur avait pas dit, et plus que vexé, Cisco s'en sentit inquiet. Barry leur disait tout, c'était leur accord et la seule garantie d'un bon fonctionnement de l'équipe. S'il leur avait caché une information, la situation prenait une toute autre tournure. Qu'est-ce qui pouvait être si grave que Barry, l'honnêteté incarnée, ait décidé de ne pas en parler à son meilleur ami ? Cisco finit par hocher la tête. Le carré bleu saphir flottait encore dans ses souvenirs, unique bigarrure dans un espace de brun, de beige et de noir.


— Tu sais où c'est ?


Il s'agissait plus d'une invitation à parler que d'une véritable question il était évident que la réponse était « oui ».


Une fois de plus, Barry lança un coup d'œil par-dessus son épaule. Rien n'avait changé, ils étaient toujours seuls dans la pièce. Cisco crut un instant qu'il se mettrait enfin à table, mais hésita, commença des phrases, se ravisa, recommença. Finalement, il se laissa choir sur un fauteuil à roulettes et fixa le sol pendant encore un instant avant de se lancer. Son regard se plongea dans les yeux noirs de Cisco, laissant transparaître une vulnérabilité telle qu'il n'en avait jamais vue.


— Tu me promets que tu ne diras rien aux autres ? Si ça vient à se savoir, j'aimerais que ça vienne de moi.

— Bien sûr, tu peux me faire confiance.


Cette fois, c'était sûr, quelque chose de grave était arrivé. Cisco se rappela la conversation qu'il avait eue plus d'un an plus tôt avec Oliver, au sujet du mystérieux objet de l'amour de Barry. Et si Iris s'était trompée ? Et s'il était bien sorti avec une femme, et que cette femme n'était autre que la petite blonde au teint de cadavre qu'il venait de rencontrer ? Elle avait affirmé n'être que de passage en ville, mais cela pouvait bien être un mensonge, pour ce qu'il en savait.


— Cet endroit, je le connais. C'est l'appartement de Snart.


Voilà qui était inattendu. Il savait que Barry et Snart avaient plusieurs fois concocté des plans tordus dans le dos de l'équipe Flash, ce n'était pas exactement une information inédite. Cependant, Cisco était loin de s'imaginer que Barry ait eu connaissance d'une des planques de Captain Cold sans prévenir aucun de ses coéquipiers.


— Mais comment tu sais…

— Comment je sais à quoi ça ressemble ? Disons que j'y ai passé un bon moment l'année dernière quand…


Son regard se faisait fuyant. Il examina tour à tour une vis oubliée sur la table puis ses propres ongles, sans pouvoir affronter Cisco. Ce dernier se doutait de la révélation qui allait arriver, mais une partie de son cerveau bloquait l'information, refusait qu'elle puisse être vraie. Barry prit une grande inspiration, soupira.


— L'année dernière, Snart et moi, on a eu une aventure.


Enfin, c'était dit. Cisco ne sut comment réagir. Il aurait sans doute dû s'énerver, ou au moins se sentir blessé que Barry ne lui en ait jamais parlé. Mais devant l'expression peinée de Barry, devant ses yeux qui rougissaient de seconde en seconde, il ne parvenait pas à ressentir autre chose qu'un pincement au cœur.


— J'ai essayé de vous le dire plusieurs fois, je te jure que j'ai voulu tout vous avouer presque tous les jours pendant ces six mois. Mais j'avais beaucoup trop peur. J'avais peur que vous pensiez que j'étais en train de faire une erreur ou que vous recommenciez à me voir comme une menace à cause de ça. Et surtout, j'avais peur que vous lui fassiez du mal à lui.


Cisco tira une chaise et vint s'asseoir près de Barry, tandis qu'il commençait à lui raconter comment c'était arrivé. Il laissait de côté les détails les plus intimes, s'arrêtant un instant quand il était sur le point de trop en dire, les lèvres pincées, les yeux fixés sur un point de vide à mi-chemin entre lui et le sol. Il lui raconta comme il avait tenté de résister, de se persuader que c'était une mauvaise idée, que cela ne pouvait déboucher que sur une catastrophe, et comme il n'avait rien pu faire d'autre que céder. Ç'avait été les meilleurs sept mois de sa vie, autant que les pires, coincé dans un bonheur sans bornes entre son cœur et sa raison. Pas une seule fois il ne prononça le mot « amour », il n'en avait pas besoin. Ses sentiments transpiraient dans chacune de ses phrases, teintés de désespoir. Il n'en avait pas voulu, il n'avait pas choisi, il avait été pris dans le courant et n'avait pas pu — pas voulu — se débattre.


Quand il lui parla d'Oliver, et du choix qu'il l'avait forcé à prendre, il dût s'arrêter un instant pour essuyer ses yeux humides d'un revers de manches.


— Désolé… renifla-t-il. Tu dois me trouver pitoyable.

— Je m'inquiète pour toi, surtout. Je ne vais pas te dire que je comprends ce que tu lui trouves, ni même que j'aurais bien réagi si tu étais venu m'en parler à l'époque, mais je vois bien que ça te touche et que si tu n'en parles à personne, ça finira par empirer et vraiment te faire du mal. Alors si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là.

— J'ai été tellement lâche, Cisco. J'aurais dû tenir tête à Oliver. Si j'avais été un peu plus courageux, il serait encore en vie à l'heure qu'il est…


À défaut d'une réponse adéquate, Cisco posa sa main sur l'épaule de son ami. Il ne doutait pas qu'Oliver aurait mis ses menaces à exécution, et il était peu probable que Cold, même armé de son fusil cryogénique, puisse tenir tête à un justicier surentraîné, qui avait plusieurs fois eu le dessus sur Flash. Il se retint de le formuler à voix haute mais, en toute vraisemblance, Snart serait mort dans les deux cas.


— Écoute, rien n'est de ta faute, d'accord ? Tu as fait ce que tu pouvais pour protéger une personne que tu… enfin, à qui tu tenais. Si tu as besoin de quelqu'un à qui parler, je suis là, de jour comme de nuit. Tu as le droit d'avoir mal et d'être en deuil. Tout ce que je veux, c'est que tu ne fasses rien d'irréfléchi.


La peur qu'il ressentait à l'égard des pouvoirs de Flash s'était estompée à mesure qu'il avait appris à le connaître, mais l'immense potentiel qu'il renfermait le terrorisait encore parfois. Il n'en tirait aucune fierté. Barry était son ami, et si quelqu'un n'avait aucune intention de causer du tort à qui que ce soit, c'était bien lui. Cependant, cette inquiétude revenait le hanter en temps de crise. Une tristesse et une colère aussi profondes, couplées à une aptitude à réécrire le cours du temps, cela ne présageait rien de bon.


Barry hocha la tête. Il lui fallut encore de longues minutes pour se calmer, puis il retourna vers le Cortex.


— Merci, Cisco, dit-il avant de disparaître derrière la porte.


La soirée arriva plus vite que Cisco ne l'avait cru, et avec elle, l'obligation de révéler le plan — foireux, sans aucun doute — qu'il avait concocté le matin. Ils étaient tous installés dans une voiture de fonction de STAR Labs, en route pour le centre-ville quand il se décida à larguer la bombe. Harry avait décidé de ne pas les suivre dans leurs « enfantillages », ce serait déjà un lot de remarques désobligeantes en moins.


Il choisit d'être le plus direct possible, de ne pas y aller par quatre chemins.


— Vous savez, Olivia, la fille dont je vous ai parlé tout à l'heure ? En fait, je l'ai invitée au karaoké.

— Tu as fait quoi ? s'exclama Caitlin.

— Après ma vision, je lui ai dit de nous rejoindre au Jitters ce soir. Je me suis dit qu'un endroit public et neutre, ce serait parfait pour la jauger et voir si elle représentait un danger.

— Tu l'as vu me tirer dessus… dit Barry. C'est pas une preuve suffisante qu'elle est dangereuse ?


Il haussa les épaules. Il n'était sûr de rien quand il s'agissait de ses visions. Sans aucun autre élément de contexte, il ne pouvait pas se permettre de juger de la situation.


— Je te rappelle que tu la plantes dans le ventre aussi, avant ça. Du peu qu'on en sait, c'était de la légitime défense…

— Mais je poignarderais jamais personne, moi ! Tu me connais, quand même ?

— C'est bien pour ça que je trouve ça étrange, figure-toi.


La conversation s'arrêta là. Ils arrivèrent au café une demi-heure avant le début de la soirée, et commandèrent chacun un café et de quoi grignoter. Olivia n'était pas encore arrivée. Elle ne fit son apparition que quinze minutes plus tard et vint s'asseoir à leur table avec toute la nonchalance du monde. Elle se présenta à tout le monde comme elle l'avait fait pour Cisco quelques heures plus tôt : Olivia « mais appelez-moi Liv » Moore, de Seattle, venue faire du tourisme dans le Midwest.


Ces derniers temps, les pouvoirs de Cisco s'étaient développés. Ses visions devenaient de plus en plus détaillées, mais ce n'était pas tout. Il s'était récemment découvert une capacité à ressentir les émotions de ceux qui l'entouraient, sans avoir besoin de les toucher, cette fois. Il ne parvenait pas encore à le déclencher à volonté, et seules les émotions les plus intenses restaient identifiables avec certitude. Cela ne l'empêcha pas d'essayer de ressentir les intentions de cette drôle d'inconnue. Il voulait au moins déceler, si elle existait, la moindre trace d'animosité à leur égard. Mais rien, pas l'ombre d'un indice. Elle était pour lui comme un livre ouvert mais vide, rédigé à l'encre sympathique.


Peu à peu, ils réussirent à se détendre en sa présence. Elle était étrange, on ne pouvait pas le nier, et son attention se portait un peu trop sur Barry au goût de Cisco. Et si elle était au courant de sa relation passée avec Snart et se servait de lui pour retrouver le fusil cryogénique ? Elle vivait à Seattle elle avait très bien pu apprendre la mort de Snart et y voir l'occasion parfaite de s'accaparer son arme.


— Ah non, moi je vais passer mon tour pour ce soir, répondit Caitlin avec un rire nerveux quand Liv l'invita à prendre le tour suivant. À côté de ces deux-là, je chante comme une casserole, je ne fais pas le poids.

— Comme vous voudrez. Moi, je suis sûre que je les coiffe au poteau.


Elle monta sur la scène et commença à entonner un air de The Cure. Cela laissait à l'équipe Flash quelques minutes pour partager leurs impressions.


— Moi, elle me paraît gentille, confia Caitlin. Tu es sûr que quand tu as vu ses yeux, ça ne pouvait pas être l'effet du pouvoir de Bivolo ?

— Certain. Ce n'étaient pas juste ses iris qui sont devenus rouges pendant une seconde, c'était toute la surface de son œil et le tour était tout noir, comme s'ils s'étaient enfoncés dans l'orbite tout d'un coup. Sa peau était encore plus pâle aussi. Je te dis qu'elle est louche.

— Tu penses que c'est une metahumaine ? Parce que décrite comme ça, on dirait plutôt un vampire…


Barry, lui, ne prit pas part à la discussion. Tout le temps de la chanson, il fixa Liv d'un air perplexe. Cisco nota de ne lui demander que plus tard ce qu'il en pensait. Il serait sans doute plus loquace quand il ne risquerait plus de trahir son secret auprès de Caitlin.


Quelques minutes plus tard, Cisco repartit pour une seconde chanson. Emporté par les paroles, il ferma les yeux le temps d'un couplet. Quand il les rouvrit, les trois autres avaient disparu. Caitlin revint des toilettes un instant plus tard, mais les deux autres restaient introuvables.


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