Sans perdre de temps

Chapitre 12 : L'or du soir qui tombe sur le port de Seattle

4628 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/07/2020 18:35

Quand il se réveilla le lendemain matin, Barry décida qu'il ne sortirait pas de son lit. Une charge lui entravait la poitrine, l'empêchant de respirer, ses muscles engourdis ne lui obéissaient plus. Il n'avait qu'une envie : rester caché à l'abri sous ses draps en attendant que l'orage passe.


Mais l'orage ne passerait pas.


Len était mort. Parti pour toujours.


Quand il avait ouvert cette glacière pour y trouver un cœur encore sanguinolent, il avait compris ce qui s'était passé mais sans aucune preuve, il pouvait encore se rassurer, se persuader que c'était une erreur, une machination destinée à l'effrayer et rien de plus. Ce fut ce moment que Liv choisit pour arriver, pour leur annoncer la nouvelle, inévitable, inéluctable.

Il avait passé la nuit à pleurer et ses yeux restaient désormais secs. Sa tête lui semblait lourde autant qu'elle était vide de toute émotion définissable. Il était mort et c'est sa faute. Il l'avait jeté dans la gueule du loup, sans penser aux conséquences. Il ne pouvait que se tenir pour seul et unique responsable. Cette pensée générait en lui des vagues de colère, des lames de fond qui n'atteignaient jamais la surface mais qui, en profondeur, détruisaient tout sur leur passage.


Vers neuf heures, Iris frappa à la porte.


Il ne répondit pas, elle entra tout de même.


— Tu n'es pas encore levé ? demanda-t-elle. Qu'est-ce qui se passe ?


Encore une fois, pas de réponse. Il ne savait pas quoi lui dire. Elle avait toujours ignoré la vérité et, dans son état, il préférait éviter le sermon dont elle ne manquerait pas de lui faire profiter. Quelle importance désormais ? Encore une fois, il avait semé la mort et la destruction sur son passage. Tu parles d'un héros…


— Barry ?

— Je crois que je suis un peu malade, c'est rien, maugréa-t-il. J'appellerai le labo, je leur dirai que je peux pas venir aujourd'hui. J'ai juste besoin de me reposer.

— Malade ?


Son visage se teinta d'inquiétude et elle passa un long moment à l'observer en silence, les sourcils froncés, les lèvres pincées. De toute évidence, Barry n'avait pas choisi la bonne réponse à lui offrir. Il ne tombait plus malade depuis qu'il était devenu Flash, elle ne l'avait pas oublié. Il se maudit intérieurement. Comme s'il avait besoin que la situation empire.


— J'appelle tout de suite Cisco et Caitlin.

— Je t'assure que ça va aller, c'est un petit coup de fatigue, c'est rien…


Il voulait lui hurler de partir, de le laisser tranquille mais c'était au-dessus de ses forces. Elle ne l'écouta pas. Portable à l'oreille, elle sortit de la chambre et il entendit à travers la cloison sa conversation étouffé avec Cisco qui, il le devinait, tentait de lui expliquer la situation sans trop en révéler non plus. Sans qu'il puisse les contrôler, Barry sentit les larmes lui remonter aux yeux. Cisco aurait pu lui en vouloir. Il aurait  lui en vouloir. Après tout, Len l'avait kidnappé, menacé, avait torturé son frère… Et pourtant, il l'aidait. Il le soutenait. Il ne méritait pas un tel soutien.


Bientôt, le silence retomba dans la maison. Iris était partie. Barry n'en bougea pas pour autant. S'il avait pu, il serait allé chez Len, mais Lisa ne le laisserait jamais entrer. À la place, il rabattit le drap au-dessus de sa tête et attendit que le temps passe. Chaque mouvement lui paraissait demander une quantité d'énergie incommensurable. Il avait couru à la vitesse de la lumière, s'était battu contre des ennemis dix fois plus puissants que lui et pourtant, tout cela lui paraissait une broutille, comparé à la force qu'il lui faudrait pour se lever de son lit et faire quelques pas dans un monde où il avait commis l'irréparable.


Tout était sa faute et il ne pourrait rien y faire. Enfin… si, il existait une solution. Il pourrait remonter dans le temps, il l'avait déjà fait, plus d'une fois. Il était retourné des années dans le passé, quelques jours ne représentaient rien pour lui. Il pourrait sauver Len in extremis et le ramener avec lui.


Non… non, il ne pouvait pas. Non seulement il avait promis à Cisco de ne rien faire de stupide, mais en plus, il n'était pas certain qu'il ne provoquerait pas exactement ce qu'il cherchait à empêcher. S'il en croyait les paroles de cette Liv, il avait tué Len. C'était impossible, inconcevable et pourtant, elle l'avait vu. Il ne pouvait prendre ce risque.


Dans son cocon de fortune, l'air devint vite irrespirable. Il inspirait sans remplir ses poumons et chaque nouvelle seconde le brûlait. A mesure que l'oxygène se raréfiait, il se sentait s'engourdir, et finit par s'assoupir.


Dans son sommeil, il avançait d'un pas lent sur les quais d'un port plongé dans la pénombre. Du ciel, semblable à une mer en rage, dégouttait un sang visqueux et malodorant. Au loin, la silhouette d'un homme se dessinait. Il ne bougeait pas. Barry continua à marcher dans sa direction. Une force extérieure, comme un mur invisible, l'empêchait de fuir il se collait à lui de chaque côté et ne le laissa pas reculer.


Finalement, il parvint à distinguer des traits de l'homme à la lumière d'une lune blafarde et tordue. Len. Il se tenait debout, ses pieds flottant à quelques centimètres du sol, désarticulé tel une marionnette aux fils détendus. Entre ses deux mains jointes, il tenait son cœur encore battant, relié à l'intérieur de sa poitrine par un réseau de veines palpitantes. Sa peau décolorée semblait lâche, sur le point de glisser de ses os pour ne laisser qu'un squelette. Ses paupières étaient vides, ses orbites creuses et dès qu'il fut assez proche, Barry vit un minuscule crabe à la coquille verdâtre s'en extirper, avant de courir jusqu'à l'oreille, laissant dans son sillage une traînée de sable souillé.


Malgré l'horreur de cette vision, Barry ne ressentait aucune peur. Au contraire, le soulagement l'étreignit dès qu'il ne fut plus qu'à un pas de lui. Ils se retrouvaient, enfin. Ils ne se sépareraient plus jamais.


Il tendit les bras et les referma sur le corps sans vie qui se tenait devant lui. Aussitôt, ce qui le retenait en l'air céda et l'instant d'après, Barry n'agrippa plus que du vide. Len était parti et seule demeurait sa parka déchirée.


Quand Barry baissa les yeux pour regarder ses mains, elles étaient couvertes de sang.


Il hurla.


Et se réveilla en sursaut.


L'air frais lui écorcha la gorge. Il était de retour à la réalité. Seul.


Il leva ses mains à hauteur de son regard et ne vit que sa peau immaculée, seulement parcourue de quelques veines bleues.


Assise sur une chaise à côté de lui, Liv l'observait, sans un mot. Elle ne sembla pas surprise quand il s'extirpa de ses draps, haletant et en sueur. Il lui lança un regard interrogateur, tandis qu'il se dépêtrait de sa prison de tissu.


— Je suis venue te donner ça, déclara-t-elle sans préambule.


Au creux de sa main, elle tenait une clé USB noire, qu'elle lui tendit. D'abord hésitant, Barry finit par l'accepter et la posa sur la table de nuit. Alors c'était cela, tout ce qui restait de Len.


Quelle piètre récompense pour tout ce qu'il avait perdu.


— Je ne vais pas pouvoir rester beaucoup plus longtemps. Mon avion part ce soir pour Seattle, et j'aimerais être rentrée à la maison le plus tôt possible.


Barry hocha la tête.


— Je comprends. Merci, vraiment, pour tout ce que tu as fait.


Il releva la tête et leurs regards se croisèrent. Difficile de croire que, dans ce cerveau s'agitait aussi l'esprit de Len, condamné à disparaître sous peu. Il ne sut pas si cela devait le peiner ou le mettre en colère. Quelle utilité que de réveiller les morts ainsi ? Pourquoi ? Au nom de quelle justice ? Son corps était mort et désormais son esprit s'effacerait aussi, avec assez de lenteur pour être insupportable.


— Si tu veux le voir une dernière fois, tu peux aller à la morgue. J'ai appelé mon patron, le docteur Ravi Chakrabarti, je lui ai dit que tu voudrais sans doute passer… lui dire au revoir. Je vais te laisser l'adresse.


De nouveau, il baissa les yeux tandis qu'elle notait quelques mots sur un morceau de papier. C'était si surréel, tellement… impossible. Il ne pouvait pas le voir, pas dans cet état, couché froid et immobile sur une table de fer, le corps strié de cicatrices rouges recousues à la va-vite. Non, non, il ne pouvait pas, c'était au-dessus de ses forces.


D'un autre côté, se disait-il, il en avait peut-être besoin. Il faudrait que tôt ou tard il accepte cette réalité, et il n'aurait sans doute pas le droit à une autre opportunité. Lisa ne prendrait pas le risque de réclamer la dépouille et lui éveillerait sans nul doute les soupçons. Que ferait un technicien de la police scientifique du cadavre d'un ancien criminel en cavale ? Pourquoi se donnerait-il la peine de lui offrir des funérailles convenables ? On ne tarderait pas à mener une enquête sur lui, enquête qui ne manquerait pas de mettre à mal son identité secrète.


Alors, Len serait enterré au frais d'une municipalité dans un cimetière sans nom, loin de tout ce qu'il avait aimé et connu. Peut-être même serait-il incinéré et ses cendres placées pour toujours au milieu de millier d'autres, anonymes, sans personne pour les pleurer.


— En tout cas, reprit Liv alors qu'elle se levait et se dirigeait vers la sortie, nous allons le garder jusqu'à la fin de l'enquête. Tu peux venir quand tu veux, tu seras le bienvenu.


Et tandis qu'elle enjambait de nouveau la fenêtre, elle lui adressa un dernier sourire compatissant :


— J'ai été ravie de te connaître, Barry Allen. J'espère que nos chemins se recroiseront un de ces jours.


Elle disparut dans un bruissement de branchages, laissant Barry seul à ses pensées.


L'aéroport était aussi désert qu'à son arrivée à Central City. Décidemment, les gens d'ici n'avaient pas l'air friands de voyages. D'un autre côté, avec l'arrivée en ville d'un nouveau métahumain avide de chaos presque toutes les semaines, Liv comprenait que personne n'aimait se risquer dans un transport si hasardeux. Sans doute que l'aéroport le plus proche avait récupéré toute la clientèle de celui-ci.


Sirotant sa dernière gourde de compote, elle songeait déjà à son prochain repas. Avec de la chance, elle tomberait sur une nonagénaire à la vie tranquille et adepte du tricot, partie dans son sommeil, entourée de ses proches. Un peu de repos ne lui ferait aucun mal.


Cette affaire l'avait emmenée plus loin qu'elle l'aurait imaginé. Rien de tout ce qui s'était passé cette nuit-là n'était ordinaire et bien qu'elle ne pense toujours pas Barry capable de commettre un tel crime – il suffisait de le regarder pour comprendre qu'il était aussi innocent qu'un enfant tout juste sorti de sa mère – elle ne pouvait s'empêcher de cogiter. Elle avait bien vu ce qu'elle avait vu, bien entendu ce qu'elle avait entendu. Aucun doute possible.


L'atmosphère s'était encore alourdie en milieu de journée, elle craignait que l'air au-dehors ne finisse par l'étouffer. Il lui tardait de retrouver la fraîcheur du nord, donc elle ne se plaindrait plus jamais.


Alors qu'elle était plongée dans la contemplation du panneau d'affichage, comptant les minutes entre arrivées et départs, une grosse main se posa sur son épaule. Elle se retourna en face d'elle se trouvait un homme carré, au crâne rasé et au regard impénétrable, qui la dépassait de trente bons centimètres, au bas mot. Même s'il n'avait pas porté son uniforme, elle aurait su qu'elle avait affaire à un militaire. Ce type de droiture, qui exsudait par chaque pore de sa peau, cela ne trompait jamais.


— Vous êtes Olivia Moore ?


La question était, de toute évidence, rhétorique. Au fil des secondes, la prise de l'homme sur son épaule se resserait. Il n'avait pas l'intention de la laisser partir.


— Elle-même.

— Veuillez me suivre, s'il vous plaît.

— Et qui me fait l'honneur de m'inviter de façon aussi cavalière ? répondit-elle du tac au tac, tout en restant parfaitement consciente qu'elle ne pouvait pas refuser.

— Vous verrez ça en temps voulu.


***


D'un geste précis, calculé au millimètre, Ravi déposa un bout de cerveau dans la cage de New Hope. La dernière fois qu'il avait essayé avec des baguettes, cette petite saleté – précieuse, unique, indispensable petite saleté – les lui avait subtilisées pour s'y faire les dents. Comme il n'avait ni le budget ni l'envie d'en racheter une paire trois fois par jour, il s'était résigné à la nourrir à la main, avec son gant de maille pour toute armure.


La rate se jeta sur le petit morceau de chair dès qu'il eut touché son bol. Pour peu, elle en aurait mordu le doigt qui la nourrissait. Fort heureusement, son état allait toujours en s'améliorant, et Ravi ne doutait pas qu'il était sur la bonne voie. Les derniers tests qu'il avait effectués sur Blaine allaient eux aussi dans ce sens. Bientôt, il aurait le tout premier remède au virus zombie.


Tout à son entrain, il retourna dans la morgue. Côté travail, la semaine restait étrangement calme, comme si personne à Seattle n'était décidé à mourir cette semaine. Il ne s'en plaignait pas, cela lui laissait tout le temps d'étudier l'échantillon de sang qu'il avait, à grand peine, réussi à prélever à son meilleur ennemi. Le processus avait été long et désagréable, il avait fallu plus d'une demi-heure et de multiples pressions pour parvenir à faire sortir le précieux liquide. Il avouait sans honte s'être délecté des grimaces de Blaine, qui s'attendait de toute évidence à un examen bien moins invasif.


Alors qu'il verrouillait la porte de la salle des rats, il capta du coin de l'œil une silhouette debout et immobile près de l'entrée des véhicules. Il soupira. Ce n'était de toute évidence ni Babineaux, ni Major ils seraient venus le saluer dès leur arrivée. Liv lui avait envoyé un message à peine une heure avant pour lui annoncer qu'elle rentrerait tard dans la nuit et, à cette heure, le bâtiment était fermé aux visiteurs. Ne restait plus que…


— Tu as oublié quelque chose, Blaine ? souffla-t-il sans tenter de cacher son exaspération.

— Vous êtes le docteur Chakrabarti ?


Peut-être n'était-ce pas Blaine, après tout. Quand Ravi se tourna vers l'étrange visiteur, il fut accueilli par une vision des plus étranges. Plus étrange que Blaine couché sur une de ses tables d'autopsie, plus étrange même que Liv contemplant un cerveau comme s'il s'agissait un bon gros cheeseburger bien gras.


C'était un homme, du moins dans la silhouette. Vêtu de rouge de la tête aux pieds, dans un costume moulant qui aurait pu laisser plus de place à l'imagination, il possédait un corps fin. Pour ce qui était du visage, il n'aurait pas pu le décrire : tout le haut de son corps vibrait à une fréquence telle qu'il était incapable d'en distinguer les traits. De même pour sa voix, qui semblait tout droit sortie d'un synthétiseur vocal.


Ravi resta plusieurs longues secondes à comprendre ce qu'il regardait. Il gardait dans un coin de la tête la vague idée qu'il était sans doute un de ces metahumains qui causaient une pagaille monstre dans le Midwest depuis quelque temps, sans y mettre un nom précis. Ce ne fut que bien après qu'il se souvint d'avoir reçu un message de Liv dans la matinée, qui lui disait qu'une de ses connaissances viendrait sans doute voir la dépouille de leur mystérieux inconnu au cœur arraché.


— Oui… Oui, c'est moi, bafouilla-t-il quand il réussit à retrouver ses esprits.

— Votre collègue Liv m'a dit que je pouvais venir voir le corps de mon ami.


Ravi hocha la tête et se précipita vers le tiroir dans lequel était rangée la victime. Il prit soin de ne pas trop s'approcher du métahumain. Le résumé qu'avait Babineaux du casier de Leonard Snart ne lui donnait pas le moins du monde envie de s'acoquiner avec ses proches.


Il inspira à fond pour empêcher ses mains de trembler alors qu'il ouvrait le sac mortuaire. L'inconnu s'approchait à pas hésitants, toujours secoué de vibrations. Ce ne fut que lorsqu'ils ne furent qu'à quelques pas l'un de l'autre que Ravi identifia enfin le logo sur le costume. Mais bien sûr, comment avait-il pu ne pas le reconnaître ! C'était Flash ! L'homme le plus rapide du monde, le héros de Central City. Un homme qui avait à lui seul stoppé une tornade, et il se tenait là, au milieu de sa morgue parce qu'il voulait voir son… ami ? D'après ce qu'il savait de chacun de ces deux individus, les chances qu'ils aient été alliés frisaient le zéro absolu.


Malgré la conservation au froid, les dégâts qu'avaient provoqué l'eau sur le corps étaient impossibles à dissimuler. Des marbrures lui striaient la peau, la teintant d'un vert sombre qui jurait avec le rouge criard de la livor mortis. Rien d'exceptionnel aux yeux de Ravi, pour qui les bigarrures aussi diverses que variées des cadavres constituaient un spectacle quotidien, mais il savait qu'il n'en était pas de même pour tout le monde.


Petit à petit, l'homme devant lui cessa de vibrer et Ravi put enfin deviner un visage sous le masque. Et le moins qu'il pouvait dire, c'était qu'il ne correspondait absolument pas à l'idée qu'il se faisait de lui. Flash semblait à peine sorti de l'adolescence, Ravi ne lui donnait pas plus de vingt-cinq ans.


Il gardait une main plaquée sur la bouche, et ses paupières se plissaient et s'agitaient comme s'il luttait pour ne pas fermer les yeux. Pauvre gosse…


— Qu'est-ce qui va lui arriver ?

— Vous voulez la vérité ou vous voulez que je vous rassure ?


Le regard que lui lança Flash fit pencher Ravi pour la deuxième solution.


— Je vais conserver son corps ici pendant encore un mois. Ensuite, l'entreprise de pompes funèbres avec qui nous avons un contrat va se charger de la crémation. On conserve les cendres pendant trois ans, au cas où un proche voudrait les récupérer.


Il marqua une pause. Il aurait bien pu s'arrêter là, mais le jeune homme le fixait toujours avec la même intensité, comme s'il savait que ce n'était pas terminé.


— Après ça, elles seront placées dans une fosse commune.

— D'accord…


Il ne le regardait plus. Ses yeux étaient focalisés sur la peau marbrée du cadavre. Une larme, puis deux, tombèrent sur la surface métallique le silence qui régnait dans la morgue était tel que Ravi entendit leur impact.


— Qu'est-ce que j'ai fait…


Ravi se tenait immobile. Il n'avait jamais su comment réagir devant les familles éplorées, jamais su rassurer les époux endeuillés. Que pouvait-il dire ? Que tout irait bien ? Cela n'avait aucun sens, pas quand un être cher gisait nu et sans vie dans un tiroir. Qu'il n'avait pas souffert ? Quelle importance ? Il n'arrivait pas à mentir et savait que c'était une piètre idée que de vouloir dire la vérité. Alors il ne disait rien.


— Est-ce que je peux le toucher ?


D'ordinaire, il aurait refusé. Pas qu'il existait un risque de corrompre les preuves, il avait en général terminé son travail quand cette pénible étape arrivait. Seulement, cela faisait toujours plus de mal que de bien, de sentir un corps qu'on avait connu vivant sans réponse et sans chaleur.


— Allez-y, j'ai fini mes examens.


Doucement, Flash écarta un pan du sac mortuaire et saisit la main du cadavre. Il la leva vers son visage, avec aisance maintenant que la rigidité cadavérique s'était atténuée, et y pose ses lèvres, sans jamais quitter des yeux le visage et le torse de son ancien ami.


Ami… Ravi commençait à comprendre que leur relation allait bien au-delà de cela, mais n'arriva pas à s'en soucier. Un super-héros amoureux d'un criminel, on n'en croisait pas tous les jours, mais tout ce qu'il voyait, c'était la peine et la douleur qu'il avait tant de mal à supporter.


Il se rappela ce vieil homme, le premier proche qu'il avait rencontré, quand il avait pris ce poste. Sa femme, renversée par un bus sur le chemin de la pharmacie, avait atterri sur une des tables de la morgue. Son mari, un vieillard frêle qui semblait sur le point de s'effondrer sous son propre poids à chaque pas, était venu l'identifier. Malgré ce que Ravi craignait, il n'avait pas vomi, ni hurlé, ni même pleuré en voyant la dépouille de sa femme. Il avait seulement hoché la tête pour lui signifier que oui, c'était bien elle et avait posé sa main sur son épaule, sans mot dire. Ravi avait prétexté lui laisser un dernier moment avec elle pour s'enfermer quelques instants dans son bureau, loin de l'angoisse qui lui pesait sur le cœur.


Même après tout ce temps, il n'avait pas pris l'habitude de cet odieux spectacle. Prélever des cœurs, peser des foies, retirer des balles de la chair d'un gamin à peine sorti de l'adolescence, tout cela, il s'y était fait. Il regardait tous les jours la mort dans les yeux sans même sourciller. Mais affronter les vivants, c'était un tout autre défi.


— Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? demanda-t-il faute de mieux. Je vous fais un peu de thé ?


Il prit l'absence de réponse pour un oui et s'éclipsa jusqu'à son bureau, où l'ambiance était moins pesante.


Aussi cliché que cela lui paraissait quand il y pensait, le thé avait toujours été sa solution à tout. La seule odeur du chai que lui préparait sa grand-mère les mauvais jours suffisait à lui rendre le sourire. Parfois, quand il avait besoin d'un petit bout d'Angleterre, il essayait tant bien que mal de reproduire la recette, mais n'était jamais parvenu au même résultat.


Il posa les deux tasses fumantes sur son bureau et retourna chercher le jeune homme. Pas un instant il ne s'arrêta pour songer à l'insolite de la situation. L'important pour le moment était de laisser un proche en deuil reprendre ses esprits, et pourquoi pas lui exposer toutes ses options en ce qui concernait le corps. Qu'il soit un super-héros ou non n'y changeait rien.


Quand Ravi arriva à sa hauteur, Flash s'était éloigné de Snart. Il tenait ses doigts appuyés contre son oreille et chuchotait des réponses à des questions inaudibles.


— D'accord, dit-il finalement, d'une voix plus claire. Je rentre aussi vite que possible. Toi, essaye de les contacter et de voir avec eux s'ils ne peuvent pas la libérer au plus vite.


Dans un soupir, il laissa sa main tomber le long de son corps et revint vers Ravi.


— Je vais devoir vous fausser compagnie.

— Un problème ?


Le metahumain se remit à vibrer du sommet du crâne jusqu'aux épaules. Geste inutile maintenant que Ravi avait pu apercevoir son visage masqué, mais il n'avait sans doute rien d'autre pour se donner une contenance.


— Oui, mais ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle. Nous récupèrerons votre collègue le plus vite possible.

— Quoi ?! Comment ça « récupérer » ? Qu'est-ce qui est arrivé à Liv ?


Le temps qu'il termine sa phrase, Flash avait disparu.


***


Depuis le matin, Iris ne parvenait pas à tenir en place. La page de son traitement de texte restait désespérément blanche, aucun mot ne voulait franchir ses doigts. Pourtant, elle maîtrisait le sujet, ces nouvelles attaques de metahumains, de plus en plus nombreuses ces derniers temps.


Seulement, son esprit s'encombrait sans qu'elle puisse rien y faire. Ses pensées revenaient sans cesse à Barry. Elle ne croyait pas le moins du monde à cette histoire de maladie. Même avant de devenir un metahumain, il n'avait jamais raté un jour de travail pour une raison aussi futile. Quelque chose se tramait, elle le savait, mais elle ne parvenait pas à découvrir quoi.


Elle avait consacré une bonne partie de son après-midi à poursuivre ses recherches sur ce fameux Darren Alston. S'il était lié à cette affaire, elle devait le savoir. Les résultats de l'analyse ADN n'étaient pas encore revenus du laboratoire, mais les chances qu'il s'agisse du cœur de cet homme restaient immenses.


Iris se laissa tomber dans son fauteuil de bureau et pris un instant pour contempler le soleil qui descendait à l'horizon.


Qui était-il à la fin ? Pourquoi Barry ne leur en avait-il jamais parlé ? Quelle manie de travailler avec des criminels aussi, pensa-t-elle. Comme si Leonard Snart ne suffisait pas.


Un instant…


Elle se redressa d'un coup, si bien que les roulettes de sa chaise émirent un couinement plaintif. D'un geste, elle se saisit d'un stylo et d'un morceau de papier, sur lequel elle inscrivit le nom de Darren Alston. Puis, en dessous, elle en réarrangea les lettres jusqu'à arriver au résultat attendu.


Elle se maudit, alors que les noms écrits sous ses yeux semblaient la narguer. Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ?


Darren Alston était Leonard Snart.


***


Barry passa le seuil de la maison de Joe vers vingt-trois heures trente. Il était rentré de Seattle pour trouver Cisco faisant les cent pas dans le Cortex, la tête entre les mains. Les membres de l'A.R.G.U.S qu'ils avaient réussi à contacter n'avaient rien voulu entendre : ils garderaient Olivia Moore en détention au moins une nuit. Ils pourraient la voir le lendemain à la première heure, mais pour le moment, ils demeuraient impuissants.


Il lui tardait de retrouver son lit. Avoir vu Len dans cet état lui laissait encore une drôle d'impression dans le ventre. Le désespoir et l'angoisse qu'il avait ressentis quand le docteur Chakrabarti avait ouvert ce sac mortuaire ne le tourmentait plus ils avaient cédé leur place au vide et à une solitude comme jamais il n'en avait ressentie. À la sortie de la morgue, la tentation d'accélérer sa course jusqu'à remonter le temps l'avait tenaillé. Elle l'étreignait toujours, la promesse faite à Cisco seul rempart contre cette folie.


Il déposa ses clés et son manteau dans l'entrée. Épuisé par la course, il décida de passer par la cuisine avant d'aller se coucher. Son estomac lui semblait lourd et son esprit prêt à le laisser mourir de faim si cela pouvait l'apaiser, mais il devait reprendre des forces.


Iris l'attendait, assise dans le canapé. Elle lui lançait ce regard des jours où, adolescent, il rentrait à la maison après avoir découché et qu'elle l'attendait, prête à le sermonner, plus comme une maman que comme une sœur.


Elle savait. Bien sûr qu'elle savait.


— Assieds-toi, Barry. Il faut qu'on parle.


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