Ifrit et Léviathan tome 1

Chapitre 1

3228 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/05/2022 18:51

12 avril

19 h 15


Le ciel était étonnamment dégagé pour un jour en Bretagne gauloise. Mais Léo Mercier ne fustigeait pas la météo locale qui le contraignait à changer ses habitudes, bien au contraire. Le temps clément lui avait permis de faire de bonnes affaires en cette journée d’Avril 2039. Son camion-restaurant, ou Food truck, avait été littéralement assiégé par des affamés et gourmands acariâtres de Bois-Cor.


En tant que premier, et seul fast Food mobile de la ville de Bois-Cor, le Mondial-Bouff monopolisait le marché. Le choix du jeune homme d’ouvrir sa propre affaire était sans aucun doute l’une des rares bonnes choses qui lui soient arrivées. Assis sur le toit de son van, garé sur le parking de la place, Léo sirotait une bière desperados sans alcool, la seule bière qu’il acceptait de boire. Il était vêtu d’un tablier usé et d’un simple survêtement en guise de pantalon. Sous ses oripeaux se cachait un simple t-shirt bleu cyan. Cette journée, bien que fructueuse, avait également été harassante, il fallait bien l’avouer, et il en était très heureux.


Léo appréciait depuis toujours les crépuscules de sa ville natale. De son perchoir, le jeune cuisinier observait le magnifique coucher de soleil qui s’offrait à lui. L’astre écarlate enflammait les toits et la végétation de ses rayons. Les paupières alourdies par la fatigue, le jeune homme s’allongea sur le toit métallique et ferma les yeux. En quelques secondes, il s’endormit.


2031


La voix du pilote grésilla dans l’interphone,


─ Mesdames et Messieurs, nous approchons des côtes d’Irlande. D’ici deux ou trois heures nous atteindrons la Gaule et nous atterrirons à l’aéroport de Rennes. Nous vous souhaitons une bonne fin de voyage.


À demi endormi, le jeune garçon de douze ans gigote dans son siège de seconde classe. Dans cet avion qui le ramène d’un séjour scolaire aux États-Unis, il s’ennuie ferme. Sa console n’a plus de batterie et il n’a rien pris à lire dans ses bagages. Il se jure que la prochaine fois qu’il prendra l’avion il se préparera un programme d’occupation. Finalement il sombre dans les bras de morphée.


Son esprit nage à présent dans un océan d’obscurité, autour de lui des étoiles exécutent une danse gracieuse. Il se sent en paix. Tout à coup, un éclair illumine les ténèbres. Du néant, une flèche de feu fonce droit sur lui. Une vague d’effroi secoue son corps, une douleur horrible transperce son crâne. Dans un réflexe de préservation, il met ses mains devant son visage. Une lumière blanche l’enveloppe, alors qu’une voix retentit :


           ─ Tu ne mourras pas aujourd’hui.


Une violente détonation suivie d’un effroyable son de métal déchiré, arrache le garçon à son sommeil. C’est le chaos dans l’avion, l’avant la carlingue est percée par un énorme trou ! L’air s’y engouffre avec la force d’un ouragan.

Paniqué, le garçon attache sa ceinture et s’enfonce dans son siège. Il entend le sifflement du vent et sent l’appareil descendre en piqué vers le sol. Il sent le choc qui arrache son siège, celui de son corps contre l’acier de l’appareil, puis plus rien.


Quand il revient à lui, la première chose qu’il ressent est la douleur. Il ouvre lentement les yeux. Ses membres sont en sang, son corps est atrocement mutilé. Il sent une immense chaleur monter en lui et l’étouffer. La douleur est insoutenable, il sent ses os se remettre en place. Le garçon hurle, hurle de douleur, hurle à la mort.


Léo se réveilla brutalement. Le jeune homme réprima le haut le cœur qui menaçait de lui faire rendre les tripes. Son sursaut manqua de le faire chuter du toit du véhicule. Le corps inondé de sueur, Léo se redressa et reprit calmement sa respiration. Il descendit du van, tremblant de tous ses membres. En levant les yeux, il se rendit compte que la lune s’était levée. En consultant l’heure sur son portable, il constata qu’il était vingt heures passées.

 Le jeune homme avait dormi pendant près d’une heure, sans qu’il ait eu à faire de l’exercice. Une chose inespérée pour lui.


« Pour une fois que je n’ai pas besoin de mon traitement, il faut que je me rappelle cette horreur » se dit Léo. Déjà il sentait l’énergie intarissable réveiller son corps et chasser les douces brumes de la fatigue et du sommeil qu’il avait tant de mal à obtenir. Poussant un profond soupir de lassitude, Léo démarra son véhicule et sans perdre plus de temps, roula vers l’épaisse forêt à l’ouest de la ville. Dix minutes plus tard, le van s’engouffrait dans la végétation.


La ville portuaire de Bois-Cor, bien que vaste, était cernée par d’immenses forêts, où de nombreuses communautés celtiques célébraient leurs rites. Depuis l’antiquité de nombreux dolmens et temples dédiés aux Faes se dressaient dans les immenses bois d’arbres sombres.


Entre les troncs, une route de bitume usée par les années serpentait. Le van-restaurant roula pendant encore quelques minutes avant de finalement s’arrêter devant une étrange bâtisse nichée entre les arbres. À première vue, on pouvait la prendre pour un menhir d’une dizaine de mètres de haut. Pourtant, il s’agissait bien d’une maison à deux étages. En effet deux fenêtres perçaient la roche à mi-hauteur. Léo gara son véhicule à gauche de la maison cylindrique. Sautant de son véhicule sur le sol couvert de gravier, le jeune homme entra dans son domicile d’un pas pressé. Léo monta les marches de son escalier quatre à quatre, il dépassa le premier étage et arriva sur le toit. Là, sur le sol bétonné se dressait un poteau de bois, dans lequel plusieurs bâtons étaient plantés, donnant ainsi au poteau une allure d’être humain. Il s’agissait d’un muk yan jong, un mannequin d'entraînement.


Léo retira son tablier, et sortit de sa poche un bandeau écarlate qu’il noua autour de son front. Saisissant un rouleau d'adhésif, il banda les jointures de ses poings. Le jeune homme inspira profondément, tâchant de régulariser son rythme cardiaque. Puis dans un geste aussi gracieux que tranchant, il se mit en position de combat, poings levés et fermés. Vif comme l’éclair, Léo frappa le mannequin, le son mat du poing contre le bois perça le silence nocturne. Le combattant enchaîna avec un coup de pied, suivi d’une autre frappe du poing. Il répéta cet enchaînement de plus en plus vite, au point que si quelqu’un l’avait observé il aurait été incapable de distinguer ses mouvements. Le poteau aurait valsé en tous sens s’il n’avait pas été rivé au sol.


La pratique de l'art-martial Lua-Thai-KwonDo était la seule chose qui permettait à Léo de se libérer de son surplus d’énergie. Ses poings et ses jambes étaient tels des armes mortelles qui frappaient leur cible avec précision et une puissance redoutable. Si le muk yan jong avait été un être humain, il aurait souffert de plusieurs commotions cérébrales et ses côtes auraient été en miettes. Amata Akeola son instructrice martiale aurait été fière de lui.

Il fallut plusieurs heures avant que Léo ne sente la sueur couler sur son corps et que, enfin, il sentit la fatigue pointer. Il s’arrêta et consulta l’heure : une heure du matin.


« Déjà » songea-t-il. Il allait encore une fois avoir mauvaise mine au réveil.


Ne voulant pas manquer cette chance de dormir enfin, Léo redescendit. Il se contenta de retirer les bandages sur ses mains, avant de se vautrer dans son hamac, faisant office de lit, dressé dans sa chambre du premier étage. Comme Amata lui avait appris, il se détendit et se concentra sur sa respiration, pour ensuite laisser son esprit se perdre dans une nébuleuse d’éléments sans importance. En moins d’une minute, Léo sombra dans un sommeil sans rêve.


13 avril


Une désagréable sensation, semblable à une décharge électrique, tira le jeune homme de son sommeil. En ouvrant les yeux, Léo constata que l’aube pointait. Il n’était que cinq heures vingt du matin, bien trop tôt pour qu’un camion restaurant se mette en service un mercredi. Bien que son cerveau soit encore en manque de sommeil, l’énergie débordante qui dévorait ses muscles ne lui permettrait pas de se rendormir. Son crâne était martelé par une douleur sourde, comme si un joueur de djembé y avait élu domicile. Le jeune homme traîna sa carcasse jusqu’à sa salle de bain au deuxième. Celle-ci était composée d’un lavabo et d’une douche tout à fait correcte. Léo se débarrassa de ses frusques et tourna le robinet de la douche. Un jet d’eau glacée jaillit du pommeau de douche et il s’aspergea le corps sans pour autant se savonner. Le froid dissipa le poids du sommeil et de la migraine qui pesaient sur le jeune homme. Petit à petit la migraine cessa et en sortant de la douche, Léo se sentait bien mieux.


Il se vêtit d’un survêtement propre, chaussa ses pieds d’une paire de chaussures de sport et quitta sa demeure. Aussitôt dehors, Léo se mit à courir et s’enfonça à travers la forêt vers l’ouest. Filant comme une locomotive sur le chemin de terre, le jeune homme provoquait une certaine agitation au sein de la faune locale encore très active en cette heure matinale. Un daim détala dans les broussailles au passage du joggeur, qui ne tarda pas à atteindre le bout de la forêt. Il déboucha alors sur un large plateau, couvert d’herbe et d’immenses rochers, qui s’achevait sur une falaise donnant sur l’océan.


L’énergie de Léo n’avait en rien diminué, malgré son sprint de plusieurs minutes. Il savait bien qu’il allait devoir faire bien plus, pour endiguer le surplus d’énergie qui tentait de le submerger. Le jeune sportif s’approcha d’un rocher haut d’environ deux mètres et le saisit de ses deux mains. Il tira sur ses bras et souleva la rocaille de plus d’une centaine de kilos du sol comme un sac de pommes de terre. Plaçant son chargement au-dessus de sa tête, Léo exécuta une centaine de flexions-extensions. Il bascula ensuite sur son dos et se mit à soulever le rocher à la force de ses jambes. Une dizaine de minutes plus tard, le sportif repoussa la rocaille et se releva. La pierre atterrit lourdement sur l’herbe. À présent sur pieds, Léo se mit en position de combat et se concentra. Du plus profond de son être il l’appela, il invoqua cette énergie vorace et dévastatrice qui sommeillait en lui.


Les veines du combattant s’illuminèrent d’une lueur blanche et ses yeux s’enflammèrent du même éclat. L’herbe sous ses pieds se mit à noircir, et l’air s’emplit d’une odeur d’ozone. Avec une précision et une grâce mortelle, Léo frappa la pierre. Son poing nu fracassa la roche comme si c’était de la porcelaine, dans un craquement brutal. Le jeune homme enchaîna les coups, comme il l’avait fait la veille sur son mannequin de bois. Des fragments de pierre éclatèrent en tous sens, et lorsque Léo s’arrêta après une demi-heure d'entraînement, le rocher était creusé par de nombreux cratères où l’on voyait les traces de ses poings.


Ruisselant de sueur, l’artiste martial expira profondément. Peu à peu la lueur argentée qui irradiait de ses veines et de ses yeux s’atténua jusqu’à disparaître. Après avoir étiré soigneusement chaque muscle de son corps, Léo repartit au pas de course vers son domicile. En arrivant devant sa porte, le sportif sentait enfin refluer le flux d’énergie qui emplissait son corps. Ses séances d'entraînements matinales n’avaient pas perdu leur efficacité. Constatant qu’il était presque dix heures, Léo prit un petit déjeuner composé de tranches de pain grillé et d’un grand verre de jus de fruit. Une fois rassasié, il se rendit dans sa salle de bain. Retirant ses frusques imbibées de transpiration, il ouvrit le robinet de sa douche et laissa couler l’eau chaude sur sa peau.


Une dizaine de minutes plus tard, Léo ressortit de la douche, propre comme un sou neuf. Il se regarda alors dans la glace posée au-dessus de son lavabo. Le miroir lui renvoya l’image d’un jeune homme au corps athlétique, dont le torse était couvert de cicatrices à la teinte rosâtre. Ses cheveux étaient argentés et ses yeux d’un bleu ciel foncé étaient marqués par de profondes cernes.


 Il ne pouvait pas traîner davantage, il devait nettoyer son camion avant de se rendre en ville. Il entreprit donc de passer un coup d’aspirateur avant de dégraisser les plaques de cuisson du food-truck.


Une fois le véhicule nettoyé, il était temps pour le cuisinier de se mettre en route. Son bandeau rouge serré sur son front, Léo se dirigea à toute allure vers le centre-ville de Bois-Cor. C’était là qu’il trouvait le gros de sa clientèle de la semaine, composée de lycéens et employés de bureau en quête de nourriture pour leur pause de midi. La carrosserie stylisée du Mondial-Bouff se détachait sur le bitume et la verdure environnante. Le logo était un globe terrestre stylisé, sur lequel chaque continent était représenté par un plat local.


Comme chaque milieu de semaine, Léo se rendit sur la « Place du Grand Cairn ». Situé à équidistance entre les trois lycées de la ville et le quartier des bureaux, cet endroit était idéal pour un restaurant mobile. Le Mondial-Bouff se gara à l’emplacement accordé par la municipalité, à gauche du monument dont la place tirait son titre. Le jeune cuisinier alluma le groupe électrogène du camion et fit chauffer sa plaque de cuisson. Il était à présent un peu plus de onze heures, l’heure où les lycéens commençaient à affluer.


En effet, déjà un premier groupe d’adolescents arrivaient sur la place. La simple vue du camion eut sur eux l’effet d’une bombe, en quelques secondes les quatre lycéens étaient devant le comptoir :


─ Salut monsieur Mercier !

─ Salut les jeunes ! qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ?

─ Alors on prendra deux menus double cheese avec frites et boisson, un wrap au poulet sauce algérienne et une mini-pizza raclette.

─ Ça marche !


Sans perdre une seconde, Léo se mit aux fourneaux, tandis qu’un membre du groupe partait s’asseoir à l’une des tables de la place. La viande, la pâte et les différents ingrédients se mirent à griller dans le food-truck et une alléchante odeur se répandit bien vite sur la place. Les mains du cuisinier bougeaient avec une grâce et une vitesse quasi surnaturelle. En moins d’une dizaine de minutes, la commande fut prête et placée dans deux doggy bags.


─ Voilà pour vous ! dit-il en tendant les plats à la jeune fille restée devant le camion-restaurant, ça fera trente-six euros.


Les quatre lycéens payèrent le cuisinier en liquide avant de prendre leur repas et de rejoindre leur table. Pendant les deux heures qui suivirent, les clients affluèrent et les fourneaux du Mondial-Bouff tournèrent à plein régime. La clientèle de Léo se composait principalement de gens dont l’âge ne dépassait pas les trente-cinq ans. Certains, parmi les plus âgés de Bois-Cor se méfiaient de lui à cause de ses yeux cernés et de sa démarche énergétique et frénétique qui, à leurs yeux, faisait de lui un toxicomane. Le jeune homme avait appris depuis un moment à ne plus se soucier de l’avis des inconnus, seuls sa carrière de cuisinier et le présent comptaient pour lui aujourd’hui.


Léo enchaîna les commandes pour les étudiants jusqu’à quatorze heure trente environ, puis ce fut la période creuse de l’après-midi. Il en profita pour déplacer son food-truck à un autre point de la ville, afin de prendre une pause. Léo conduisit son camion sur une terrasse à la périphérie de la ville. On y avait une vue imprenable sur la forêt environnante, qui s’étalait comme un immense tapis vert émeraude devant ses yeux.


Léo resta sur la terrasse jusqu’à ce que le ciel se couvre d'étoiles, c’était son instant favori de la journée. Un instant de pure sérénité, la fraîcheur de la brise nocturne et le silence qu’apportait la nuit, c’était la magie de Bois-Cor.

Mais alors qu’il contemplait paisiblement le tableau nocturne qui s’étendait devant ses yeux, son téléphone de sonna. Léo sortit son smartphone, c’était sa mère, Julia, qui appelait. Il en fut étonné car d’ordinaire, son travail de procureur l’occupait toute la semaine, ce qui l’empêchait de lui parler en cours de semaine.


Le jeune homme décrocha :


           ─ Allo, Maman ?

           ─ Léo c’est la catastrophe ! le ton de Julia trahissait une grande panique.

           ─ Qu’est-ce-qui se passe je ne comprends pas ?

           ─ Tu n’as pas regardé les infos ?

           ─ Pas aujourd’hui en tout cas.

           ─ Quelqu’un a dévoilé tes pouvoirs ! tout le monde va savoir ce qui s'est passé il y a huit ans !


Ces mots eurent l’effet d’un coup de marteau dans la poitrine de Léo.


           ─ Quoi ? articula-t-il à peine.


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