Ifrit et Léviathan tome 1

Chapitre 6

2277 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/05/2022 19:44

En dépit de la volonté du jeune homme de distancer ses poursuivants, Sélène avait su le suivre. Cela n’avait pas été simple car plus d’une fois il avait failli la repérer. Le chemin de cet énigmatique personnage l’avait mené sur une plage où se dressait une maison aux murs blancs. Léo s’était avancé vers le bord de l’eau et, visiblement très en colère, avait offert à Sélène une démonstration des plus spectaculaires de ses pouvoirs. Des flammes argentées avaient jailli de son corps, projetées en un poing ardent qui avait fait bouillir l’océan. Sélène s’était alors approchée doucement et se dressait face à Léo Mercier.

Léo déglutit bruyamment et articula :


           — Qui… ?


Il n’eut pas le temps de finir : avec une vélocité féline, l’inconnue fondit sur lui. De la paume, elle cibla le torse. Léo réagit par instinct et esquiva de justesse. Le message était clair. Ils parleraient avec les poings. Le jeune homme riposta d’un crochet, visant la tempe de l’assaillante. Celle-ci se déroba à son assaut avant de lui saisir le poignet. Utilisant le puissant élan du coup de Léo, elle le projeta dans les airs. Stupéfait par l’aisance avec laquelle la demoiselle l’avait contré, il ne songea même pas à se réceptionner et atterrit lourdement sur le sable fin. Heureusement qu’il était entraîné ; un tel choc en aurait sonné plus d’un. En un bond, il revint sur ses pieds, craignant une nouvelle attaque.

Une attaque qui fusait déjà vers lui sous la forme d’un long filet aqueux. Il esquiva par réflexe, mais demeura interdit une demi-seconde à regarder le fouet d’eau onduler pour revenir vers lui avec force. Léo n’avait jamais affronté d’autres détenteurs de pouvoir que ses mentors. Sa surprise ne le figea cependant pas assez pour prendre un coup du fouet liquide. Si son adversaire utilisait ses pouvoirs, alors lui aussi. En une pensée, le feu blanc déferla dans ses muscles. Mais déjà l’inconnue attaquait à nouveau. Une pluie de billes d’eau, si rapides qu’elles étaient plus proches de balles, fusèrent.


Si le garçon à la chevelure argentée était vif, il ne l’était pas assez pour parer chaque projectile. Il le savait. Il ne réfléchit donc pas davantage. Léo canalisa ses flammes et les projeta sous la forme d’une barrière. La chaleur infernale du mur iridescent fit s’évaporer la salve avant même qu’elle ne le touche. L’inconnue n’était cependant pas en reste. En quelques pas lestes, elle avait comblé l’écart qui les séparait et arrivait déjà dans un angle mort. La guerrière aqueuse tenta de faucher la jambe de Léo, mais le jeune homme ne comptait pas se faire rosser sans riposter. Il se dégagea grâce à la célérité que lui conférait ses pouvoirs, pour ensuite contre-attaquer d’un puissant coup de pied visant le torse de son opposante. Mais alors qu’il pensait naïvement pouvoir faire jeu égal contre la jeune femme, la réalité le percuta de plein fouet.


Sélène se déroba pour l’empoigner et, selon les préceptes du Flamendo, elle retourna la force du combattant contre lui pour l’expédier dans les airs. Cette fois, il culbuta dans l’eau, mais parvint malgré tout à se réceptionner plus ou moins bien.

Le jeune homme se redressa et, aussi bien exaspéré qu’étonné, cracha :


— Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?! C’est Markovitch qui vous envoie ?


Sélène marqua un silence de quelques secondes avant de répondre :


— Je ne suis pas un ennemi. Quant à ce que je veux, tu le sauras bientôt, Léo Mercier, très bientôt.


Sans rien ajouter, elle s’éclipsa dans un nuage de vapeur. Léo resta immobile, totalement chamboulé par ce qui venait de lui arriver. C’est en essayant de trier ses pensées, de décomposer mentalement le combat pour y trouver des indices, que le jeune homme réalisa qu’il avait employé un nouveau mouvement à l'aide de ses flammes, et ce sans entraînement préalable.


***


Le soleil de midi se levait sur Avalyon. Dans une immense propriété à l’architecture chinoise plantée à la limite d’une immense forêt luxuriante, plusieurs domestiques mettaient le couvert pour deux personnes sur une petite table à l’ombre d’un grand arbre. Lorsque Xiong Mao arriva dans le jardin, la cheffe du groupe de domestiques salua respectueusement la leader des triades et annonça :


           — Madame, le repas est prêt, il ne manque plus que monsieur Ombre.

           — Merci Lin, vous pouvez disposer.


La servante s’exécuta, puis ses collègues et elles quittèrent le jardin. L’héroïne renommée prit place sur l’une des chaises et attendit. Elle n’eut pas à patienter très longtemps : cinq minutes plus tard, les fourrés tout proches s’agitèrent et une silhouette massive en sortit. Face à Xiong Mao se dressait un immense loup-garou au pelage gris et aux cheveux châtains tirant sur le jaune. La femme n’était pourtant pas inquiète le moins du monde et un large sourire aux lèvres dit :


           — Bonjour Ombre, chéri.


Le lycanthrope sourit à son tour avant de reprendre sa forme humaine. Le loup de plus de deux mètres de haut céda la place à un homme blanc de forte carrure, aux yeux dorés et arborant une barbe courte. Ombre était vêtu d’une simple veste par-dessus un t-shirt noir et d’un short gris. Sa compagne portait un pantalon et une chemise tout aussi banals. Le couple n’aimait guère porter des accoutrements encombrants, voyants ou inconfortables en dehors de leur travail, ils aimaient être à l’aise.


Les deux époux commencèrent à manger. Le menu, composé de divers mets chinois et européens, comptait nombre de leurs plats préférés ; les cuisiniers de la triade connaissaient les goûts de leur patronne et de son conjoint sur le bout des doigts, personne ne saurait le contester. Tandis qu’ils se servaient avec appétit, Ombre engagea la conversation :


— Donc, tu voulais que l’on parle de Sélène, commença-t-il entre deux bouchées de pomme de terre grillées.

— C’est bien ça, répondit sa compagne, qui de son côté entreprenait de découper un steak saignant et juteux.


Tout en dégustant des nems à la sauce aigre-douce, elle lui résuma le projet de Sélène. Le loup-garou écouta calmement tout en mangeant et lorsque Xiong Mao eut terminé son récit, il répondit :


— Je vois, donc il y a des chances pour que nous revoyions nos anciens camarades. Je ne leur ai pas parlé depuis trois ans je crois ; on était tous tellement occupés que l’on n’a même pas pu se retrouver aux réunions d’anciens de la FEAH.

— En effet, il faut juste espérer qu’ils acceptent ce que Sélène a à leur proposer, ou ne serait-ce que de la laisser communiquer avec le jeune Mercier, nota Xiong Mao.

— C’est sûr, reconnut le loup.


Sa femme avala une nouvelle bouchée de son steak, avant de se resservir une portion de nems. Elle ajouta :


— Mais il y a autre chose qui me préoccupe, Ombre.

— Laquelle, chérie ? interrogea ce dernier.


Le ton et l’attitude de Xiong Mao était tout à coup bien sérieux aux yeux de son mari.


— Toi et moi on a toujours été d’accord sur le fait de ne jamais se mêler de la vie amoureuse de Sélène une fois qu’elle serait adulte.


Ombre acquiesça. En effet, tous deux avaient depuis longtemps décidé de ne pas jouer les enquêteurs vis-à-vis des relations de leur fille.


           — Cependant… Poursuivit-elle.

— Il y a des personnes au sein des triades qui ne pensent pas comme toi, n’est-ce pas ? anticipa le lycanthrope.


La cheffe mafieuse sourit devant la clairvoyance de son époux.


— Je subodore que certains membres des clans de la forêt sont du même avis ? demanda-t-elle, une appréhension lourde comme du plomb dans la voix.


Ombre ne put que confirmer ses craintes. En tant que chef des clans de la forêt, Ombre de Loup dirigeait une importante communauté de lycans, thérianthropes et autres métamorphes similaires. Cependant, en dépit de son statut, son pouvoir était loin d’être total, tout comme Xiong Mao. Les triades et les clans de la forêt étaient deux sociétés qui restaient assez traditionalistes, et ce, en dépit des efforts de leurs chefs issus d’une génération progressiste. Certes, il y avait eu une nette évolution sur de nombreux points ces dernières années. Mais l’avenir des dirigeants restait un sujet assez virulent et, par conséquent, depuis les dix-huit ans de Sélène, certains membres des deux communautés avaient commencé à faire des propositions d’union arrangées à leurs chefs.


Bien entendu Xiong Mao et Ombre avaient catégoriquement rejeté la moindre demande de ce style. Il n’était pas question pour eux que leur fille soit impliquée dans une affaire de mariage arrangé ; ce genre de coutumes étaient révolues à leurs yeux. Pourtant, ils savaient que certains membres de leurs organisations pouvaient très bien faire le choix de désobéir, mais même dans ce cas-là il restait un obstacle de taille à franchir : s’assurer que Sélène accepte le mariage. Autant dire qu’il s’agissait là d’une mission tout aussi impossible que suicidaire.


— Où veux-tu en venir Xiong Mao ? Tu penses que nous devrions en parler directement à Sélène ?

— Je pense que notre fille a conscience de ce qui se passe autour d’elle, Ombre. Elle a « déjà vu le loup » et surtout elle sait plus ou moins à quoi s’en tenir avec les deux sexes. Ce qui m’inquiète surtout c’est que maintenant qu’elle est adulte, deux types de personnes pourrait la décevoir en devenant intimes avec elle : les personnes effrayées par notre situation et les intéressés par le pouvoir au sein de la triade et du peuple de la forêt.


Ombre sourit tristement devant l’intelligence de sa femme mais aussi à cause du revers de la médaille, plus que douloureux, qui s’imposait à présent à leur fille. Le lycanthrope et sa compagne eurasienne étaient tous deux des héros reconnus aujourd’hui, et lorsque l’on apprenait que Sélène était leur fille, cela avait tendance à faire fuir certaines personnes et à attirer les plus malhonnêtes.


Une posture délicate qui ne laissait que peu de choix à la jeune femme pour trouver un – ou une – partenaire sans pouvoir, qu’il s’agisse de force pure ou bien dans la sphère politique : seuls les membres des communautés de ses géniteurs auraient le courage de partager sa vie. Elle avait certes déjà été en couple avec Tao, un jeune homme des triades, durant le lycée et il y a un an avec une jeune thérian du nom de Sarah. Hélas, aucune des deux relations ne l’avait rendue heureuse : les deux personnes en question ayant comme arrière-pensée de prendre du galon par l’intermédiaire de Sélène.


Depuis, la jeune femme s’était concentrée sur ses études, mais sa mère soupçonnait qu’elle espérait faire changer cette situation avec sa rentrée en faculté de héros. Là-bas, les prétendants, ou prétendantes, courageux, ou inconscients, ne manqueraient pas.


           — Peux-tu préciser ta pensée chérie ? demanda Ombre, intrigué.

— Je me demandais simplement si le jeune Mercier ne jouerait pas un rôle dans la vie de Sélène.

En disant cela, Xiong Mao sourit de façon énigmatique. Avant qu’Ombre ne put obtenir plus d’information, sa femme changea de sujet.


— Bon, la bonne nouvelle, c'est que Fei Long a pris contact avec Kylian et Amata. On va pouvoir discuter avec eux ce soir si tu es disponible.


Ombre n’avait aucune affaire urgente qui aurait pu l’empêcher de venir à ce rendez-vous, il accepta donc. L’heure du rendez-vous avait été fixée à dix-neuf heures ; tout aurait lieu en visioconférence.


— Il faut juste espérer qu’ils ne prendront pas mal notre proposition.

           — On ne peut que l’espérer en effet.


Sur ces mots, ils terminèrent leurs repas sans rien ajouter. Le reste de la journée s’écoula très vite et l’heure du rendez-vous arriva.


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