TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 4

8717 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:07


Chapitre 4

«Eh oh ! Est-ce que ça va ? Je crois qu’elle ne m’entend pas …»

«Pousse-toi, laisse-moi voir !»

«Nous devrions l’emmener à un guérisseur, sa plaie est vraiment affreuse. Ou alors cautériser la plaie avant que l’infection ne se propage.»

«Pas de feu !»

Emerys ne voyait rien, mais elle entendait des voix autour d’elle. Deux voix, plus précisément. C’était plutôt comme un écho car tout lui semblait si démesurément lointain, si flou et douloureux. Pourtant elle arrivait tout de même à reconnaître les propriétaires des voix qui parlaient quelque part au-dessus de son corps étendu sur ce qui semblerait être de l’herbe, d’après la texture sous ses mains. Des brins froids se coinçaient entre ses doigts, chatouillait la peau de ses bras nus. Son dos était au-dessus de quelque chose de dur et de gênant au niveau de la colonne vertébrale qui devait sans doute être un caillou.

D’un petit gémissement presque inaudible, elle avala doucement le surplus de salive qui s’était accumulée dans sa bouche. La dernière chose dont elle se souvenait était sa douloureuse altercation avec ce type violent qui n’avait aucune honte à infliger des sévices à une femme à terre. Ensuite, c’était le trou noir total. Néanmoins, le goût cuivré du sang qui s’attardait sur sa langue et qui lui donnait une sensation désagréable d’assèchement démontrait qu’elle se trouvait dans cet état catatonique depuis un bon bout de temps déjà. Avec difficulté mais aussi beaucoup de concentration, elle rouvrit ses yeux ternes à mi-clos, puis tenta de comprendre ce qui se passait exactement et pourquoi elle se sentait aussi étourdie.

Un autre gémissement lui fût brusquement arraché des lèvres à la lumière aveuglante du soleil filtrée par les feuilles des arbres touffus au-dessus d’elle. L’odeur de la terre humide se mélangeait à celle acre du sang. A première vue, elle séjournait sur le sol d’une forêt. Deuxièmement, Arya et Sandor étaient tous deux à ses côtés, l’air quelque peu agacés pour une raison qu’elle ignorait. Toutefois l’inquiétude se lisait également sur le jeune visage de la louve accroupit à sa gauche qui avait une main posée sur son bras. Une douleur fulgurante s’attaqua à son côté droit lorsque cette dernière effleura du bout des doigts l’entaille purulente, l’obligeant à faire un mouvement brusque de recul ainsi qu’à mordre l’intérieur de sa joue pour éviter de crier à leurs visages.

«L-le feu …» Murmura Emerys d’une voix rocailleuse par manque d’utilisation, refermant ses yeux vitreux lorsqu’une autre vague de douleur se déferla dans son corps. La fièvre lui donnait des tremblements incontrôlables, mais aussi l’impression d’être gelée alors que sa peau était en ébullition.

«Je vous l’avait dit.» Blâma Arya suivit d’un soupir en regardant le Chien pensif à côté d’elle, les sourcils froncés. Elle recouvrit ensuite le côté droit blessé de la femme avec un bout de tissu.

L’homme allait-il accepter sa requête, après les nombreux efforts qu’il avait déjà fait pour cette parfaite inconnue ? Déjà qu’elle avait encore du mal à croire qu’il avait pris la décision de sortir Emerys de l’emprise de l’homme perfide après l’avoir vendue, elle avait encore plus de difficultés à croire qu’il ferait d’autant plus pour lui venir en aide. Etait-ce la culpabilité qui le rongeait à ce point-là pour qu’il agisse ainsi ? Que cherchait-il à prouver mais plus important encore, à qui ? Sans doute que la motivation était tout autre que l’argent comme il cherchait à faire croire.

Une rédemption serait plus plausible.

«Tu prends le cheval blanc. Mais fais attention, n’essaye même pas de fuir parce que tu ne survivras pas un jour sans moi avec ta tête mise à prix. T’as intérêt à bien réfléchir avant de faire une connerie qui pourrait te coûter les deux mains.» Menaça Sandor en regardant la fille Stark avec une expression hostile, l’index pointé à son visage.

Mais peut-être qu’elle se trompait …

«Oui.» Se contenta de dire Arya d’un simple hochement de tête, quelque peu intimidée par le Limier.

Elle ne pouvait cependant décrocher son regard de sa grande brûlure qui lui donnait un côté encore plus bestial, plus effrayant. Le jour viendra où elle lui plantera son Aiguille dans l’œil ! Oh oui, elle attendait ce moment avec une grande impatience … Pour venger son ami Micah, sa sœur Sansa, son père, toute sa famille et tous ceux qui avaient soufferts par sa propre main durant toutes ces années. Mais pour le moment, elle continuera de le suivre et d’obéir sagement jusqu’à ce qu’une opportunité s’offre à elle pour qu’elle puisse enfin reprendre son chemin de son côté. Loin de cet homme aux multiples visages en qui elle ne voyait qu’une bête brutale.

Sandor récupéra rapidement la jeune femme gémissante dans ses bras puis l’emmena sur Stranger où il s’installa derrière elle pour la tenir contre son torse blindé, à la recherche d’un équilibre parfait afin qu’elle ne dégringole pas du cheval. Durant leur fuite la nuit dernière, elle était malheureusement tombée de sa propre monture aux premières lueurs du matin, trop épuisée pour tenir un instant de plus dans cette position délicate en équilibre sur le dos de l’animal. Alors il n’avait pas le choix, s’il voulait avancer vite.

Il grimaça amèrement quand il sentit les nombreux tremblements de son corps en rapport à la maladie et à la violente fièvre. Elle frissonnait spasmodiquement contre lui, la tête pendante mollement sur le côté, la respiration sifflante. Ses lèvres étaient devenues bleues au manque d’oxygène, certainement à cause de ses côtes fêlées mais aussi aux nombreux coups portés sur elle la nuit dernière par ces lâches d’ivrognes. Les poumons endommagés ou des os brisés, c’était véritablement un miracle que cette femme soit encore en vie après avoir vécu tous ces traumatismes. Mais son calvaire ne faisait que commencer hélas …

Le Limier pressa le pas de son cheval lorsqu’il sentit le corps de la jeune femme s’alourdir dans ses bras, signe qu’elle perdait à nouveau connaissance. Quelque part, c’était un soulagement pour lui car la douleur devait être si épouvantable à supporter que même le plus brave des hommes ne tiendrait pas le coup aussi longtemps. D’un bras, il tenait fermement Emerys et de l’autre, il guidait Stranger en dehors de la forêt. Il poussa un soupir plaintif tandis que la chaleur anormalement élevée du corps frêle contre sa poitrine traversa sa côte de maille et réchauffa sa propre peau frigorifiée. Il était désormais soucieux d’attraper le virus virulent qui sévissait dans son système.

Mais à quoi jouait-il à la fin ? C’était l’une de ses nombreuses questions, toutefois une petite voix à l’arrière de son esprit lui rappelait que c’était la meilleure chose à faire.

A l’arrière sur son cheval blanc, Arya restait sur les traces du Chien tout à coup préoccupé par l’état de santé empirique de la femme. Elle le jugeait sévèrement du regard, cherchant à comprendre pourquoi il faisait tout ça après avoir démontré à maintes reprises qu’il s’en fichait pas mal des autres. Quelque part au fond d’elle, elle savait qu’il voulait juste se rattraper de tous les horribles crimes qu’il avait commis de sang-froid durant sa vie, en commençant par venir en aide à sa sœur Sansa à Port-Réal. Pourtant elle n’avait aucune preuve, rien qui prouvait que ce qu’il disait était vrai … Mais les traces de ses actes ignobles étant immuables, il n’avait donc aucune chance de trouver un pardon.

Surtout pas auprès d’elle.

Le visage d’Arya se froissa un instant lorsqu’elle posa les yeux sur sa prisonnière dans les bras du mercenaire détestable. Elle n’avait aucunement confiance en lui. A la recherche de tous signes susceptibles de faire ressortir la trahison, ils s’enfoncèrent plus loin dans la forêt sombre et peu accueillante pour trouver une petite rivière ou une source d’eau proche. Ils n’étaient pas si loin de Blackwater, et donc la possibilité d’en trouver une rapidement était multipliée dans cette région humide. Suivant le bruit de l’eau jusqu’à un endroit aéré, ils descendirent de leurs chevaux puis les attachèrent à des arbres pour s’assurer qu’ils restent dans les parages.

Car les hurlements n’allaient plus tarder.

Sandor déposa la femme souffrante au bord de la rivière sinueuse sur un lit de petits cailloux semblable à celui de la journée précédente. A croire qu’il s’agissait de la même rivière, mais plus bas dans le Conflans. Arya s’empressa de chercher du bois pour faire un feu qui s’avérera très utile pour la suite. Une fois suffisamment éloignée, l’homme s’autorisa un regard bienveillant vers le visage maladif d’Emerys qui suintait de sueur, ses souffles pénibles indiquant qu’elle n’en avait vraiment pour plus longtemps. D’un petit rictus, il se releva puis ramassa des roches pour faire un nid pour le feu tandis que la fillette revenait avec des branchages dans les bras.

Il ne fallut pas longtemps pour que sa plus grande peur ne prenne vie. Eclairant les environs, éloignant les animaux sauvages intéressés par l’odeur du sang et procurant une source de chaleur inoffensive tant qu’elle était sous contrôle. Il sortit sa longue épée de son fourreau à sa hanche, la lame brillante au reflet des braises avant de la déposer dans les flammes pour attendre qu’elle ne devienne incandescente. Tout ce temps-là, son angoisse grandissait dans son ventre. Comme Arya, il s’installa à côté du feu maintenant bien vivant mais non sans une certaine appréhension quant à la suite qui s’annonçait particulièrement compliquée.

Aucun des deux n’osaient prendre la parole, car ils songeaient à l’inévitable qui allait se produire sous peu. Sandor Clegane n’était pas un homme sensible, bien au contraire. Dès son plus jeune âge, il avait appris à s’endurcir et à masquer ses émotions au monde extérieur grâce aux nombreux combats au corps à corps mais aussi à l’arme blanche. Il ne tuait pas par plaisir, mais le meurtre lui procurait toujours une petite satisfaction quand il repensait à son abominable frère ou à son père. En revanche, la violence et les combats avaient toujours été sa source de jouissance, son moyen d’extérioriser sa colère et sa frustration longuement nourrit au fond de lui.

Mais le feu … Oh oui, le feu. Cet être vivant mortel était sa peur la plus profonde mais aussi la plus ancienne. Une peur incontrôlable qui le désorientait et le laissait silencieux face à ce dernier. La douleur atroce que prodiguaient les flammes restait constamment sur son visage, comme s’il revivait ce terrible drame d’enfance chaque jour passé, à chaque regard effrayé ou dégoûté des gens qu’il croisait sur sa route. Une punition qui se répétait pour ne pas avoir été assez fort à l’âge de huit ans pour se rebeller contre son frère. Son propre sang.

La lame de son épée devint rougeoyante au bout d’un certain temps dans les flammes, ce qui signala à son propriétaire qu’elle était prête à être utilisée. Alors Sandor échangea un regard nerveux avec la jeune Arya en face de lui accroupit de l’autre côté du feu. Puis lorsqu’elle lui hocha positivement la tête, il se leva avec précaution tout en tenant fermement son épée dans la main. Les deux s’approchèrent d’Emerys sur le sol en espérant secrètement qu’elle se réveille par miracle plutôt que d’avoir à subir cette douleur inimaginable pour accélérer sa guérison. Immédiatement, le Limier détourna la tête de dégoût lorsqu’il sentit son courage faiblir, une sensation inconfortable au sein de sa poitrine.

«Je ne peux pas …» Marmonna-t-il entre ses dents, de vieux souvenirs liés au feu tournant en boucle dans son esprit.

Au diable cette femme ! Il n’allait pas la cramer ! Il n’avait aucun compte à lui rendre. Ni à elle ni à Arya Stark ni à personne d’autre. Il s’agissait de la pire douleur au monde et jamais il ne l’infligerait à quelqu’un d’autre, pas même à son pire ennemi sur cette maudite terre de malheur. Sauf peut-être à son frère qui méritait bien pire que la mort, mais encore, ce n’était qu’en dernier recours.

«Faites-le ! Ou elle mourra. Et vos sacrifices auront été vains. Alors à quoi tout cela aurait servi ? Rien du tout.» Répliqua Arya en serrant les poings à ses côtés tout en regardant le Chien avec défiance. Elle n’avait jamais su ce qu’il lui était arrivé avec exactitude, mais elle s’imaginait bien que cela ne devait pas être une tâche facile à réaliser.

Même pour un gars comme lui.

«Je ne suis pas obligé de le faire ! Je me fiche de ce que tu veux et je me fiche de cette femme ! C’est à cause de toi si nous en sommes là dans ce merdier ! C’était pas mon problème avant que tu ne t’en mêle. Tu devrais apprendre à la fermer et à penser à toi au lieu de toujours vouloir jouer aux petites héroïnes ! Qu’est-ce que ça change pour moi qu’elle reste en vie ou non ? Rien du tout !» Critiqua sèchement Sandor en pointant un doigt accusateur vers Arya, furieux.

«Ça peut faire toute la différence !» Hurla férocement la louve en retour sans une trace de peur. Mais quand l’homme secoua la tête dans la négation, elle vint se positionner devant lui et son épée brûlante pour lui crier dessus.

«Alors, pourquoi vous ne l’avez pas tuée quand vous en aviez l’occasion ?! Il fallait y mettre un terme tout de suite et la laisser pourrir dans un bordel ! Pourquoi vous m’avez écoutée ? Qu’est-ce que vous essayez de prouver ? Que vous avez des scrupules qui germent en vous ? Que vous êtes capable de changer ? De devenir quelqu’un de bon ? Eh bien laissez-moi vous dire que vous n’avez aucune chance ! Nous sommes tous des ordures et ce n’est pas demain la veille que ça changera.» La voix de la Stark s’étrangla, les yeux larmoyants de rage. Elle venait de répéter ce que l’homme lui avait dit en espérant lui montrer à quel point son comportement était révoltant.

Et la colère de Sandor redescendit subitement. A priori, il avait touché une corde sensible chez elle.

D’abord un peu perplexe face aux sermons de la gamine inexplicablement émotive, il finit par se ressaisir et retrouver le courage nécessaire pour faire la chose suivante. Le Limier poussa alors la louve sur le côté puis d’un mouvement saccadé, il s’agenouilla à côté d’Emerys, arracha le côté droit de sa robe et plaqua aussitôt la lame rougeoyante de son épée contre ses côtes endommagées. Sa main vola automatiquement sur la bouche de la jeune femme pour faire taire ses cris perçants dès l’instant où la lame entra en contact avec la peau malsaine.

Son cœur se serra violemment dans sa poitrine quand les hurlements insupportables traversèrent ses doigts et résonnèrent dans toute la forêt dans un écho glaçant. Le visage d’Emerys devint tout à coup rouge d’agonie, les larmes se déversant continuellement sur ses joues fiévreuses, les veines se gonflant à cause de la pression artérielle élevée. Elle hurla, encore et encore face à la douleur effroyable tout en griffant les bras du Limier immobile au-dessus d’elle qui la tenait en place pendant qu’il cautérisait la plaie. Il fût étonné quand elle commença une série de prières derrière ses doigts pour que cette vive douleur cesse enfin.

Arya grimaça à l’odeur de brûlé qui flottait dans l’air. Cette odeur immonde lui donnait envie de vomir toutes ses tripes … C’était indescriptible, mais elle avait l’impression qu’une bête cuisait vivante. Alors que les étranglements d’Emerys la tétanisaient, ses yeux se levèrent involontairement à la brûlure sur le côté droit du visage du mercenaire qui se battait intérieurement pour garder son masque d’impassibilité en place. Mais incapable d’en supporter d’avantage, il finit par détourner la tête dans une autre direction puis de fermer hermétiquement les yeux tout en gardant sa grande main sur la bouche de la femme pour faire taire ses gémissements et ses cris. Cependant cela ne servait à rien, l’odeur restait insoutenable.

«Je ne peux pas, putain !» S’écria Sandor en relâchant Emerys et en balançant brutalement son épée au bord de l’eau pour la faire refroidir, les mains tremblantes de rage. Sa tête tournait atrocement avec l’odeur de la chaire brûlée. Et les cris incessants de la femme … Etaient un terrible rappel de sa propre expérience traumatisante.

«Attendez ! Mais où est-ce que vous allez comme ça ?!» S’offusqua tout à coup Arya en voyant l’homme si insensible et impitoyable prendre la fuite vers les arbres.

Evidemment, elle ne reçut aucune réponse de sa part parce qu’il avait d’ores et déjà disparu derrière des buissons. Abattue mais aussi exténuée elle poussa un soupir plaintif, les bras ballant à ses côtés. Il finira bien par revenir car l’appel de l’argent était trop fort pour l’abandonner sur un simple coup de tête. Néanmoins, elle ne put s’empêcher de ressentir un peu de pitié pour lui mais aussi de la sidération après cet acte très courageux qui demandait un effort énorme. Elle qui pensait qu’il n’avait absolument aucune empathie ni émotion mise à part de la haine ... Elle se retourna ensuite vers Emerys à moitié dévêtue qui pleurait fortement sur le sol, ses bras encerclant sa taille.

Un petit filet de bave sortait de sa bouche avec la douleur et le choc de la lame bouillonnante sur sa peau et les muscles de son visage se contractaient à chaque mouvement involontaire de son corps. Son visage était passé du rouge violacé au blanc cadavérique, prise par de petits spasmes réguliers tandis qu’elle recherchait la fraîcheur au sol. Il n’y avait plus que des lamentations et des gémissements. Arya déglutit devant cette pitoyable image d’elle ainsi qu’à l’odeur qui ne semblait plus vouloir se dissiper. Se sentant soudainement très seule, la jeune fille s’assit à côté d’Emerys puis retira timidement quelques brins de cheveux argents loin de son visage humide de sueur.

«Ça va aller, ne vous en faites pas. Ce sera bientôt fini. Un lointain souvenir, vous verrez.» Hésita-t-elle en pinçant les lèvres. Elle prit ensuite sa petite gourde d’eau à sa ceinture avant de l’apporter aux lèvres gercées de la femme qui refusa de boire. La douleur dans son corps bien trop importante pour même oser bouger.

«Laissez-moi m-mourir.» Balbutia Emerys en tournant son visage affligé dans les cailloux, reprenant un sanglot beaucoup moins bruyant cette fois-ci.

Cela piqua grandement Arya qui sentit une pointe de colère monter en elle à cette demande après tant d’efforts pour l’aider à survivre. Elle qui voulait la secourir, la sortir de son destin dramatique, voilà comment elle était remerciée … Elle s’était même dressée contre le Limier pour qu’elle reste en vie et ne soit pas abandonnée à son triste sort de femme ! C’était d’une grande injustice. La gourde tomba sur le sol puis d’un dernier regard peiné à Emerys, elle se leva et partit pour une petite marche aux bords de la rivière histoire de s’éclaircir les idées.

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Plus tard dans la journée et après avoir retrouvé son calme, Arya revint au campement provisoire. Mais elle fût plutôt surprise de constater que le Chien n’était toujours pas revenu de sa petite escapade improvisée dans la forêt. Bon débarras, un problème en moins !

Elle remarqua que le corps d’Emerys était toujours dans la même position fœtale sur son lit de cailloux au bord de la rivière. Ses yeux demeuraient clos, mais sa poitrine qui montait et descendait dans un rythme lent et régulier était une preuve qu’elle n’avait finalement pas succombé à la douleur ni à la maladie. D’un petit coup d’œil panoramique à la recherche d’un signe de vie du mercenaire, Arya finit par hausser les épaules en se convainquant qu’elle s’en fichait de lui. Même si elle craignait quand même de devoir se débrouiller toute seule désormais. Ce qui la rassurait un tant soit peu était la présence du cheval Stranger juste à côté du cheval blanc, tous deux en train de brouter le jonc aux bords de l’eau courante.

D’un soupir contenu, la jeune enfant s’allongea dans la même position qu’Emerys à côté du feu qui mourrait peu à peu, les yeux pensivement plongés dans les flammes tandis qu’elle chuchotait sa liste de vengeance personnelle. Juste avant qu’elle ne s’endorme, elle entendit des reniflements venant de la part de la femme dos à elle, ses épaules offrant de petites secousses à chacune de ses lamentations silencieuses.

Aux aurores le lendemain matin, Arya se réveilla de son sommeil léger lorsqu’elle entendit des bruits de pas lourds sur la plage de cailloux. Son cœur sauta dans sa gorge nouée. Immédiatement consciente du danger qui rôdait aux alentours, elle se leva d’un bond pour faire face à l’étranger qui se rapprochait rapidement de leur position. Une peur intense s’empara d’elle à l’idée de ne pouvoir se battre sans son épée Aiguille. Par chance, si elle pouvait l’appeler comme ça, il ne s’agissait que du Limier qui revenait enfin après tant de temps à l’écart.

«Vous êtes revenu ? Où étiez-vous ?» S’exclama-t-elle de surprise en suivant ce dernier du regard, confuse mais étrangement soulagée de le voir. Sandor ne la regardait pas mais tenait dans sa main droite sa précieuse gourde de vin.

Il était donc allé se saouler dans un coin de la forêt ? Pathétique.

«Je vois que tu ne t’es pas sauvée. A croire que tu n’es pas aussi idiote que tu le montre. Ou peut-être que c’était une terrible erreur de ta part …» Le Chien renifla allègrement puis rangea sa gourde vide autour de sa ceinture avant de poser son regard cinglant sur la femme allongée. Brusquement, il se tourna vers Arya muni d’une expression colérique tout en désignant le corps recroquevillé avec son doigt.

«Il fallait la mettre dans l’eau ! Maintenant la brûlure s’est propagée et les cicatrices resteront à vie !» S’énerva-t-il tout en frottant une main contre son front plissé, sentant la migraine lui venir. Boire dans un coin n’avait peut-être pas été la meilleure des idées … Il aurait pu perdre tous ses biens, si la gamine avait décidée de prendre la poudre d’escampette avec son cheval.

«Je n’avais pas assez de force pour la jeter dans la rivière ! Et je ne savais pas quoi faire pour lui venir en aide. Alors j’ai mis de l’eau sur sa brûlure pendant la nuit. Vous nous avez lâchement abandonnées, alors qu’on avait besoin de vous !» S’agaça Arya en examinant longuement le Limier pour voir sa réaction. Elle croisa les bras sur sa poitrine lorsque ce dernier se mit à glousser.

«T’as besoin de moi maintenant ? Bon sang, je rêve.» Ricana-t-il sèchement, abasourdi d’entendre une chose pareille de la bouche d’une Stark.

«Oui, mais ce n’est pas par plaisir, rassurez-vous.» Admit-t-elle en retour, grommelant sa phrase. Elle n’allait certainement pas se soumettre à lui !

Sans surprise, le Chien renfrogné la regarda avec froideur mais ne lui répondit aucunement comme elle l’espérait. Il fit même quelque chose de complètement différent à ce qu’elle s’était d’abord imaginé. L’homme rustre marmonna quelque chose d’incompréhensible dans sa barbe puis se dirigea ensuite vers le bord de la rivière où se lamentait Emerys pour lui agripper fermement le bras, la tirer à ses pieds et tout en ignorant ses plaintes au mouvement brutal il la jeta sans aucune douceur dans la rivière.

«Voilà, contente ?» Siffla crûment le Limier. Il récupéra son épée sur le sol et passa à côté de la louve en colère pour rejoindre son cheval.

Arya leva les yeux au ciel tandis qu’Emerys se hissa rapidement hors de l’eau en prenant une profonde et bruyante inspiration dans ses poumons en feu. Une besogne difficile car la douleur étant à son apogée, elle avait véritablement l’impression que chaque mouvement déchirait ses entrailles, que chaque inspiration était une épreuve ... L’eau était si froide sur sa peau brûlante qu’elle pensait qu’un choc thermique allait la tuer sur le coup. Mais elle n’avait toutefois pas d’autre choix que de bouger malgré la lente agonie qui la rongeait. Tout en grinçant des dents, la jeune femme gémissante se traîna jusque sur la berge où elle s’écroula après tous ses efforts.

Emerys luttait pour rester consciente. Le réveil avait été si soudain et si violent qu’elle voyait des petites étoiles devant ses yeux. Sans parler de la force avec laquelle Sandor l’avait attrapé par le bras juste avant de la balancer dans la rivière glaciale … Jetant un regard noir à ce dernier proche de son cheval, elle se tourna sur le côté puis porta une main tremblante à ses côtes cautérisées. Elle jura sous son souffle lorsqu’une douleur fulgurante traversa son corps au simple contact, l’obligeant à ravaler un cri éprouvant. Ce qui ne passa pas inaperçu à la jeune Arya debout non loin d’elle.

Quelques instants plus tard, le mercenaire stoïque revint auprès d’Emerys à quatre pattes sur les cailloux avec une tunique verte olive dans ses deux mains gantées ainsi qu’un pantalon brun et des bottes qu’il jeta avec paresse devant sa tête. Il sourit malicieusement quand celle-ci leva les yeux pour le regarder d’une grande touche de curiosité, sa lèvre inférieure tremblant de froid et de douleur alors qu’elle tentait de comprendre pourquoi il lui jetait ses vêtements de rechange.

«Ta robe est fichue. Prends ça et va faire ta vie.» Expliqua-t-il en haussant les sourcils, exaspéré par son manque de compréhension pour une chose aussi évidente. Il n’attendit pas qu’elle le remercie pour lui tourner le dos et revenir aux deux chevaux, entraînant avec lui une Arya silencieuse.

«Nous y allons. Ton frère et ta mère t’attendent aux Jumeaux.» Sandor posa sa main sur son épaule. Arya balbutia quelque chose sous son souffle puis tourna la tête vers Emerys qui venait de se redresser sur ses genoux pour prendre les vêtements gracieusement offerts.

«Attendez !» S’écria cette dernière avant qu’ils ne s’éloignent définitivement.

Le Limier s’arrêta dans ses pas mais ne se retourna pas pour autant vers la jeune femme en détresse qui peinait à utiliser sa voix après tant de hurlements. Il ne voulait surtout pas croiser son regard, pour une raison qui lui échappait à ce jour. Peut-être avait-il peur d’y trouver de la déception ? Il en déduisit qu’il ne lui accordait juste aucune importance. Maintenant immobile entre la rivière et les chevaux, il resserra sa prise sur l’épaule d’Arya quand l’enfant remua inconfortablement sous sa poigne pour pouvoir se retourner et écouter ce qu’elle avait à leur dire.

«Emmenez-moi avec vous !» Poursuivit Emerys après plusieurs souffles pénibles. Grimaçant au son rêche de sa voix, elle se redressa avec son coude puis leva les yeux vers les deux quand ils finirent par se retourner pour lui faire face.

«Et qu’est-ce que j’y gagnerais ?» Questionna l’homme après un moment silencieux.

«Robb et Catelyn Stark se trouvent aux Jumeaux, n’est-ce pas ? Si vous me vendez à Walder Frey, je suis sûr qu’il vous donnera une bonne somme d’argent en échange. Les rumeurs disent que c’est un homme qui aime s’entourer de bonne compagnie. Ecoutez, je n’ai nulle part ailleurs où aller, mais il me faut un toit. S’il vous plaît ...» Les épaules frémissantes, Emerys resserra légèrement sa prise sur les vêtements dans ses mains à la prochaine vague de douleur.

«C’est quoi cette idée débile ? Walder Frey n’est qu’un vieux connard pervers qui ne pense qu’à sa fortune. Je n’ai aucune garantie qu’il acceptera le marché. Et je ne veux pas me traîner quelqu’un d’autre jusqu’à là-bas. Alors trouve-toi plutôt un village et fait ta vie loin de tous ces salopards. Ça vaudrait mieux pour toi.» Objecta Sandor en se détournant d’elle après avoir sifflé pour son cheval afin qu’il puisse installer Arya sur le devant de la selle.

Emerys pensait vraiment qu’elle n’allait pas réussir à le convaincre. Qu’allait-elle devenir toute seule, sans protection au beau milieu de nulle part ? A la portée du premier qui la croisera ? Lorsque l’homme s’apprêta à monter sur sa monture sans même un dernier regard en arrière, un vent de panique la balaya de plein fouet. Elle tenta de se positionner sur ses jambes mais la douleur atroce l’en empêcha et elle retomba donc maladroitement sur ses coudes, les dents serrées et les larmes de désespoir aux coins des yeux. Elle apporta sa main frissonnante à son côté droit où la robe avait été déchiré, hors elle n’osa pas toucher la vilaine brûlure en forme de lame. Soudain, une solution lui parvint à l’esprit.

«Je suis sûre que Walder Frey payerait une somme conséquente pour avoir une femme à la chevelure des Targaryen. Vous ne pensez-pas ? Une couleur si rare, en effet. Nombreux hommes voudraient me posséder.» S’empressa-t-elle de dire d’une voix cette fois-ci mesurée, un sourire jouant à ses lèvres lorsque le Limier s’arrêta net dans son mouvement pour rester debout à côté de son cheval.

Il fallait juste le prendre par les sentiments.

«Tu vas surtout réussir à te faire tuer ! Ou alors te faire livrer aux Lannister, dans le pire des cas. Ils ne peuvent pas blairer les Targaryen.» Rectifia-t-il d’un soupir tout en tapotant ses doigts contre le cuir de la selle, songeant à son offre. Du coin de l’œil, il vit la gamine percher sur l’animal lui hausser un sourcil.

«Ce que je ne suis pas.» Rétorqua aussitôt la femme à genoux d’une main au-dessus du cœur. Elle prit une profonde inspiration puis poursuivit dans un timbre de voix plus calme ; «Faisons un marché. Si vous m’aidez, vous serez récompensé d’une manière ou d’une autre. Je n’ai qu’une parole. Je m’arrangerais pour que vous ne repartiez pas les mains vides, à condition que vous m’apportiez protection durant le voyage. C’est tout ce que je vous demande.»

L’ex-Chien Royal se mit donc à réfléchir. Elle était assez maligne et possédait des arguments plutôt convaincants, malgré l’évidence qu’elle se mettait toute seule en danger. Mais après tout, ce n’était pas son foutu problème ! Il s’en cognait  de ce qui pouvait lui arriver par la suite. Il suffisait de garder un œil sur elle puis de la laisser chez ce vieux Frey avant de déposer la gamine chez les Stark, empochant alors deux bourses de pièces au lieu d’une en échange de ses services. En réalité ce n’était pas une si mauvaise idée. Sandor frotta son visage de lassitude, jurant dans sa barbe avant de donner un bref signe de tête comme quoi il était d’accord.

Emerys ne pouvait s’empêcher de ressentir une immense joie quand le mercenaire accepta sa requête. Le soulagement était énorme ... Il y avait bel et bien des raisons de pourquoi elle voulait atteindre Walder Frey, mais elle ne leur faisait pas assez confiance pour leur faire part de ses projets personnels. Cela ne les regardait pas mais surtout, ça ne les concernait pas. Alors, d’un nouvel élan d’espoir et de détermination, elle sourit grandement tandis qu’elle commençait difficilement mais avec courage à se dévêtir en se mettant dos au Limier et à Arya pour un minimum d’intimité.

«Ne regardez pas.» Arya donna une légère tape au Chien pour qu’il détourne le regard du corps de la beauté pâle enthousiaste. Ce qu’il fit d’un grognement mécontent.

Emerys ne pouvait contenir ses tremblements, cependant, elle ne voulait pas faire attendre l’homme impatient au risque de le dissuader de l’emmener avec eux. Il fallait faire abstraction de la douleur. Donc elle glissa précipitamment les vêtements bien trop grands sur ses épaules tout en grimaçant de souffrance lorsque le tissu s’accrocha à la peau noircie sous ses seins. Il lui fallut quelques instants pour reprendre son souffle et calmer son cœur battant à tout rompre. Sa tête tournait à nouveau alors que ses oreilles sifflaient, à deux doigts de perdre l’équilibre après s’être levé aussi vite. D’abord vacillante mais une fois en équilibre sur ses pieds, elle se dépêcha pour rejoindre sa monture blanche avant que le mercenaire ne fasse un commentaire humiliant.

Chaque pas était une véritable torture …

Sandor n’attendit pas qu’elle s’installe sur son cheval pour donner l’ordre au sien d’avancer.

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«Vous connaissez la Reine Cersei ?» Demanda curieusement Arya devant le Chien en se penchant sur le côté pour regarder Emerys sur son cheval.

Les deux filles discutaient ensemble depuis un bon bout de temps déjà, et Sandor sentait les maux de tête lui venir à force de les écouter bavarder. Il réprima un soupir d’agacement pendant que ses mains resserraient leur emprise sur les rênes de son cheval, donnant de petits coups à ses flancs pour qu’il garde le rythme aux creux des collines. Il faisait de son mieux pour ignorer les babillages inutiles mais c’était de plus en plus compliqué au fil des heures à être forcé d’entendre les échanges sans importances pour lui.

«Oui, bien-sûr. Qui n’a jamais entendu parler de cette femme vicieuse et malveillante. Je connais quelques personnes de sa cour et cela grâce à Varys, donc, je suis au courant pour certaines rumeurs qui circulent. J’étais l’un des oiseaux chanteurs de l’eunuque, autrefois.» Emerys sourit au souvenir de ce temps-là, jugeant bon de le partager. Un temps qui lui paraissait bien loin aujourd’hui.

«Cette femme est un monstre ! Je veux la tuer. Ainsi que son Chevalier Meryn Trant.» Cracha furieusement Arya sans prendre en considération la dernière information concernant Varys. Elle sentit Sandor rire derrière elle, ce qui l’incita à lever les yeux vers lui pour voir ce qu’il trouvait d’aussi drôle dans ses paroles, prête à lui arracher les yeux pour sa moquerie futile.

«Meryn Trant ?! C’est rien qu’un gros enculé de mes deux avec une petite queue. Mais si jamais t’essayais de t’approcher de lui, il te tuera sans difficulté après avoir abusé de toi. J’ai entendu dire qu’il aimait beaucoup les enfants.» Expliqua-t-il avec amusement alors qu’il s’intéressait à la pomme qu’il tenait dans sa main après l’avoir cueillis dans un arbre sur le chemin. Décidément, tout le monde était des monstres d’après Arya Stark. Ceci dit, il ne pouvait pas lui donner tort non plus car Meryn était un homme détestable.

«Alors je lui crèverai les yeux en premier, et ensuite, je l’égorgerais.» Renchérit froidement la louve en se retournant vers l’avant de l’animal. Cela suscita un autre rire moqueur de Sandor dans son dos mais qui s’arrêta abruptement quand Emerys prit la parole.

«Il y a d’autres moyens de tuer un homme, Arya. Plus rapidement ou plus douloureusement. Des techniques que seules les femmes connaissent. Je t’apprendrais, peut-être !» S’enchanta Emerys qui plissait le nez à l’odeur qui la suivait depuis la rivière.

Ce n’était pas une odeur de brûlé, mais plutôt une odeur de chien mouillé …

Le Limier ricana une fois de plus mais décida de ne pas commenter cette idiotie supplémentaire. Les deux femmes qui parlaient de meurtre au lieu de parler de chansons et d’histoires de filles … Il aura vraiment tout entendu. D’ailleurs il se demandait régulièrement comment aurait été la route s’il avait eu Sansa pour compagnie au lieu d’Arya. Peut-être qu’il s’ennuierait beaucoup plus, étant donné que la jeune fille en question préférait justement les histoires de Chevaliers plutôt que les histoires de tuerie. Oui, il se sentait amusé … Mais aussi très agacé par leurs discussions sans fins. Le silence lui manquait.

«Vous avez déjà tué un homme ?» Interrogea subitement Arya, la mine tombante. Elle priait pour ne pas être la seule fille à avoir tué une personne dans sa vie, même si cette idée sonnait absurde.

Emerys plissa les yeux face aux rayons chauds du soleil, puis examina calmement les environs plats et verdoyants tout en méditant pour donner une réponse concrète à la louve curieuse sans rentrer dans les détails de sa vie. Elle avait bien senti la tristesse et la honte contenue dans sa voix, et malgré qu’elle se sente affectée par elle, elle ne pouvait s’y résoudre à être compatissante. Car un meurtre restait un acte impardonnable. Le vent se mit à souffler tandis qu’un corbeau passa au-dessus d’eux, croissant tout le chemin jusqu’à un arbre voisin.

«Oui.» Révéla-t-elle. Elle retint cependant un sifflement quand son cheval trébucha sur un rocher et que cela engendra une vive douleur dans son corps. En plus d’être envelopper dans cette odeur répugnante depuis le départ elle souffrait le martyr … Manifestement les Dieux n’étaient plus de son côté.

Arya voulut lui demander dans quelle circonstance elle avait liquidé un homme, mais quand elle se pencha pour regarder Emerys par-dessus le bras du Limier inflexible, elle vit que la jeune femme secouait énergiquement sa main devant son visage tiré dans un rictus profond. Elle avait l’air écœurée par quelque chose, le nez froissé de dégoût. Elle toussa ensuite dans son poing puis se mit à gémir en attrapant doucement ses côtes lancinantes avec son bras libre. Ce n’était vraiment pas beau à voir et elle se demandait si l’infection ne s’était quand même pas propagée dans son corps pour lui faire ce teint blafard.

«Vous souffrez, n’est-ce pas ?» Ce n’était pas une question, mais Arya se sentit obligée de souligner l’évidence. Sandor se crispa dans son dos.

«Oui, énormément Mademoiselle. Je ne pourrais vous décrire cette douleur avec des mots. Mais rien n’égale cette odeur immonde qui me suit depuis des lustres ! Dites-moi Limier, depuis combien de temps vous ne vous lavez plus ? Je suis heureuse de porter des vêtements décents, mais cette odeur de bouc …» Se plaignit Emerys en sortant la langue comme si elle étouffait.

Ce n’était bien-sûr que pour plaisanter mais il y avait aussi une part de vérité.

En revanche, le Limier ne prit pas cela sur le ton de l’humour, mais plutôt comme une agression personnelle à son encontre. Cette femme odieuse osait s’en prendre à lui alors qu’elle devrait lui montrer reconnaissance et respect après l’avoir sauvée à deux reprises ! Inconsciemment, il resserra son bras autour du ventre d’Arya alors qu’il répondait à Emerys sur le ton de la réprimande, serrant la mâchoire à l’énervement qui grimpait dans sa poitrine.

«Si ça ne te plaît pas, je peux reprendre ce qui m’appartient et te laisser complètement nue sur ton cheval. La vue ne me dérangerait pas et je suis sûr qu’aux hommes que nous croiseront non plus.» Sandor sourit discrètement, s’imaginant le visage embarrassé de la femme derrière lui. Un vrai régal.

«C’est vrai que vous sentez mauvais ... C’est très difficile de rester près de vous aussi longtemps.» Défendit Arya en portant ses yeux à son visage balafré, les lèvres pincées pendant qu’elle le jugeait du regard.

«Tu crois que tu sens la rose, peut-être ? Ta propre odeur de petite fille négligée m’empeste le nez depuis des jours.» Grogna le Limier d’une grimace irritée. Il avait pris l’habitude de sa mauvaise odeur au fil des ans et surtout depuis qu’il faisait route seul, mais il était vrai que cela devenait vraiment dérangeant.

«Et puis, les hommes n’ont pas besoin de sentir bon !» Ajouta-il rapidement en regardant le visage dégoûté d’Arya avec satisfaction. Néanmoins la conversation ne s’arrêta pas là car Emerys avait autre chose à dire.

«Vous, les hommes, si vous pouviez prendre des bains de boues avec les porcs, vous le feriez ! Mais vous oubliez aussi que si vous voulez coucher avec des femmes, il est dans votre intérêt d’avoir une odeur supportable et non celle d’un animal sauvage. Et encore moins celle du sang et de la sueur !» Rétorqua prestement cette dernière en secouant sa main devant elle pour chasser les mouches et autres insectes nuisibles.

«Je suis un mercenaire, et mon odeur est celle du sang de mes victimes.» Renchérit Sandor en bombant fièrement la poitrine, au plus grand désarroi d’Arya qui ne se retint pas de soupirer face à ce geste ridicule.

«C’est peut-être pour ça que vous ne couchez jamais …» Murmura Emerys, un petit sourire suffisant aux lèvres. Elle lui en voulait toujours de l’avoir vendue sans aucun scrupule à cet homme mais malheureusement pour elle, Sandor Clegane avait aussi une très bonne ouïe.

Sans prévenir, l’homme sauta hors de Stranger pour aller prendre les rênes du cheval d’Emerys dans son poing afin de forcer l’arrêt de l’animal. Il attrapa ensuite la jambe de la jeune femme incrédule et la tira brutalement contre lui, sa main libre s’enroulant dans ses cheveux à l’arrière de sa tête pour la forcer à le regarder droit dans les yeux. Là où une rage écrasante s’y reflétait. Elle glapit de peur et de douleur, pourtant elle garda les yeux hermétiquement fermés une fois debout face à l’homme plus grand. Les dents serrées et sa main agrippant le poignet à l’arrière de sa tête dans une vaine tentative de le faire lâcher prise, elle déglutit quand il s’écria.

«Regarde-moi ! Regarde mon visage !» Rugit le Limier d’une violente secousse, tirant sur la racine de ses cheveux pour qu’elle fasse ce qu’il lui ordonnait.

La tension devint insupportable entre eux.

Il avait été rudement piqué par ce qu’elle avait osé dire à voix basse alors que ce problème affectif lui échappait complètement depuis l’âge de huit ans. Il n’en pouvait absolument rien et il ne pouvait pas non plus y remédier à son physique désavantageux. C’était ce manque de contrôle qui le frustrait autant au fil des années. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus aussi mal réagit face à une insulte, cependant cette femme commençait à titiller en lui quelque chose qu’il n’avait plus ressentit depuis une éternité. De l’intérêt. Pourquoi ou comment, il l’ignorait, mais il ne supportait tout simplement plus de voir ce regard sur son visage.

Celui du dégoût.

Une aversion qu’il ne trouva toutefois pas quand Emerys rouvrit lentement les yeux pour lui obéir et le regarder. Leurs visages étaient très proches l’un de l’autre, leurs poitrines se touchaient presque. Leurs souffles saccadés chatouillaient la peau de leurs joues. Intimidée, elle plongea timidement ses yeux noirs dans ceux bruns enragés d’un homme en souffrance. Son regard devenu intrigué parcourait la peau cruellement abîmée par le feu de sa pommette droite, ainsi que les boursouflures au-dessus de son œil, puis sa tempe jusqu’à une partie de son crâne où il manquait des cheveux. C’était atroce, mais pas dégoûtant.

Tranquillement, elle desserra sa mâchoire tandis qu’elle examinait attentivement les cicatrices qui tiraient sur sa peau rugueuse, malmenant les traits de son visage constamment tirés dans un renfrognement. A cause de la chaleur extrême des flammes, une partie de sa barbe ne poussait plus tout comme son sourcil droit. La peur finit par se loger dans son bas ventre mais aussi une sorte de curiosité devant toute cette défiguration. Que lui était-il arrivé pour qu’il ressemble à cela aujourd’hui ? Un homme brisé, rempli de préjugés. Mais surtout, à quel point avait-il souffert en les recevant ? Son cœur se prit de sympathie pour lui, loin de la rancœur et de la haine qu’elle avait éprouvée plus tôt à son égard.

Emerys cligna des yeux puis ravala sa salive quand elle sentit son souffle rauque lui caresser le visage. Il était tellement intimidant ... Sandor Clegane la regardait avec colère et même s’il haïssait plus que tout au monde d’être scruter de la sorte, il la laissa faire afin qu’elle réfléchisse bien la prochaine fois avant de s’en prendre directement à lui. Au risque de le regretter amèrement. Trop de fois dans sa vie il avait été dévisagé pour le supporter d’avantage, ce que cette femme semblait bien prendre en compte car elle était à une perte totale de mots.

Elle avait peur de lui.

La main qui la tenait dans cette position lui tirait douloureusement le cuir chevelu, mais Emerys n’y pensait plus parce qu’elle était trop concentrée à le regarder pleinement pour une fois qu’elle y était autorisée. Elle n’avait qu’agi sous le coup de la colère, un acte qui la faisait culpabiliser maintenant. Son cœur se serra à la tristesse contenue dans son regard de chien battu, une émotion qu’elle ne pensait jamais voir dans les yeux d’un mercenaire sanguinaire tel que lui. Un jugement beaucoup trop hâtif, ce qui pourtant ne faisait pas parti de ses principes. Alors, pourquoi avait-elle fait cela ?

«Je suis désolée.» Murmura finalement Emerys alors qu’ils se fixaient mutuellement. Elle se sentait idiote pour cette moquerie blessante.

Elle voulut lui demander ce qui lui était arrivé à l’époque, mais le Chien la relâcha subitement comme s’il avait été brûlé par elle avant de détourner les yeux loin de son visage affligé. Il passa une main tremblante dans ses cheveux longs puis joua avec sa mâchoire tandis qu’il posait son regard là où il avait brûlé la plaie d’Emerys plus tôt, le sentiment d’écœurement toujours présent au sein de sa poitrine. Serait-ce plutôt une forme de culpabilité ? Du dégoût, sans l’ombre d’un doute. Il fallait dire qu’il se sentait vraiment déstabilisé par la réaction de la femme qui était bien loin de la répugnance habituelle.

«Plus un seul mot, ou je te coupe la langue.» Averti calmement Sandor en plissant les yeux vers elle. Une menace qu’il n’hésitera pas à mettre à exécution.

Emerys déglutit, mais hocha tout de même la tête même s’il ne pouvait pas le voir car il était déjà dos à elle pour rejoindre son cheval. Elle libéra alors le souffle qu’elle retenait et posa une main sur sa poitrine, sentant le regard insistant d’Arya toujours figée dans la même position sur la selle. Les yeux écarquillés de terreur, la jeune fille ne s’était pas attendu à cette violente réaction d’un homme qui se disait insensible. Et pendant un court instant, elle pensait que c’était la fin pour sa prisonnière.

Lentement la peur d’Emerys se dissipa, ce qui lui permit de remonter à cheval malgré le choc de cette altercation haute en émotion. Elle reprit les rênes de l’animal entre ses mains moites pendant qu’elle examinait la silhouette imposante de Sandor Clegane assis derrière la petite Stark apeuré. Combien de gens le jugeaient injustement pour son physique effrayant ? Beaucoup trop apparemment, une prise de conscience qui lui donna un petit haut le cœur. Peut-être qu’apprendre à le connaître avant de le juger serait plus judicieux et aussi plus humain ... Car elle n’avait pas manqué la lueur découragée dans les yeux du Limier ni celui soucieux de la louve entre ses bras. Quelque chose qui la laissera pensive un bon bout de temps.

Le voyage sera très long.

A suivre …

VP


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