TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 15

8090 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:24


Chapitre 15

Au prochain arrêt, ils n’étaient vraiment plus très loin de la Lady régente du Val, Lysa Arryn. Les rares arbres qu’ils rencontraient en chemin avaient laissés place à des reliefs montagneux et désertiques. De puissantes bourrasques soufflaient et balayaient la terre aride.

Ils s’installèrent tous les trois dans une sorte de cratère pour se protéger du vent frais qui soufflait sur la prairie. Libérant leurs chevaux pour leur permettre de brouter tranquillement dans les quelques rares hautes herbes, ils les soulagèrent de leurs selles pour utiliser ces dernières comme d’assise afin d’être plus confortablement installer sur le sol. Le soleil au zénith réchauffait le paysage frigorifique, permettant ainsi au Limier de retirer son armure pour pouvoir soigner sa vilaine blessure au cou. Un feu de camp ayant pris vie au centre de la crevasse dans laquelle ils avaient trouvé refuge, il s’éloigna rapidement de celui-ci pour aller s’asseoir sur un rocher, dos aux deux filles.

Arya passait une pierre le long de sa petite épée avec douceur et amour. Emerys observait le Chien depuis sa position assise près du feu, les mains fermant son manteau noir autour d’elle pour se réchauffer du froid qui sévissait à l’ombre des montagnes. Bientôt, le soleil se décala dans le ciel ce qui baigna l’intégralité du cratère dans la chaleur de ses rayons. Le vent devint beaucoup plus agréable une fois tiédie, offrant la possibilité à Emerys de se débarrasser de son manteau pour rester dans ses vêtements plus fins. Elle en profita également pour inspecter l’état de sa cheville et son cataplasme qui ne lui servait plus, maintenant que la douleur était partie. Soigneusement, elle délia le tissu puis le jeta sur le côté pendant que le mercenaire ruminait dans son coin.

«Cloporte ! Merdeux ! Sale petite pute !» Pesta Sandor qui essayait tant bien que mal de recoudre la plaie avec une arête de poisson qu’ils avaient gardé de la dernière fois. Une aubaine dans cette situation, sauf qu’en plus de ne rien voir à cet angle, il avait incroyablement mal.

La louve intriguée par les bruitages leva les yeux de son épée, Emerys avalant nerveusement aux sévères injures. Il ne parviendra jamais à recoudre cette blessure de cette façon ... Et d’après la texture de sa peau brunâtre à cet endroit-là, l’infection s’était d’ores et déjà installée. A sa droite, Arya avait cessé d’exercer son affûtage pour s’intéresser au Limier maudissant sous son souffle à chaque contact de l’arête sur son cou sensible. Après avoir posé Aiguille sur ses genoux, elle croisa les bras au-dessus de l’épée tout en étudiant patiemment l’homme assis sur son rocher à quelques mètres d’elles. Pour une fois, il n’y avait aucune trace de malice sur son jeune visage, simplement de la considération. Puis d’un froncement de sourcils, elle s’exprima.

«Vous vous y prenez mal. Il faut brûler ce petit bout de peau dégoûtant. Sinon la plaie va s’infecter et suppurer.» Arya referma aussitôt la bouche au regard noir que lui jeta l’homme en réponse à sa proposition.

Emerys se mordit la lèvre inférieure tandis que le Chien se détourna pour poursuivre sa besogne. Il refusait d’aborder le sujet du feu, c’était une évidence. Mais qui ne le ferait pas à sa place ? C’était une réaction tout à fait naturelle après avoir été traumatisé par cet élément mortel étant enfant, néanmoins cela restait une réaction assez surprenante pour un homme avec d’aussi grandes rumeurs à son effigie. Cependant Arya n’était pas du genre à abandonner aussi facilement, surtout lorsqu’elle savait pertinemment qu’elle avait raison. Donc, elle déposa son épée sur le sol dans le but de persévérer jusqu’à l’obtention d’un accord du mercenaire se montrant têtu comme une mule pour quelque chose d’aussi banal.

«Je sais que vous n’aimez pas le feu, mais si vous ne la soignez pas bien-» Arya sursauta quand le Limier lui coupa brusquement la parole.

«Pas de feu !» S’opposa ce dernier tout en se contorsionnant pour atteindre la blessure. Il grimaça lorsqu’il toucha un point sensible, toutefois il resta à l’écoute au moment où Emerys décida d’intervenir.

«Peut-être devrions-nous vous assommer ? Comme ça, vous ne sentirez rien du tout.» Elle haussa les épaules mais au regard assassin que lui offrit Sandor en réponse, elle sut que sa tentative d’humour était tombée à l’eau. Elle leva les mains ; «simple suggestion.»

Arya esquissa tout de même un petit sourire. Ce n’était peut-être pas la meilleure solution mais l’image d’Emerys en train d’assommer le terrible Limier à coup de bâton était très drôle à visualiser. En revanche, cela ne réglait pas la question et il allait devoir faire preuve de courage s’il ne voulait pas mourir bêtement au cours des prochains jours. Sinon, comment feraient-elles toutes seules jusqu’au Val d’Arryn ? C’était très difficile à admettre, mais elles avaient besoin de lui et de sa protection encore le restant du petit bout de chemin vers la liberté. Alors Arya prit l’initiative de récupérer un bout de bois brûlant loin du feu puis de se diriger vers le Chien en souffrance, déterminée à lui venir en aide.

«Ça ne prendra qu’une seconde. Et ça ne fera pas trop mal.» Insista Arya suivit d’un soupir agacé. Sauf que la réaction qui s’ensuit la déstabilisa au point où elle dût faire deux pas en arrière.

«Pas de feu !» Hurla le Limier qui bondit maladroitement hors des rochers pour s’éloigner de la louve et du maudit bois brûlant.

La jeune fille s’immobilisa instantanément avec de grands yeux hébétés tout comme Emerys qui s’arrêta de respirer quelques instants face à ce comportement paradoxal. L’homme prenait de laborieuses respirations, ses yeux terrifiés fixés sur le bâton fumant que détenait Arya dans sa main droite. Ses propres mains tremblotaient et son dos était raide de peur. Il y eu un grand malaise entre eux pendant les prochaines secondes qui passèrent dans ce silence, puis il finit par rabaisser honteusement ses yeux en direction du sol afin de ne plus être confronter à la confusion des deux filles. Le silence était accompagné par le chant d’un grillon quelque part dans les collines.

La Stark ne savait que dire ou faire, estomaquée par cette attitude. Lentement, elle fit demi-tour en jetant le bâton de retour dans le feu avant de se rasseoir sur sa selle et d’ignorer le mercenaire en plein conflit interne. D’une mine renfrognée, elle récupéra son épée pour retourner à ses propres occupations, décidant de laisser l’homme méprisable se débrouiller seul. Du coin de l’œil, elle pouvait voir qu’Emerys n’avait pas l’air aussi surprise qu’elle. Ses lèvres étaient plissées, ses yeux rétrécis à la forme menaçante du Chien qui inspectait l’herbe à ses pieds. Ses doigts se resserrèrent progressivement autour du tissu de son pantalon brun tandis que le mercenaire en colère s’acharna sur elles.

«Et pas un mot là-dessus ! Pas un mot, sur quoi que ce soit !» Sandor les fusilla du regard, un regard envenimé et incertain. Il joua avec l’arête de poisson entre ses doigts puis reprit sur le même ton fielleux ; «à cause de toi je vaux un gros sac d’argent dans tous les coins où les Lannister ont leur mot à dire. Une somme qui a sans doute triplée maintenant que je trimbale une rescapée. Et ça c’est partout entre là où on est maintenant et là où on va.»

Emerys soutint son regard dans celui du Chien hérissé alors qu’il s’en prenait verbalement à elle et à Arya Stark, toutes deux silencieuses. Il avait besoin de vider son sac et il valait mieux que ce soit de cette façon plutôt qu’autrement, même si tous ces simagrées étaient plutôt difficile à entendre. L’agressivité dans sa voix ainsi que la rigidité de son corps démontraient à quel point cette situation le mettait mal à l’aise.

«Je suis aussi bête que ce porc que tu as saigné là-bas, au village.» Sandor grimaça en reprenant place sur son rocher. Il étira davantage sa large chemise puis se plaignit d’un roulement de ses épaules ; «taillader, larder, mordre ! Il n’y a pas récompense qui vaille autant d’empoisonnement. Si seulement je n’avais pas croisé vos routes …»

Cette dernière phrase piqua Arya qui redressa subitement la tête loin de son épée pour regarder froidement l’homme à nouveau ruminant. Ce dernier avait le regard fuyant. Peut-être éprouvait-il une forme de regret, ou tout simplement qu’il n’accordait aucune importance à l’impact de ses paroles ... Gardant le silence, Emerys resta immobile tandis que la Stark à sa droite cessa d’essuyer son épée pour observer plus consciencieusement le Limier sur son rocher. Aucune des deux n’avait envie de s’exprimer après ce qui venait de se produire d’humiliant. Le Limier renifla puis chassa une poussière invisible sur son épaule nue, sentant le regard insistant de la femme sur lui.

Une pointe douloureuse perça le cœur d’Emerys, car manifestement, l’homme en question n’avait pas fini de dévoiler ce qui lui pesait sur la conscience. Elle fronça les sourcils à cette douloureuse peine qui s’affirmait par un pincement familier. Calmement, elle chassa avec sa main les cheveux de son visage emporté par le vent lorsque le mercenaire tourna subitement la tête dans leur direction pour les toiser. Tout un flux d’émotions dansait dans son regard abattu, mais la mélancolie était celle qui ressortait le plus. Il semblait réfléchir un instant, prenant une décision importante avant d’ouvrir la bouche pour partager ce qu’il avait sur le cœur.

«Tu dis que cette épée, c’est ton frère qui te l’as donnée ?» Il s’adressa à Arya en regardant l’épée en question. Il attendit qu’elle lève les yeux de sa lame pour finir sa phrase.

«Moi, mon frère m’a donné ça.» Indiqua-t-il en désignant la brûlure hideuse à son visage avec son index ; «exactement comme tu l’as dit il y a quelque temps !»

Emerys plissa les yeux à la fois où effectivement, le passé du Limier avait refait surface suite à une dispute entre lui et la louve qui manquait parfois de bienséance. Il était en train de se confesser, ouvertement, sans peur de recevoir un jugement ou une moquerie en retour. C’était très courageux de sa part alors que ce souvenir le hantait jour et nuit depuis ce jour néfaste. Sandor utilisa l’arête entre ses doigts pour évacuer sa nervosité, ne regardant rien d’autre qu’Arya pour une fois à l’écoute sans faire aucun commentaire désobligeant. Celle-ci alla même jusqu’à déposer son épée à côté d’elle pour écouter la triste histoire de l’homme, croisant soigneusement les bras sur ses genoux pendant qu’il poursuivait.

«Il m’a pressé la tête dans le feu comme si j’étais une côte de mouton toute juteuse.» Déplora-t-il, un rictus amer aux lèvres.

«Pour quelle raison ?» Demanda doucement Arya.

«Il a cru que je lui avais volé un jouet. Je ne lui avais pas volé ! Tout ce que je voulais faire avec, c’était m’amuser.» Se justifia-t-il rapidement en se redressant sur son rocher inconfortable. Il croisa ensuite le regard d’Emerys et sentit une boule se former dans sa gorge au regard de pitié qu’elle lui offrait, une chose qu’il détestait voir.

Arya attendit patiemment que le Chien ne continue son récit, même si elle connaissait déjà cette partie de sa vie grâce aux facultés d’espionnage de Littlefinger alias Petyr Baelish. Elle n’aimait pas cet homme au sourire niais, car elle n’avait jamais eu confiance en lui et en ces histoires qui frôlaient parfois le mythe. Cependant elle voulait connaître sa version, la vraie version. Le point de vue de celui qui avait souffert par la main de la Montagne et qui était encore là aujourd’hui pour en parler.

«La douleur était horrible et l’odeur, pire !» Sandor leva les sourcils, ses yeux se fixant sur une colline au loin pour les prochaines paroles.

«Mais le pire du pire c’est que c’était mon frère qui avait fait ça …» La voix mourante, il s’arrêta quelques instants comme s’il avait encore du mal à y croire que c’était bien lui. Il déglutit lentement puis reprit avec tristesse, le regard vague ; «et mon père qui avait pris sa défense. Il a dit à tout le monde que mon lit avait pris feu.»

Et la douleur était perceptible. Emerys et Arya ne pouvaient que regarder cet homme tourmenté par son passé cracher toute cette amertume accumulée. Il n’oubliera jamais le visage satisfait de son jeune frère à cette époque alors qu’il le poussait violemment la tête la première dans le feu de cheminée de leur ancienne maison, sur les terres Clegane, juste pour le punir d’un tort qu’il n’avait même pas commis. L’odeur de sa peau et de sa chair fondues, ses hurlements et ses pleurs, un cauchemar qui ne disparaissait jamais. Le mensonge de son père faisait encore échos dans son esprit, même après toutes ces années de lourd fardeau.

Emerys leva doucement le menton lorsque Sandor ferma les yeux d’un sourire aigre pour sentir le vent sur son visage. Il avait pourtant essayé de faire la paix avec lui-même, mais c’était une tâche qui s’avérait extrêmement difficile quand le cœur était ensevelit par la haine et la rancœur. Qui pouvait lui en vouloir … Qui pouvait en juger. La force d’un homme se comparait souvent à sa détermination, et cet homme-là avait toute la détermination nécessaire pour en venir à bout de sa vengeance personnelle. Emerys se mordit l’intérieur de la joue puis baissa les yeux au sol tandis que le Limier rouvrit lentement les yeux pour regarder Arya qui restait toute ouïe, même après son silence. Ils échangèrent leur peine et leur souffrance d’un simple regard.

«Et tu te crois seule au monde ?» Lui lança-t-il d’un haussement de sourcils, la voix peinée.

Sandor ne s’attendait pas à une réponse de sa part, ni même à un peu de compassion dans son regard. Il voulait juste qu’elle comprenne qu’elle n’était pas seule dans le pétrin et que s’acharner sur le passé ne résumait à rien d’autre que plus de souffrance encore. Le trio retomba dans un silence maladroit pendant que le Chien revenait à sa blessure qui nécessitait des soins. Il leur tourna volontairement le dos, n’acceptant plus d’être regardé comme un animal blessé cherchant le pardon. Jurant doucement dans sa barbe à son incapacité de subvenir à ses besoins, il n’entendit pas tout de suite le froissement de tissu derrière lui jusqu’à ce qu’il ne voit une ombre le recouvrir.

S’en était trop pour elle. Emerys se leva de son siège, puis marcha rapidement vers Sandor qui inspectait longuement son vulgaire ustensile de raccommodage. A son approche bruyante, l’homme leva curieusement la tête vers elle, plissant les yeux au soleil qui brillait derrière la femme devenue imposante. Il ne dit rien lorsqu’elle lui prit l’arête des mains, cependant, il fit un mouvement de recule au moment où elle approcha ses doigts pâles de son cou.

«Ne me touche pas avec ta magie ! J’ai pas besoin de ta pitié.» Vociféra-t-il dans sa grosse voix bourrue, les dents serrées de colère et les yeux rétrécis.

Le visage d’Emerys se contracta brièvement à cette réplique douloureuse, mais elle retira tout de même sa main loin de sa blessure. En revanche, sa détermination à lui venir en aide ne faiblit pas, ne cédant pas à son regard noir ni à son féroce rejet. S’il ne voulait pas de son don alors soit, elle utilisera une autre façon beaucoup plus commune pour le soulager de la douleur. Elle avala sa salive avant de baisser les yeux sur l’arête au milieu de la paume du Limier jusqu’à ce qu’Arya ne se lève à son tour avec sa gourde d’eau à la main et dans l’autre, le chiffon qu’elle utilisait pour faire briller la lame d’Aiguille.

«Laissez-nous la nettoyer. Et la recoudre, au moins.» Proposa cette dernière en jetant un coup d’œil suppliant à Emerys pour qu’elle s’occupe de cette dernière partie, étant donné qu’elle n’avait jamais correctement appris ce travail.

D’abord, le Limier hésita à cette nouvelle proposition. Mais ensuite, il hocha faiblement la tête pour leur donner son accord sans crainte d’une quelconque représailles de sa part. Après tout, il n’avait pas vraiment le choix s’il ne voulait pas mourir à petit feu ... Ce n’était pas par plaisir qu’il acceptait leur aide. Il posa ses coudes sur ses genoux puis garda la tête basse alors que les deux filles vinrent se positionner de chaque côté du rocher afin d’être à proximité de la blessure. Au premier coup d’œil, Emerys en déduisit que la chair à vif avait déjà commencé à s’infecter comme elle le pensait, et que le plus préférable serait de retirer la partie souillée … Elle n’était toutefois pas certaine qu’il serait d’avis à se faire charcuter.

Etrangement nerveux, Sandor grimaça lorsqu’il sentit la caresse de l’eau fraîche descendre sur sa peau enflammée. Il décala sa tête sur la droite, permettant ainsi à Arya d’avoir un meilleur accès à sa plaie suintante. Il attrapa sa grande chemise verte olive dans sa main afin de la tirer pour qu’elle ne touche pas la zone douloureuse par inadvertance, grinçant des dents au contact des doigts de la gamine sur son cou. Il voulait laisser un maximum de liberté aux filles, mais la douleur était particulièrement vive.

C’était plutôt curieux comme situation car personne ne lui avait jamais proposé de l’aide auparavant et surtout pas pour le soigner d’une blessure. Et maintenant, face à Emerys et à Arya, il ne savait plus quel comportement adopter. Il se sentait ému en quelque sorte de savoir qu’après toutes ces crasses, ces violences verbales et ces coups, elles étaient malgré tout présentes pour lui. C’était clairement le monde à l’envers mais étonnamment, il ne s’en plaignait pas cette fois-ci car la douleur était apaisée par la douceur. Une douceur qu’il ne pensait par ailleurs pas possible chez la petite Stark téméraire au cœur de pierre.

Suite à son soupir de soulagement, Sandor se crispa quand la gamine s’éloigna pour laisser place à Emerys. La jeune femme se positionna devant lui, effleurant délicatement la blessure à son cou du bout des doigts pendant qu’elle l’examinait sous toutes les coutures. Elle utilisa le chiffon que lui tendit Arya pour essuyer le surplus d’eau. Toujours avec une grande prudence, elle épongea le sang pour laisser place à la chair rougie et boursouflée. Une morsure d’humain était toujours très douloureuse en plus d’être dangereuse, bien plus que la plupart des animaux carnassiers, donc il faudra garder un œil sur l’évolution de cette vilaine plaie.

Emerys était très proche de lui.

A cet instant précis, ce fût la seule chose à laquelle il pouvait penser alors que les deux filles soucieuses de son état parlaient entre elles sur l’évaluation des dégâts. Il pouvait humer son odeur de terre mélangée à un musc qui lui était propre, sentir la chaleur que dégageait son corps contre son bras gauche ainsi que sa cuisse. Du coin de l’œil, il admirait sa beauté naturelle un peu plus en détail. Ses longs cheveux argents brossaient sa joue quand elle se penchait sur lui pour atteindre la blessure située entre son cou et sa clavicule. L’une de ses mains était doucement posée sur son épaule, l’autre inspectait les dégâts avec minutie. Finalement, après quelques inspections, elle le relâcha pour commencer son travail.

Au premier trou dans sa peau, l’homme émit un petit grognement à la piqûre désagréable que cela produisit mais se tût d’un resserrement de sa mâchoire, les poings serrés sur ses genoux. Néanmoins, il gardait ses yeux rivés sur elle afin d’oublier la douleur passagère. Sa tête était penchée dans un angle qui lui permettait de voir son visage et ses yeux. Elle coinçait sa lèvre inférieure entre ses dents, focalisée sur sa tâche, ses traits se creusant dans la concentration tandis que ses doigts manœuvraient aisément avec le fil et l’arête. La moiteur de ses mains rafraîchissait sa peau bouillante et chaque souffle qu’elle prenait caressait le lobe exposé de son oreille. Eprit par elle, il parcourut lentement du regard la peau pâle de la courbe de ses seins qui se soulevait à chaque inspiration puis sa clavicule, la courbe de sa mâchoire, ses lèvres entre ouvertes …

C’était hélas inévitable, il tombait amoureux de cette femme.

Des émotions qui commençaient à prendre lentement forme, à se dessiner à l’intérieur de sa poitrine sous cette carapace durement forgée. Il commençait à y voir plus clair, à les comprendre et à les interpréter telles qu'elles étaient sans y mettre d’obstacle. C’était devenu hors de contrôle. Il pouvait continuer de lutter et de mentir, mais jamais plus les ignorer car son cœur avait été envoûté par Emerys. Et ce n’était que maintenant qu’il s’en rendait vraiment compte. Ciel, il la désirait ... Cependant il n’y avait pas que le côté physique mais aussi émotionnel, un tout qui rendait cette chimie puissante. Sa haine farouche s’écartait pour laisser une petite place à l’amour.

Etait-elle Targaryen ? C’était une évidence d’après la couleur de ses cheveux, et pourtant, elle ne l’avait jamais certifiée. Mentait-elle ? Sandor voulait lui demander un tas de choses mais le courage lui faisant cruellement défaut, il ne voulait rompre ce moment spécial.

Alors, il se contenta de fermer les yeux et de profiter de cette chaleur réconfortante qui le berçait. Il jouissait intérieurement de ces petits contacts brefs sur sa peau, rêvant de tellement plus. Il imaginait ses mains calleuses parcourir son corps, sa bouche embrasser sa peau soyeuse et ses lèvres tièdes … L’entendre gémir. Oh oui, il avait déjà eu quelques femmes de la maison close de Petyr Baelish à l’époque, mais ce n’était en aucun cas comparable aux désirs qu’il éprouvait pour Emerys. C’était plus fort, plus frustrant aussi. Son cœur se souleva dans son torse lorsqu’il croisa brièvement le regard d’Emerys durant son travail de rafistolage, s’attardant sur ses sourcils sombres noués puis à nouveau dans ses yeux occupés à la tâche.

Dieux, les femmes ignoraient quel pouvoir elles avaient rien que par le regard …

Tout à coup Sandor siffla entre ses dents lorsque l’aiguille toucha un autre point sensible à son cou, le ramenant vite à la réalité. Emerys souffla une rapide excuse tout en levant sa main loin de la blessure sanglante munie d’une grimace. Elle venait juste de finir de recoudre le lambeau de peau pour couvrir la chair à vif, et maintenant, il ne restait plus qu’à nettoyer avec le reste d’eau de la gourde d’Arya qu’elle versa doucement dessus. La sensation était comme un seau d’eau glacial après une forte fièvre, ce qui obligea le Limier engourdi à se décaler sur son rocher alors qu’il commençait à grelotter.

«C’est la fièvre. Elle devrait normalement redescendre d’ici quelques heures. Pour le moment, ça devrait faire l’affaire.» Expliqua Emerys qui se retira loin du mercenaire pour lui laisser de l’espace.

Il avait l’impression que sa couverture venait de disparaître. A la place, il se sentait froid et terriblement seul, un goût amer s’attardant en bouche. Le rêve venait de s’effondrer en morceaux à ses pieds pour ne laisser place qu’à son habituel solitude ainsi qu’à son animosité. Sandor ne répondit pas, mais la regarda faire pendant qu’elle jetait l’arête dans le feu et récupérait la gourde vide des mains d’Arya pour la ranger dans la sacoche de sa selle. Elle attrapa ensuite sa propre gourde puis la tendit au Limier qui lui haussa un sourcil perplexe, ne faisant aucun lien entre lui et l’eau.

«Les prochaines heures seront décisives.» Le front d’Emerys se sillonna.

Elle sourit largement quand le Chien accepta enfin la gourde offerte d’un soupir irrité pour en boire une grande gorgée. Au moins, il avait compris le message et faisait un effort ! Il ne le savait pas mais elle avait usé un peu de son don lors du raccommodage pour stopper l’avancement de l’infection qui était en train de se propager dans son système. Juste au cas où … Quand elle récupéra la gourde, elle toucha malencontreusement sa main du bout des doigts, lui envoyant une décharge électrique dans tout le corps. Désemparée par la sensation, elle cligna rapidement des yeux puis se racla la gorge.

«Je pense que nous devrions nous reposer avant d’aller aux portes du Val.» Dit-elle en tiquant ses doigts contre la peau douce de la gourde. Elle hochait pensivement la tête avant de se rediriger vers sa place à côté d’Arya occupée à soigner sa lame.

La fille en question avait senti la drôle d’ambiance qui régnait sur le camp, jetant quelques petits coups d’œil par-ci par-là aux deux maladroits. Elle était encore trop jeune pour comprendre ces choses-là, mais elle n’était pas stupide, elle avait compris ce qui se passait dans leurs têtes. Encore fallait-il qu’ils arrivent eux-mêmes à déchiffrer leurs sentiments avant qu’il ne soit trop tard … Elle renifla d’amusement puis secoua la tête.

Sandor resta là où il était, les bras croisés sur ses genoux et le regard pensif.

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Emerys se réveilla en sursaut.

Elle haletait rapidement, se battant pour prendre de l’air car elle avait la sensation que son corps entier était sous un tas de roches, prise au piège. La sueur froide glissait sur son front et le long de ses tempes, sa gorge lui faisait atrocement mal comme si elle s’était retenue de hurler pendant des heures entières. Elle venait de faire un terrifiant cauchemar, ou était-ce un souvenir ? Peut-être une vision mais elle priait pour que ce ne soit pas le cas.

Les yeux désormais grands ouverts, elle passa ses mains tremblantes sur ses bras pour y retirer la chair de poule qui s’y était formée après cet affreux rêve. Ne faisant guère froid avec le feu à côté d’elle, c’était surtout l’intensité de ce rêve qui lui donnait de petits frissons à ses membres engourdis par son état de torpeur. Dans ce rêve où le chaos régnait, les visages des personnes présents avaient tout simplement disparus comme s’ils n’avaient aucune identité. Ils ne disaient rien tandis que les flammes argentées les dévoraient, brûlaient leurs vêtements et leurs peaux, les réduisant en tas de poussière dans le plus grand des silences.

Ce n’était pas la première fois qu’elle avait ce genre de rêve étrange et ce ne sera sans doute pas la dernière fois non plus. Ce qui l’effrayait n’était pas tant les cauchemars horribles avec le feu et la mort pour thème principal, mais plutôt ce ressentiment de satisfaction qui l’enveloppait lorsqu’ils se déroulaient. C’était quelque chose d’inexplicable mais viscéral. Jusqu’à ce qu’elle ne sorte enfin de cette réalité disparate pour se rendre compte à quel point c’était mal et ignoble de ressentir ce genre de chose, très loin de ses idéologies sur la vie et la mort.

Mais ce n’était qu’un rêve, après tout.

Emerys fit un bruit de dégoût dans sa gorge puis secoua la tête de gauche à droite car elle avait l’impression de sentir l’odeur écœurante de la chair brûlée dans l’air. Une simple hallucination olfactive à cause de l’histoire du Limier, rien de plus. Il faisait nuit noire, les étoiles brillaient dans ce ciel d’encre au-dessus de sa tête où la lune semblait bien lointaine. Le feu crépitait toujours entre elle, Arya et le Limier profondément endormis, apparemment pas perturbés par ses insomnies bruyantes. Le soulagement s’empara d’elle alors qu’elle se concentra sur l’homme silencieux de l’autre côté des flammes et plus particulièrement sur la peau lisse de son visage.

Il faisait toujours en sorte de s’installer dans un sens où elles ne pouvaient pas voir la partie brûlée de sa tête, restant allongé sur le dos avec les mains croisées sur sa poitrine afin de rester attentif même dans ses moments de relâchement. Il restait constamment sur ses gardes, ce qui faisait de lui un excellent mercenaire. Assez éloigné du feu comme à son habitude, elle pouvait tout de même avoir un petit aperçût de sa plaie recousue. Pour être sûre que sa santé ne soit pas mise en péril, il faudrait cautériser cette blessure … Mais elle ne pourrait jamais lui faire subir une telle atrocité, pas après ce que cet homme avait vécu comme horreurs. De plus qu’elle n’en était pas capable car sa compassion était bien plus forte que sa raison.

Pourtant, cette question demeurait toujours dans son esprit. Le méritait-il vraiment ? Seuls les Dieux pouvaient en décider.

Dans une position redressée, ses yeux se baladèrent tranquillement sur le côté non brûlé de son visage libéré de toute tristesse et rancune grâce au sommeil. Connaissant déjà l’autre côté de celui-ci, elle n’avait pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour l’imaginer dans toutes ses courbes grossières et boursouflées. Il n’était pas laid comme il le pensait si fort, la laideur ne venait que de l’âme et des actes. Il venait en aide à Arya Stark alors qu’elle était activement recherchée, prétextant que ce n’était que pour une rançon, mais Emerys était persuadée qu’il y avait autre chose derrière cette justification.

Elle sourit avec peine tandis que son cœur s’apaisa suffisamment pour enfin lui permettre de se relaxer, ne quittant pas des yeux l’homme assoupi. Elle finit par se rendormir quelques instants plus tard et cette fois-ci, plus aucun cauchemar ne vint bouleverser son sommeil.

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Aux premières lueurs matinales, le trio se mit prestement à cheval en direction de la Porte Sanglante du Val d’Arryn plus qu’à quelques heures de marche. Cependant, Emerys prit la décision de voyager avec Arya sous l’accord exceptionnel du Limier beaucoup plus laxiste maintenant qu’il approchait enfin du but. Il leur faisait confiance puis de toute manière, elles n’avaient nulle part ailleurs où aller, l’endroit était désertique …

Le Val était bien plus impressionnant qu’ils ne se l’imaginaient. Un grand château fait de pierres blanches trônait en haut d’une montagne gigantesque uniquement relié d’un pont blanc. Taillé à même la roche, un gouffre vertigineux entourait cet édifice datant certainement des Premiers Hommes, si profond qu’une brume empêchait d’y voir le fond ou même d’émettre une hypothèse sur sa profondeur. Ils laissèrent leurs chevaux à l’entrée du pont par précaution mais gardèrent tout de même leurs armes si jamais ils devraient s’en servir à l’intérieur des murs. Une fois à pieds, un long sentier qui se dressait et serpentait dans la roche brute se présenta à eux.

Ce paysage idyllique avait un côté magique.

Evidemment, de nombreux gardes étaient installés le long des murs et les scrutaient sans rien dire alors qu’ils traversaient calmement le territoire, leurs mains positionnées sur leurs arbalètes et leurs arcs pour anticiper où châtié, si nécessaire. Ils restaient vigilants, communiquant avec les yeux mais n’attaqueront pas tant que l’ordre n’était pas donné par le Chevalier de la Porte. Pour le moment, ce n’était que de simples voyageurs désirant rencontrer la Lady Régente du Val pour faire du commerce ou des propositions.

«Je pensais que ça me mettrais en joie, mais non pas vraiment.» Admit Arya qui marchait entre Sandor et Emerys.

«Il n’y a rien qui te met en joie !» Rectifia le Limier.

«Détrompez-vous, beaucoup de choses me mettent en joie.» La louve leva les yeux vers le grand château blanc devant eux, essoufflée de grimper.

«Quoi par exemple ?» Demanda Emerys avant même que le mercenaire ne puisse poser la question.

«Tuer Polliver, tuer Rorge …» La jeune fille cita les deux premiers noms qui lui vinrent à l’esprit. La déception était perceptible dans sa voix parce qu’il n’y avait pas plus de morts que ces deux-là pour le moment.

«Tu es triste de ne pas avoir pu tuer Joffrey par toi-même, hein ?» Sandor trouvait cela vraiment ridicule qu’une gamine de son âge se voue autant à la vengeance. Au coup d’œil à cette dernière, il remarqua qu’elle le regardait avec de grands yeux ronds, sur le point de rétorquer sèchement.

«Mais maintenant il est mort, il en a payé le prix fort. Seuls les vivants comptent.» Poursuivit Emerys qui voulait mettre un terme sur le sujet du défunt Roi. Certes, il avait été haï par tous ses sujets et même le peuple entier de Port-Réal, car il n’était rien d’autre qu’un suzerain tyrannique. Mais aujourd’hui il n’était plus.

«Il reste encore des vivants qui doivent mourir. J’aurais au moins voulu voir ça. Voir son regard, quand il a su que c’était la fin.» Confia Arya, sa voix accentuée par le regret. Elle frotta ses mains moites entre-elles alors que le Limier s’esclaffa à côté d’elle, également fatigué de grimper.

«Ouais, rien en ce monde ne vaut ce regard.» Le Chien hocha la tête puis prit sa gourde pour se désaltérer un peu. La fièvre le déshydratait.

«C’est terrifiant.» Chuchota Emerys en levant les yeux vers les soldats qui prenaient leurs flèches et armaient leurs arcs, son cœur se serrant d’inquiétude.

«Vous l’avez quasiment protégé toute sa vie, vous pensez que vous auriez pu le sauver ?» Interrogea ensuite Arya sans lever les yeux du sol, vraiment curieuse de connaître sa réponse. A côté d’elle, le mercenaire grimaça.

«J’étais pas un goûteur de sa putain de vinasse.» Se révolta-t-il en prenant une autre gorgée d’eau dégoûtante. Il entendit Emerys rire donc il lui offrit un regard noir, pensant qu’elle riait de lui ; «cette petite merde méritait de mourir.»

«Je ne l’avais jamais rencontré, mais les dires suffisaient pour m’en faire une idée. Heureusement que vous n’étiez pas l’un de ses goûteurs, même si je suis sûre que vous auriez adoré ! Estimez-vous heureux de ne pas avoir connu une mort par empoisonnement. Celui de la flèche aurait pu vous être fatal.» Emerys leva les sourcils avant d’esquisser un petit sourire goguenard à l’expression rebutée du Limier.

Oui, heureusement …

«Du poison ? Le poison est une arme de femme ! Les hommes tuent avec de l’acier. Je ne vois qu’une femme capable de faire ça. Une femme ou un sans queue, comme cet enculé d’archer.» Sandor gloussa bêtement à sa propre réplique.

«C’est votre stupide orgueil qui parle.» S’exclamèrent les deux filles à l’unisson. Elles s’arrêtèrent aussitôt de marcher pour se regarder avec de grands yeux amusés et un sourire si large qu’il disparaissait derrières leurs oreilles.

«C’est bien ma vaine …» Grogna le Chien exaspéré en levant les yeux au ciel. Des filles qui pensaient pareil, génial.

«J’aurais pu tuer Joffrey avec un os de poulet, si j’avais pu.» Arya se dépêcha de rejoindre l’homme qui continuait de marcher, un soupir éreinté dépassant ses lèvres.

«Ha ! J’aurais payé cher, rien que pour voir ça !» Ricana le Limier tout en tirant sur sa collerette pour atteindre la blessure qui le dérangeait. Il plaça ses doigts contre la chair purulente puis grimaça quand il vit qu’elle saignait à nouveau, accompagnée d’une horrible odeur âcre.

Emerys fronça les sourcils à cela. A priori, la fièvre n’était pas partie et l’infection était visiblement revenue durant la nuit. Les traces de sueur sur son front ainsi que la pâleur anormale dans son visage le prouvaient. Alors, elle s’empressa de le rejoindre pour inspecter l’état de cette hideuse blessure malgré sa courte taille et ses protestations. Elle était inquiète qu’elle ne guérisse pas et finisse par le tuer d’une mort lente et douloureuse car malgré son aide et celui de la louve, il n’était toujours pas tiré d’affaire.

«Laissez-moi voir !» S’agaça-t-elle en agrippant son bras gauche afin qu’il cesse de gesticuler dans tous les sens. Le Limier râla tandis qu’il essayait de dégager son membre de son emprise, mais la femme têtue ne voulait pas le laisser tranquille.

«Il fallait me laisser la cautériser.» Railla Arya d’un sourire narquois. C’était drôle de voir comment Emerys s’acharnait sur l’homme plus grand rien que pour examiner sa blessure, tirant sur son bras pour le ralentir.

«Ce n’est rien qu’une piqûre de mouche !» Rechigna Sandor en prenant le visage de la femme dans sa grande main et en la repoussant loin de lui. En échange, il gagna une plainte ainsi qu’une claque sur l’avant-bras pour qu’il la libère, souriant victorieusement alors qu’elle se débattait sous ses doigts.

«Une piqûre de mouche qui vous fait ralentir le pas !» Arya, énervée, bouscula l’homme pour le devancer sur le sentier, n’ayant pas de temps à perdre pour ces niaiseries.

«Vous êtes un idiot. Un jour, votre ego vous tuera !» S’écria férocement Emerys une fois délivrée de l’emprise du Chien.

Elle repoussa violemment la main du mercenaire ricanant loin de son visage rouge de colère, en manque de souffle après s’être débattue. Elle était à la fois irritée par son manque de considération, mais aussi parce qu’elle n’avait aucune force contre lui. C’était embarrassant pour une femme. De plus qu’ils n’étaient pas tout seul, de nombreuses paires d’yeux les suivaient et les jugeaient pendant leur ascension interminable jusqu’à ce château fort. Emerys rectifia sa tenue en tirant sur sa chemise et son corset puis enleva les mèches de cheveux qui s’étaient égarées sur son visage avant de courir après Arya et Sandor.

«On me le répète souvent.» Répondit allègrement le Chien une fois que la jeune femme les atteignit. Un petit sourire diverti étirait ses lèvres parce qu’il avait encore la sensation de son visage sous sa main.

«Vous pensez vraiment que ma tante vous paiera pour moi ?» Questionna Arya en se décalant sur la gauche pour laisser passer deux marchands qui redescendaient.

«Oh que oui elle paiera !» Sandor hocha la tête avec insistance.

A vrai dire il n’était pas certain qu’elle le paiera, néanmoins il fera en sorte qu’elle le fasse et correctement après toutes ces mésaventures ! Il soupira d’exaspération lorsqu’il passa devant un garde au regard insistant. La gamine à ses côtés lui expliqua ensuite qu’elle n’avait jamais vue sa tante Lysa Arryn de toute sa vie et qu’elle ignorait donc à quoi elle ressemblait. Etait-elle aussi belle que sa mère ? Probablement, étant donné qu’elles étaient sœurs mais avait-elle sa gentillesse innée et sa douceur ? Là, le doute l’envahi.

«C’est une femme … Assez spéciale, mais qui saura te protéger. Même si elle a parfois des réactions bien étranges, il ne faut pas se fier aux apparences. Elle est aimante. Et ton cousin Robin te donnera un peu de compagnie.» Hésita Emerys d’un haussement d’épaules. Elle prit la décision de ne pas tout dévoiler à Arya, surtout pas la partie où sa tante allaitait toujours son fils de huit ans. Elle ne voulait pas la faire fuir non plus …

Oui, être un petit oiseau chanteur n’avait pas que des bons côtés.

«Peu importe. Tu es de son sang ! Famille, honneur, tout ce purin ... Vous les gens Nobles vous ne parlez que de ça.» Râla le Limier en enroulant ses doigts autour du pommeau de son épée après le regard sceptique du soldat de tout à l’heure.

«Je ne suis pas une Dame …» Arya soupira.

Les trois s’arrêtèrent subitement de marcher lorsqu’un garde posté en haut de la grande porte s’adressa à eux d’une voix formelle. Il leur demanda qui voulait passer la Porte Sanglante, redressant sa lance pour les avertir qu’il était armé et qu’il n’hésitera pas à s’en servir. D’un simple coup d’œil à deux autres gardes près de la porte pour montrer qu’il ne plaisantait pas, ces derniers placèrent des flèches dans leurs arbalètes puis les pointèrent ensuite sur les étrangers perplexes par cette soudaine menace.

«Le Limier sanglant ! Sandor Clegane !» Se moqua Sandor d’un ricanement avant de baisser les yeux sur Arya et enfin Emerys à sa gauche. Il réfléchit quelques instants pour présenter les deux filles à son interlocuteur. Alors tout en gardant son sourire rare, il termina ; «et ça … Compagnes de voyage. Arya Stark et sa servante ! Arya est la nièce de votre Maîtresse, Lysa Arryn.»

Il n’arrivait pas à y croire, il touchait enfin au but … Le soulagement était énorme, toutefois son cœur était plus lourd à l’idée de se retrouver à nouveau seul. Mais il ignora ce petit tiraillement qui finira par s’en aller au fil du temps, comme toujours. Il entendit vaguement Emerys soupirer mais n’y prêta pas une grande attention car le Chevalier de la Porte apparut et ordonna aux gardes de baisser leurs armes, l’air peiné pour une raison quelconque. Avait-il dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Arya n’était pas la bienvenue ? Son sourire mourut peu à peu pour être remplacé par de l’incrédulité aux prochaines paroles de l’homme qui regardait tristement la louve.

«Recevez alors mes condoléances. Lady Arryn est morte. Il y a trois jours de cela.» Déclara-t-il avec douleur.

Dire que c’était choquant d’apprendre qu’un autre membre de la famille Stark était mort serait un euphémisme. Les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, Emerys tourna la tête vers le Limier pour voir que celui-ci était, tout comme elle, abasourdi par cette nouvelle. Toutes traces subtiles de confiance et de joie sur son visage devinrent de l’hébétement, puis enfin de l’incertitude. Il était désarçonné. Sandor n’était même pas sûr d’avoir correctement entendu jusqu’à ce que la gamine ne fasse quelque chose d’improbable et de complètement inattendu.

Arya Stark explosa un fou rire. A gorge déployée, un rire qui venait du plus profond d’elle-même. Elle ne pouvait plus se retenir et n’essayait même pas de cacher son hilarité aux gens qui ne pouvaient rien faire d’autre que de regarder cet étrange comportement après avoir appris le décès d’un proche parent. Sa tante était morte, pourquoi ça ne l’étonnait même pas ? Et plus elle riait, plus les visages d’Emerys et du Limier se décomposaient. Leurs têtes dépitées étaient tellement marrantes ! Mais pourquoi ne riaient-ils pas ? Le destin s’acharnait sur elle et toute sa famille ! C’était pourtant prévisible ... Ils étaient voués à disparaître de ce monde, c’était forcément écrit quelque part sinon comment cela serait-il possible ?

Elle pointa grossièrement du doigt le visage du Chien immobile à ses côtés, puis se mit à rire d’autant plus fort à son manque cruel de réaction mais aussi parce qu’il s’était fait royalement avoir. Encore une fois. Si la situation n’avait pas été aussi grave, Emerys aurait sans doute rit avec elle. Sauf qu’il n’y avait absolument rien à en rire de cette tragédie ... La femme pinça alors les lèvres, durement. Ce n’était pas aujourd’hui que le Limier allait empocher l’argent de la rançon et sans doute pas dans les prochains temps. Qu’allait-il faire ? Mais surtout, qu’allaient-elles devenir maintenant ?

Le regard de Sandor et d’Emerys se croisèrent au-dessus de la jeune louve hilare qui pleurait à chaudes larmes. Ils ne savaient pas quoi dire ni quoi faire, mise à part assimiler l’information. Tout était très gênant, oui, mais pas autant que les coups d’œil qu’ils recevaient des gardes embarrassés par la réaction folle de l’enfant. Bon, ils allaient devoir se supporter encore un peu car l’avenir était plus incertain que jamais à présent.

Arya Stark était vraisemblablement maudite.

A suivre …


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