TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 16

9814 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:16

Chapitre 16

Sandor Clegane ne savait plus du tout quoi faire.

La tante d’Arya, Lysa Arryn, était morte. Son frère et sa mère aussi … Son demi-frère se trouvait à l’autre bout du monde à Château Noir et Winterfell était en cendre. Que restait-il pour la gamine ? Rien. Rien que des remords et le goût amer de la vengeance. Tout cela grâce à l’ambition démesurée des Lannister qui voulaient étendre leur domination au-delà des frontières.

Cersei devait être à l’origine de toute cette folie, il n’y avait qu’elle pour faire d’aussi gros dégâts, pour verser le sang et instaurer la peur dans les cœurs. Cette sorcière sadique et son vieux père Tywin Lannister. L’homme aux fortes armées qui n’avaient pas froid aux yeux, notamment pour attaquer les grandes maisons voisines afin de gagner ce respect inestimable qui leur était si précieux. Mais Tywin était un homme de guerre, il faisait son devoir en tant que figure autoritaire pour assurer la perpétuité de sa Noble famille.

Non, la pire restait Cersei.

Nul doute qu’après la tragique mort de son fils Joffrey, elle eut envie de se venger des Stark. Si ce que ce paysan Rorge avait dit s’avérait vrai, alors Sansa devait être l’ennemi public numéro un en ce moment même. Ayant été la promise du défunt Roi mais en plus une Stark, Cersei avait absolument toutes les raisons de la suspecter de meurtre pour avoir sa tête et ainsi déclarer la guerre à sa famille. Sandor espérait sincèrement que le petit oiseau ait pu s’enfuir loin de la capitale car pour lui, il était impossible que la jeune fille aux cheveux de feu soit à l’origine de ce meurtre. Si seulement cette nuit-là elle avait accepté de le suivre … Elle ne se serait jamais retrouvée dans cette misérable situation.

Et maintenant, que devait-il faire avec sa jeune sœur ? L’emmener au Mur relèverait du suicide et ce n’était pas vraiment son but non plus. Là où un Stark résistera, les Lannister feront tout pour s’en débarrasser, les rayer une bonne fois pour toute de la carte. C’était leurs différences et leurs convictions qui alimentaient cette rivalité ancestrale. Partout où il ira avec elle, ils seront en danger de mort, c’était une certitude. Cersei fera tout en son pouvoir pour mettre la main sur les derniers enfants des Stark, et ce jusqu’à sa mort ou la chute totale de Port-Réal.

Ses années de loyaux services auprès des Lannister le rebutait mais lui avait aussi fait prendre conscience d’une chose. Que toutes ces vies sacrifiées pour satisfaire ses Maîtres, pour recevoir quelques compliments et un statut avantageux ne servaient à rien. A défaut d’être un homme insensible, la cruauté de ce petit enculé de Joffrey ou celle encore de sa peste de mère avaient été à l’origine de son choix de quitter une bonne fois pour toute la capitale, après celle du feu lors de cette bataille. Brisant ainsi à jamais l’allégeance des Clegane à cette maison tout comme sa réputation de mercenaire.

Donc, il avait l’entière responsabilité de s’assurer qu’Arya ne tombe pas entre les mains de ces persécuteurs. Pour elle et pour sa famille. Pour soulager ce grand fardeau qui lui pesait sur les épaules de ne pas avoir réussi à convaincre Sansa de fuir loin de l’enfer dans lequel elle s’était retrouvé par mégardes avec Joffrey et Cersei. Rien qu’à la pensée de cette horrible femme au sourire mesquin, Sandor grimaça, les mouvements répétitifs de son cheval commençant à lui taper sur les nerfs alors qu’il ne savait même pas où il se dirigeait à l’heure actuelle.

Le Limier soupira bruyamment puis s’affaissa avec paresse sur sa selle. Décidément, la chance ne voulait pas lui sourire et la fortune encore moins. Où étaient-ils ? Les paysages se ressemblaient, se répétaient sans cesse … Une fine pluie tombait sur les reliefs montagneux des Eyrié où une légère brume s’épaississait en aval, masquant une partie du chemin de terre. Il faisait froid à cette hauteur, ses joues étaient frigorifiées et ses gants ne lui suffisaient plus pour faire barrière aux basses températures.

Ce temps était un reflet de leur humeur.

Les deux filles à cheval derrière lui n’émettaient aucun son de plainte ni ne discutaient entre elles. Ces dernières se contentaient de le suivre en silence, bravant le froid mordant et la petite pluie glaçante qui trempaient leurs vêtements. Sandor avait laissé Emerys monter à cheval avec Arya car de toute manière, la rançon n’était plus d’actualité. Alors si elles se décidaient à partir, il ne s’y opposera pas. N’ayant cependant aucun endroit où aller, ni maison ni famille et personne d’autre pour les protéger, elles n’avaient d’autres choix que de l’accompagner.

Mais pour aller où ?

Emerys leva les yeux vers la croupe du cheval qui marchait devant elle, pensive et terriblement maussade. Sa tête se balançait lentement de gauche à droite au rythme du pas de sa monture, les bras encerclés autour de la jeune fille assise devant elle pour se maintenir mutuellement chaud. Arya n’avait plus dit un seul mot depuis son fou rire au château. Son esprit semblait bien loin ... Vagabondant quelque part où se remémorant quelques bons souvenirs pour lui tenir compagnie. La louve entre ses jambes gardait ses yeux gris rivés sur la tête du cheval, utilisant les manches de son vêtement pour réchauffer ses mains gelées.

Le visage renfermé et les lèvres pincées, Arya voyageait effectivement par la pensée. Elle revenait à l’époque où ses deux parents étaient encore en vie, à ce dernier repas de famille et à son frère Jon après lui avoir remis son Aiguille. Les regrets et la nostalgie maltraitaient constamment son cœur. D’un petit soupir suivit d’un étirement des muscles endoloris de son dos, elle se redressa contre la poitrine d’Emerys pour capter d’avantage de sa chaleur. Ses lèvres se contractèrent dans un demi-sourire lorsqu’elle sentit la jeune femme se repositionner pour l’envelopper de son manteau noir duveteux.

Elle avait peut-être perdu une partie de sa famille, mais elle en avait retrouvé une autre en quelque sorte.

C’était une pensée assez étrange, pourtant pas si absurde que cela. Emerys et Sandor avaient été là pour la protéger depuis le début. A leur manière bien-sûr, mais ils étaient présents et faisaient de leur mieux pour la mettre en sécurité. C’était peut-être un peu tard pour s’en rendre compte, toutefois, elle commençait à se sentir reconnaissante de tous les sacrifices que le Limier avait faits pour elle malgré ses antécédents révoltants. Pouvait-elle faire la paix avec lui ? Cette question, il était encore un peu tôt pour y répondre sincèrement mais l’idée ne semblait pas si mal après tout.

Lorsque le brouillard se leva puis que le soleil tomba à l’horizon, le Limier posa le pied à terre proche d’une petite forêt épargnée par les fortes bourrasques. Il n’y avait que quelques arbres rachitiques et la mousse s’était installée sur la plupart des troncs, notamment ceux en décompositions qui tapissaient le sol, néanmoins c’était déjà mieux que les plaines arides. Un ruisseau serpentait entre les rochers avant de se diviser en deux branches dont l’une s’élargissait pour en faire un court d’eau profond. Les seuls animaux qui peuplaient cette région boisée étaient les oiseaux chanteurs réfugiés dans les branches tordues, ce qui n’offrait aucune possibilité de les chasser.

Après avoir craqué sa nuque d’un roulement de ses épaules, Sandor laissa les rênes de son cheval libres puis se mit ensuite à genoux devant le court d’eau pour en remplir le creux de ses mains nues. Il balança l’eau fraîche sur son visage, libérant un souffle d’épuisement tout en fermant les yeux. La sueur de son front se mélangeait au liquide clair, ce qui donnait un goût salé aux gouttes qu’il avalait. Il avait grandement besoin de se laver de toute cette crasse accumulée.

Arya sauta de la selle de son cheval une fois ce dernier à l’arrêt aux côtés de Stranger. Elle se redressa avant d’essuyer ses mains moites sur son pantalon tout en regardant le Chien s’asperger le visage d’eau à plusieurs reprises. Aucune chance pour que ce petit nettoyage vite fait ne chasse la puanteur incrustée dans ses vêtements … Le mercenaire agenouillé laissait de grandes bouffées d’air s’échapper de ses poumons pendant qu’il se nettoyait, à croire qu’il souffrait à chaque mouvement de son corps.

«Je vais ramasser du bois et voir si nous pouvons nous mettre quelque chose sous la dent.» Dit calmement Emerys après avoir posé une main sur l’épaule de la louve. Celle-ci se tendit sous son touché.

Arya leva les yeux vers elle puis hocha lentement la tête, laissant la femme s’éloigner entre les arbres à la recherche de branches plus ou moins sèches. Une petite crainte s’empara d’elle. Et si elle s’en allait pour de bon ? Si elle l’abandonnait ? L’enfant inquiète chassa ses sombres pensées d’une vive secousse de sa tête, ses cheveux sales rebondissant sur ses joues tandis qu’elle alla s’asseoir sur un tronc près des chevaux. C’était stupide, pourquoi avait-elle si peur de cela tout à coup ? Un jour viendra où tout le monde partira de son côté et il en était de même pour elle, car son périple ne faisait que commencer.

Sa vraie destination étant les cités de Braavos.

Les bruitages du Limier dans son dos la fit détourner du regard les arbres pour s’intéresser à ce dernier. Toujours dans la même position agenouillée, l’homme grognait alors qu’il déversait de l’eau sur son cou endolori. Même à cette distance, elle pouvait entendre une liste de jurons sortir de sa bouche au contact du froid. Ce n’était pas étonnant avec cette vilaine plaie … Mais après tout, il ne pouvait que s’en prendre à lui-même. Levant les yeux au ciel, Arya récupéra leurs maigres affaires dans les sacoches de selle pour les disposer sur le sol. A savoir ; des couvertures, des gourdes à remplir, des morceaux de viandes séchées et des vêtements de rechange pour le mercenaire.

Ses vêtements n’ayant pas eu le temps de sécher suite à la pluie, elle endossa rapidement la couverture sur ses épaules pendant qu’elle attendait patiemment le retour d’Emerys. Assise sur le sol dur, elle enroula ses bras autour de ses jambes puis se balança d’avant en arrière, le regard traînant sur des feuilles mortes à ses pieds. Le silence était accompagné par les clapotis de l’eau du ruisseau. Aux bruits de pas, elle redressa la tête pour sentir de la joie se répandre en elle lorsqu’Emerys réapparut quelques temps plus tard avec des branchages sur les bras, mais également munie d’une expression assombrie.

Les sourcils d’Arya se froncèrent à cette constatation. Elle voyait bien que son amie était en conflit interne mais elle ignorait pourquoi. Etait-ce à cause de sa tante Lysa ? Ou peut-être était-elle tout simplement attristée d’être encore coincée avec un vieux Chien aigri au langage grossier et une fille orpheline insolente ... Néanmoins, cette dernière hypothèse était plus douloureuse à admettre et au lieu de lui demander ce qui n’allait pas, elle se contenta de regarder les deux pierres que la jeune femme accroupit frappait l’une contre l’autre.

Emerys n’arrivait pas à chasser ce rire de son esprit, il hantait son âme ... Il démontrait que le dernier brin de santé mentale avait été rompu chez la petite Stark, qu’il ne lui restait presque plus rien dans ce monde pourri. Elle culpabilisait énormément, même si ce n’était pas de sa faute ce qui lui arrivait. Ni la sienne ni celle d’Arya ou encore celle du Limier car les responsables se trouvaient à des centaines de kilomètres au Sud. Peut-être n’était-ce pas celle des Lannister non plus mais de quelqu’un d’encore plus proche, sauf que là n’était plus la question dorénavant. Tout était d’une grande injustice et cela l’horripilait, la révoltait même.

Une fois le feu allumé et les couvertures disposées au sol, Emerys retira son manteau humide pour le mettre à sécher sur une branche non loin de la chaleur naturelle des flammes. Elle aura certainement froid durant la nuit, mais elle n’avait pas vraiment le choix si elle ne voulait pas souffrir du vent le lendemain matin. Assise, elle croisa ensuite ses bras sous sa poitrine puis ramena ses jambes contre elle, refusant le bout de viande que lui proposa gentiment Arya. Elle n’avait pas faim, l’appétit lui manquait cruellement.

Le Limier, une fois revigoré, vint s’asseoir entre les deux filles près du feu. Il se sentait beaucoup mieux après ce petit bain cependant la douleur ne voulait pas le laisser tranquille. Mais ce n’était pas grave, il fera avec comme il l’avait toujours fait. Une blessure de plus. Il attrapa un morceau de nourriture puis regarda comme Arya s’installa sur sa couverture de sorte à ce qu’elle soit allongée face au feu, le visage illuminé par les flammes rougeoyantes de son ennemi de toujours. Il leva un sourcil intrigué quand cette dernière chuchota sous son souffle.

«Cersei, Meryn Trant, Tywin Lannister, la femme rouge, Beric Dondarrion, Thoros de Myr, Ilyn Payne, la Montagne.» Arya évoqua insensiblement les noms de sa liste.

Les traits d’Emerys se creusèrent à sa petite voix qui résonna dans la noirceur de la forêt. Il manquait un nom sur cette liste, non ? Cette pensée se ponctua d’un petit sourire tandis que la jeune femme perplexe observait la stoïcité sur le visage d’Arya allongée face à elle. Avait-elle fait une erreur à cause de l’épuisement, ou était-ce voulu que le Limier ne soit plus sur cette triste liste ? Elle ne dit rien mais espérait que ce ne soit pas juste un oubli.

Arya cligna des yeux de confusion puis les levèrent ensuite pour fixer Emerys au-dessus des flammes. Leurs regards se rencontrèrent un court instant où les deux filles se contemplaient sans prendre la parole une seule fois. Un jugement silencieux, des doutes, mais aussi de la compassion furent transmit par ce simple contact visuel. Le Limier les sortit de leur transe passagère quand il jeta un bout de bois dans le feu et qu’il s’installa contre la selle pour prendre un peu de repos, imperturbable par l’ambiance pesante de cette soirée.

Arya poussa un petit soupir alors qu’elle se retournait dos au feu et donc dos à Emerys pour faire comme le mercenaire et espérer prendre un peu de repos après cette longue journée chargée en émotions. Elle glissa la fine couverture jusqu’à son cou, posa ses yeux vitreux sur la mousse verte qui recouvrait l’écorce d’un arbre puis écouta attentivement la respiration profonde du Chien derrière elle. Elle entendit des mouvements appartenant à Emerys qui se couchait à son tour sur son couchage pour rejoindre ses deux compagnons de voyage dans le pays des rêves.

Après avoir fermé ses yeux, la louve murmura une petite prière aux Sept anciens et nouveaux Dieux jusqu’à ce que la fatigue ne l’emporte sur sa conscience. Cependant, environ une heure plus tard, elle se réveilla parce qu’elle entendit un bruit de craquement quelque part dans son dos. Désormais aux aguets mais demeurant complètement immobile, ses yeux s’écarquillèrent progressivement tandis que quelqu’un se déplaçait, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. Dans cette position couchée sur son épaule droite, elle avait un aperçu de son épée Aiguille posée à même le sol, toutefois elle était beaucoup trop loin pour s’en emparer discrètement.

Finalement, son cœur cessa sa course folle au moment où elle entendit un léger grognement familier, signe que le Limier ne dormait plus. Rassurée de savoir que l’auteur de ces bruits suspects était lui, elle se détendit alors que l’homme derrière elle jeta des bouts de bois dans le feu pour le raviver. Certainement que ce dernier était en train de mourir et qu’il ne voulait pas qu’il s’éteigne durant la nuit, au risque de mourir de froid avec ces températures glaciales. Se tournant dans l’autre sens, elle attendit tranquillement que le Chien ne se rallonge pour jeter un coup d’œil furtif.

Cette nuit-là, Sandor avait du mal à trouver le sommeil. Tout comme Emerys le rire d’Arya le hantait, résonnait continuellement dans sa poitrine. Il ne comprenait pas pourquoi cela le tracassait autant mais une chose était sûre, il éprouvait de la peine pour cette gamine. Au fil du temps passé ensemble, malgré les nombreuses disputes et les menaces profanées, il s’était quand même grandement attaché à elle et voulait qu’elle devienne un jour adulte. Malheureusement, ils ne pouvaient pas continuer de vagabonder ainsi. Il devait absolument lui trouver un nouveau foyer où il serait certain qu’elle n’était pas en danger.

Où était ce soi-disant foyer idyllique ?

Tapotant ses doigts sur sa poitrine blindée au rythme de ses pensées, le Limier nerveux tourna la tête vers le feu et plus particulièrement vers Emerys assoupie de l’autre côté. Même endormie elle était belle, ses cheveux argents s’étendant sur ses bras. Une pointe douloureuse transperça son cœur. Cette sensation forte revenait à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle ou pensait à elle d’une quelconque manière. Il voulait la protéger, lui procurer de la chaleur, vouer sa fidélité … Cela faisait longtemps qu’il ne voyait plus la potentielle bourse d’argent mais la femme, la personne, cette mystérieuse inconnue qui avait rejoint leur voyage malgré elle.

Il prit une profonde inspiration puis bloqua son souffle dans ses poumons, ayant l’impression de manquer d’air à cause de cette pression émotionnelle. C’était à la fois très agréable et à la fois destructeur. Si seulement l’histoire avait été différente … Peut-être qu’il aurait pris son courage à deux mains pour avouer ses sentiments fleurissants. Mais qui était-il pour lui infliger cela ? Emerys méritait tellement mieux qu’un vieux Chien aigri par les années de loyaux services aux côtés de monarques déchus. Il n’avait rien à faire avec elle, comme elle n’avait rien à faire avec lui. S’il avait appris quelque chose au fil des années, c’était que les bêtes blessées n’avaient pas le droit d’être aimé.

Bientôt, elle trouvera son propre chemin avec Arya et il se retrouva seul comme au commencement.

D’un faible soupir, Sandor détourna les yeux pour s’intéresser au ciel qu’il apercevait entre les branches biscornues des arbres au-dessus de lui. Il se résigna. Il se ramollissait à cause de ces conneries ! Depuis quand éprouvait-il autre chose que de la haine ? Il n’était rien d’autre qu’un idiot rêvassant aux espérances ridicules. Si son frère le voyait maintenant, il aurait ri de lui et aurait proposé d’abréger ses souffrances de la plus cruelle des façons. S’en prendre directement à Arya ou à Emerys ? L’homme frissonna involontairement. Tant qu’il vivra, Gregor ne mettra jamais la main sur l’une d’elles, il s’en faisait le serment.

Un sommeil agité finit par l’atteindre sous le regard absent d’Arya Stark.

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Au petit matin, le Limier fût réveillé par le bruit d’une pierre glissante sur du métal. Amorphe à cause de sa courte nuit, il plissa les yeux aux rayons lumineux du soleil qui traversaient les feuilles et l’aveuglait. Son premier réflexe avait été de se masser les yeux. L’ouïe titillé par les bruits environnementaux comme les chants des oiseaux, l’eau courante ainsi que l’affûtage d’une épée, il se frotta le visage pour sortir de l’emprise du sommeil pour finir par regarder la gamine non loin de lui.

Cette dernière était assise en tailleur à côté des cendres froides du feu de camp, son épée Aiguille soigneusement posée sur ses genoux. Les sourcils creusés et les yeux concentrés sur la fine lame brillante, elle passa deux doigts le long de la surface froide en prenant garde de ne pas se couper avec elle. Elle avait entendu que le mercenaire s’était réveillé suite à ses petits sons plaintifs semblables à des grognements, cependant elle ne redressa pas la tête pour le regarder. Elle l’entendit ricaner une fois redressé en position assise, un bras sur son genou replié.

«Déjà réveillée ? C’est rare.» Le Limier secoua la tête, amusé.

Il était relativement tôt d’après la hauteur du soleil dans le ciel. Toujours encore à l’horizon, les rares rayons se reflétaient sur le petit court d’eau entre les arbres, réchauffaient la peau de son visage alors qu’ils s’attardaient sur ses joues. Puis ses yeux se posèrent un instant sur une silhouette dans l’eau qu’il reconnut immédiatement comme étant celle d’Emerys. La femme en question barbotait tranquillement dos au rivage, seules ses épaules et sa tête étaient visibles à la surface. Sa longue chevelure inhabituelle traînait derrière elle tandis qu’elle lavait la saleté sur son corps.

Arya quant à elle, ne dit rien du tout en réponse à ce commentaire dont le seul but était de la taquiner en si bon matin. En revanche elle abandonna son épée sur le côté puis croisa les bras sur ses jambes pendant qu’elle étudiait l’homme balafré distrait devant elle. En pleine introspection, elle se posait quelques questions sur l’ancien bouclier protecteur aux allures de dur à cuir. Elle pouvait à présent voir qu’il faisait d’innombrables efforts maintenant qu’elle regardait au-delà de l’apparence, abandonnant enfin sa rancœur. Alors, était-il aussi mauvais qu’il prétendait l’être ? Emerys avait raison de se poser cette question, elle comprenait enfin pourquoi.

«Pourquoi vous ne lui dites pas ?» Demanda-t-elle soudainement à l’homme sans réfléchir.

«Dire quoi ?» S’agaça le Limier sans détourner les yeux de la femme dans le court d’eau.

«Vous l’aimez, n’est-ce pas ?» Poursuivit Arya, feignant la perplexité. Evidemment, elle connaissait déjà la réponse à cette question mais elle voulait savoir jusqu’où il irait pour protéger son orgueil de mercenaire.

«Je ne vois pas de quoi tu parles.» Rétorqua-t-il entre ses dents alors qu’il attrapa ses bottes pour les enfiler tout en évitant de croiser le regard de la gamine effrontée pendant son action.

«Ne faites pas semblant. Vous la regardez sans arrêt comme si elle venait de se transformer en une gourde de vin tout droit venant de Dornes.» Accusa froidement Arya d’un froncement de sourcils indigné. Toutefois elle baissa d’un ton pour paraître moins agressive, ne voulant pas qu’il se rétracte ; «vous l’aimez, c’est évident.»

Devant elle, Sandor s’arrêta brusquement dans ses mouvements. Il ouvrit la bouche dans l’intention de démentir mais la referma aussitôt, à court de mots et à court d’injures pour faire taire cette maudite gamine trop curieuse. Du moins, c’était ce qu’il s’obligeait à croire. Car il avait été pris la main dans le sac, c’était cela qui le mettait hors de lui. Le fait d’avoir trop baissé sa garde et permis à une enfant d’interpréter ses émotions au lieu de laisser cette indifférence qui faisait de lui le méchant mercenaire sans scrupule. Frustré, il la toisa sévèrement mais celle-ci se laissa imperturbable par ce regard de pur mépris.

«Vous faites l’homme fort, mais au fond, vous n’êtes qu’un petit chiot en quête d’amour et de pardon. Vous devriez lui dire avant qu’il ne soit trop tard.» Tenta-t-elle de raisonner d’un soupir de lassitude avant de baisser les yeux sur Aiguille. La réponse virulente était celle anticipée par Arya, de quoi la faire sourire triomphalement.

«Mais qu’est-ce que t’y connais, toi ! La petite héroïne en quête de vengeance. Tu n’es même pas capable d’aimer ni de pardonner. Alors tes conseils, tu peux te les mettre là où je pense. Tu ne sais rien de moi.» Réprimanda sèchement l’homme en colère, pointant son pouce vers sa poitrine tout en lançant des regards noirs à Arya relativement calme pour une fois.

«Je vous parle de cette façon que vous avez de la regarder. Je n’avais jamais vue ce regard sur vous depuis que je vous connais. C’est surprenant ... Mais il serait peut-être temps de le reconnaître. Si ce n’est pas vous, un autre s’en chargera !» S’exaspéra la Stark en haussant à nouveau le timbre de sa voix.

Et le Limier fût prit de court. Depuis quand la louve qui le haïssait avec passion prenait son parti ? D’abord, elle voulait tout faire pour qu’il ne s’approche pas de son amie et maintenant elle essayait de lui faire entendre raison ? Que cherchait-elle exactement, l’humilier ? Le rendre vulnérable ? L’homme serra durement la mâchoire, la colère faisant une ascension fulgurante. Les mains en poings et sur le point de hurler des atrocités à la gamine sournoise, il se figea tout à coup lorsqu’elle s’approcha de lui en marchant à quatre pattes.

«Vous avez même de la bave, juste là !» Se moqua-t-elle en levant son index vers le coin gauche de la bouche de Sandor, un sourire ironique aux lèvres. Naturellement que ce n’était qu’une plaisanterie, mais la réaction du Chien était la meilleure des récompenses.

La main de Sandor se leva rapidement pour essuyer le coin de sa bouche, sauf qu’il n’y trouva rien. Elle l’avait dupé et il était bêtement tombé dans son piège. Furieux, il tendit le bras pour l’attraper mais cette dernière s’éloigna hors de sa portée d’un petit rire jovial, le regard pétillant de malice. La jeune fille d’humeur taquine ce matin se rassit sur sa couchette en étendant ses jambes devant elle pour se prélasser au soleil, les mains sur le sol pour soutenir le haut de son corps. Elle loucha à la forte luminosité, mais vit du coin de l’œil que le Limier grommelait dans sa barbe tout en la zyeutant d’un air ennuyé. Au bout d’un moment, il reprit la parole d’un petit raclement de gorge.

«Je croyais que tu voulais me voir crever la bouche ouverte ...» Sandor enfila ses gants tout en fixant la fillette qui hésita avant d’hausser les épaules, les yeux au sol.

Elle ne le savait pas elle-même pourquoi elle changeait d’avis à son propos.

Les deux ne dirent rien de plus car Emerys revint au campement dégoulinante d’eau et vêtue. Un sourire radieux aux lèvres, elle laissa sortir un grand soupir de contentement alors qu’elle essorait ses cheveux argents entre ses mains. La fraîcheur de l’eau lui laissait la chair de poule mais heureusement, une fois son manteau rembourré sur ses épaules, elle se sentit tout de suite beaucoup mieux et plus confortable. Elle frotta ses mains l’une contre l’autre tandis qu’elle se dirigeait vers les deux chevaux attachés aux arbres, passant à côté du Limier toujours assis.

«Vous êtes enfin réveillé !» S’exclama-t-elle dans un souffle, son sourire ne quittant pas son visage.

Sandor voulut répliquer quelque chose de cinglant toutefois il n’en trouva pas la volonté, ses yeux parcourant avidement sa forme sinueuse. Son pantalon collait à ses cuisses à cause de l’humidité, épousant ses formes et lui donnant un côté un peu rebelle. Le corsage en cuir qui accompagnait son haut blanc compressait ses côtes et remontait sa poitrine qui, à chaque inspiration, ne demandait qu’à être libérée. Comme il voulait tirer sur les ficelles à l’avant de son corset … Voir la beauté pâle qui se cachait sous ces vêtements.

«Il dormait comme une marmotte. Nous aurions pu partir qu’il ne se serait même pas réveillé !» Remarqua Arya d’une touche d’espièglerie, arquant un sourcil au mercenaire quand il la toisa.

«Pourquoi tu ne l’as pas fait alors ! Si ça vous tiens tant à cœur d’affronter seules les dangers. Il n’y a plus rien qui nous oblige à nous supporter. Plus de rançon, plus rien !» Bougonna le Chien une fois debout pour surplomber la Stark afin qu’elle cesse de faire la maligne avec lui. Son effet réussit car l’instant d’après, son visage se ferma et son regard amusé faiblit.

«Vous savez bien que nous n’avons pas le choix.» Emerys regarda le Limier très sérieusement tout en poursuivant ses caresses sur l’encolure du cheval blanc. Elle arrêta pour se tourner pleinement vers l’homme renfrogné qui ramassait les affaires au sol, les sourcils froncés à son comportement ; «mais rassurez-vous, vous aurez votre récompense. Votre patience finira par porter ses fruits.»

«Vivement !» Cracha-t-il crûment en arrachant le pommeau de son épée dans les mains d’Emerys après qu’elle l’ait ramassée au sol.

Cependant il regretta immédiatement son attitude lorsqu’il la vit sursauter à sa grosse voix colérique, la douleur lisible dans ses yeux noirs. Il hésita un instant à s’excuser, sauf que la jeune femme se détourna de lui pour aider Arya à seller son cheval, ne lui laissant aucune possibilité de se rattraper sur son agressivité inexpliquée. Il l’avait apparemment blessée parce qu’elle refusait de le regarder dans les yeux après cela. Il se sentait comme un idiot, mais c’était cette confusion qui le rendait aussi instable émotionnellement, ne voulant rien d’autre qu’être à nouveau seul pour pouvoir se ressaisir.

Sandor déglutit puis ouvrit la bouche pour dire quelque chose à la femme dos à lui, hors le bruit de chevaux au galop l’en dissuada rapidement. Des cavaliers approchaient à toute vitesse. Le trio se stoppa dans leurs mouvements pour regarder d’où provenait le bruit sourd et à quel distance les cavaliers se trouvaient pour espérer une tentative de fuite sans conflit. Malheureusement, les bannières flottant au vent frais matinal étaient d’ores et déjà en vues.

Ces bannières d’un bleu saphir occupaient fièrement un aigle d’argent aux ailes déployées. Sandor connaissait cette maison, et bien qu’ils n’aient jamais été d’une grande menace pour personne, il se méfiait alors que ces cavaliers changèrent brusquement de direction pour venir à leur rencontre. Quoi qu’il puisse se produire, ils étaient dorénavant pris au piège par manque de vigilance. Calmement, le Limier posa sa main sur le manche de son épée tout comme Arya entre lui et Emerys lorsque les chevaux hennissant s’arrêtèrent sur le sol de la forêt non loin des leurs. Sept hommes aux visages cachés par des heaumes braquèrent leurs yeux et leurs lances vers eux.

L’homme en tête de cortège leva la main pour donner l’ordre à ses troupes de baisser leurs armes, utilisant son autre main pour tirer sur les rênes de son étalon blanc. Ce dernier portait une cape bleue, de la même couleur que celle de sa bannière. Un heaume en tête d’aigle séjournait sur sa tête d’où laissait s’échapper quelques boucles noires. L’étranger fit tourner son cheval plusieurs fois sur lui-même pendant qu’il examinait les trois personnes dont l’une était un mercenaire redouté connu sous le nom de Sandor Clegane.

«Passez votre chemin !» Grogna le Limier après avoir sorti son épée de son fourreau, un bras devant Arya.

«Emerys ?!» S’écria soudainement le chef en ignorant volontairement la menace du Chien.

Emerys cligna confusément des yeux quand l’inconnu l’appela par son prénom. Cette voix lui disait quelque chose, toutefois il était difficile de la reconnaître sous cet épais métal qui constituait son heaume. Déconcertée mais aussi très curieuse, elle pencha la tête sur le côté puis prit un pas en avant hors, Sandor mis rapidement le bout de son épée devant elle pour qu’elle ne bouge plus. C’était trop dangereux.

L’homme sur son cheval imita Emerys en penchant la tête sur la droite lorsque le mercenaire amoché s’interposa, absolument livide. Il était clair qu’il n’avait pas confiance, mais qui pouvait le lui en reprocher ? Le cavalier se mit d’abord à ricaner, puis ensuite à rire joyeusement avant de retirer son heaume en forme d’aigle de ses boucles sombres pour enfin dévoiler son visage. Tout de suite, les yeux de la jeune femme s’élargirent d’étonnement et sa main vola à sa bouche béate. Une chevelure noire semblable à celle de Jon Snow, les yeux d’une jolie couleur noisette, la peau bronzée … Il n’y avait aucun doute possible sur l’identité de cet homme qu’elle n’avait plus revue depuis des années.

«Barry ?!» S’exclama-t-elle de surprise.

Elle s’éloigna de Sandor et d’Arya quand Barry descendit de son cheval et qu’il ouvrit ses bras pour l’accueillir dignement. Elle ne perdit pas un seul instant pour courir dans son étreinte chaleureuse en guise de retrouvailles. Des larmes de joie contenues dans ses yeux écarquillés d’incrédulité, elle lui sauta au cou tout en riant à son oreille tandis qu’il la souleva dans ses bras d’un gloussement de bonheur.

«Je n’arrive pas à y croire, quel hasard ! Après toutes ces années ? Mais … comment ?!» S’époumona-t-elle entre ses rires, se séparant de lui pour le tenir à bout de bras et ainsi le regarder dans les yeux. Elle n’arrivait tout simplement pas à y croire qu’il était vivant !

«On ne peut pas se débarrasser de moi aussi facilement, tu devrais le savoir ! La guerre n’a pas eu raison de ce cher Barry. C’est une chance que nos routes se sont croisées. Mais eux, qui sont-ils ?» Barry se calma pour jeter un coup d’œil désinvolte derrière Emerys où se trouvaient Sandor et Arya. Les deux se tenaient là, immobiles et abasourdis par ce revirement de situation invraisemblable. II connaissait l’homme brûlé de nom mais pas l’enfant à ses côtés.

«Mes compagnons de voyage. C’est grâce à eux si je suis encore en vie aujourd’hui.» Répondit Emerys d’un hochement de tête reconnaissant. Elle retira ses mains des épaules de Barry pour prendre quelques pas en arrière et permettre le contact entre eux.

«C’est qui, ce suceur de queue ?» Demanda Sandor en levant le menton, son regard impitoyable fixé sur Barry. A côté de lui, Arya redressa son épée lorsque l’homme en question s’avança.

«Barry Mallister pour vous servir ! Toi, tu dois être Sandor Clegane. Je te reconnaîtrais entre mille. En temps normal, je ne traîne pas avec des mercenaires mais comme vous êtes les amis de Madame, alors vous êtes les miens aussi. Ça doit faire longtemps que vous êtes sur la route. Venez donc avec nous ! Nous nous dirigeons vers une auberge de haute qualité, je vous paierais le logement pour une nuit. De la bonne compagnie, de la bière, de la nourriture à volonté … Qu’en dites-vous ?» Proposa-t-il gentiment en ouvrant grand les bras, optant pour un nouveau sourire à pleines dents sous les encouragements de sa troupe.

«J’aime pas du tout votre tête. Elle ne m’inspire pas confiance.» Critiqua Arya en rétrécissant méchamment ses yeux à Barry, sa fine lame toujours levée à lui en signe de menace. Le limier protesta à son tour.

«Ah oui, et pourquoi tu nous offrirais tout ça ? Toi et ta bande de branleurs pouvez reprendre votre route, moi je vais reprendre la mienne avant que je ne décide de faire un bain de sang.» S’impatienta Sandor après avoir raffermit sa prise sur son épée pour montrer qu’il ne plaisantait pas. Il n’aimait pas voir Emerys à côté de ce merdeux, surtout quand il avait un aussi mauvais pressentiment …

«Je viens de vous le dire. Si vous êtes des amis d’Emerys, ma plus vieille amie, alors je vous fait confiance.» Répliqua incessamment Barry en posant une main au-dessus de son cœur, troublé par leurs réactions et leurs regards sévères. Il se racla la gorge lorsqu’aucun des deux ne baissa sa garde ; «écoutez. C’est une simple proposition, rien ne vous oblige à venir avec nous. Vous avez sauvé Emerys et je vous en suis très reconnaissant, vraiment. Je veux juste passer un peu de temps avec elle-»

Mais le Limier lui coupa brutalement la parole, les dents serrées.

«Et moi je te dis que si toi et ta bande de connards-» Cependant lui aussi ne put terminer sa phrase car Emerys vint se positionner à ses côtés pour poser sa main sur son avant-bras, le suppliant du regard pour qu’il ne fasse rien d’irréfléchi.

Immédiatement, la chaleur de la paume de sa main s’imprégna dans son bras, donnant des frissons le long de sa peau. Son cœur avait pris de la vitesse quand elle s’était approchée de lui avec ce regard remplis d’espoir. Il avait l’impression que sa main pesait très lourd sur son bras alors qu’il la regardait droit dans les yeux pour se perdre dans son regard où brillait cette petite étincelle particulière. Quelque chose qui apparaissait uniquement lorsqu’ils se regardaient ainsi. Evidemment qu’il ne faisait pas le poids face à ces yeux-là, et encore moins depuis qu’il avait accepté ses sentiments à son égard. Mais son instinct lui disait que ce n’était pas une bonne idée de suivre cette bande de cavaliers nomades.

Où était-ce sa propre jalousie ? La peur de la voir partir avec ce Barry Mallister ? Il l’ignorait.

«S’il vous plaît.» Murmura Emerys avec douceur, sa prise sur son bras s’éternisant.

Si elle avait confiance en cet homme, alors ainsi soit-il, il allait faire un effort et les suivre sans discuter. Sandor poussa un soupir vaincu puis détourna les yeux d’Emerys pour ranger son épée de retour dans l’étui à sa hanche, un peu déçu de perdre la chaleur sur son bras. Il espérait vraiment qu’il n’allait pas regretter cette décision mais le sourire apaisant de la femme valait la peine d’essayer. Nerveux, il donna ensuite un bref signe de tête à Arya afin qu’elle fasse de même que lui et malgré son incompréhension et quelques petites protestations, elle finit par mettre Aiguille en sécurité.

«Fort bien ! Maintenant que nous sommes tous d’accord, je vous prie de nous suivre. Nous ne sommes pas très loin. Emerys, j’ai tant de choses à te raconter !» S’écria gaiement Barry en prenant le bras de son amie pour l’entraîner de force avec lui vers son cheval.

La bouche de Sandor se crispa de colère, toutefois la main qu’Arya posa sur son bras le calma. La gamine lui offrit un sourire compatissant, car tout comme lui elle n’avait absolument pas confiance en cet homme aux manières de bourge. Et de savoir qu’Emerys était à ses côtés l’écœurait … Beaucoup. Ce Barry avait plutôt intérêt de ne pas lui faire de mal, parce qu’une louve et un Chien enragé pouvaient faire de gros dégâts. Irréversibles. Elle leva les yeux vers le Limier mais l’homme n’avait d’yeux que pour le couple qui montait à cheval, ouvrant les discussions sur leurs bons souvenirs partagés. Il était clair que la jeune femme n’était pas à l’aise, son regard s’arrêtait sans cesse dans leur direction comme pour s’assurer qu’ils étaient toujours là.

«C’est officiel, je déteste cet homme.» Grogna Arya en posant ses mains à ses hanches tandis que le cortège suivait son chef babillant avec son amie.

Sandor ne pouvait qu’être d’accord avec elle. Il détestait beaucoup de gens, mais cet homme prenait la tête de sa liste !

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Le cortège arriva à l’auberge pile à la tombée de la nuit. L’établissement était grand et comme l’avait dit Barry, de haute qualité. A peine arrivés, les chevaux furent pris en charge par des écuyers puis le groupe invité à prendre sièges dans la grande salle des festivités.

«Il y avait trois hommes. L’un me tenait en joue à l’aide d’un couteau sous la gorge. J’étais sûr de ne jamais connaître de lendemain jusqu’à ce que je me souvienne de la petite pièce d’argent que j’avais dans ma poche droite ! Elle était précieuse, mais surtout, tranchante comme de l’acier.» Raconta Barry au centre de la table en accompagnant son histoire de bataille par de grands gestes passionnés.

Ils étaient tous éparpillés autour d’une longue table en bois d’ébène massif sur laquelle se trouvaient trois chandeliers ornés de dorures. Un grand feu de cheminée venait donner un côté chaleureux à la salle et aux murs de pierres anthracites qui l’en constituaient. Des têtes d’animaux empaillés étaient accrochées au-dessus du foyer effervescent, une grande peau d’ours brun tapissait le sol devant ce dernier. Deux autres tables étaient occupées ce soir-là. Des gens de voyage qui venaient se réfugier pour la nuit ou qui venait tout simplement faire escale dans cette auberge luxurieuse se situant entre les Jumeaux et les Eyrié.

«C’était lui ou moi. Alors, je lui ai tranché la gorge avec cette pièce et j’ai fait face à la mort. Elle était là, devant moi. Un brasier gigantesque me faisait barrage ...» Chuchota Barry avec fascination, les sourcils levés. Il se pencha sur la table et tout en regardant Emerys droit dans les yeux, il prit son couteau pour désigner une cicatrice à son cou en souvenir de cette altercation mémorable.

Sandor Clegane leva les yeux au ciel à ce récit d’un ennui mortel puis se resservit du vin dans son verre de cristal, déversant par mégarde quelques gouttes du délicieux breuvage sur ses mains et sur la table. Il jura sous son souffle mais après tout, il n’en avait rien à faire, il était l’invité et ne dépensera même pas un sou. Il en avait toutefois assez d’entendre les âneries d’un imbécile à l’ego démesuré et surtout de voir le sourire émerveillé d’Emerys à chacune de ses anecdotes. De plus que les autres cavaliers déjà ivres ne cessaient de rire pour un oui ou pour un non, rendant le brouhaha déjà pénible, insupportable.

A sa droite, Arya écoutait dans le silence, lorgnant nerveusement les hommes qui l’entouraient. L’enfant n’avait presque rien touché de sa nourriture ni de sa boisson sans alcool. Ses mains étaient cachées sous la table, posées sur ses genoux, se sentant vulnérable maintenant qu’elle n’avait plus son épée Aiguille sur elle pour se défendre. Celle-ci était avec les autres armes des cavaliers à l’entrée de l’auberge à la demande personnelle du propriétaire des lieux ne souhaitant qu’aucune bagarre n’éclate dans son établissement réputé sans danger.

La louve déglutit tandis que les éclats de rire s’intensifièrent au fur et à mesure que Barry comptait ses aventures grotesques. Il se prenait clairement pour un héros de guerre alors qu’il n’avait probablement jamais connu la vraie guerre ... Celle ou le sang coulait à flot, celle qui faisait des veuves et des orphelins, celle qui faisait ressortir le côté bestial des humains. Non, cet homme ne pouvait pas avoir connu l’enfer sur terre et en être sorti indemne physiquement et mentalement. Elle non plus ne savait pas ce que c’était à proprement parlé, mais son père de son vivant lui racontait des histoires terrifiantes qui lui avaient laissées des marques à vie. Pas une simple coupure à la gorge et un sourire jusque derrière les oreilles.

«Ce gros lâche n’avait même pas eu le temps de crier que je l’ai égorgé comme un porc ! Sérieusement, ces gars-là auraient dû rester sous les jupons de leurs mères. Ils ne faisaient pas le poids contre la maison Mallister.» Barry cacha son grand sourire ridicule derrière sa coupe de vin.

«Quelles prouesses ...» Ridiculisa le Limier entre deux gorgées.

Arya se mit à sourire à ce commentaire futile contrairement à Barry qui sembla irrité par le mercenaire à la langue bien pendue. Le chef fusilla du regard ses acolytes qui se moquaient ouvertement de lui avant de prendre les mains d’Emerys dans les siennes pour ravoir toute son attention. Leurs mains jointes au milieu de la table, il caressa le dos de sa main avec ses pouces puis lui sourit gentiment.

«Tu as beaucoup changé depuis la dernière fois.» Dit-il d’un sourire admiratif, exploitant son regard mielleux pour charmer la jeune femme.

Soudainement mal à l’aise, Emerys jeta un coup d’œil à Arya et Sandor assis face à elle en diagonal. Le Chien ne la regardait pas, il était plutôt intéressé par son verre de vin déjà vide à son plus grand malheur tandis que la jeune Stark toisait méchamment Barry, les yeux plissés et les lèvres pincées. Il était clair que l’enfant ne lui faisait aucunement confiance et qu’elle n’appréciait pas le geste. Devenue agitée, Emerys se racla la gorge puis revint à Barry en lui offrant un sourire similaire cependant fébrile, dénouant ses mains des siennes pour les mettre sous la table.

«Et maintenant, où allez-vous ?» Demanda-t-elle d’une touche de nervosité dans sa voix.

Arya retrouva subitement son sourire malicieux lorsqu’Emerys décida de changer de sujet avec Barry, incroyablement satisfaite de voir son expression prétentieuse céder à de la confusion. Cet homme jouait à un double-jeu, c’était d’une grande évidence ! Même Sandor le remarquait. Le Limier gardait ses yeux posés dans son assiette alors qu’il dévorait son repas à base de gibier néanmoins, elle avait senti qu’il restait à l’écoute et que cette situation ne lui plaisait pas du tout, lançant régulièrement des regards noirs à chaque cavalier qui osait le regarder.

Surtout au chef.

«Nous changeons de camps, voyons ! Nous allons servir la vraie Reine, Daenerys du Typhon, l’imbrûlée, mère des Dragons et dernière Targaryen en ce monde !» S’enchanta Barry en levant son verre pour trinquer avec tout le monde. D’un cri de joie, les hommes entrechoquèrent leur boisson puis reprirent leur conversation de plus belle.

«Vous partez pour le Detroit ?» S’hébéta Emerys face à cette nouvelle, les yeux larges de surprise.

«Non seulement nous allons nous y rendre, mais aussi le traverser pour rejoindre Meereen. C’est là-bas qu’elle se trouve. Dans les cités libres d’Essos.» Rectifia-t-il d’un clin d’œil ludique.

Elle n’arrivait tout simplement pas à y croire. Ils partaient pour l’autre côté du Detroit à la recherche de la vraie Reine pour lui offrir leurs services et ainsi, une nouvelle alliance. Non seulement c’était son rêve de rencontrer Daenerys Targaryen en personne mais c’était aussi vital, d’une certaine façon. Elle avait quelque chose de très important à lui faire part, quelque chose qui pourrait définitivement faire changer le court de l’histoire.

Exaspéré, Sandor joua avec sa mâchoire quand il remarqua l’enthousiasme sur le visage d‘Emerys après avoir appris la destination de ces hommes. Il était au courant qu’elle voulait rejoindre la Targaryen et même si elle avait certainement toutes ses raisons de vouloir y aller, elle ne se rendait pas compte de ce que cela représentait comme voyage. Des tournures dramatiques qui pourraient s’abattre sur une femme … Mais qui disait que Barry lui racontait la vérité ? Que ce n’était pas qu’un mauvais tour pour avoir son attention ? Elle faisait aveuglement confiance à ce type aux projets improbables, ce qu’il n’aimait pas du tout.

«Penses-tu qu’elle sera à la hauteur de nos espérances ?» Interrogea calmement Emerys un peu incertaine tout en mâchant sa lèvre inférieure. Barry rit avant de se pencher sur la table, le front sillonné.

«Emerys, elle se fait appeler la briseuse de chaines ... Imagine-toi un peu ses grandes armées, son pouvoir immense et le respect que lui porte les peuples. Elle le sera, j’en suis persuadé. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Tu pourrais lui être d’une grande utilité, j’en suis sûr. Tu as de nombreux atouts qu’une nouvelle Reine pourrait avoir besoin.» Avança-t-il ensuite avec détermination, perdant son sourire en coin pour la regarder très sérieusement.

«Partir avec vous ?» Répéta-t-elle lentement, la gorge nouée.

«Oui.» Acquiesça son ami.

Aux mots timides d’Emerys, la tête du Limier se redressa subitement de son assiette pour jeter un regard glacial en direction de Barry qui se montrait inébranlable par sa menace silencieuse. Il le foudroyait du regard, la promesse muette qu’il s’occupera de son cas plus tard si jamais il apprenait la vérité sur ses réelles intentions. Ce manipulateur n’avait d’yeux que pour la femme indécise. Arya fit de même que le Chien et par reflexe, sa main vola automatiquement à sa hanche, sauf qu’Aiguille n’était plus là. Si seulement elle avait un couteau pour couper les mains de cet hypocrite ! Elle lui aurait ensuite tailladé le visage pour enlever une bonne fois pour toute son petit sourire présomptueux. Malheureusement, il n’y en avait pas sur la table.

«Il n’y a plus rien pour nous, ici, Emerys. Rien qui nous retient. Notre vie se trouve de l’autre côté du Détroit, auprès de la Reine Daenerys. Tu le sais au fond de toi, tu l’as toujours su. Nous ne sommes pas fait pour le Nord.» Barry prit une profonde inspiration puis hocha la tête tout en se redressant sur le banc, les mains sur ses cuisses.

C’était un choix difficile. Abandonner sa vie ici ? Abandonner Arya et le Limier pour suivre son rêve ? Elle savait qu’un jour ils allaient tous prendre un chemin différent, mais tout était tellement précipité … Si soudain. C’était pourtant l’occasion idéale de tout recommencer et d’espérer un avenir meilleur, alors qu’est-ce qui était à l’origine de son hésitation ? Elle connaissait bien-sûr la réponse à cette interrogation. Elle ouvrit la bouche pour prendre la parole toutefois son regard s’attarda sur le Limier et la louve en face d’elle, de quoi la faire culpabiliser d’avantage.

Tu n’étais qu’une bourse d’argent à ses yeux.

Le mercenaire avec qui elle avait passé plusieurs semaines dans la nature refusait de la regarder dans les yeux. Il se tenait raide, ses mains étaient en poings sur la surface de la table de chaque côté de son assiette désormais à l’abandon. Ses cheveux cachaient une partie de son visage, néanmoins, elle pouvait voir qu’il se forçait à ne rien dire tout comme l’enfant à ses côtés qui portait la même expression froide. A la différence qu’Arya rencontrait ses yeux pour lui transmettre son indignation, mais surtout et avant tout sa crainte.

Le cœur d’Emerys se serra dans sa poitrine au triste visage de la petite Stark inquiète pour son choix concernant cette question redoutée. Ce n’était pas vrai quand Barry lui disait qu’elle n’avait plus rien ici, elle avait Sandor et Arya. Ses deux compagnons de route devenus des amis à ses yeux. Ils avaient besoin d’elle comme elle avait besoin d’eux, formant ensemble une famille qui avait appris à survivre à la dure. Cependant, même si elle souhaitait plus que tout de rester à leurs côtés, elle les mettait continuellement en danger avec sa présence. Car ils ignoraient tout d’elle et de son passé, de ce qu’elle était capable de faire si sa colère devenait incontrôlable.

Tu n’étais qu’un fardeau pour eux.

Emerys ferma les yeux à la douleur sourde dans sa poitrine. La tête baissée, elle hocha doucement la tête tandis qu’un poids lourd s’abattit dans son cœur à l’écho de sa conscience. C’était douloureux à accepter mais peut-être qu’elle ne représentait rien d’autre pour eux, pour lui … Rien d’autre qu’une monnaie d’échange depuis le début. Il n’y avait malheureusement aucun indice qui démontrait du contraire, aucune preuve irréfutable mise à part qu’il ne l’avait plus attachée ni même menacée de mort au fil du temps. Rien qui prouvait qu’il ressentait ce qu’elle ressentait. Et si l’occasion d’une vente se représentait, entre quelles mains tombera-t-elle ? Donc, avant même qu’elle ne puisse réfléchir plus longuement sur la question, ses paroles dépassèrent sa pensée.

«J’accepte.» Emerys avala alors qu’une nouvelle vague d’hurlements de joie envahit la salle.

Mais son cœur se brisa en mille morceaux lorsqu’elle vit des larmes de déception se former dans les yeux d’Arya avant que cette dernière ne quitte précipitamment la table. Elle disparut rapidement à l’étage où se trouvaient les chambres à la recherche de la sienne pour la nuit, ne voulant plus faire face à ses émotions et encore moins à la bande à Barry Mallister. Sa seule amie venait de faire le choix de les quitter sans une once de regret après tout ce qu’ils avaient traversés ensemble … S’en était trop pour elle, trop à assimiler d’un seul coup.

«Parfait ! Nous partons demain à l’aube pour une nouvelle vie !» S’écria allègrement Barry en engloutissant le reste de son vin d’une seule traite pour accompagner les autres membres de sa fratrie. Il n’avait même pas fait attention qu’il manquait quelqu’un à la table, jusqu’à ce qu’il remarque le visage dévasté d’Emerys.

Ses yeux noirs étaient brillants de larmes au moment où le Limier se leva du banc à son tour sans un mot pour aller récupérer ses armes avant de prendre la même direction que la gamine aux yeux gris. L’homme balafré n’avait pas dû apprécier sa proposition, et encore moins ses avances sur la femme qu’il aimait secrètement. Il n’était pas dupe, il l’avait compris dès le premier regard que Sandor Clegane était amoureux d’Emerys et qu’il n’était pas prêt à la laisser partir avec lui. Sauf qu’elle avait choisi lui, en dépit de ses propres sentiments.

Un sourire enjoué aux lèvres, Barry se leva avec hâte de sa place avec son verre rempli pour venir se mettre à côté de son amie attristée afin de lui apporter du réconfort mais surtout du soutien. Il passa son bras autour de ses épaules, hors la femme le chassa rapidement, refusant de rire avec eux ou même de sourire ne serait-ce qu’un peu à leurs blagues ridicules. Son regard chagriné fixait un point invisible sur la table, se battant intérieurement avec elle-même.

Son cœur n’était plus à la fête.

A suivre …

Oui, c’est triste comme choix, mais elle a vraiment ses raisons de le faire. Vous comprendrez cela bien plus tard.

VP


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