La cour des grands

Chapitre 81 : Épilogue Une fille

2597 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/08/2019 14:19



Épilogue:

Une fille



Malgré la chaleur étouffante, elle ne montrait aucun signe d'épuisement. Pas une seule goutte de sueur ne perlait sur ses joues alors qu'elle devait traîner deux charges assez lourdes qu'elle avait décidé de placer sur un petit chariot plutôt qu'à bout de bras. Il a été difficile de les déplacer car personne ne devait la surprendre. Cela aurait éveillé des soupçons, mais surtout d'autres cadavres sur les bras. Elle avait déjà bien assez tué ces derniers jours. Et le Dieu Multiface n'aime pas que l'on prenne des vies inutilement.


Arrivée aux pieds de la falaise, sur la plage, elle fût rassurée de voir que la barque qu'elle avait amarrée dans ce coin désert de l'île était toujours là. Elle déposa les deux cadavres sans aucune délicatesse, au fond de l'embarcation. Après tout, ils n'allaient pas se plaindre, ils étaient morts. Elle poussa ensuite la barque vers la mer et sauta dedans. Elle prit les deux rames et commença à s'éloigner du rivage. Son geste était assez anodin, elle le savait. Pour d'autres cadavres, jamais elle n'aurait fait ça. Elle les aurait laissés pourrir dans la rue où la mort les avait frappé. Mais pas eux deux. Il fallait le reconnaître. Elle n'était pas encore entièrement une fille sans nom. Une toute petite partie d'elle lui criait encore son identité passé. Elle devait se débarrasser de cette voix gênante.


Lorsqu'elle estima être assez loin de l'île, elle s'arrêta de ramer. Enveloppés dans un drap blanc, elle prit l'un des cadavres et se prépara à le jeter à la mer. La personne qu'elle tenait dans ses bras, elle avait tout fait pour l'oublier. Si bien que quand cette personne avait expiré pour la dernière fois, elle n'avait sentie qu'une profonde indifférence, qui avait pourtant attristé cette petite partie d'elle. Alors, copiant le dernier soupir de sa mère, elle jeta Rika, la dame aux cheveux de feu, dans les abîmes. Elle regarda peu à peu le drap blanc disparaître dans les ténèbres abyssales et elle chuchota, comme un dernier adieu à cette petite voix:


-Adieu, Drusila.


Ce fût le tour du deuxième cadavre. Dans ce genre de moment, suivant le Dieu que l'on a choisit, soit l'on dit «Ce qui est mort ne saurait mourir» ou «La nuit est sombre et pleine de terreur». Mais, pour ce qui est du Dieu Multiface, il n'y a pas de devise funéraire. Alors, sans un mot, sans un au revoir, elle jeta également le cadavre de Mitor dans la mer, disparaissant à jamais de ce monde qu'il avait tant détesté mais dans lequel il avait tout de même gardé un espoir sans faille. Son travail ainsi terminé pour de bon, Drusila revînt sur l'île de Lys et partit vers le port. Là, elle se servit d'une bourse prise sur un des cadavres du champ de bataille et le jeta vers un capitaine qui le prit au vol.


-J'aimerais aller à Braavos. Annonça-t-elle.


-L'argent ne m'intéresse pas, petite dame. Répondit le marin comme s'il était vexé qu'on veuille l'acheter pour une croisière.


-Valar Morghulis. Répondit la petite dame.


Le marin la regarda, comme s'il venait de voir son dieu devant lui. Il ouvrit alors la bourse et lança soudain des yeux déçus.


-Ce n'est pas ce dont j'ai besoin, j'ai dis. Se froissa le capitaine, un peu énervé.


La petite dame s'avança rapidement vers le capitaine et sortit sa dague plus vite que l'éclair pour la placer sous sa gorge.


-J'ai dis, Valar Morghulis. Et je veux un voyage vers Braavos. Clama-t-elle d'un ton autoritaire.


Le capitaine gloussa une seconde avant de répondre finalement:


-Oui, vous aurez une cabine. Nous partons dès que la cale est chargée.


La fille retira sa dague et la rangea. Elle embarqua directement sur le navire, attendant déjà de quitter cette ville. Le capitaine se frotta le cou et partit faire accélérer la cadence de ses matelots. De son côté, la petite dame jeta un dernier regard vers cette ville où elle était enfin devenu personne. Elle eût le sentiment que plus jamais elle n'y remettrait les pieds «et tant mieux» se disait-elle. Alors, elle s'en alla vers la proue du navire, préférant admirer l'infini de la Mer d'Été. Après plusieurs minutes, le navire quitta le port, direction Braavos. Une fille venait de quitter le nid dénommé Lys.


Lys avait toujours été une ville particulière dans les cités d'Essos. Elle était l'une des premières à devenir une cité libre grâce à l'empire valyrien. Et elle était la seule à être redevenue récemment une cité esclavagiste. La majorité du peuple d'Essos et de Westeros n'était même pas encore au courant de ce nouveau statut de la ville malgré la trentaine d'années qui s'étaient déroulé depuis lors. Mais après tout, fallait-il vraiment en faire une date historique dans le monde? Lys allait retrouver sa liberté très bientôt de toute manière. Car un esclave du nom de Mitor aura été le début d'un effet papillon qui allait redorer le blason de la cité de Lys. Alors que cet esclave était mort avant même d'atteindre sa majorité, il avait eu le temps de donner un livre d'histoire à un vieux professeur du nom de Kubrir. Un geste banal qui aura pourtant des conséquences inimaginables. Kubrir était un vieil orateur qui avait été un esclave toute sa vie. Il apprenait tout ce qu'il savait aux enfants de son maître et aux enfants esclaves qui lui rendaient visite le soir pour une séance de lecture. Après plusieurs nuits dans les rues délabrées et poissardes, la lecture de ce livre, «Les cités esclavagistes: Le dernier des anciens fléaux de l'Histoire» par le mestre Raynal, avait porté ses fruits. Kubrir avait compris ce que Mitor attendait de lui lorsqu'il lui avait donné ce livre et, grâce à ses talents d'orateurs, transmit le message à toute la communauté des esclaves, que ce soit par le bouche à oreille ou simplement l'écoute du livre. Certains adultes et même quelques enfants comprirent le message de Mitor et le firent comprendre à tous les autres esclaves. Très vite, les maîtres prirent connaissance de l'accès à une certaine conscience dont venait de faire preuve leurs esclaves. Ils en ignoraient la cause mais la plupart d'entre eux punissaient sévèrement leurs esclaves qui mentionnaient une quelconque révolution, bien que l'idéologie de Mitor et du livre parlait d'une révolte non-sanglante, seulement dans les paroles et proclamant le vivre-ensemble. Toutefois, quelques maîtres osaient se rallier aussi à cette idéologie malgré l'isolement social qu'il pouvait subir auprès de leurs congénères. Les maîtres mécontents firent alors part de cette révolution, qui commençait peu à peu à occuper l'esprit de tous les habitants de la ville, au maître esclavagiste de l'île. Surnommé le Bourreau de Lys, car il s'occupe lui-même des exécutions, ce maître esclavagiste ne tarda pas à faire appliquer aux gardes de la ville sa répression, dont même certains maîtres faisaient les frais.


Du côté des esclaves, plusieurs réunions commençaient à s'organiser dans des endroits clandestins. La taverne du QG des Partisans, et le bidonville du QG des Chasseurs furent découverts. Après s'être débarrassé des cadavres, ces deux QG furent le théâtre d'une organisation minutieuse et courageuse d'esclaves et de quelques maîtres. Kubrir, juste avant de décéder, décida de nommer le porte-parole de cette rébellion en la personne de Naokim, un esclave entièrement dévoué à la cause. Plus tard, un plan d'action pacifiste fut crée. Les esclaves firent croire à tout le monde qu'il y aurait un plan d'action agressif sur le palais pour renverser le pouvoir une bonne fois pour toutes. Ainsi, tous les gardes étaient appelés devant le palais. Mais en réalité, tous les esclaves étaient partis au port afin de confisquer toutes les vivres. Ce plan fut répété trois fois avant que les gardes cessent d'être dupés. Trois fois furent assez pour que Naokim puisse exiger une entrevue avec le Bourreau. Alors, au centre de la place du marché, une longue discussion s'installa. Tout le monde écoutait les mots de Naokim qui avait hérité de l'éloquence de Kubrir et de l'idéologie de Mitor. Certains esclaves et maîtres avaient réussi à convaincre la plupart de leurs opposants à rejoindre leur cause dont des gardes. Alors, quand le Bourreau renversa la table des négociations et ordonna l'exécution de Naokim, la plupart ne s'exécutèrent pas. Cette confusion entre le Bourreau et les gardes permit à la cause de retourner les cartes. Le Bourreau, se rendant compte qu'il n'avait plus le pouvoir, fût arrêté et croupit encore aujourd'hui dans les geôles. Le pouvoir était renversé. Sans une goutte de sang, juste les paroles et les actes. Comme le voulait Mitor.


Plus tard, l'on nomma Naokim au pouvoir mais celui-ci brûla le trône. Il se destitua de son titre à la surprise générale et décida de former un conseil à la place d'un pouvoir exécutif. Ce conseil, formé de lui-même, de nobles, de marchands, de paysans, de soldats et d'anciens esclaves gouverna alors sur la cité de Lys qui était redevenu une fière cité libre. Enfin, une fresque en pierre fût sculptée près du port pour y être exposé à la vue de tous les visiteurs. Cette fresque représentait la scène où un esclave donnait à un vieil homme un livre. Un long texte fût écrit sous la fresque, relatant l'histoire de cette révolution non-sanglante et sur le combat pour la liberté. Le monde pris connaissance peu après des bouleversement que Lys connut ses dernières années. Bien évidemment, les mestres de la Citadelle et quelques capitaines et marchands étaient déjà au courant de l'histoire de la ville mais désormais, même le petit fermier perdu au milieu du Conflans avait un petit sourire lorsqu'on lui racontait cette histoire. D'ailleurs, la plupart ne le croyait pas. «On ne peut renverser le pouvoir sans prendre les armes!» affirmaient certains. Mais peu importe si certains ne le croyaient pas. Lys s'en portaient bien et alors que la Baie des Serfs ne comptait plus de cités esclavagistes de son côté, le monde connut pour la première fois une ère sans esclave, un monde libéré à jamais.


La plupart n'avait cure de l'histoire et continuait leur quotidien, aussi incroyable soit-il. C'était le cas de cette fille qui, de toute manière, n'irait plus jamais à Lys. Arrivant à Braavos, avec un capitaine bien content de pouvoir s'en débarrasser, elle partit dans l'antique Demeure du Noir et du Blanc, le temple du Dieu Multiface. Le silence religieux qui s'imposait en ce lieu avait pour effet de détendre cette fille. Elle avait réellement l'impression d'être rentré chez elle. Le sourire aux lèvres, avec la satisfaction du devoir accompli, elle traversa le hall, décoré par des sculptures de tous les Dieux existants, et descendit les escaliers. Alors qu'il était en train de nettoyer un cadavre avec un chiffon, le prêtre et maître de cette fille, Jaqen H'ghar, ne se retourna pas lorsque son apprentie entra dans la pièce. Toujours les yeux rivés sur le cadavre qu'il nettoyait, le prêtre demanda:


-As-tu accompli cette tâche que le Dieu Multiface t'a confié?


-Oui. Répondit la fille, les mains derrière le dos dans une posture presque militaire.


-Bien. Je n'étais pas sûr que tu en sois capable mais tu as prouvé le contraire, à moi et à Multiface. Complimenta Jaqen, toujours fixé sur sa tâche. Qui es-tu?


-Personne.


-Comment se nommait la personne qui portait jadis ton visage?


-Drusila Mortimer.


-Que lui est-il arrivé, à Drusila Mortimer?


-Elle est morte.


-Comment?


-Sa famille a été décimée et elle a décidé de disparaître également.


-Alors cette Drusila est bel et bien morte. Cette fille qui est devant moi est-elle prête à servir son Dieu pour toute la vie?


-Oui. Répondit Drusila sans aucune hésitation.


-Cette fille doit me donner le nom de la personne qui a payé sa vie pour acheter celle des autres.


-Mitor.


-As-tu le visage de ce dénommé Mitor?


Drusila sortit alors de la grande bourse attachée à sa ceinture le visage de Mitor, pâle, sans vie, mais apaisé. Elle le tend à Jaqen qui quitte enfin son regard du cadavre pour regarder le visage de l'ancien esclave. Après un temps, il sortit un couteau et commença à décoller le visage du cadavre propre du reste du corps. Le sang encore dégoulinant, il prit dans sa main le visage du défunt et ordonna à la fille de le suivre. Ils descendirent alors tous les deux des escaliers pour arriver dans la salle aux Milles Visages. Ici, plusieurs centaines de milliers de visages différents étaient entreposés dans des niches dans les murs ou les colonnes. Des milliers d'emplacements qui montaient jusqu'au plafond. Aussi grand qu'un temple entier, cette salle, emplie d'obscurité ne trouvait sa lumière que par des bougies et des trous dans la roche du plafond. Certains emplacements étaient vides et ne demandaient qu'à être remplie. Jaqen entreposa alors le visage du cadavre qu'il nettoyait et guida la fille vers une autre place vide. Il lui donna l'ordre d'y placer le visage de Mitor. La fille s'exécuta, recula pour contempler le visage de l'esclave qui allait rester en ce lieu très longtemps et se tourna vers Jaqen. Celui-ci annonça alors:


-La formation de cette fille est achevée. Elle est désormais une véritable Sans-Visage. Le Dieu Multiface est fière d'elle.


-Je ferais tout selon ses désirs.


-Notre Dieu n'a pas de désir. Il ne fait que nous superviser. Ce sont les prières de nos croyants qui nous dictent quels seront nos prochaines missions. Tu as d'ailleurs des pèlerins à aider dans le hall. Je te laisse faire.


Drusila fit une petite révérence et s'en alla accomplir sa nouvelle tâche. Elle était heureuse de servir le Dieu Multiface. Elle avait l'impression d'être utile et de pouvoir agir sur le monde tout en restant dans l'ombre. Elle sentait presque une certaine addiction dans cette vie qu'elle avait choisie. Et elle voulait en profiter. Elle voulait être la seule à en profiter. Alors qu'elle arriva dans le hall, elle remarqua une présence inhabituelle dans le temple. Entre le bassin des prières et la tête sculpté au mur du Dieu Noyé, il y avait une autre fille qu'elle n'avait jamais vu ici. Elle avait quelques années de moins qu'elle et avait les cheveux noirs. Elle passait le balai et avait la tenue des moines du temple, qu'elle aussi portait. Elle croisa soudain son regard. Elle sentit alors ce que cette autre fille voulait. La même chose qu'elle. Profiter de cette vie qui venait de lui être offerte. Non, jamais elle ne l'accorderai. Jamais!

Laisser un commentaire ?