La Belle et le Voleur

Chapitre 1 : La Belle et le Voleur.

Chapitre final

5903 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/07/2022 00:03

~ La belle et le voleur ~




Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Retour en enfance - (mai juin 2022).




–       Ningguang, attention, derrière toi !

La voix, claire, troubla le silence de la nuit jusqu’alors uniquement agrémenté par le souffle léger du vent et le hululement de quelque lointaine chouette ou hibou. La fraîcheur d’un mois de début d’année se ressentait dans l’air malgré la température douce, à cette heure avancée de la soirée.

Une femme aux longs cheveux blancs, atteignant bientôt la moitié de sa vingtaine, esquiva de justesse le coup qu’on s’apprêtait à lui porter, et riposta avec force, envoyant son ennemi douloureusement rouler dans l’herbe. Celui-ci gémit de douleur lorsque sa tête heurta un rocher, mais ne se releva pas, manifestement inconscient, comme quatre autres de ses acolytes. Son opposante retint un sourire, satisfaite : un autre pilleur de trésor en moins menacerait la sécurité de la ville et de ses environs, ce soir.

Elle se retourna, pour assister au dénouement de la bataille. Il restait un dernier voleur, après tout.

Effectivement, plus loin, une jeune fille pas encore majeure tenait tête à un homme qui ne devait guère avoir plus de dix-huit ans, lui non plus. Ses yeux roses le fixaient avec intensité ; deux macarons pointus ressemblant à des oreilles de chat émergeaient de part et d’autre de sa tête. Un ruban entourait l’un d’eux, et une broche dorée représentant une fleur à cinq pétales ornait le second. La coiffure se terminait par deux longues couettes fines mais fournies qui descendaient jusqu’en bas de son dos en temps normal, mais virevoltaient actuellement au gré du vent.

Quant à sa tenue, elle se constituait d’une robe mi-longue composée de plusieurs couches. Une partie rose pâle recouvrait son buste, une autre violette foncée entourait généreusement sa taille, et en-dessous se distinguaient deux autres jupons, l’un lavande et l’autre blanc. Des collants noirs brodés d’or au niveau de la cuisse gauche recouvraient l’intégralité de ses jambes, et des bottines sombres ouvertes protégeaient ses pieds. Pour compléter le tout, des brassières de couleur myosotis décoraient ses bras et des gants préservaient chacun de ses doigts. Des boucles d’oreilles vertes scintillaient à ses lobes, et un collier enveloppait délicatement son cou.

–       Tu peux te rendre, proposa-t-elle d’une voix non dénuée de douceur. Personne ici n’a l’intention de te faire le moindre mal.

Seul un rire méprisant lui parvint pour toute réponse. Le voleur, dont un masque en tissu clair recouvrant son nez et sa bouche dissimulait une partie de son visage, secoua quelque peu la tête d’un air amusé. Il haussa même légèrement les épaules au passage.

–       De belles paroles, ma foi. Mais il est un peu trop tard pour ça.

Il marqua une brève pause, avant de reprendre :

–       Je n’ai l’intention de ne laisser personne me dire ce que je dois faire. Si tu persistes à me barrer le chemin… Je m’occuperais de ton cas, qui que tu sois.

En entendant ces mots, elle frissonna. Une petite voix lui soufflait qu’il n’avait pas prononcé cette phrase au hasard. Pourtant, il ne s’agissait que d’un Pilleur de trésor comme il en existait tant, à Liyue. D’habitude, elle ne s’occupait même pas de ce genre de souci mineur, sauf cas exceptionnel. Les Millelithes, avec leur formation militaire stricte, savaient parfaitement bien protéger la ville et ses environs. Certes, ils manquaient un peu de main d’œuvre, depuis la disparition du Souverain de la Roche, mais rien d’insurmontable. Elle-même se trouvait simplement là suite à l’insistance de Ningguang, qui, étrangement, avait souhaité régler elle-même le problème, lorsqu’on lui en avait fait part, à la sortie d’une réunion spéciale avec les dirigeants de la guilde des marchands et ceux de la guilde des aventuriers.

–        Montre-moi donc ce que tu sais faire, l’Alioth.

La délicate main gantée de la jeune fille se crispa sur la poignée de l’épée à une main qu’elle tenait entre ses doigts depuis le début de la confrontation, quelques minutes plus tôt. Infusée d’une énergie électrique à la puissance incomparable, la lame crépita aussi furieusement que violemment ; de petits éclairs violets incontrôlables en émanaient sans interruption.

Puis, tous les deux s’élancèrent vers l’autre dans un même mouvement.

Le bruit du métal s’entrechoquant résonna, créant une puissante onde de choc qui coucha l’herbe aux alentours et effraya les potentiels animaux qui vagabondaient dans le coin. Pendant plusieurs longues minutes s’engagea entre eux un combat sans temps mort, dont on n’aurait su déterminer le potentiel vainqueur. Les coups d’épées se mêlaient à des arcs électriques d’un mauve profond, et suivre les mouvements des deux opposants devint rapidement, si ce n’était déjà le cas, impossible à suivre pour un œil non averti.

Jusqu’à ce que la pointe de lame de la jeune femme appuya contre la gorge de son adversaire, prête à la trancher d’un simple mouvement bien effectué.

–       Bien joué. Je n’en attendais pas moins de l’une des Sept Étoiles.

Leurs souffles respectifs, rendus courts suite à leur bataille, se mêlèrent. Comme lui ne comptait manifestement rien ajouter d’autre, elle se décida à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres, tout en maintenant la pression de sa longue épée contre le cou du jeune homme, qui laissa tomber sa dague à terre.

–       Est-ce que… tu me connais ?

–       Tu me déçois, Keqing. Je pensais que je t’avais plus marquée que ça.

Bien que déstabilisée, l’adolescente tenta de ne rien laisser paraître. Elle ne le pouvait pas, même si depuis le commencement de cette confrontation, une sensation étrange l’oppressait. Ce qu’elle venait d’entendre, même si elle s’en était douté, ne la rassurait pas.

À ce moment précis, la proximité entre eux eut pour conséquence que le parfum du jeune homme arriva jusqu’à son nez à elle. Un arôme délicat, à la fois boisé et fruité, mélange d’agrume et d’herbes épicées. Une senteur aussi rare que familière. Dès qu’elle l’inspira, ses yeux s’écarquillèrent et commencèrent à briller.

–       C’est toi… Aiguo ?

En une fraction de seconde, voilà qu’elle remontait des années en arrière.


*


Le Gouffre, comme tout le monde l’appelait, était parfaitement comme ce qu’elle s’était imaginé.

Après avoir suivi un chemin composé de petits cailloux et de grosses planches en bois, avoir descendu plusieurs fois des escaliers sans fin, et suivi des rails pas en très bon état, Keqing remarquait enfin à quel point l’endroit était grand, avec plein de gros rochers, en plus ; si l’on ne faisait pas attention, on pouvait se blesser ou tomber et se faire très, très mal. Mais son papa et sa maman lui avait dit qu’il y avait beaucoup de gens qui travaillaient ici. Elle était contente de pouvoir venir ici. Cela faisait partie de ses res-pon-sa-bi-li-tés, en tant que future étoile de Liyue. Pour autant, ses parents n’avaient pas eu l’air plus content que ça qu’elle vienne ici.

–       C’est grand, hein ? Mon papa, il travaille ici. C’est un super mineur !

Elle se retourna. Son ami la regardait, les mains sur les hanches, avec un grand sourire. C’était grâce à lui qu’elle était là aujourd’hui. Le papa d’Aiguo travaillait tous les jours ici. Il ramassait des pierres qu’on appelait « minerais », et elles servaient ensuite à fabriquer des armes super cools. Il passait ses journées à mettre les cailloux dans un chariot pour le remonter ensuite, ce devait être un travail sympa. Et puis, le coin était joli.

Hochant la tête, elle commença à courir joyeusement dans l’herbe. Elle aimait bien ce gros précipice. Il y avait même une caisse avec des pierres dedans, et certaines d’elles étaient plus jolies que les autres parce qu’elles brillaient, au soleil. Elle avait bien envie de jouer avec.

–       Il est vraiment génial, ton papa ! s’exclama-t-elle en tournoyant sur elle-même. Tu crois qu’on pourra revenir encore plein de fois ici ?

–       Bah, bien sûr ! On est amis, après tout !

Le sourire qu’il lui afficha dévoila toutes ses dents, et Keqing rigola. Aiguo était chouette et gentil, elle était super contente de l’avoir rencontré.  Ça aurait pu ne jamais arriver : sa famille à lui vivait loin de la capitale, Liyue, dans le village de Quinqce, au nord. Il fallait une longue journée et demie de marche pour aller d’une ville à l’autre, les parents de la fillette lui avaient dit. Elle, elle n’y était jamais allé, parce qu’elle travaillait beaucoup. On lui répétait tout le temps que beaucoup de gens comptaient sur elle, parce qu’un jour, elle succèderait à son père en tant que l’une des Sept Étoiles. De ce qu’elle avait compris, c’étaient les sept personnes les plus influentes de Liyue qui appartenaient à ce groupe, et ils avaient des liens très forts avec le Souverain de la Roche.

Elle fit la moue. Elle ne croyait pas trop en l’Archon Géo. Tout le monde dans cette nation ne jurait que par lui, et on attendait chaque année de savoir les politiques qu’il avait prévues pour la ville, mais elle, elle ne voulait pas vraiment attendre après lui pour vivre sa vie. Elle se moquait bien de toute ces histoires autour des yeux divins, ces drôles d’objets ronds en verre confiés à certains par les dieux, et capables de permettre d’utiliser le pouvoir des éléments. Elle, elle n’en avait pas, et elle était très contente comme ça. Tout ce qu’elle accomplirait, elle l’accomplirait elle-même, par ses propres moyens, et puis voilà.

Mais pour l’instant, elle préférait profiter de la journée.

–       On joue à chat ? demanda-t-elle ! C’est toi le chat !

–       Eh, pas si vite ! Attends, je vais t’attraper.

Le jeu commença entre eux. Elle s’entendait bien Aiguo aussi pour ça : il ne la considérait pas comme quelqu’un d’important. Chaque fois qu’elle sortait avec ses parents, pour aller en ville, par exemple, une ou plusieurs des personnes qu’ils croisaient s’arrêtaient et s’inclinaient à leur passage, juste parce qu’ils étaient un peu plus importants que les autres. Elle n’aimait pas trop ça. Même les autres enfants la renvoyaient à son statut particulier.

Sauf son meilleur copain. Il se fichait bien de ça, dans le fond, même s’il savait l’importance de sa position.

Elle finit par se retrouver dans l’herbe, sèche et chaude qui sentait bon, son ami penché au-dessus d’elle, et ils rigolèrent aux éclats. Il se laissa tomber près d’elle, et ils regardèrent défiler les nuages au-dessus de leur tête.

–       Dis… Tu sais déjà ce que tu voudras faire, quand tu seras grand ? demanda-t-elle en laissant ses petites mains reposer sur sa poitrine.

Elle ne se rendait compte que maintenant qu’elle ne lui avait jamais posé la question. Et sur ce point-là, elle était jalouse : il pouvait être tout ce qu’il voulait, quand elle n’avait même pas le droit de choisir, c’était vraiment trop injuste. Pourquoi est-ce que son papa et sa maman l’obligeaient à tellement de choses alors qu’il y avait sa petite sœur qui remplirait tout aussi bien le rôle lorsqu’elle serait plus grande ? D’ailleurs, en ce moment, il y en avait beaucoup voire toujours pour elle ; dès qu’elle pleurait, dès qu’elle bougeait, même, on accourait vers elle alors que son aînée devait se conduire « comme une grande fille ». Comme si elle n’en était pas déjà une !

Un soupir s’échappa de ses lèvres. Au fond, c’était peut-être mieux qu’elle fût la prochaine Étoile plutôt que sa sœur. Au moins, celle-ci aurait sans doute plein de temps pour s’amuser, même si ça voulait dire qu’en tant que la plus grande, Keqing serait toute seule pour assumer.

–       Ouais, je veux devenir un membre des Millelithes !

La réponse la fit sursauter et elle tourna la tête vers lui, étonnée. Elle avait toujours cru qu’il deviendrait mineur, comme son papa avant lui.

–       C’est très compliqué de devenir un vrai garde, tu sais. Pourquoi tu voudrais devenir un soldat ?

–       Ben, c’est pourtant évident, non ? Comme ça, je pourrai te protéger quand tu remplaceras ton père à la position d’Alioth !

Ils se redressèrent d’un même mouvement.

–       Tu… Tu veux dire, commença la fillette, que tu veux vraiment rester avec moi ? Tu n’as pas envie d’aller… voir ailleurs ?

–       Bien sûr que non ! J’adore Liyue. Et puis, je veux veiller sur toi pour être sûr qu’il ne t’arrive rien. Je te promets que je serai toujours là pour toi.

Pour ponctuer ces paroles, il lui tendit la main, le sourire aux lèvres. Un vent léger balaya sa tignasse blond délavé.

Émue, elle posa une main sur sa bouche, et avant que les larmes ne brouillent complètement sa vue, elle se jeta sur lui et le serra de toutes ses forces, peut-être même un tout petit peu trop. D’ailleurs, il parut surpris de son geste, et elle crut qu’elle lui avait fait mal, mais lorsqu’elle l’entendit rigoler, cela la rassura, et elle se mit à rire, elle aussi. Si ce que lui avait dit son copain était vrai, alors, pour la toute première fois de sa vie, elle avait vraiment hâte de devenir l’une des Sept Étoiles.

–       Alors ? On s’éclate bien ?

D’un geste vif, elle s’écarta de son ami. À quelques mètres d’eux, les mains sur les hanches, un adulte qui approchait la quarantaine les observait d’un air malicieux. Des pattes d’oie cornaient le coin de ses yeux et il était habillé de manière assez simple, pour un mineur, elle aurait même pu croire qu’il n’en était pas un. Il avait la même tignasse ébouriffée que son fils, ce qui la fit sourire intérieurement.

Excité, Aiguo se releva sans attendre et courut rejoindre joyeusement son père – Jie Yong, si elle se souvenait bien – en agitant les bras. Keqing ne traîna pas non plus et se remit debout tout en époussetant avec beaucoup de soin sa jolie robe violette. L’herbe se froissa sous ses pieds tandis qu’elle avançait, un bruit qu’elle aimait bien.

–       Votre Éminence, la salua le mineur, j’espère que vous vous plaisez ici. Que pensez-vous du Gouffre ?

–       Oh oui, je m’amuse beaucoup ! Cet endroit est extraordinaire – elle marqua une pause et regarda autour d’elle –, et vous faites un travail incroya–

Les mots moururent dans sa gorge lorsqu’elle reposa son attention sur le père de son ami.

Derrière lui, se tenait un monstre. Un Brutoviandu, énorme.

Jamais elle n’en avait vu, auparavant, à part dans les livres. Jusqu’à maintenant, elle n’avait jamais quitté la ville de Liyue, surtout à cause de ses parents. Il y a avait des choses dangereuses dehors, c’était ce qu’ils lui avaient toujours dit, et seuls ceux qui avaient un œil divin pouvaient sortir sans soucis. Ça l’avait toujours un peu ennuyée, parce qu’elle aurait bien aimé voir d’autres paysages que celui de la capitale, mais elle comprenait quand même que si on ne contrôlait pas au moins un des sept éléments qui existaient dans Teyvat, on pouvait, dans les cas les plus horribles, mourir.

Or, elle n’avait pas encore ce genre de magie, alors qu’elle en aurait eu très besoin tout de suite. Car ce corps noir, plein de poils autour du cou, avec des griffes blanches pointues au bout des pieds, et un masque couleur craie avec de la peinture dessus, et au-dessus duquel dépassaient deux grosses cornes rouges courbées vers le haut, tout ça, elle était sûre et certaine que c’était un Brutoviandu.

La peur la saisit tant qu’elle n’arriva pas à crier. En face d’elle, la créature poussait des hurlements bestiaux tout en agitant le bouclier de pierre aussi grand que lui qu’il tenait dans sa main gauche – et il s’apprêtait à les charger.

Devant son air paniqué, Aiguo et son père se retournèrent, remarquant à leur tour le danger – elle entendit même le plus âgé des deux jurer par les sept Archons, avant qu’il n’essaye d’appeler les Millelithes. C’était vrai, elle avait failli oublier que des gardes patrouillaient un peu plus haut ; ses parents n’auraient jamais voulu qu’elle vienne ici sans surveillance. Pourvu qu’ils arrivent vite !

La panique la gagnait un peu plus à chaque instant, et même si elle regardait droit devant elle ce qui se passait, elle avait du mal à tout suivre. Ça s’agitait, ça hurlait, ça criait, et tout devenait confus, autour d’elle. Instinctivement, son cœur battant vraiment très fort, elle recula d’un pas, puis d’un autre, puis encore d’un autre, à chaque fois plus rapidement.

Jusqu’à ce que le monstre fonce vers elle, qu’elle fasse un nouveau pas en arrière.

Et ne sente plus rien sous ses pieds.

Juste à temps elle se rattrapa au bord pierreux du précipice. En dessous d’elle, un vide immense, qui avait l’air d’être sans fin.

Alors, c’était comme ça ? Elle allait mourir ici ?

Ses parents n’allaient pas être très contents. Dire qu’elle avait été toute ravie de venir ici…

–       Dame Keqing ! Attrapez ma main !

Ces mots lui firent dresser la tête. Le papa de son copain, penché au bord de la falaise, avait le bras tendu dans sa direction. Il paraissait si proche, et en même temps incroyablement loin, et elle eut beaucoup, beaucoup de mal à attraper son poignet. Par quelle chance elle y arriva, elle-même ne le sut pas, mais une fois à l’abri sur le promontoire de pierre, elle se promit de prier tous les jours le Souverain de la Roche, même si elle ne l’aimait pas trop, parce que quand même, elle avait le sentiment que tout cela aurait pu très mal finir.

–       Tout va bien ? demanda Jie Yong en l’aidant à se relever. Vous nous avez fait une belle frayeur, Éminence.

–       Je…  Je vais bien. Il… Il est où est Aiguo ?

–       Juste là. Je propose que nous quittions la Mâchoire du Gouffre. Ce n’est pas prudent, par ici.

Pour toute réponse, elle hocha la tête et courut vers son ami sans se retourner. Elle n’aurait jamais cru qu’il puisse y avoir des monstres, dans le coin, la garde était bien montée, en général, mais il y avait des exceptions pour tout, visiblement. Heureusement qu’il n’y avait plus de danger, et…

Son rythme ralentit, elle se stoppa à deux pas du garçon.

Elle était où, la créature qui les avait attaqués ?

–       S’il vous plaît, mademoiselle, une fois de retour en ville, laissez-moi vous inviter au restaurant Wanmin pour oublier cet incident. La fille du chef, Xiangling, a votre âge, je suis sûre que vous vous entendri–

Puis, un cri rauque.

En quelques secondes, la main – ou plutôt la patte – du Brutoviandu, accroché à la roche après avoir failli tomber dans le vide comme Keqing, avait agrippé la cheville de l’adulte, avant de finalement ne plus tenir et disparaître au fond du gouffre.

Les deux enfants ouvrirent de grands yeux effrayés en remarquant la scène qui se déroulait sous leurs yeux.

–       Papa !

–       Monsieur Jie Yong !

En jouant des coudes, l’adulte essaya de remonter comme il le pouvait sur la plateforme, mais, ils le savaient tous, il n’y arriverait pas, même avec tous les efforts possibles. Et pourtant, il interdit aux deux jeunes prêts à l’aider comme ils le pouvaient de s’approcher de lui, pour éviter qu’ils ne tombent eux aussi.

–       Hé, on dirait qu’il a réussi à m’avoir finalement.

Le mineur marqua une pause, avant de reprendre.

–       Je ne tiendrai pas très longtemps… Aiguo, mon petit, je t’aime. Prends bien soin de Dame Keqing, tu veux ? Que l’Archon Géo vous bénisse.

Ce furent ses derniers mots. Ensuite, il lâcha prise et chuta dans l’abîme. Et le silence suivit juste après, rapidement brisé par un cri.

–       Monsieur Jie Yong !!!

En pleurs, la fillette voulut se lever, se précipiter vers lui pour essayer de le sauver, mais pour une raison qu’elle ne comprenait pas, elle n’arrivait pas à bouger – et puis, le sauver de quoi, au juste ? C’était fini, il ne reviendrait plus– non, elle ne pouvait pas penser une telle chose, il existait forcément une solution pour le ramener, pas vrai ?

Elle ne réalisa qu’après que c’étaient les bras d’Aiguo qui l’empêchait de se rendre au bord du ravin, tandis qu’elle hurlait et répétait en boucle le prénom de celui qui l’avait sauvé. Elle se demanda aussi, pourquoi son ami ne voulait pas essayer d’aller aider son père, et elle se sentit soudain en colère contre lui.

Du moins, jusqu’à ce qu’elle réalise que lui aussi il pleurait, et alors, son énervement se dissipa, elle se laissa complètement aller dans ses bras, jusqu’à s’endormir.

La dernière chose dont elle se souvint, ce fut cet arôme délicat, à la fois boisé et fruité, mélange d’agrume et d’herbes épicées, qu’elle respirait dans le creux du cou du garçon.


*


–       Ça faisait longtemps que l’on ne m’avait plus appelé comme ça. D’ailleurs, je ne veux plus qu’on m’appelle comme ça. J’ai abandonné ce nom il y a bien longtemps.

L’adolescente retira son épée de la gorge du jeune homme, bouleversée. Il en profita pour abaisser sa coule.

Jamais elle n’aurait simplement imaginé, même dans ses rêves les plus fous, le revoir ici, ce soir, en de telles circonstances. Pourtant, ces yeux bleus si familiers, elle aurait pu– les reconnaître.

La mère d’Aiguo était morte en couche. Après l’accident du Gouffre, il n’était plus jamais revenu dans la capitale et avait disparu sans laisser de traces. Ses grands-parents étaient soient décédés, soit trop pauvres pour s’occuper de lui – le village de Qingce n’était pas connu pour sa richesse – et il ne possédait ni oncle, ni tante, alors l’éclair violet de Liyue s’était toujours demandé où il avait pu passer. Elle avait même fini par croire qu’il était décédé. Le retrouver en chef d’un gang des voleurs était bien la dernière chose à laquelle elle s’était attendue.

–       Je peux savoir ce que tout cela signifie ? Je pensais que tu n’étais plus de ce monde, et voilà que tu réapparais des années après…

–       J’ai changé, Keqing. Et ne t’inquiète pas, je n’ai pas l’intention de rester. Je m’en vais bientôt.

Elle se mordit la lèvre, blessée. Ils venaient de se retrouver, et il allait se volatiliser dans la nature ? Sans aucune forme de procès ? Même si techniquement, il était un ennemi de leur territoire, elle souhaitait au moins des explications, il s’agissait d’un minimum.

–       J’aimerais que l’on parle.

–       Toujours aussi directe, hein ? demanda-t-il avec un petit sourire narquois.

–       Keqing ? Tout va bien ?

Le duo se tourna vers l’origine de la voix. Dans une démarche légère, ses longs cheveux blancs ondulant à chacun de ses mouvements, Ningguang observait sa partenaire avec une inquiétude dans ses traits décelable uniquement par ceux qui la connaissaient bien, et l’Archon Géo savait que l’Alioth avait souvent l’occasion de la côtoyer, puisqu’elle aussi appartenait aux Sept Étoiles, ce groupe de personnes parmi les plus riches et les plus influentes de la ville de Liyue et même au-delà.

L’intéressée secoua légèrement la tête. Cette affaire ne concernait qu’elle et son… ancien ami, si elle pouvait encore l’appeler ainsi.

En tout cas, la Megrez comprit d’emblée le message, et lui indiqua qu’elle se trouverait au pavillon Yuhe en cas de problème. Visiblement, elle ramènerait également avec elle les complices d’Aiguo pour qu’ils soient jugés pour leurs crimes. Quant au chef de la bande… elle laissait le soin à sa collègue de gérer son cas, ce dont celle-ci lui était infiniment reconnaissante, du reste.

–       Je constate que tu as toujours la broche que je t’ai offerte, constata Aiguo en désignant l’objet d’un signe de tête. Si tu fais du sentimentalisme, j’imagine que tu ne vas pas m’éliminer?

–       Si tu as pu penser une seule seconde que je voulais te faire du mal, c’est que tu ne connais pas. Et j’ai d’autres priorités, en ce moment.

Le rictus incroyablement méprisant qu’il lui adressa en retour la déstabilisa.

–       Ouais, j’imagine que tu es très occupée depuis que tu remplaces ton père. Mes félicitations, pour ce poste si haut placé.

–       Tu savais depuis le début que je deviendrai l’Alioth. Je ne te l’ai jamais caché, déclara-t-elle d’une voix peinée. C’est toi qui est parti.

–       Et toi, tu es restée. Je me suis toujours demandé pourquoi.

Alors, il n’avait pas réalisé, hein ?

Elle ôta la broche qui retenait son macaron gauche et la regarda, nostalgique. Elle ne se rappelait plus s’il y avait eu une occasion particulière pour qu’Aiguo lui offre ce bijou – ça avait dû être pour son anniversaire, sûrement –, mais même des années plus tard, cette broche lui servait pour incroyablement de chose : comme une arme, ou bien pour pêcher, pour descendre en rappel, ou encore la prévenir de la présence d’éventuels ennemis. Et plus elle vieillissait, plus son charme augmentait, du moins c’était ce que sa propriétaire pensait.

Agrafant rapidement le bijou à son corsage, elle dénoua le ruban mauve orné d’une perle bleue qui retenait le macaron droit en place, et cette fois-ci ses longs cheveux purent complètement s’agiter au gré de la douce brise qui soufflait. Nouant le morceau de tissu autour de la poignée de son épée, elle avança de quelques pas en direction de son interlocuteur, et planta la lame à la verticale dans le sol, une preuve tacite entre eux qu’elle n’avait absolument plus l’intention de le combattre. Elle le lui avait clairement signifié, tout à l’heure : elle souhaitait discuter.

–       Tu désires vraiment le savoir ? Alors suis-moi, et tu comprendras.

Il ne répondit rien, et se contenta de la talonner. Ils montèrent pendant une centaine de mètres, l’herbe humide fouettant leurs jambes, jusqu’à arriver au sommet d’un petit plateau.

Liyue, ville des contrats, et son port, s’étendaient devant eux.

Keqing s’assit, laissant le jeune homme reprendre son souffle coupé devant la beauté du paysage. Les lumières illuminaient la capitale, les bateaux mouillaient tranquillement en attendant de partir, les feuilles dorées de quelques arbres voltigeaient dans les airs… Tout cela ne constituait qu’une infime partie du spectacle dont ils pouvaient profiter de là où ils se trouvaient. Ce ne devait pas être le seul point de vue, bien sûr, mais celui-là était assez exceptionnel.

–       C’est pour cela que je suis restée. Liyue compte sur moi pour la protéger, et je ne l’abandonnerai pas.

–       Je crois… Je crois que je commence à comprendre, concéda Aiguo en s’asseyant aux côtés de la jeune fille. C’est pour ça que tu en as eu un ?

Devant son air d’incompréhension, il pointa son cou.

–       L’élément Électro. Si j’avais cru un jour te voir porter un œil divin… Les choses changent, on dirait.

Elle laissa échapper un rire léger.

–       Pour être honnête, je l’ai détesté au début. J’ai essayé tout les moyens pour le détruire, mais ça n’a pas marché, alors j’ai fini par accepter sa présence à mes côtés.

En fait, elle avait même été jusqu’à le laisser dans le feu pendant trois jours et trois nuits. Le fait que l’on ne reconnaisse pas son mérite et tous les efforts qu’elle fournissait simplement parce qu’elle possédait un œil divin la hantait encore aujourd’hui, mais moins qu’autrefois. Elle apprenait à vivre avec ce pouvoir, qui, elle le reconnaissait, lui était d’une grande utilité.

–       Après la mort de mon père, ma famille a été jetée en pâture. Les gens considéraient qu’il aurait dû mieux te surveiller parce que tu étais l’une des futures Étoiles de Liyue. Je n’ai pas supporté tout ce dénigrement, alors je suis parti, même si on m’appelle toujours le « Gamin de Qingce », ici. Et maintenant que le Souverain de la Roche est mort…

Aiguo inspira profondément, marquant une pause dans son long monologue, avant de reprendre :

–       Je compte quitter ce pays. Je ne peux pas rester ici, de toute façon.

–       Tu n’es pas obligé.

Elle sentit son regard incrédule se poser sur elle.

–       Pardon ?

–       Tu n’es pas obligé. Tu peux revenir vivre ici, à Liyue. Il est sûrement possible de s’arranger pour que tu reprennes une vie normale, et–

–       Tu sais très bien que c’est impossible, Keqing. Nous ne sommes pas du même monde.

Il se releva tranquillement, et elle le sentit presque désolée. Son corps se tendit, elle resserra plus fort ses bras autour de ses genoux.

–       Ce n’est pas ce que tu voudrais ? Repartir de zéro et tout recommencer comme avant ?

–       Non, ça c’est ce que toi tu veux. Je dois te laisser maintenant.

Tout doucement, il s’approcha d’elle et s’accroupit, pour être à sa hauteur. Ses lèvres effleurèrent délicatement la peau de sa joue, sur laquelle il déposa un doux baiser.

–       Adieu, Keqing. Et merci encore pour tout.

Sa gorge nouée l’empêcha de formuler la moindre réponse. Il se redressa, s’éloigna, et rapidement, elle n’entendit plus le bruit de ses pas dans l’herbe. Où allait-il aller, maintenant ? Refaire sa vie ailleurs ? Ou bien lui avait-il menti et resterait-il dans le coin ? Elle l’ignorait, mais toutes ces questions l’obsédaient tandis qu’elle regardait devant elle – que le paysage était beau ! Mais de l’eau salée brouillait sa vue.

Lorsque les premières lueurs de l’aube arrivèrent, les rayons du soleil levant créèrent des reflets irisés sur les larmes qui continuaient de couler sur les pommettes de l’adolescente.


Laisser un commentaire ?