Histoires entre vivants et esprits

Chapitre 2 : Rencontre d'un autre chuchoteur d'esprits

7374 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/10/2023 21:34




« Multiple est le mensonge, unique est la vérité » (sagesse berbère)




Rappel sur la situation des trois chuchoteurs d'esprits en novembre 1999.


Melinda Irène Gordon-Clancy, vingt ans, est mariée depuis deux mois à Jim Clancy, vingt-quatre ans. Ils vivent ensemble dans un appartement; elle travaille comme caissière dans la boutique d'antiquités de sa mère, lui comme ambulancier rattaché à l'Hôpital Mercy, où il salue son frère Daniel (vingt-cinq ans) et son père Francis (54 ans, qui travaille encore comme technicien). Melinda Irène et Jim souhaitent avoir des enfants, sauf que la jeune femme n'est pas encore enceinte. Bien sûr, elle travaille avec Andrea Marino (29 ans), qui est encore célibataire. Depuis son mariage, Melinda Irène décide de ne plus parler avec ses parents, se sentant comme un enfant rejeté. Mais son père, Thomas Gordon, 69 ans, est encore en fonction et aide son collègue Oswald Neely (cinquante ans) à retrouver Radoslav et Carl Neely. C'est pourquoi les deux juges obtiennent la collaboration très précieuse d'espions, des professeurs Payne (les trois frères), du recteur Joshua Bedford (cinquante-trois ans) et de quelques habitants de Grandview pour les repérer. Elizabeth, à 38 ans, est bien occupée entre la gestion de sa boutique et de la maisonnée – le couple vit dans une maison unifamiliale à Grandview.


Paul Eastman, 49 ans, exerce avec le même sérieux son travail de policier à Grandview, en plus de régler les dernières énigmes des âmes errantes avec l'aide de Melinda Irène Gordon et de Carl Neely – qu'il appelle affectueusement « mes enfants ». Avec l'âge, il n'est que plus prudent et moins naïf, autant envers les vivants que les esprits. Par ailleurs, il est bien conseillé par son esprit protecteur. Sa femme, Sara, à 42 ans, est une pieuse femme au foyer active. Rendus à vingt-et-un ans de vie commune, le couple est complice lorsque Paul lui confie ses réflexions rattachées aux enquêtes des vivants et des esprits. Ils vivent dans une petite maison unifamiliale avec une cour arrière bien entretenue. Leurs enfants, Myriam (dix-neuf ans) et Samuel (dix-huit ans) vivent encore avec leurs parents, n'ayant pas trouvé leur partenaire.


Carl Neely, vingt-six ans, marié depuis six ans à Hana Nasan-Neely (trente-deux ans). Ils sont les parents de trois adorables enfants, à savoir Maria (cinq ans), Sara (quatre ans) et Samuel (trois ans). La petite famille vit dans un grand appartement. Son frère aîné, Radoslav, vit seul dans un petit appartement voisin au sien. Il est encore célibataire, mais le poète est patient pour trouver une épouse ; il continue à aider Carl avec ses poèmes lorsqu'il comprend qu'ils le concernent.






Par une journée de novembre 1999, Grandview, 7h50.


Melinda Irène Gordon, bien emmitouflée dans son manteau d'hiver, se rend jusqu'au marché de Grandview pour y faire des commissions. Chemin faisant, elle remarque dans une rue perpendiculaire, un peu en retrait, un homme vers la trentaine, aux cheveux et yeux noirs, une barbe de quelques jours, vêtu d'un manteau d'hiver bleu marin, en conversation avec... une âme errante. Celle-ci est un homme d'âge mûr ayant visiblement connu un mort violente, étant donné la tache de sang à la hauteur de sa poitrine. Voici la conversation dont elle est le témoin.

Gabriel : – Monsieur, quel est votre nom ?

L'esprit : – Andreas Nickau.

– Que faites-vous ici ?

– Je ne sais pas où aller...

– J'ai un endroit à vous proposer.

– Lequel ?

Et Gabriel sourit énigmatiquement; il a remarqué du coin de l'œil Melinda Irène Gordon-Clancy. Il ajoute : – Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails. À tout à l'heure !

– À tout à l'heure, Monsieur...

– Gabriel Lawrence.

– D'accord !

Et l'esprit disparaît de sa vue. Gabriel poursuit sa route; Melinda Irène aussi. Elle feint de n'avoir rien vu. Mais elle est intriguée par ce mystérieux passeur d'âmes. Elle pense : « Voilà un ami de plus ! Mais est-ce que ses intentions sont vraiment les mêmes que les miennes ? Pour être certaine, je demanderai à mon père Paul de faire une enquête sur lui. » Contente de son idée, la jeune femme se rend au marché. Et elle revient chez elle après les commissions. Devant la porte de l'appartement, Cassandre Haziza apparaît devant Melinda Irène, la faisant sursauter. L'esprit dit : « Demandez immédiatement l'enquête ! Mais dans tous les cas, étant donné sa réaction, Monsieur Lawrence semble vous connaître... » Puis il disparaît, sans que la passeuse d'âmes puisse ajouter un mot. La jeune femme ouvre la porte de l'appartement et la referme derrière elle, perplexe des propos de sa protectrice. Elle téléphone au bureau de Paul Eastman : elle tombe sur sa boîte vocale. Melinda Irène soupire. Mais elle y laisse un message : « Bonjour, Monsieur Paul Eastman, c'est Irène Gordon-Clancy. Je vous appelle pour savoir si vous êtes intéressé à mener une enquête. Si oui, rappelez-moi au 613 457 4344. Merci et bonne journée à vous ! »


Le policier ne la rappelle que trente minutes plus tard, le temps de prendre son appel. Il est content que sa fille spirituelle l'appelle. Il dit : – Bonjour, Madame Irène Gordon-Clancy. C'est le détective Paul Eastman à l'appareil. J'ai reçu votre message. Quelle est cette enquête ? Pouvez-vous venir à mon bureau maintenant pour en parler ?

– Oui, bien sûr, Monsieur Eastman. J'arrive dans quinze minutes.

Et les deux interlocuteurs raccrochent leur téléphone respectif.


Quinze minutes plus tard, la jeune femme se rend au bureau du policier. Elle est accompagnée, comme toujours, de Cassandre Haziza. Paul Eastman les invite toutes les deux à s'asseoir sur des chaises en face de lui; voilà Melinda Irène Gordon-Clancy assise sur la chaise à la droite de Cassandre Haziza.

Le policier dit : – Alors, Madame Gordon-Clancy, quelle enquête voulez-vous me soumettre ?

La jeune femme répond : – Une enquête sur un certain Gabriel Lawrence. Il semblerait qu'il peut communiquer avec les âmes errantes. De plus, selon les propos de Mademoiselle Cassandre Haziza, il semble me connaître. Je ne sais pas comment... Et c'est pourquoi je vous soumets une enquête sur lui.

Cassandre Haziza hoche discrètement de la tête pour approuver les propos de sa protégée.

Paul Eastman s'exclame : – C'est noté ! Et bien, je commencerais dès que possible, avec Carl. Merci à vous, ma fille, et passez une bonne journée avec votre époux !

– Merci à vous, mon père !

Et Melinda Irène Gordon-Clancy se lève de sa chaise; Cassandre Haziza disparaît de la vue des passeurs d'âmes. Paul Eastman lui ouvre la porte, elle sort puis revient chez elle.


Le soir, la jeune passeuse d'âmes prépare son souper, fait la vaisselle puis s'endort dans son lit; Jim ne la rejoindra qu'à 22h30. Le jeune ambulancier revient effectivement de sa journée de travail. Il s'endort aux côtés de sa femme, en l'enlaçant. La nuit est tranquille pour le jeune couple.



Le lendemain matin, Melinda Irène réveille son époux en lui caressant les avant-bras qui l'enlaçaient. Ce contact le réveille immédiatement. Jim lui sourit et murmure des mots doux à l'oreille. Puis, en voyant l'heure sur le réveil, ils se lèvent pour prendre leur petit-déjeuner. Après, la jeune femme lui explique les événements de la veille; il est d'accord avec l'enquête soumise aux deux policiers. Tout à coup, un esprit se manifeste dans la cuisine, près de la table où se trouve le couple : Lorenzo Romano. La passeuse d'âmes sursaute à sa vue, ayant reconnu son ennemi juré. Elle fait un signe discret à l'ambulancier, qui comprend qu'un esprit est présent. Le méchant esprit a un sourire ironique sur les lèvres. Il dit avec un air de défi : « On verra qui rira le dernier, Melinda ! » Il éclate d'un rire diabolique puis disparaît de sa vue. La jeune femme rapporte en russe les propos du sombre esprit à son époux. Jim commente dans la même langue : « Ma chère Irène, cet esprit (que le Diable l'emporte) nous menace directement. Quelle arrogance ! »

– Je suis tout à fait d'accord avec toi... Mais comment comprendre cette menace ?

– Demeurons confiants et que Dieu, ses Anges et ses Saints nous protègent des bas coups des sombres esprits de l'Enfer !

– Tu as raison !


Rassurée, Melinda Irène s'assied sur les genoux de son époux, qui l'enlace tendrement. Il sort son icône portative de Sava de Serbie de la poche droite de son pantalon pour adresser une courte prière au Saint. Puis, il la remet à sa place.

Après quelques minutes de silence, Jim lâche Melinda Irène, qui se lève aussitôt.

En voyant l'heure qu'il est, elle dit : – Mon amour, nous devons nous occuper de midi, car les varenikis ne se feront pas par eux-mêmes !

– Oui, bien sûr, ma chérie !

Ils rient de leur blague puis s'affairent dans la cuisine.



Après le repas du midi, le jeune couple s'embrasse et chacun part à son lieu de travail; Jim Clancy à l'Hôpital Mercy, Melinda Irène Gordon-Clancy à la boutique d'antiquités The Same it was ever. L'ambulancier salue ses collègues, parmi lesquels se trouvent Bobby Tooch (30 ans), Tim Flaherty (40 ans) et Bahman Mīzrā (29 ans). Le premier est originaire d'Ottawa, où il a terminé sa formation; le second est originaire de la Colombie-Britannique; le troisième est un Iranien immigré au Canada depuis neuf ans. Jim s'entend bien avec ces trois collègues. Dans la boutique d'antiquités, Melinda Irène salue Andrea qui est à la caisse et qui l'attendait avec impatience, car elle fait le quart du matin cette semaine. La jeune passeuse d'âmes prend la relève de la caisse. Comme il n'y a pas encore de clients qui se sont pointés à la porte, elle regarde un peu les objets sur les étagères et les différents meubles dans la boutique. Elle remarque une âme, mais une âme qui est visiblement encore rattachée à un corps : celle de Thomas Gordon. Le sang de la jeune femme se glace dans ses veines lorsque son regard rencontre celui de son père. Ce dernier sourit et dit d'un ton sévère : « Melinda ! Euh, désolé... Irène ! Ceci est une visite préventive ! Dis à tes policiers d'arrêter leur enquête s'ils ne veulent pas mourir, ou voir l'un de leurs proches mourir ! »

Elle réplique : – Mais père, pourquoi m'avertir ? Sais-tu qui est Gabriel Lawrence ?

– Oui, c'est une longue histoire... Et tu sais bien qu'il n'est pas bon de tout savoir...

– Je le sais ! Mais enfin, père, regagne tout de suite ton corps...

– Ne t'inquiète pas pour moi, Irène. Je sais très bien ce que je fais.

Ainsi parla Thomas Gordon; puis il disparaît de la vue de sa fille. Cette dernière n'est que plus perplexe devant une telle menace. Elle est rassurée de ne plus voir les yeux bleus glacés de son père. La jeune femme pense : « Voyons, comment mon père peut-il connaître Gabriel Lawrence, qui peut être par l'âge son fils ? Dans quelles circonstances se sont-ils rencontrés ? »


La présence de Cassandre Haziza la fait sortir de ses réflexions. L'esprit errant dit : – Que vos amis policiers soient prudents, car ils trament quelque chose contre eux afin qu'ils échouent dans leur enquête sur Gabriel Lawrence.

Melinda Irène, étonnée : – Qui ?

– Vos ennemis parmi les défunts et les vivants. Ne soyez pas si naïve : vous avez plus d'ennemis que ce que vous pouvez l'imaginer. Qu'Adonaï vous protège !

Et l'esprit errant disparaît de sa vue, laissant la passeuse d'âmes que plus inquiète et perplexe. Elle décide de téléphoner depuis la boutique (il y a un téléphone) au bureau de Paul Eastman.




Simultanément au Département de police de Grandview, bureau de Paul Eastman.

Paul Eastman est en discussion avec Carl Neely pour établir un plan d'action pour débuter l'enquête sur Gabriel Lawrence. Le vieux policier est parvenu à obtenir de leur supérieur immédiat, le Fourth class constable (l'Agent de police de 4e classe) James Chisholm, la permission de débuter officiellement cette enquête. Les deux hommes sont assis face à face, chacun en présence de leurs esprits respectifs, à savoir Karl Polluow, David Neely, Milena Vladikin-Neely, Dragomir Vladikin et Maurice Solms, esprits reconnaissables à leurs aspects et odeurs particuliers. Évidemment, chacun des passeurs d'âmes savent l'identité des esprits présents.

Paul prend la parole : – Voici, mon fils, nous avons une enquête de notre amie Irène. Elle concerne un certain Gabriel Lawrence, qui voit et interagit avec les esprits errants. Et bien, voici ce que je propose : nos débuterons par une recherche dans les archives de l'Hôpital Mercy et celles de Grandview et peut-être même d'Ottawa si nécessaire. Ensuite, nous le filerons discrètement. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Carl Neely : – Ceci me convient.

Maurice Solms prend la parole et dit en français : – Par contre, j'ai une objection : Monsieur Neely, n'allez jamais seul dans les archives. Car nous ne sommes pas les seuls esprits qui sont au courant de votre enquête...

En effet, un esprit se manifeste dans le coin supérieur gauche du bureau : simultanément, une odeur de souffre et d'excréments emplie les narine de Carl Neely, qui fait mine de rien, malgré une moue sur son visage pendant une fraction de seconde; Paul Eastman remarque du coin de l'œil Giovani Baldini. Le méchant esprit sourit puis éclate d'un rire démentiel. Il nargue les autres âmes errantes dans la pièce en français avec un fort accent italien : « Vous pensez peut-être que nous ne saurons pas ce que vous faites? Pauvres idiots! Rira qui rira le dernier! »

Karl Polluow s'approche de lui et dit : – Monsieur, n'essayez pas d'effrayer nos protégés! Sinon, vous aurez affaire à nous!

Baldini – Monsieur le militaire pense me faire peur ? J'en ris d'avance ! Vous ne pouvez rien contre moi et mes alliés ! Ah!Ah!Ah!Ah!

Milena Vladikin-Neely intervient : – Allez-vous-en, espèce de fasciste sectateur ! Arrière ! Et loin de mon fils !

Baldini : – Madame pense me faire peur avec ses talons hauts ! C'est une bonne blague !

Offusqué, David Neely réplique : – Ne sous-estimez pas mon épouse !

Paul Eastman et Carl Neely, exaspérés de la dispute entre les esprits, disent à l'unisson : – Pouvez-vous vous taire ! Nous n'avons pas le loisir d'écouter vos disputes enfantines !

Tous les esprits errants demeurent silencieux. Giovani Baldini disparaît de leur vue; son odeur nauséabonde disparaît aussitôt.

Après quelques minutes de silence lourd, Carl Neely dit : – Monsieur Eastman, nous savons que nous sommes surveillés dans nos moindres pas... Ceci n'annonce rien de bon...

Paul Eastman commente : – Je suis d'accord avec vous, mon fils. Il faut simplement redoubler de prudence... Mais, où en étais-je ? Ah! Oui! L'enquête sur Gabriel Lawrence! Je propose que nous débutons maintenant l'enquête, car si les menaces sont sérieuses... Que l'Archange Michel nous vient en aide!

Les esprits errants sourient à ce propos; la piété du vieux policier est vraiment touchante. Les parents de Carl se tiennent par la main, émus.

Deux minutes plus tard, le téléphone sonne : le numéro est celui de la boutique d'antiquités The Same it was ever. Paul répond : – Bonjour, le détective Paul Eastman à l'appareil.

Melinda Irène : – Bonjour, Monsieur Eastman ! C'est Irène Gordon-Clancy.

– Quelle est la raison de votre appel ?

– Je viens de recevoir la visite de... l'âme de mon père, Thomas. Et elle vous menace : soit l'un de vous ou l'un de vos proches mourra. Que Dieu vous protège ! D'ailleurs, Cassandre me confirme que nos ennemis veulent faire échouer votre enquête. Et...

La ligne est coupée. Le policier rappelle au numéro et dit : – Je m'excuse, ma fille, mais la ligne vient de couper. Pouvez-vous répéter la dernière phrase après la mention des propos de Cassandre ?

Melinda Irène : – Oui, bien sûr. Je disais qu'il semblait connaître Gabriel Lawrence. J'ignore comment.

– Merci, ma fille, de l'avertissement ! Figurez-vous que nous avons eu la visite, il y a quelques minutes, de Baldini. C'est pourquoi nous nous montrerons prudents, Carl et moi. Ne vous inquiétez pas, je vous tiens au courant dès que possible. Passez une bonne journée !

– Bonne journée à vous aussi !

Et chacun raccroche le téléphone. Et Paul Eastman résume à son jeune collègue les propos de leur amie. Il hoche de la tête pour simple réponse.


Cinq minutes plus tard, les deux policiers débutent leurs recherches dans les archives de Grandview. Le bibliothécaire, voyant les deux policiers en uniforme sortir de la voiture de fonction stationnée devant la bâtisse, les aborde en ces termes : « Messieurs, qui êtes-vous et quelle est la raison de votre visite ? »

Les deux hommes, pour toute réponse, lui montrent leur carte d'identité et une feuille officielle de leur supérieur immédiat leur autorisant à faire l'enquête sur Gabriel Lawrence. Le bibliothécaire se tient tranquille derrière son comptoir. Après trois heures de fouille, les deux hommes parviennent à mettre la main sur des documents intéressants. Ils en font des photocopies, remercient le bibliothécaire et reviennent au Département de police. Rendus là, un collègue les salue : Arthur Davidson. Il est accompagné de Lorenzo Romano, qui se tient à sa gauche. Paul Eastman et Carl Neely lui rendent son salut et s'excusent de ne pas avoir le temps de parler, car ils ont une enquête en cours. Davidson, penaud, revient à son bureau. Romano apparaît devant la porte du bureau de Paul Eastman au moment où celui-ci voulait ouvrir la porte. Le méchant esprit passe à travers la porte. Maurice Solms et Karl Polluow font un salut militaire aux deux passeurs d'âmes et disent à l'unisson : « N'entrez pas tant que cet sombre esprit ne part pas ! » Et ils passent à leur tour à travers la porte. Romano les voyant arriver, dit d'un air moqueur : « Ainsi, Messieurs, vous pensez me faire peur ? Ah!Ah!Ah!Ah! »

Karl Polluow réplique : – Ne riez pas si tôt !

– Et bien, prouvez-le moi !

Et Maurice Solms et Karl Polluow encadrent Romano. Il regarde en avant, en arrière, mais il ne sourcille pas plus. L'esprit militaire le maîtrise et dit : « Vous déguerpissez immédiatement, ou je fais une démonstration de force ! » Et les deux esprits se concentrent; la lumière qui irradie d'eux aveugle le sombre esprit, qui, recroquevillé sur lui-même, ses bras devant ses yeux, les supplie d'arrêter. Ils arrêtent leur flux de lumière. Et Romano disparaît, déçu. Les deux esprits bienveillants sortent du bureau, ce qui réjouit les deux policiers : ils comprennent que le mauvais esprit est parti. Ils entrent dans le bureau. Et ils formulent leurs conclusions provisoires. Les voici : Gabriel Lawrence est un habitant de Grandview. Il vit dans un modeste appartement (122 rue McGill Avenue, appartement 6), mais il possède une grande maison, sise au 222 rue Sandfort, à Grandview. Statut marital : célibataire. Les deux policiers s'entendent pour fouiller demain les archives de l'Hôpital Mercy.


Le soir, chacun des policiers revient chez soi; le souper l'attend. Carl Neely embrasse chastement Hana; Paul Eastman taquine un peu sa Sara. Par contre, la nuit est très agitée pour eux: Lorenzo Romano, Giovani Baldini et Thomas Gordon viennent en rêve les menacer que l'un de leurs proches ou eux-mêmes mourront s'ils persistent dans leur enquête. Paul, à son réveil, enlace fermement son épouse et pense en russe à l'adresse des esprits : « Que le Diable vous emporte ! » Carl Neely, à son réveil, câline doucement sa femme pour se remettre du cauchemar; ce contact la réveille. Il lui raconte son cauchemar; Hana l'enlace et l'embrasse sur les joues et les lèvres pour le calmer.



Le lendemain, les deux policiers se rendent à l'Hôpital Mercy, où ils fouillent les archives (après s'être signés et après avoir adressés une courte prière à l'Archange Michel), où ils n'ont trouvé qu'un document médical et une photocopie du certificat de naissance de Gabriel Lawrence. Inutile de dire qu'au cours de cette recherche, l'âme de Thomas Gordon vient les déranger en déplaçant des documents, mais il déguerpit rapidement lorsqu'il voit l'esprit militaire qu'est Karl Polluow s'approcher de lui: il ne souhaite point se confronter à lui. Les agents de l'ordre apprennent que Gabriel Lawrence est né le 3 mai 1961 à l'Hôpital Mylord d'Ottawa Ses parents sont Thomas Gordon et Jane Lawrence. À l'Hôpital Mercy, Gabriel a été opéré à l'âge de dix-huit ans à la suite d'une chute quasi mortelle.

« Donc, » dit Paul Eastman, « Gabriel Lawrence est le demi-frère d'Irène. Voilà comment il la connaît ! Et ceci explique aussi l'opposition de Thomas Gordon à notre enquête... C'est clair comme le jour ! »

Carl Neely hoche de la tête pour lui faire savoir son accord.

Le jeune policier commente : – Au moins, un détail de régler ! Il ne manque plus qu'à découvrir son enfance et son rapport avec les âmes errantes.

– Exactement !

Et les esprits errants autour d'eux sont présents, mais silencieux. Les deux policiers se saluent et chacun revient chez soi, content que le quart de travail soit enfin terminé.


Cependant, le soir est très agité pour Carl Neely, qui fait un cauchemar dans lequel il tue froidement sa femme. Le pauvre policier se réveille en sursaut. Il remarque au pied de son lit un esprit dont l'odeur est celle de souffre : Lorenzo Romano. Carl Neely le maudit par la pensée; le sombre esprit éclate d'un rire diabolique et fonce sur lui, lui coupant le souffle, puis, une fois derrière la tête du lit, fixe pendant quelques secondes Carl Neely, un sourire sadique aux lèvres, puis disparaît, aspiré par le souterrain. Le pauvre policier réveille sa femme, qui l'enlace les avant-bras pour le rassurer, comprenant qu'il a eu un mauvais rêve.



Une semaine depuis le début de leur enquête, Carl Neely, un samedi, reçoit un appel téléphonique de son frère. Ce dernier exige de venir immédiatement lui montrer des poèmes qu'il a composé il y a quelques jours. Intrigué, le policier se montre intéressé par les poèmes de Radoslav. Le poète, une fois installé sur un fauteuil au salon (les trois enfants sont dans leur chambre); en face de lui, son frère. Hana sert du thé à la menthe puis se retire discrètement dans la cuisine. Radoslav regarde attentivement son frère. Carl le fixe, suspendu à ses lèvres. Le poète dit d'une voix calme en bulgare : « Frère, il est évident qu'un attentat contre ton épouse se prépare. Sois très vigilant. Car notre salaud d'oncle t'a repéré. Que Dieu te protège ! »

Carl, ému, réplique dans la même langue : « Merci, frère... »

Radoslav ajoute : « Si j'ai plus de détails, je te tiendrai au courant. »

Et ils se donnent une accolade fraternelle. Et l'aîné quitte l'appartement du benjamin pour revenir dans le sien.

Deux semaines plus tard, le frère aîné du policier lui apporte des détails inquiétants : un meurtre sur Hana, précédé d'une mutilation horrible avec couteaux et armes à feu, par quatre tueurs à gages. En poussant le crime sur Carl. Le couple est très étonné d'un plan si machiavélique; le jeune policier se demande pourquoi cet acharnement de ses ennemis... Il enlace son épouse d'un geste protecteur. Hana comprend au mouvement de sa poitrine qu'il est enragé à l'idée que des tueurs osent s'en prendre à ce qui lui est le plus précieux au monde.




Nos deux enquêteurs, armés de leurs icônes portatives, décident au cours du mois de novembre de fouiller aussi les archives d'Ottawa. Évidemment, il ne faut pas oublier que Lorenzo Romano et Giovani Baldini rôdent autour d'eux pour les déranger, et surtout les menacer de mourir s'ils fourrent trop leur nez dans ce qui ne les concernent point. Et ils osent même, dans leur arrogance machiavélique, menacer Melinda Irène, qui est alors très inquiète pour ses deux amis. Jim a eu du travail pour la calmer. Au moins, Carl Neely et Paul Eastman parviennent à trouver des documents très intéressants concernant l'enfance de Gabriel Lawrence. Ce dernier passa trois ans dans l'Asile d'Ottawa avec sa mère, de 1965 à 1968. Son père lui rendait visite les fins de semaine. Le docteur est le même que celui qui s'occupait de sa mère, à savoir Andrew Lewis. Paul Eastman et Carl Neely comprennent entre les rêves et les visions la pièce manquante de cette visite psychiatrique : Thomas Gordon a amené son fils à l'asile pour s'assurer de le dresser de manière à être froid et sans scrupules. Bref, une manipulation mentale pour être sûr qu'il travaille comme agent double. Cette conclusion fait clairement comprendre aux deux policiers que le demi-frère d'Irène, bien qu'il voit les esprits errants, ne partage pas les mêmes buts qu'eux. En d'autres mots, Gabriel Lawrence est un chuchoteur d'esprits pour le Mal. Reste plus qu'à confirmer par quels sombres esprits il est guidé et avec lesquels il collabore...




Les menaces des sombres esprits se font de plus en plus pressantes, surtout depuis qu'ils ont avertis Gabriel Lawrence, qui le dit à Thomas Gordon, qui, lui, le dit à Oswald Neely... Paul Eastman consulte alors sa femme pour avoir conseil de protection; Sara lui conseille de s'armer d'une petite branche d'aubépine et de charme à accrocher autour de son icône portative de l'Archange Michel. Et Paul en informa aussi son jeune collègue; au moins, les mauvais esprits se tiennent loin d'eux. Sauf une fois, le 29 novembre, Romano apparaît devant Paul Eastman, un sourire amer aux lèvres. Il fait au passeur d'âmes un geste menaçant puis dit : « Vous et votre salope juive ! Je vous le ferais payer ! Ça vous apprendra à s'opposer à moi ! » Paul ne sourcille pas. Il pense simplement : « On ne parle pas comme ça de mon épouse ! Moi, je ne doute pas : tous les enfants que Sara a mis au monde sont les miens. Elle ne connaît pas un autre homme que moi. Et bien, que le Diable vous emporte, Romano ! » Interloqué, le sombre esprit disparaît sans mot dire.



Jusqu'au début du mois de décembre, malgré des nuits très agitées pour le pauvre Carl Neely, qui se confie à son épouse, le jeune policier persiste à vouloir aider son collègue. Au cours de leur enquête, ils apprennent de Karl Polluow que des tueurs d'élite sont postés sur le toit des archives d'Ottawa; les deux policiers préfèrent alors attendre une fois le danger passé. Au moins, ils parviennent à mettre la main sur différents documents, parfois contradictoires. Heureusement, des observateurs leur indiquent les vrais documents (car il y a aussi des faux), ce qui évite à Paul Eastman et à Carl Neely de perdre du temps dans la vérification et la contre-vérification des différents documents. Ceci enrage les mauvais esprits... Qui redoublent leurs menaces nocturnes, envoyés par Oswald Neely en personne pour soutirer l'énergie de son neveu. Résultats : mal de tête, haut-de-cœur et pression dans la poitrine. C'est son épouse qui s'inquiète pour lui. Il la rassure, avec un faux sourire aux lèvres. Mais il persiste à continuer l'enquête avec Paul Eastman. Le vieux policier, malgré des nuits assez agitées, s'en sort assez bien ; il est quand même plus averti que son fils spirituel, à qui, d'ailleurs, il donne certains conseils. Ceci aide à l'amélioration de son état. Lors de l'enquête, Maurice Solms avertit les deux policiers que leurs épouses sont les cibles de pratiques occultes. Depuis qu'Oswald Neely a repéré Carl Neely, il a soudoyé des habitants et des tueurs à gages de Grandview pour l'espionner. « Je peux vous dire qu'ils se camouflent comme des mendiants » précise l'esprit errant. « Soyez vigilants et que Dieu vous protège ! » Pour cette raison, les deux agents de l'ordre préfèrent avoir leur gilet pare-balles, leur arme à feu de fonction et une matraque en cas d'attaque surprise. Ces précautions n'ont pas été vaines : les policiers avaient à affronter trois espions déguisés en mendiants. Heureusement, Paul et Carl ont été avertis par leurs esprits protecteurs, faisant en sorte qu'ils ne furent point pris au dépourvu et qu'ils maîtrisent sans difficulté leurs opposants. Ces espions étaient accompagnés de Lorenzo et de Baldini. Les deux policiers, malgré leur air sérieux, ne pouvaient alors s'empêcher de proférer mentalement les gros mots dans les langues qu'ils connaissent à la vue et à l'odeur de ces sombres esprits.


Voici, en résumé, les informations les plus intéressantes que les policiers trouvèrent entre les archives, les visions de Paul Eastman et des propos des esprits observateurs : La mère de Gabriel Lawrence, Jane Lawrence, était la première épouse de Thomas Gordon (né à Grandview le 5 février 1930). Elle est née à Ottawa le 4 janvier 1942. Elle voyait les esprits errants. Comme Thomas voulait la forcer à user son don pour le Mal, mais qu'elle refusa, il l'envoya chez un psychiatre à l'Asile d'Ottawa en 1962, alors que Gabriel avait un an. Ce psychiatre était Andrew Lewis, qui lui diagnostiqua un trouble schizophrénique avec hallucinations. Et la jeune femme meurt des traitements le 22 avril 1970. Et au moment où les deux policiers retrouvèrent le journal de thérapie de Jane Lawrence, une odeur de cadavre se manifeste : c'est l'esprit errant du docteur en question. Bien sûr, il les menace de les rendre fous s'ils persistent à creuser davantage cette histoire psychiatrique. Paul Eastman recommande alors à son collègue de revenir plus tard sur cette enquête psychiatrique. Mais revenons à Gabriel Lawrence. S'il porte le nom de famille de sa mère, c'est parce que Thomas Gordon ne veut pas que les habitants de Grandview (où le juge déménagea en mai 1970) savent que Gabriel est son fils. Par ailleurs, en tant que juge, il fut facile à Thomas de faire passer Gabriel Lawrence pour fils adoptif. Pourquoi ? Pour éviter les questionnements des habitants au sujet de son premier mariage. Ainsi, il se marie en secondes noces à Elizabeth d'Arenberg, une résidente de Grandview, en 1979, parce qu'elle était enceinte de leur fille unique, Melinda. Quant à Gabriel, il vivait avec son père jusqu'à ses dix-neuf ans, en 1980. Ensuite il déménage dans le petit appartement numéro 6 à la 122 rue McGill Avenue. La maison au 222 rue Sandfort a été acheté en 1979 par Gabriel Lawrence, sur le conseil de son père, qui lui prête l'argent pour l'achat.



À la fin novembre, Radoslav Neely, très inquiet pour son frère, l'informe que des tueurs à gages veulent tuer avec beaucoup de sadisme son épouse. Inutile de préciser la réaction du policier, qui s'est emporté pendant quelques minutes et qui a lancé tous ses jurons en bulgare. Ses parents, son grand-père maternel et son épouse ont du travail pour le calmer.




1er décembre 1999, 10h15. Melinda Irène est derrière la caisse de la boutique The Same it was ever. Elle observe discrètement un client qui déambule dans la boutique. Il cherche quelque chose, guidé par Giovani Baldini, qui rit méchamment au visage de la jeune femme, sur un ton ironique qui sous-entend : « Les jeux sont faits ! Ah!Ah!Ah!Ah! » Et le client achète une petite armoire portative du XXe siècle en bois massif. La passeuse d'âmes, étonnée d'une telle menace, fait de grands efforts pour ne pas pleurer. Elle ignore l'esprit moqueur, qui s'assied sur un fauteuil de style baroque recouvert d'un tissus à motifs floraux. Il rit encore si méchamment puis disparaît de sa vue après trois minutes. Une fois le client sorti, Melinda Irène entend le téléphone dans l'arrière-boutique sonné.

Elle décroche l'appareil et dit : – Bonjour, mère, la raison de ton appel ?

Elizabeth, d'un ton froid : – Irène, as-tu fait l'inventaire ?

– Oui.

– Mais tu as oublié, j'imagine, la dernière boîte d'acquisitions que j'ai apporté hier près de la table dans l'arrière-boutique?

– Euh... Oui...

– Et bien, n'oublie pas ces objets dans l'inventaire ! Bonne journée à toi !

– Bonne journée à toi aussi, mère !

Et mère et fille raccrochent leur téléphone respectif.

Melinda Irène vide la boîte en question. Derrière elle apparaît l'âme de Thomas Gordon, qui la regarde. Sa fille ne le remarque pas, absorbée par son inventaire. Cassandre Haziza apparaît devant Thomas et lui dit : « Soyez un homme et parlez face à votre fille au lieu de se comporter comme un pédé ! »

Étonnée, la jeune passeuse d'âmes dit : – Père ?

Elle se retourne; l'âme de Thomas jette un regard noir à la jeune Juive, puis disparaît de sa vue.

Cassandre commente : « À mon avis, cette visite préventive annonce rien qui vaille... »

Et l'âme errante disparaît avant que Melinda Irène ajoute quoi que ce soit.

Lorsque la jeune passeuse d'âmes revient chez elle pour le souper, elle remarque l'âme de son père qui apparaît sur la chaise en face d'elle. Toujours les mêmes yeux bleus glacés qui la font peur. Un frisson parcourt son échine. Thomas Gordon dit : « Je t'ai déjà averti. Comme d'habitude, tu ne m'écoutes pas... Et bien, je crains des conséquences graves... Très graves... de la part de tes ennemis. »

Melinda Irène, visiblement terrorisée par la menace sous-entendue, réplique : – Pourquoi et pour qui ?

– Ma Irène, on ne dit pas pour rien que la curiosité a tué le chat... Fais attention au prochain pas, sinon, toi et ton mari peuvent être les cibles de mauvais esprits. S'il te plaît, écoute-moi, cette fois, car je voudrais bien être grand-père...

Et l'âme du juge disparaît de sa vue après ces paroles. Melinda Irène est très perplexe. Elle téléphone à Paul Eastman pour l'avertir de la menace imminente, ne sachant pas qui est concerné... Paul la remercie de l'information et lui confirme que l'un d'eux est menacé, probablement son jeune collègue Carl. Mais il rassure Melinda Irène en disant qu'ils feront preuve de prudence.


Et les policiers poursuivent avec sérieux leur enquête, aidés par leurs esprits protecteurs et certains observateurs.




Le 15 décembre 1999, Carl Neely, averti par son père, file en vitesse chez lui... Le lendemain matin, il téléphone à Paul Eastman. Heureusement, son collègue est à l'appareil, inquiet que Carl ne s'est pas encore présenté au travail. Le plus inquiétant pour Paul, c'est le sourire machiavélique de Romano deux secondes avant l'appel.

Le policier pense : « Visiblement, si cet esprit de l'Enfer sourit ainsi, c'est que mon fils ne va pas bien... J'espère rien de grave... »

Et le téléphone sonne : aucun doute, c'est Carl qui appelle depuis son appartement.

Paul s'empare du téléphone et dit : – Bonjour, Carl Neely, Paul Eastman à l'appareil.

Le jeune policier dit d'une voix blanche : – Monsieur le détective Paul Eastman, c'est... Carl Neely... Simplement... pour... vous... dire que... J'abandonne notre enquête... Je ...

– Qu'est-ce que se passe ?

– Je... Je... J'ai perdu ma femme... hier...

Et Carl Neely, les larmes aux yeux, raccroche le téléphone; Paul Eastman, touché, raccroche aussi. Paul soupire. Il espère que son fils spirituel et collègue se remettra rapidement...


Cinq minutes plus tard, le vieux policier en informe Melinda Irène. La jeune femme est attristée de la nouvelle et transmet tous ses sincères vœux de réussite à Paul et ses condoléances à Carl Neely.



Et Paul Eastman continue seul cette enquête, ce qu'il trouve un peu lourd au début. Il décide de filer discrètement pendant deux mois ce mystérieux demi-frère d'Irène. Il remarque que ce passeur d'âmes amène celles qu'il parvient à convaincre dans la grande maison au 222 rue Sandfort. Le policier passeur d'âmes regarde de loin le mouvement des différents esprits errants, qui se promènent dans la maison (car il les voit lorsqu'elles passent près des fenêtres).

C'est ainsi qu'il remarque qu'Andreas Nickau se manifeste sur le siège du co-conducteur alors qu'il revient chez lui. L'esprit dit : – Monsieur, vous pouvez nous voir ?

Paul Eastman hoche discrètement de la tête.

Andreas Nickau : – Que pensez-vous que font les âmes dans cette demeure ?

– Je ne le sais pas. Mais, vous, Monsieur, quel est votre nom ?

– Andreas Nickau.

– Pourquoi vous êtes encore ici ?

– Je me demande où je dois aller...

– Dans la Lumière !

– C'est déjà une réponse plus claire... Mais quelle lumière ? Celle d'une ampoule, d'une lampe ou d'un lampadaire ?

– Vous vous moquez de moi ? C'est l'Au-delà, lieu où vont toutes les âmes après le fin d'une vie, lorsqu'elles quittent leurs corps.

– Mais celles qui sont chez Monsieur Lawrence semblent bien s'amuser...

– Faites comme vous voulez, mais ne me dérangez plus si vous êtes plus près de ces âmes perdues !

Et l'esprit errant disparait. Paul Eastman poursuit sa route. Il pense : « Au moins, j'ai une idée : Monsieur Andreas Nickau pourrait être mon informateur... »

Karl Pulluow apparaît, assis à la place du co-conducteur. Il dit : « Ne faites pas confiance à un tiède de son espèce. »

Le policier répond d'un signe affirmatif.

Karl Pulluow ajoute : « Je vous tiendrai informé des activités de Gabriel Lawrence. C'est moins risqué pour vous. »

Paul Eastman : – Et pour vous ? Le lieu semble sinistre, non ?

– Certes, ce lieu semble sinistre, je suis d'accord avec vous. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, car je sais être discret. J'ai quand même parfois étais éclaireur de mon vivant; je sais comment on fait. Sinon, j'ai toujours des camarades qui sont prêts à m'aider en cas de difficultés.

– Merci d'avance de votre aide !

– Merci à vous !

Et l'esprit fait un salut militaire puis disparaît de sa vue. Le policier stationne le véhicule de fonction à la station de police puis revient d'un pas tranquille chez lui.


Ainsi, au cours des semaines suivantes, Paul Eastman se concentre sur d'autres enquêtes locales, ou encore il patrouille Grandview. Sinon, il prie devant son icône portative, très inquiet pour Carl Neely. Le pauvre, déjà il est orphelin de parents, et maintenant, il est veuf... « Que Dieu, l'Archange Michel et son ange gardien le protègent ! » pense Paul Eastman dans un élan de piété. Karl Pulluow le tient informé de ce qui se passe dans la grande maison de Gabriel Lawrence : des âmes errantes se comportent comme si elles sont encore vivantes, dans l'attente d'un hôte qui voudrait bien accepter leur possession. Elles font la fête et s'amusent. Et elles sont encouragées par Romano, Baldini et d'autres sombres esprits de la même sorte, à entraîner les âmes tièdes et naïves. « Autrement dit, cette maison est un point de rassemblement pour les méchantes âmes, celles des Enfers. Aucune d'elles n'est bonne, sinon, elles ne se laisseront pas si facilement convaincre. » ajoute en guise de conclusion l'esprit militaire. « Aussi, » précise Karl Pulluow, « un curieux détail : une pièce au centre de cette maison est littéralement tapissée de photographies d'Irène Gordon-Clancy, de Jim Clancy, de vous, de votre épouse, de vos enfants, de Carl Neely et des siens. Comme quoi qu'il y a aussi réunion d'espions (qui, par ailleurs, viennent quelquefois). De plus, Romano et Baldini viennent souvent, avec trois psychiatres, des esprits sortis tout droit de l'Enfer. En d'autres termes, vous, mes sympathiques amis, vous êtes suivis autant parmi les âmes errantes que les vivants. Soyez vigilants ! Et attention au faux pas ! Par rapport aux âmes errantes qui viennent ici, il faut se replier. Retour arrière ! » Paul Eastman ne peut s'empêcher de sourire à la remarque de Karl Pulluow et le remercie de son aide; l'esprit disparaît de sa vue après avoir fait un salut militaire. « Maintenant, » pense le policier, « nous savons à quel homme nous avons affaire... » Et il revient à son enquête en cours, un cas d'homicide. Tout à coup, un esprit errant se manifeste, assis sur la chaise en face de Paul Eastman, qui lève les yeux de ses papiers : David Neely. Il semble inquiet. L'esprit dit, en joignant ses mains en prière : « Monsieur Eastman, s'il vous plaît, faites quelque chose pour sauver mon fils... Surtout quand vous saviez que vous êtes mieux de l'avoir à vos côtés pour protéger vos arrières lorsque vous continueriez votre enquête sur le sombre psychiatre qui a eu Gabriel Lawrence et sa mère pour patients; Madame Irène Gordon-Clancy est trop fragile pour ça... »

Paul, ému : – Qu'est-ce qui se passe ?

– Carl est très, très déprimé... Il se laisse influencé par Romano et Baldini depuis quelques semaines... Heureusement, il ne cède pas complètement, mais je crains qu'il cède à leur pression un jour ou l'autre... Mais je trouve que ces salauds rôdent trop autour de lui... En plus, ils me sourient méchamment en disant que ce n'est que le début...

– Je comprends vos inquiétudes... Je me renseignerai auprès de ma femme pour savoir ce que je peux faire. Merci de m'avertir de la situation de votre fils.

– C'est pourquoi je suis encore ici... Mon petit Carl, lâche pas ! Et merci à vous, Monsieur Eastman !

Et l'esprit pilote disparaît de sa vue.




10 avril 2000, station de police de Grandview, 9h00.


Paul Eastman téléphone à Melinda Irène Gordon-Clancy pour l'informer qu'il a terminé son enquête sur Gabriel Lawrence. Et, quinze minutes plus tard, il lui apporte les photocopies et lui communique ses dernières conclusions. La jeune femme, enceinte de deux mois, se réjouit que l'enquête est terminée. Elle demande : – Et comment va votre collègue Carl Neely ? J'espère qu'il se remet bien de son veuvage.

– À vrai dire, je n'ai pas vraiment de nouvelles de lui depuis décembre... C'est seulement son propre père qui m'informe de temps en temps de la situation. D'ailleurs, même si je le vois furtivement dans la station de police ou en patrouille, il semble m'éviter, ce que je vois d'un mauvais œil. Je lui ai donné certains conseils et j'attends comme vous l'évolution de la situation.

– Merci mon père. Moi, de mon côté, bonne nouvelle ! Je vais être mère en novembre !

– Félicitations !


Et Paul Eastman se lève du fauteuil sur lequel il est assis, sort de l'appartement de la jeune femme et revient chez lui. Melinda Irène remarque du coin de l'œil un esprit, celui d'une jeune femme, fin vingtaine, vêtue d'une longue robe blanche, aux grands yeux et cheveux noirs. Ses cheveux sont ramassés en un chignon. Elle disparaît lorsque la passeuse d'âmes pose son regard sur elle.




À suivre.


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