Histoires entre vivants et esprits

Chapitre 19 : Histoires banales d'esprits errants

2509 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/11/2023 14:27


Par une journée ensoleillée de mai 2018, Grandview, 9h00.


Melinda Irène Gordon-Clancy se promène main dans la main avec Jim, qui a congé. Leurs enfants sont en classe, Aiden au Collège de Grandview; Mary et Nicolas à l'École secondaire. Tout à coup, ils remarquent une route barrée en raison d'un accident de voitures. Les passants, attroupés, regardent avec curiosité les accidentés et les ambulanciers. Ces derniers se dépêchent de réanimer les deux blessés, mais ils n'y parviennent point. La passeuse d'âmes aperçoit aussitôt les âmes des deux individus morts sur le coup. Le premier est un homme vers la quarantaine, aux yeux et cheveux noirs, vêtu d'un complet bleu marine cravate avec chemise blanche. Le second est un homme blond aux yeux bleus, âgé vers la trentaine, vêtu d'une veste et d'un pantalon bleu marine. Les deux esprits se regardent, étonnés.

L'âme de l'homme plus âgé dit d'un ton grave : « Monsieur... »

Son interlocuteur : – Samuel Lucas. Et vous ?

– Alan Walters... Je suis désolé de l'accident qui a causé notre mort. Je ne sais pas comment faire comprendre à ma chère épouse...

Melinda Irène Gordon-Clancy intervient : – Je peux vous aider à accomplir votre dernière volonté puis vous partez dans la Lumière, Messieurs. Ceci vous convient ?

Les deux esprits errants, encore plus étonnés, disent à l'unisson : « Merci ! »

Notre passeuse d'âmes ajoute aussitôt : – Irène Gordon-Clancy. Par contre, un à la fois, s'il vous plaît.

Alan Walters reprend la parole : – Je ne veux pas que ma chère Anna me pleure. Je resterai ici tant que je ne serais pas certain qu'elle continue à bien s'occuper de nos enfants, qui fréquentent le Collège de Grandview et qui pensent intégrer l'Université Rockland cet automne et l'année prochaine. J'ai oublié de lui dire que sous le matelas se trouve une bonne partie de l'argent retiré de mon compte bancaire...

Melinda Irène Gordon-Clancy : – Désolé de vous interrompre, Monsieur Walters, mais pourriez-vous me dire le nom de votre épouse et l'adresse où elle vit ?

Alan Walters : – Oui, bien sûr ! Ma femme s'appelle Anna Fanger-Walters. Nous vivons dans une maison unifamiliale depuis dix ans, au 39 Hendford, à Grandview.

La passeuse d'âmes prend note des noms et de l'adresse sur un petit calepin qu'elle amène avec elle. Puis Melinda Irène remercie l'esprit errant, qui disparaît de sa vue.


Le couple de vivants continue leur marche par un détour. Samuel Lucas les suit.

Au bout de quelques minutes de silence, l'esprit errant prend la parole : – Je me présente... Samuel Lucas, architecte de métier. Statut marital: célibataire. Cependant, je veux dire à ma petite copine de longue date, Nikki... Euh, Nicole McKay, que je veux la fiancer... Je me rends à son argument: je ne peux pas trouver meilleure femme qu'elle. Et bien, puisque je suis défunt, elle peut se marier à qui elle veut. Je ne serais point jaloux de son mari... Je lui souhaite seulement bonne chance et qu'elle trouve un mari digne d'elle... Elle vit dans un petit appartement sur la Main Street 7 à Ottawa, numéro 9. Merci d'avance de votre aide !


Et Samuel Lucas disparaît de la vue de notre sympathique passeuse d'âmes, qui est vraiment émue des propos des esprits qu'elle a rencontré; Jim l'enlace d'un geste protecteur pour la calmer. Melinda Irène, après avoir prit en note les derniers détails sur Samuel Lucas, elle range le calepin dans la grande poche de sa veste puis serre la main de son époux. Ils continuent leur promenade puis reviennent dans leur charmante petite maison qu'ils ont acheté il y a quelques années. Ils réchauffent leurs pierogis à la viande. Aiden (18 ans), Mary (17 ans) et Nicolas (16 ans) viennent pour le midi. La famille s'attable. Une fois qu'Aiden et Jim font la vaisselle, les parents et le fils aîné discutent des cas d'Alan Walters et de Samuel Lucas. Mary et Nicolas reviennent à l'École secondaire pour leurs cours de l'après-midi.


Melinda Irène Gordon-Clancy prend la parole : – Aiden, ce matin, lors d'une promenade avec Jim, j'ai rencontré les âmes errantes de deux accidentés de la route...

Elle sort de la poche de sa veste la feuille du calepin sur laquelle elle a noté les informations sur les deux esprits errants, y jette un coup d'œil rapide puis continue sa phrase : – ... Messieurs Alan Walters et Samuel Lucas. Le premier est un homme marié vers la trentaine, le second est un peu plus jeune, mais avec une future fiancée. Walters veut que je rassure sa femme, qui vit à Grandview. Lucas, lui, veut que j'informe qu'il voudrait fiancer sa petite copine... Ce que je te propose, Jim, c'est de transmettre le message du défunt époux à Madame Fanger-Walters, puis la journée suivante, celui de Samuel Lucas à sa copine qui vit à Ottawa... Je tiens à ce que tu me tiennes compagnie, pour m'éviter des regards bizarres...

Jim complète sa phrase : – ... lorsque tu diras aux concernées que tu as un message de leur défunt... Je te comprends; à deux, on sera plus convaincants.

Melinda Irène hoche la tête et enlace tendrement son époux en pensant : « Quelle chance d'avoir un mari si complice ! » Elle en pleure de joie. Jim l'enlace à son tour et l'embrasse pour faire cesser ses pleurs. Elle sèche rapidement ses larmes. Leur fils aîné hoche de la tête pour faire savoir qu'il est d'accord puis file dans sa chambre faire ses devoirs de français.



Une semaine plus tard, Melinda Irène Gordon-Clancy et Jim Clancy se rendent au 39 rue Hendford. Une petite maison bien entretenue se dresse fièrement, avec deux petits jardins à l'avant, où se trouvent des roses. Jim frappe doucement à la porte. Une femme vers la quarantaine, vêtue d'un pull vert et d'une jupe de la même couleur, avec des collants d'hiver beige, leur ouvre la porte. Étonnée de voir le couple, elle dit d'un ton brusque : – Qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Alan Walters apparaît à la droite de sa femme.

La passeuse d'âmes répond : – Je suis Irène Gordon-Clancy. Et mon mari, Jim Clancy. Nous venons parce que je veux vous transmettre un message de votre époux...

Anna Fanger-Walters, méfiante : – Je sais que je suis veuve depuis une semaine... Vous n'allez quand même pas me faire croire que l'âme de mon époux est encore là ?

Melinda Irène, d'une voix modulée : – Madame Fanger-Walters, je vous assure avoir vu votre mari, Alan Walters. Par ailleurs, il est en ce moment à votre droite. C'est un don que j'ai, celui de communiquer avec les esprits errants, c'est-à-dire des esprits qui ont encore des choses à régler avec les vivants. Et je dois les aider afin qu'ils ne restent plus parmi les vivants, car ils doivent partir dans la Lumière, ou l'Au-delà...

Jim ajoute aussitôt : – Je vous assure que ma femme ne ment pas; elle vous dit la vérité.

Anna Fanger-Walters, d'un ton hésitant : – Je ne suis pas très religieuse, mais vous me paraissiez sincères. Entrez !

L'esprit errant sourit et suit en silence les vivants. La femme invite la passeuse d'âmes et son époux au salon.

Une fois assis sur un canapé face à Anna Fanger-Walters, Melinda Irène s'éclaircit la voix et dit : – Madame Anna Fanger-Walters, votre époux, maintenant assis à votre droite, veut que vous cessez de le pleurer. Il veut simplement que vous vous occupez de vos enfants. Alan Walters veut aussi que vous sachiez que sous le matelas se trouve une bonne partie de l'argent retiré de son compte bancaire.

Alan Walters commente : – Et dites-lui qu'elle utilise cet argent pour nourrir et habiller nos enfants et elle-même.

Melinda Irène Gordon-Clancy : – Votre époux veut que vous utilisez cet argent pour nourrir et habiller vos enfants et vous-même.

Anna Fanger-Walters, dubitative, se rend dans sa chambre, où elle ôte les couvertures puis soulève le bas du matelas. Elle aperçoit en effet une pile de billets. Elle remet tout en ordre, puis revient au salon.

Anna, étonnée, dit : « Madame Gordon-Clancy, vous avez raison... de l'argent se trouve sous le matelas... »

Melinda Irène, gênée : – Je ne fais que mon travail, celui de vous transmettre le message de votre époux.

– Merci, Madame... Et je me consolerai avec nos enfants ! Est-ce que Alan est encore là ?

Alan Walters, le visage illuminé de joie, dit : – Merci beaucoup, Madame Irène Gordon-Clancy. Cette lumière, c'est pour moi ?

– Oui, Monsieur, c'est pour vous.

L'esprit errant embrasse son épouse sur la joue droite et passe dans la Lumière.

La passeuse d'âmes, émue, des larmes de joie aux yeux, dit à Anna Fanger-Walters : – Madame, votre époux est parti à l'instant dans la Lumière.

Anna, d'une voix vibrante : – Merci à vous, Madame Gordon-Clancy. Passez bonne journée !

Melinda Irène et Jim, à l'unisson : – Bonne journée à vous !


Et le couple sort de la maison d'Anna Fanger-Walters, contents d'avoir fait passer dans la Lumière un esprit errant. « Maintenant, » dit en russe la passeuse d'âmes à son époux, « il ne reste que le cas de Samuel Lucas. » Ils s'embrassent et reviennent chez eux.



Le lendemain, le couple se rend à Ottawa, pour retrouver l'appartement de Nicole McKay. Jim loue une voiture pour s'y rendre, ayant déjà trouvé le trajet sur le site Internet de l'Ottawa-Carleton Regional Transit Commission (la société de transport d'Ottawa). Jim est le conducteur, Melinda Irène la co-conductrice et sur le siège arrière se trouve Samuel Lucas. Ils se rendent jusqu'à la porte de l'appartement de la petite copine de l'architecte. Melinda Irène frappe doucement sur la porte. Une jeune femme aux yeux bleus et aux cheveux blonds leur ouvre. Elle dit d'une voix neutre : – Qui êtes-vous ?

La passeuse d'âmes remarque que Samuel Lucas se tient à la droite de Nicole McKay.

Elle s'éclaircit la voix et dit : – Mademoiselle Nicole McKay, je suis Irène Gordon-Clancy.

L'ambulancier se présente : – Je suis son mari, Jim Clancy.

Melinda Irène reprend la parole : – Je viens vous transmettre un message de Samuel Lucas, décédé il y a une semaine à Grandview.

Nicole McKay, attristée : – Vous me dites que Sam n'est plus de ce monde ?

Melinda Irène : – Sauf que son âme est encore là; il est à votre droite... Je vous explique, et croyez-moi: je vois les esprits errants, et je dois les aider à aller dans la Lumière.

– Je vous crois... Et bien, entrez.

Elle ouvre la porte et le couple entre dans l'appartement. Ils se rendent au salon. Samuel Lucas suit les vivants.

Melinda Irène Gordon-Clancy prend alors la parole : – Mademoiselle Nicole McKay, Samuel Lucas est venu il y a une semaine, alors qu'il est mort dans un accident sur la route. Il est mort sur le coup. En tant qu'âme, il voulait vous fiancer...

– Sérieux ?

Samuel Lucas intervient : – Oui, Nikki, je me rends à ton argument: je ne peux pas trouver meilleure femme que toi... Pour preuve, va dans mon appartement et tu trouveras une bague de fiançailles que je t'aurai donné si j'aurai été encore vivant...

Melinda Irène : – Samuel Lucas dit qu'il s'est rendu à votre argument et qu'il ne peut pas trouver meilleure femme que vous... Pour preuve, il vous invite à se rendre dans son appartement, où vous trouveriez une bague de fiançailles qu'il vous aurait donné s'il aurai été vivant...

Nicole : – Mais je n'ai pas la clé de son appartement...

Melinda Irène : – Ne vous inquiétez pas, je connais un ancien policier de Grandview, qui est à la retraite depuis neuf mois, Paul Eastman, qui pourra bien forcer la porte de l'appartement de Samuel Lucas afin que nous puissions y entrer. Ainsi, vous pourrez voir par vous-même la bague de fiançailles qu'il vous aurait remis.

Nicole hoche discrètement de la tête.

Melinda Irène Gordon-Clancy continue : – Aussi, Samuel Lucas m'a assuré que vous pouvez vous marier à l'homme que vous voulez. Il ne sera point jaloux de votre époux et il ne peut que vous souhaiter de trouver un mari digne de vous.

Samuel Lucas commente : – Merci, Madame, d'avoir transmis fidèlement mon message.

Nicole : – Bon, pour me convaincre de la véracité de vos propos, je vais voir par moi-même si Sam a laissé une bague de fiançailles dans son appartement... Sinon, je vous poursuis pour charlatanisme...

Le couple hoche de la tête.

Et la passeuse d'âmes, depuis la cabine téléphonique la plus proche. demande à Paul Eastman de venir à Ottawa pour une histoire d'esprit. Il vient au bout de quinze minutes. Ce petit groupe, à la tête duquel se trouve Nicole McKay, se dirige vers l'appartement de Samuel Lucas, situé quelques rues plus loin. Paul Eastman parvient à forcer la porte et Nicole, Melinda Irène et Jim entrent.

L'esprit errant apparaît devant la passeuse d'âmes et dit : – La boîte à bijou se trouve dans le tiroir de mon chevet de nuit..

Melinda Irène : – Samuel Lucas dit que la boîte à bijou se trouve dans le tiroir du chevet de nuit.

Nicole, à moitié convaincue, se rend dans la chambre. Le couple attend à la cuisine. La femme en sort une minute plus tard, avec une boîte à bijou de couleur bleue. Elle l'ouvre et y trouve une bague de fiançailles. Elle pleure de joie.

Samuel Lucas s'approche de Nicole et dit : « C'est pour toi, ma chérie ! »

La passeuse d'âmes, émue, pleure de joie et dit entre des larmes : – Samuel Lucas dit que cette bague est pour vous...

Nicole, émue : – Merci beaucoup, Madame...

– Irène Gordon-Clancy.

– Merci !

– Il n'y a de quoi ! Je ne fais que mon travail: relayer le message des âmes errantes à leurs proches. Ainsi, Monsieur Lucas, vous partirez dans la Lumière ?

L'interpellé, d'un ton joyeux : – Oui, bien sûr ! Merci à vous !

L'esprit errant embrasse chastement Nicole puis part dans la Lumière, l'air joyeux.

La passeuse d'âmes commente : – Et Samuel Lucas vient de partir dans la Lumière.

Nicole, émue, range la boîte à bijou dans la poche de son pantalon et donne une accolade à Melinda Irène en signe de remerciement. Puis tous sortent de l'appartement du défunt. Jim et Melinda Irène souhaitent une bonne journée à la jeune femme et ils se quittent; Nicole revient dans son appartement, le couple dans leur maison à Grandview.


Une fois rendus au salon, la passeuse d'âmes dit d'un ton joyeux : « Très bien ! En quelques jours, deux esprits errants de moins à Grandview ! » Melinda Irène enlace Jim. Ils demeurent ainsi enlacés pendant quelques minutes.


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