Au Commencement

Chapitre 1 : Au Commencement

Chapitre final

4832 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/11/2023 21:11

Au Commencement




Cette fanfiction participe au Défi d'écriture du forum Fanfiction.fr Ateliers des fanfics sous le sapin (novembre à décembre 2023).

Le Secret Santa est Manuemarie.


« Le père aime solidement, la mère aime tendrement. » Proverbe italien

« L’amour d’un père est plus haut que la montagne. L’amour d’une mère est plus profond que l’océan. » Proverbe japonais




Par un beau jour de novembre mille-neuf-cent-quatre-vingt-neuf, Mélinda, jeune fille de dix ans, se trouvait dans le jardin derrière la maison de sa mère, Beth, et de celui qu'elle pensait être son père, Thomas Gordon. La jeune fille, bien habillée dans son manteau bleu pâle, ses mitaines bleu foncé et son fichu bleu marine, jouait insouciante de son entourage, autant des vivants que des âmes errantes, même si elle ne comprenait jamais la raison de l'ignorance de son père envers elle. La petite chuchoteuse d'esprits en devenir écoutait le psithurisme et le chant des oiseaux. Des chants aussi différents que ceux des geais bleus, des tourterelles tristes, des merles, des sitelles ou des rouges-gorges. En les entendant, la fillette pensa combien la vie des oiseaux était plus simple que la sienne. Elle se réjouissait du bruit des feuilles séchées, jaunes, oranges, rouges, vertes et brunes sous ses pieds et riait de voir des écureuils qui se disputaient non loin d'elle des arachides donnés dix minutes plus tôt par la fillette. Mélinda salua son ami, George, un esprit errant, qui l'attendait proche du pommier, comme d'habitude. Ce garçon, un ami de l'Elementary School Grade 5* depuis deux mois, était mort trois mois auparavant d'une maladie rare. Depuis, le garçon, content que Mélinda ne l'ignorait pas, se lia d'amitié et jouait souvent avec elle. Cette dernière, contente d'avoir un ami, même s'il était un esprit, trouva enfin quelqu'un qui ne la prenait pas pour une folle ou une mythomane, mais qui l'acceptait avec son don singulier. Ce qui était rare.

Mélinda s'amusait à cache-cache avec George dans le jardin, sous le regard de sa mère. Cette dernière observait sa fille depuis la fenêtre de la cuisine, tout en feignant ne pas remarquer l'esprit errant. Sa plus grande inquiétude était que Paul Eastman, son premier mari et père de Mélinda qui rôdait souvent proche d'elle et de leur fille depuis son décès, et ce, malgré que la famille déménagea dans l'actuelle maison, ne perturbe leur enfant. Et que, de sa présence, une dispute poignit entre leur fille et son second mari. Elle souhaitait tant protéger Mélinda de tous les dangers et de tous les soucis qu'elle était prête même à lui cacher certaines vérités… Ce qu'elle appliquait en lui laissant croire, implicitement, que Thomas Gordon était son père. Déjà que Mélinda était particulière avec son don de voir les esprits, Beth ne voulait pas s'embrouiller avec sa fille unique pour la simple raison que Paul restait près d'elle pour l'aider et la soutenir. Ce qui ruinerait son image de bonne famille qu'elle essayait de créer en cinq ans depuis son remariage. Pour être honnête avec elle-même, Beth ne comprenait guère la position bien arrêtée et entêtée de son premier mari à vouloir faire connaître la vérité à tout prix à leur fille, alors que toutes les vérités ne sont pas nécessairement bonnes à dire et qu'il serait mieux de laisser certaines histoires du passé bien enterrées pour ne jamais les déterrer, ne jamais soulever la poussière une fois qu'elle était tombée, sinon, il n'y aurait que tristesse, larmes et colère… Le temps guérissait toutes les blessures, pertes, peines et fureurs, pensa Beth.


Après une heure passée à jouer à l'extérieur, Mélinda, enthousiaste, remercia son ami Georges de venir passer un peu de temps avec elle. Sinon, pensa amèrement la petite en regardant tristement le vide, elle aurait été seule… En plus qu'en classe, elle était la risée parce qu'elle voyait des esprits que personne d'autres ne percevaient… Et sa mère ne l'avait pas défendue devant ses enseignantes et la directrice… Reléguant son don au rang d'affabulations enfantines… Mais elle savait que ces esprits n'étaient pas des inventions, ils étaient réels… Tout aussi réels que sa mère et les enseignants… Si ce n'était même plus… La fillette pleurait devant son impuissance d'expliquer la réalité de son don à sa mère. Versant quelques larmes, assise sur une chaise en bois, elle entendit une voix masculine réconfortante l'apostropher :

— Mon enfant, ma petite Mélinda, pourquoi pleures-tu ?

L'interpellée, étonnée qu'un inconnu sache son prénom, se retourna et détailla l'homme. Un grand homme de vingt-huit ans qui lui ressemblait d'une manière très frappante, aux yeux et aux cheveux bruns, des traits délicats du visage et un air bienveillant qui inspirait confiance et gentillesse à la fillette. Homme habillé d'un chandail vert olive, d'un manteau vert forêt et d'un pantalon beige s'approcha d'elle. Cet homme était Paul Eastman. Un homme qu'elle avait déjà vu dans son entourage depuis trois ans, mais dont elle n'avait jamais connu l'identité. La fillette discerna dans son regard tout un amour paternel inexprimable et incommensurable, mais bien réel. Mélinda était profondément affectée par la bienveillance et le solide amour de cet esprit pour elle… Un amour paternel qu'elle n'avait jamais vu chez Thomas Gordon… Elle pleurait de tristesse à cette pensée et à ce regard qui disait bien plus que ne le pouvaient les mots. Paul Eastman, affligé de voir sa fille dans cet état émotif, s'approcha d'elle, passa ses bras autour de ses épaules pour la rassurer et lui faire sentir tout son amour pour elle, et lui murmura gentiment et chaleureusement de sa belle voix masculine et paternelle :

— Mon ange, ne pleure pas. Calme-toi, ma Mélinda, ma prunelle de mes yeux.

Paul Eastman la berça doucement entre ses bras pour la calmer.

— Mon pauvre cœur de père a mal et saigne beaucoup lorsque je te vois pleurer. Ma petite fille, n'oublie pas que je t'aime beaucoup et que je veillerai sur toi, jusqu'à ce que tu comprennes la raison de ma mort… mais méfie-toi de Thomas Gordon…

L'esprit errant, sourire forcé à constater la tristesse et l'incompréhension de sa fille, la serra encore plus fort contre lui, pour essayer de lui communiquer toute sa présence et son soutien.

— Mais qui êtes-vous ? Quel est votre nom ? Pourquoi dois-je me méfier de mon papa, Thomas ? l'interrogea la fillette, dépassée par l'attention réconfortante de cet inconnu envers elle. Attention qu'elle appréciait, se sentant enfin compris, mais qu'elle ne comprenait pas.

À ce moment, Beth qui était sortie dans le jardin, très agitée par la présence de son premier mari proche de leur fille, ordonna sèchement à Mélinda, la faisant sursauter :

— Ma chouette, ne me dis pas que tu parles à un ami imaginaire ? Veux-tu rentrer à la maison ? Il fait froid maintenant. Rentre maintenant !

— Mais maman, répliqua faiblement la fillette en baissant les yeux et en se repliant sur elle-même, honteuse que sa mère la réprimande. Je n'ai pas d'ami imaginaire. Mon ami George est parti et maintenant je viens de rencontrer cet homme. J'ignore tout de lui jusqu'à son nom. Mais il est très gentil, beaucoup plus que papa.

La fillette se libéra de la douce, chaleureuse et masculine étreinte de son père pour rentrer dans la maison, n'osant s'opposer au ton impérieux de sa mère. Dans le regard de Paul Eastman, à la remarque de sa fille, une lueur de douleur et de fierté se pointa.


Dès que leur fille fut rentrée à la maison, Beth et Paul s'affrontèrent du regard. L'épouse lui affirma :

— Paul, je comprends bien que tu te soucies de notre fille, comme tout père… Mais tu ne peux aucunement compenser ta présence auprès de Mélinda. Laisse-nous en paix… Inutile de raviver les tristes souvenirs… En plus que je me suis remariée entre-temps…

— Beth !, la coupa abruptement son premier mari, je sais que tu penses tout l'opposé de moi en ce qui concerne plusieurs sujets, parmi lesquels figure la vérité. Mais je ne peux supporter que notre fille pense que ce salaud de Thomas Gordon est son père… Tout ça parce que tu n'as pas le courage de dire la vérité à notre fille ! s'emporta Paul.

Le premier mari de Beth agita ses mains dans sa colère en poing et s'approcha à quelques centimètres d'elle, renversant la chaise où leur fille était assise quelques secondes plus tôt.

— Et en plus, indirectement, éructa-t-il, le regard brillant d'une sombre colère, tu mens à notre fille sur son propre père ! J'en suis offusqué ! Faire croire à notre fille que mon meurtrier est son père est un immense affront, mais qu'elle porte même son nom ! C'est l'affront suprême ! Affront innommable !

Beth n'osait point affronter le regard de Paul. Elle fixait plutôt le vide que lui, jouant nerveusement avec le coin de son manteau et son alliance. Elle savait bien qu'il avait raison, mais elle ne pouvait reconnaître sa faiblesse devant lui. Elle lui répondit le plus calmement possible, après plusieurs minutes de silence, toujours en refusant de confronter ses yeux :

— Paul, s'il te plaît, ne viens pas déranger notre fille et la perturber… Je veux uniquement qu'elle ait une enfance normale, qu'elle soit aimée et chérie de sa famille… Soulever la poussière des vieilles histoires du passé n'est pas toujours une bonne idée… Ne pense pas que je suis insensible à ta perte et à ta mort…

Elle sanglotait avant de se reprendre, fixant ses pieds et mettant ses mains dans les poches de son manteau beige pour camoufler le tremblement qui l'avait pris.

— … Au contraire… N'oublie pas Paul, tu restes mon premier amour… Et si moi, avec Thomas Gordon, parvenons à faire sentir notre fille, notre Mélinda, normale, comme tous les enfants de son âge, j'en serai ravie. Je ne veux que la protéger de tout malheur et qu'elle puisse avoir une enfance comme tout enfant… Ne pense pas que mon cœur maternel est insensible au mensonge implicite sur l'attribution de la paternité de Thomas Gordon à notre fille… Mais je le fais pour ne pas l'attrister, l'inquiéter ou la perturber inutilement… Déjà qu'elle est particulière, partageant notre don…

— Très bien, Beth, rétorqua amèrement l'esprit errant, mais sache que la vérité finit toujours par se connaître, même s'il faut attendre dix ou vingt ans… Et je ne pars pas dans la Lumière tant que mon meurtrier est encore vivant et qu'il peut mettre en danger notre fille, notre ange de Mélinda. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour tenir ce monstre loin d'elle… De toute manière, tôt ou tard, tu devras dire la vérité à notre fille, que tu le veuilles ou non. Tu n'as guère le choix, et tu le sais bien.

Sur ces paroles d'un père en colère, Paul Eastman, s'éloignant de son épouse, se matérialisa instantanément dans le salon où se trouvait leur fille, laissant Beth angoissée à l'idée que son premier mari veuille agiter leur fille avec des informations qu'elle n'était pas encore apte à saisir correctement dans leur entièreté.


Dans le salon, confortablement assise sur une chaise, Mélinda dessinait l'esprit errant qu'était son père pour passer le temps et pour ne pas penser à la réprimande de sa mère. Paul Eastman avait le sourire aux lèvres en voyant sa fille. Il s'approcha doucement d'elle, s'assoyant en face d'elle, et lui affirma chaleureusement, sa colère de la discussion avec Beth tomba complètement devant la candeur enfantine de Mélinda :

— Mon enfant, mon ange, je suis Paul Eastman… Mort il y a cinq ans… Et Thomas Gordon a un rapport avec ma mort… Raison pour laquelle je veille sur toi… Sois prudente… Je ne veux pas qu'un mal t'arrive… Et n'oublie pas d'enquêter, plus tard, sur ma mort… Lorsque le temps viendra, il faudra que tu comprennes la vérité qui t'entoure… Les masques et les mensonges doivent tomber… La vérité doit être connue et sera toujours connue… mais je ne peux t'inquiéter maintenant, tu es encore petite, ma chouette. Dans cinq ou sept ans, tu seras suffisamment grande pour entendre des vérités qui ne sont pas agréables à connaître… Demande à ta mère… Mais sache que Thomas Gordon, celui que tu penses être ton père, ne l'est pas et qu'il n'est pas si bon qu'il le paraît.

— Je serai prudente, répliqua l'enfant d'une voix émue, sincèrement touchée par les paroles de son père et choquée de la soudaine révélation. Et je vous promets que j'éluciderai votre cas…

Paul Eastman sourit à sa fille, certain qu'elle tiendra sa promesse. Mélinda, elle, ne saisissait pas encore la totalité de l'implication des paroles paternelles, mais elle l'observait avec ses yeux agrandis d'étonnement, laissant son dessin et ses crayons de côté.

À ce moment, sa mère la rejoignit, s'assit à ses côtés, jetant un rapide coup d'œil au dessin, et lui demanda, d'une voix étranglée de ses pleurs, faisant fi de l'esprit errant qu'était son premier mari et en cachant son propre malaise :

— Mélinda, que dessines-tu ? Ton ami imaginaire ?

— Non, je dessine l'homme que j'avais vu, Paul Eastman. Et il est très gentil. Plus gentil que… papa.

Beth se redressa, entendant un bruit soudain.

— Mélinda, je te laisse… Ah !… Je pense que Thomas est revenu du travail… J'ai entendu le bruit des pneus et le claquement de la porte de la voiture. Veux-tu lui ouvrir la porte d'entrée ?

La fillette opina du chef et accourut à la porte, étonnée du changement de comportement, d'intonation et de sujet de sa mère. Thomas Gordon entra, ignorant royalement la fillette, embrassa son épouse sur les joues et s'assit sur un canapé au salon.


Paul Eastman, en voyant le procureur adjoint, se fâcha et une idée se présenta en son esprit. Il sourit à sa pensée et fonça sur le second mari de Beth pour le posséder. La possession étonna l'âme de Thomas Gordon. Désorientée, cette dernière assistait, impuissante, au déplacement de son corps à l'extérieur de la maison, pour se promener sans but dans la ville. Mélinda, en remarquant l'âme de celui qu'elle considérait être son père en face d'elle, était interloquée. Elle promenait son regard de l'âme de Thomas Gordon à sa mère et vice-versa, extrêmement confuse et ne comprenait guère la possession de Paul Eastman, cet homme qui était sympathique et gentil avec elle quelques minutes plus tôt. L'âme de Thomas Gordon observant froidement Mélinda avec un dédain à peine dissimulé, froideur encore plus accentuée par ses yeux bleu glacial, s'évanouissait sous le regard traumatisé de la petite fillette. Cette dernière ressentit un frisson lui parcourir l'échine. Sa mère, remarquant l'air effrayé de sa fille, feignant ne pas voir la possession de Tom Gordon par Paul Eastman, ni son âme entre elles, demanda innocemment et gentiment à sa fille en lui ouvrant les bras pour la câliner et la rassurer maternellement :

— Ma chouette, de quoi as-tu peur ?

— De papa, répondit la fillette d'une petite voix, effrayée, en fixant la direction où l'âme avait disparu. Il a été possédé par le Gentil Monsieur… Paul Eastman a-t-il dit qu'il s'appelait…

Beth s'agenouilla pour prendre dans ses bras sa fille pour la rassurer et la consoler. Elle la berça doucement contre son épaule droit et se releva quelques minutes plus tard pour lui demander gentiment :

— Mélinda, laisse ta fantaisie de côté… Je m'inquiète plus que Tom ait soudainement quitté la maison sans raison, alors qu'il vient d'arriver… Il reviendra certainement… Nous irons manger. Viens-tu ma chouette ? Il serait dommage que le repas se refroidisse.

La fille opina du chef et suivit sa mère jusqu'à la table, mangeant en silence. Thomas Gordon revint deux heures plus tard.


Le soir, dans son lit, les yeux grands ouverts, Mélinda réfléchissait à ce que lui avait dit Paul Eastman…

Thomas Gordon n'était pas son père… Thomas Gordon n'était son père… Thomas n'était pas son père… Thomas n'était pas son père…

Cette idée se répétait continuellement dans sa tête… Et elle l'effrayait…

Elle agitait nerveusement ses jambes et ses bras pour se réchauffer et pour chasser ses pensées, mais en vain.

L'esprit errant avait raison, lui chuchota une voix intérieure, rien dans la physionomie de Thomas Gordon, cet homme détestable aux yeux bleu glacial, ne permettait de conclure qu'elle soit sa fille… Contrairement à Paul Eastman, en qui elle se voyait comme dans un miroir… Elle était sa version féminine en un certain sens… Tel père, telle fille… Elle se sentait plus près de cet esprit errant que de sa mère… Elle avait la vague intuition que Paul Eastman et elle avaient quelque chose en commun… Quelque chose de plus que la simple apparence physique, une similitude d'esprit, de mentalité… La fillette ne pouvait le dire, elle ne trouvait pas le mot juste… Peut-être était-il son père ? Mais, pour l'instant, elle ne s'interrogeait pas à ce sujet et ne doutait jamais des propos de sa mère concernant son père…

Néanmoins, aux tréfonds de son âme, Mélinda était ébranlée et savait que sa confiance en sa mère venait d'être brisée à tout jamais. Ces paroles de Paul Eastman avaient été confinées dans son inconscient, ainsi que son doute concernant son père, parce que trop choquée pour considérer sérieusement cette option. Option qui remettrait en doute la confiance inébranlable qu'elle avait en sa mère, confiance en toutes les paroles de sa mère… Ce que son esprit de petite fille ne pouvait accepter… Que sa mère lui mente sur son père était impossible, inacceptable pour elle, sinon tout son univers était en chute libre. Elle ne pouvait concevoir comment sa mère, son unique figure parentale, cette mère qui s'occupait d'elle, malgré son incompréhension de son don singulier, pourrait lui mentir sur une question aussi importante qu'était son père. Considérer cette option dévastatrice aurait pour conséquence d'affecter, de détruire, voire de réduire à néant le respect et l'autorité de sa mère à ses yeux. Elle préférait refouler cette information plutôt que de la prendre au sérieux.

Sur cette pensée, la fillette, bien cachée sous les couvertures, s'endormit. Et Paul Eastman veillait sur elle depuis le cadre de la porte, content de la voir si paisiblement plonger dans les bras de Morphée.



Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Mélinda salua Paul Eastman qui l'attendait dans le salon. Beth accompagna sa fille jusqu'à l'école, très inquiète que Paul Eastman ne lui soufflerait un mot sur sa tragique fin. Une fois l'école terminée, Mélinda ressentit un regard bienveillant se poser sur elle. Elle se retourna et vit nul autre que son père, Paul Eastman. Ce dernier lui souriait, tellement heureux de voir la joie de sa fille, son ange. Il la suivait paternellement jusqu'à la maison et la laissa jouer seule avec son ami George pour aller posséder son meurtrier, qui était aussi le second mari de son épouse. En possédant régulièrement Thomas Gordon, il le tenait loin de Beth et de Mélinda, promenant son corps dans la ville. Et même lorsqu'il ne le possédait pas, Paul Eastman s'amusait à envoyer des avertissements à Thomas Gordon de s'éloigner au plus vite de sa famille. Des avertissements aussi variés qu'une chute des escaliers, un désordre dans les photographies où se trouvait le second mari de Beth, une alarme qui se déclencha lorsqu'il réprimait Mélinda ou un message écrit directement sur un papier et sur le miroir embué de la salle de bain.

Message qui disait : « Meurtrier immonde, vous ne pouvez m'échapper ! Tenez-vous le plus loin possible de ma famille, de ma femme et de ma fille, si vous ne voulez pas que je me venge ! N'oubliez pas l'expression la vengeance est un plat qui se mange froid. Œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie. Vie pour vie. »

Et le procureur adjoint, effrayé, angoissé, paniqué, comprenait vite les messages du père de Mélinda. La fillette ne saisissait pas comment ce gentil et sympathique esprit errant pouvait devenir si fâché et méchant envers Thomas Gordon sans raison. Mélinda eut peur de Paul Eastman et l'ignora le reste de la soirée. Ce qui attrista beaucoup l'esprit errant. Ce dernier demanda à la fillette, alors qu'elle jouait :

— Ma fille, ma Mélinda, pourquoi m'ignores-tu ? Je ne fais que t'aider. Thomas Gordon ne te dérangera plus bientôt.

La fillette se tourna vers son père et lui répliqua :

— Paul Eastman, pourquoi êtes-vous si méchant avec Thomas Gordon ? Il n'a rien fait de mal.

L'esprit errant soupira et répondit :

— Ma fille, il est mon meurtrier. Je veux te protéger de lui.

Mélinda l'observa, étonnée, effrayée et ébahie, opina du chef et revint à son jeu, l'ignorant.

Le père de la fille sourit en notant l'insouciance de Mélinda, tout en espérant qu'elle ne se fâchera pas trop sur son comportement. Il espérait qu'elle comprenne rapidement sa raison d'agir ainsi envers Thomas Gordon.


Il se déplaça devant son meurtrier pour lui envoyer un dernier message. Il le posséda et écrivit sur une feuille de papier les mots suivants :

« Ultimatum, ce soir. Sinon, vengeance et chasse-poursuite. »

Lorsque la possession cessa, le second mari de Beth, devenu blanc comme linge, s'effraya de la menace sérieuse de Paul Eastman et commença à préparer certains bagages pour son départ, sans donner d'explications à son épouse.

À vingt-deux heures, Thomas Gordon quitta définitivement le foyer familial, ne pouvant plus supporter la vue de Mélinda, la fille de sa victime, et les menaces sérieuses du père en colère. Avant de partir, il donna un collier à Mélinda avec un pendentif en forme de cœur. Une manière pour lui de se racheter et pour laisser à la fillette l'impression qu'il voulait être un bon père. Depuis ce soir, Mélinda et Beth vivaient seules dans la maison… La fillette gardait espoir que Thomas Gordon reviendrait, mais en vain… Elle bouda Paul Eastman, malgré sa présence quasi quotidienne à la maison.



Paul Eastman, une semaine plus tard, cessa d'être aux côtés de sa fille, parce que la douleur en son cœur augmentait de jour en jour devant l'ignorance de son épouse — ignorance à laquelle il s'était habitué depuis cinq ans — et surtout devant l'ignorance de sa fille, son ange — ignorance qui lui portait un coup dur à son amour paternel — malgré ses tentatives de la rassurer, de l'aider et de la soutenir. Mélinda le considérait responsable du départ de Thomas Gordon et de sa plus grande solitude en n'ayant que sa mère qui ne la comprenait pas comme figure parentale.

La fillette concevait bien que Paul Eastman soit fâché contre Thomas Gordon, malgré les cinq ans passés depuis son décès, mais au point de le chasser de sa maison, c'était un peu trop exagéré à ses yeux. Elle trouvait l'esprit errant trop vengeur. Surtout qu'elle ne saisissait pas son intérêt à vouloir garder Thomas Gordon, son unique figure paternelle parmi les vivants, si loin d'elle, alors qu'il ne représentait aucun danger pour elle. À ses yeux, les adultes étaient trop compliqués, étranges, incompréhensibles et irrationnels dans leur comportement. Elle décida de le bouder et de discuter uniquement avec son ami George.

Pour ne pas rester inactif, Paul Eastman, exaspéré de l'attitude de sa fille, décida de veiller au grain au moindre geste de son meurtrier, Thomas Gordon, pour être certain qu'il ne penserait pas nuire à Mélinda ou qu'il ne manigancerait pas un sombre dessein pour sa fille. Il se promettait de tout faire ce qu'il pouvait pour que son meurtrier soit loin de sa famille.

La petite chuchoteuse d'esprits en devenir ne savait pas trop comment comprendre le comportement de Paul Eastman, mais elle ne se faisait pas trop de souci pour lui depuis qu'il n'était plus dans son entourage. Elle trouva, cinq années plus tard, un soutien indéfectible en sa grand-mère maternelle, Mary-Ann. Cette dernière l'encourageait à ne pas négliger son don et lui donnait quelques conseils pour être passeur d'âmes, au grand désarroi de Beth.


✩✩


Dix-neuf ans plus tard, Mélinda, âgée de vingt-neuf ans, mariée à Jim Clancy depuis trois ans, était propriétaire d'une boutique d'antiquités à Grandeview. Elle avait oublié le mystérieux Paul Eastman de son enfance depuis longtemps…

Jusqu'à ce que, soudainement, alors que la jeune chuchoteuse d'esprits, dans la cuisine, rangea les aliments achetés à leur place, l'esprit errant se manifeste devant elle, la faisant sursauter, et lui affirme sérieusement, avec une lueur de colère et d'hostilité dans le regard et ses délicats traits durcis par l'émotion :

— Mélinda, il faut faire cette enquête que vous m'avez promis dix-neuf ans plus tôt pour mieux comprendre ma mort et pour mieux comprendre le rapport de Thomas Gordon avec mon décès… Faites vite… Si vous ne voulez pas que je m'occupe personnellement de lui… Je suis très fâché après ce procureur adjoint ! Trop de haine s'était accumulée en mon cœur et en mon âme !… Et vous m'avez réveillé en appelant votre père dans la ville souterraine où je somnolais… Faites cette enquête, vous aurez de surprenantes découvertes… Sinon, je suis Paul Eastman, l'homme qui voyait les esprits errants… Mais sachez que plus les années passent, plus je désire me venger…

Il parla ainsi et disparut. La chuchoteuse d'esprits, intriguée qu'un esprit sache son nom, s'inquiétait beaucoup pour Thomas Gordon. Il lui semblait qu'elle avait déjà entendu ce nom, Paul Eastman, et qu'elle avait vu cet homme beaucoup plus tôt, mais où ? Quand ? Comment ? Ce regard lui rappelait un lointain souvenir… À la différence qu'il n'y avait pas de haine ou de colère qui brillaient dans ses yeux… Elle ne pouvait se souvenir, tout était trop vague… mais elle se promit qu'elle éluciderait le cas de Paul Eastman et tâcherait de comprendre le rapport entre Thomas Gordon et lui, avant que l'esprit errant ne s'en prenne à celui qu'elle considérait comme son père, Thomas Gordon… Même s'il était exact que le qualificatif de « père » ne pouvait s'appliquer à ce dernier, il n'avait jamais été un père pour elle… Plus absent que rien d'autre… Et même lorsqu'il était à la maison, il l'ignorait… Le seul cadeau qu'elle se souvenait avoir reçu de lui était un collier avec un pendentif en forme de cœur qu'elle portait depuis ses dix ans, et qu'elle gardait comme un précieux souvenir.

Mélinda, la tête entre ses mains, assise sur une chaise, soupira à ses pensées et décida de commencer l'enquête sur le mystérieux évènement survenu en 1984**. Évènement qui liait Paul Eastman et Thomas Gordon, mais qui trouvait certainement ses racines beaucoup plus tôt.



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* L'École élémentaire Grade 5 équivaut au CM2 français aux États-Unis.

** Dans la série, Paul Eastman est mort en 1993, mais j'ai décidé de changer un peu la chronologie.

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