Bataille spirituelle

Chapitre 1 : Histoires de famille étonnantes et quelques autres découvertes

5691 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/12/2023 21:07


Mai 2008, Grandview, petite ville aux États-Unis,

Mélinda, petite et élégante brunette de vingt-neuf ans, est l'épouse de Jim, ambulancier, depuis trois ans. Elle est chuchoteuse d'esprits depuis son enfance et est propriétaire d'une boutique d'antiquités depuis trois ans. Boutique qu'elle partage avec sa nouvelle associée, Délia Banks, depuis deux ans. Récemment, elle a réglé le cas de Michael Wilkins, l'esprit errant d'un garçon de dix ans tombé d'un arbre. Il est mort pendu, étranglé, accrochant involontairement sa cape de super-héros à des branches de l'arbre. Et elle comprend que cet esprit errant a guidé Paul Eastman, un policier qui possède la même capacité qu'elle — celle de voir les âmes errantes — jusqu'à son cadavre. Une fois que l'esprit du garçon est parti dans la Lumière, Mélinda revient chez elle, observant la beauté des arbres et des fleurs dans toute leur splendeur quasi estivale et sourit en discernant la joie des enfants qui jouent, insouciants, dans le parc de la ville. La chuchoteuse d'esprits affirme à son mari, une fois assise sur le canapé en face de lui :

— Jim, j'ai l'impression que j'ai encore des mystères à élucider autour de Michael Wilkins. D'abord, comprendre ce Paul Eastman, le policier qui a découvert le cadavre parce qu'il a été guidé par l'esprit errant... Ce veut dire que je ne serai pas l'unique chuchoteur d'esprits des environs... Ensuite, j'ai l'impression que l'année même de la découverte du cadavre de Michael Wilkins, soit en 1979, est aussi un point tournant entre Paul Eastman et mon père, Thomas*. Il y a cet événement qui les lie d'une manière, mais j'ignore précisément comment. Paul Eastman est ce policier que j'ai vu hier et qui m'est venu en rêve hier soir, un cauchemar. Il se clame innocent et accuse mon père d'être son meurtrier. Il a même menacé de le retrouver pour le tuer... se lamente-t-elle, versant quelques larmes. Je crains énormément pour sa vie, continue-t-elle d'une voix brisée et tremblante. Je dois me dépêcher... de comprendre son cas... avant qu'il ne... s'en prenne... à mon père... Ou pire à toi... ou à moi, dans sa colère. Thomas est loin d'être le meilleur des pères, plus absent que rien d'autre de la maison, mais il demeure mon père... Je ne peux le laisser à la merci de cet esprit errant trop vengeur...

— Chérie, Mél, lui murmure gentiment son mari, la tenant par la main pour lui signifier son soutien inconditionnel, malgré la crainte qui se lit dans ses yeux bleus si charmants à l'idée qu'un défunt menace sa douce épouse. Calme-toi. Je ne doute pas en tes capacités, tu feras bien passer dans la Lumière ce policier qui se fâche contre ton père avant qu'il ne parvienne à le blesser ou à te menacer. Ne doute jamais en tes capacités, ma chérie. Commence tes enquêtes et, au besoin, fais appel à un inspecteur. J'en connais un : Carl Neely. Ce dernier est un ami d'études. En plus qu'il me doit un service, je l'ai aidé à maintes reprises lors de ses enquêtes avec mes contacts à l'hôpital et j'ai sauvé ses enfants d'un feu qui s'était déclaré dans l'appartement voisin, affectant le sien, l'an dernier. Je suis certain qu'il t'aidera.

— Merci, Jim ! Tu sais que t'es génial ? demande-t-elle avant de l'embrasser tendrement.

Son mari, pour toute réponse, l'enlace et la berce tendrement contre sa poitrine, jouant distraitement de ses doigts dans ses cheveux soyeux. Il espère sincèrement que Mélinda réglera rapidement le cas de cet esprit errant.


Quelques minutes plus tard, l'ambulancier laisse son épouse commencer ses recherches, alors qu'il part au travail. La chuchoteuse d'esprits décide d'aller aux archives publiques dans une bibliothèque de la ville pour récolter les informations officielles possibles. Là-bas, au sous-sol — à cet endroit se trouve les archives de Grandview —, le bibliothécaire, comme toujours, est très aimable : l'amabilité d'une porte de prison, mais elle insiste pour consulter les archives. Elle ne se laisse pas dissuader par son air sévère et peu avenant, particulièrement lorsque le lieu est ouvert au public. Alors qu'elle parcoure les rayons des archives pour retrouver l'année 1979, elle discerne un esprit d'un homme de son âge. Ce dernier, un homme de trente ans, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon bleu marine, les traits délicats, élégant, à la mine espiègle, l'aborde en ces termes :

— Madame, cherchez-vous un livre en particulier ? Je peux vous aider.

— Monsieur... murmure-t-elle pour que l'autre ne l'entende pas.

— Scott Davidson, bibliothécaire depuis quelques années, précise-t-il.

— Le bibliothécaire, aurez-vous la gentillesse de m'indiquer où sont les documents de l'année 1979 ?

— Oui, aucun problème ! répond joyeusement, sourire forcé, l'esprit errant. L'année 1979 est par là-bas !

Il pointe de sa main droite le couloir de gauche au fond de la bibliothèque. Mélinda opine du chef et se dirige vers l'endroit indiqué. Elle parcourt l'étagère et s'arrête, feuilletant les articles de journaux. En lisant, elle comprend que Paul Eastman a été accusé du meurtre de Michael Wilkins et que son père a été le juge qui s'est occupé du cas. Thomas a condamné Paul Eastman a neuf ans de prison. Le procès s'est étiré pendant cinq ans, soit de 1979 à 1984. Et, lors du procès, le policier a été gardé en prison. Il a été délivré en 1993, mais toute trace de son existence s'est perdue. Ce même Paul Eastman a été le fiancé de sa mère, Élizabeth : le couple a vécu à Grandview pendant quelques années. Même après son remariage avec Thomas, elle a vécu à la même adresse avant de quitter la ville. Cette dernière information étonne le plus la chuchoteuse d'esprits, puisqu'elle ne se souvient pas qu'elle a passée une partie de son enfance à Grandview. Elle est perplexe, étonnée, intriguée. Bouchée bée en lisant l'article, l'antiquaire décide qu'elle rendra visite à sa mère bientôt. Elle habite dans la ville voisine, ville qui est aussi sa ville natale. Avant de quitter la bibliothèque, Mélinda prend en note sur des feuilles dans un dossier spécial les informations concernant sa famille, sa mère, celui qu'elle considère comme son père et Paul Eastman.


Mais avant d'aller chez sa mère pour discuter de son enfance et de son passé, elle passe au bureau de l'inspecteur Carl Neely. Frappant à sa porte, elle attend patiemment qu'il lui ouvre, ce qu'il fait quelques minutes plus tard. Le grand homme en uniforme aux traits sévères, aux cheveux noirs comme l'ébène et aux yeux brun foncé l'accueille d'un geste de la main et lui demande poliment :

— Madame, quelle est la raison de votre venue à mon bureau ?

— Je suis Mélinda Gordon, épouse de votre ami Jim Clancy.

Un sourire se fend sur le visage de l'agent de l'ordre à la mention de son ami.

— Et que voulez-vous ? lui demande-il, très intéressé et intrigué.

— Je veux solliciter votre aide pour mieux comprendre ce qui unit Paul Eastman, un policier accusé d'infanticide, à mon père, Thomas Gout, et ma mère, Élizabeth Gordon. Pouvez-vous aussi me retrouver l'adresse de la maison où mes parents ont vécu à Grandeview ?

— Aucun problème, je vous ferai bien ce service, en pensant à toutes les fois que Jim m'avait aidé, je lui suis redevable. Mais, je vous avertis, il me faudra plus de temps que d'habitude, comprenez bien que je dois prendre mes précautions pour ne pas être découvert par mon supérieur. Vous savez, sans doute, que les sanctions disciplinaires sont très sévères.

— Oui, très bien alors, je prendrai mon mal en patience. Merci infiniment pour votre aide, inspecteur Carl Neely, s'écrie, ravie au fond de son âme, la bientôt trentenaire.

Sur ces mots, elle sort du bureau de l'inspecteur, revenant à sa boutique d'antiquités, rangeant les nouvelles acquisitions, décidant de rendre visite à sa mère dans trois jours. Ne doutant pas que l'âme de Thomas Gout, son beau-père, la suit de loin derrière son dos, parce que son corps est possédé par Paul Eastman.



Le lendemain matin, en ouvrant les yeux, Mélinda remarque Thomas Gout dans sa chambre. Effrayée, les yeux agrandis de peur à l'idée qu'il soit défunt, elle bredouille :

— Père... Es-tu... encore parmi... les vivants ? Es-tu ... défunt ?

Elle sanglote.

— Mélinda, ne pleure pas. Je suis vivant..., murmure d'une voix désincarnée le juge. C'est juste que je dois te protéger de Paul Eastman. Il veut te blesser et moi, je te défends de son influence pernicieuse. D'ailleurs, je pense que mon corps est en danger, je pars le rejoindre. Au revoir, mais je te donne un conseil : Ne crois à personne. Tout le monde peut mentir, m'incluant.

— Attend ! s'écrie-t-elle, angoissée. Dis-moi où tu vis... Tu ne vis plus avec ma mère depuis plusieurs années, n'est-ce pas ?

L'âme opine du chef et, faible sourire, répond à contrecœur :

— J'habite dans un petit appartement de la ville voisine, au 268 rue DelaVictoire, deuxième étage.

Il parle ainsi et s'en va, laissant l'antiquaire alarmée et angoissée au-delà de l'imaginable. Elle se dépêche de s'habiller et de se rendre à l'adresse mentionnée. Elle arrive en trombe devant l'appartement, frappant à répétition à la porte. Personne n'ouvre et seule l'âme de son beau-père se tient tristement devant elle, une tâche de sang qui salit sa chemise bleu ciel. Paniquée, les yeux agrandis par la terreur, elle appelle, d'une voix tremblante et hurlante, Carl Neely et son mari. Ces derniers arrivent immédiatement à l'appartement. Les deux amis forcent la porte pour trouver Thomas Gout avachi sur le canapé du salon, une arme à feu à la main droite, une tâche de sang sur sa chemise, marque indélébile et indiscutable de sa tentative de suicide. Jim vérifie les signes vitaux de son beau-père et l'amène d'urgence aux soins intensifs, rassuré qu'il puisse être encore vivant. Mélinda et Carl Neely observent minutieusement l'appartement, malgré les tremblements qui agitent le corps de la chuchoteuse d'esprits. Cette dernière discerne Paul Eastman dans un coin du salon, penaud. Elle l'apostrophe :

— Monsieur Paul Eastman, pourquoi poursuivez-vous mon père ? Pourquoi autant de rancœur ?

— Continuez à enquêter et vous comprendrez... Tout se clarifiera, lui répond l'esprit sur un ton énigmatique avec une pointe de colère. Revenez dans la maison de votre enfance... Toutes les réponses s'y trouvent. Mais je vous avertis que la vérité n'est pas facile à affronter...

— Attendez, non ! Ne partez pas ! hurle-t-elle en vain.

L'esprit errant du policier est parti. Carl Neely la regarde bizarrement et lui commente :

— Êtes-vous correcte, madame Mélinda Gordon-Clancy ? Voulez-vous prendre un peu d'air à l'extérieur pour vous changer les idées de la scène horrible que vous venez de voir ? Je comprends bien que ce soit traumatisant.

— Il est certes traumatisant de voir son père presque mort, approuve-t-elle d'une voix brisée, mais je hurlais sur un esprit errant, l'âme d'un défunt qui vit encore parmi nous. Cet homme, Paul Eastman, hante mon père. Il a possédé Thomas pour le pousser au suicide, déplore-t-elle.

— Vous voyez les âmes ? s'étonne, incrédule et sceptique, l'ami policier de son mari. Étonnement qui se perçoit sur son visage, dans ses yeux et au ton de sa voix. Je l'ignorais. Si vous êtes sérieuse, ce que je ne doute pas, bonne chance pour régler ce cas. Je suis un homme beaucoup trop rationnel pour tout cela... Déjà mon métier d'inspecteur n'est pas de tout repos, je n'ai pas envie de considérer en plus les défunts ! Terminons cette tournée et je vous laisse poursuivre vos affaires d'esprits. Mais sachez que je ferai l'enquête demandée.

— Merci et à la prochaine.

L'agent de l'ordre sort de l'appartement une fois la tournée accomplie et revient à son bureau rédiger un rapport. Mélinda note la présence de deux cartes sur la petite table du salon. Elle les prend, les observe et s'étonne : deux billets de train de New York à Grandview. Pourquoi deux billets ? se demande-t-elle, intriguée. Elle les laisse sur la table et revient à sa maison.



Le lendemain matin, Gabriel Lawrence, le fils de Thomas Gout, rentre dans l'appartement, saluant l'âme du juge qui l'attend depuis peu. Celle-ci lui lance amèrement ces mots :

— Mon fils, il faut que tu fasses quelque chose pour essayer qu'elle soit de notre côté... Mais n'agis pas de telle manière qu'elle meure... Il faut qu'elle soit vivante.

— Très bien père.

Sur ces mots, le fils ramasse les billets laissés deux jours sur la table et déambule dans les rues de la ville, réfléchissant à son plan. Une idée surgit dans son esprit, souriant, il murmure :

— J'ai un plan... La ville souterraine et Hadès... Excellent ! Mon plan fonctionnera.



Le surlendemain matin, Carl Neely frappe à la porte de Mélinda. Cette dernière, ne s'attendant pas à une visite matinale, l'accueille quelques minutes plus tard à l'intérieur, très étonnée. L'inspecteur, encore dans le cadre de porte, sort un dossier et, possédé par Paul Eastman, sous les yeux éberlués de la chuchoteuse d'esprits, griffonne des chiffres sur la couverture, et elle lui demande, pointe de curiosité dans la voix et intriguée des chiffres qu'elle ne parvient pas à lire à l'envers :

— Carl Neely, êtes-vous correct ? Qu'avez-vous écrit sur le dossier ?

Étonné, l'inspecteur promène son regard de sa main droite à la couverture du dossier et bredouille, gêné :

— Mes excuses, madame, j'ai eu froid. Comme un courant d'air qui me traverse jusqu'à la moelle même de mes os. Bizarre en ce mois-ci de l'année ! Je ne saurai vous dire plus... Et encore moins trouver un sens à ces chiffres... Encore une fois, ne tenez pas compte de ce griffonnage sans importance...

Il essaie d'afficher un sourire nonchalant pour ne pas inquiéter Mélinda, mais en vain : ses sombres yeux le trahissent. Une lueur de panique y brille. Elle n'insiste pas plus que nécessaire et, sourire sincère et amical aux lèvres, affirme :

— Merci beaucoup, Carl Neely. Venez à l'intérieur prendre un thé ou un café, si vous le désirez. Je lirai attentivement le dossier. Votre rapidité m'étonne pour être honnête ! Votre dévouement et votre sérieux sont fort appréciés.

— Il n'y a pas de quoi. Je ne fais que mon travail, consciencieux que je suis. D'ailleurs, décline-t-il poliment en jetant un rapide coup d'œil à sa montre, je ne veux pas vous déranger plus longtemps. Le thé et le café sont fort appréciés, mais mon travail exige que je sois à mon bureau dans quelques minutes.

Il rentre de quelques pas dans la maison, encore dans le vestibule, donnant le dossier à la chuchoteuse d'esprits, et murmure :

— Alors à la prochaine, madame Gordon. Au revoir.

L'inspecteur sort immédiatement. À peine est-il sorti que la brunette s'assoit à table, buvant du thé, et feuilletant le résultat d'enquête du dossier tout en essayant de déchiffrer le sens du mystérieux chiffre écrit sur la couverture. Mais le chiffre demeure une énigme. Elle appelle son ami le professeur Richard Payne. Ce dernier est professeur d'anthropologie à l'université locale, l'Université Rockland, spécialisé dans les sciences occultes. Il l'a aidé maintes fois avec ses connaissances pour résoudre des énigmes de certains esprits.

Le quarantenaire répond immédiatement, ne travaillant pas aujourd'hui et lui donne rendez-vous à 13 h 00 à son bureau. Une fois les combinés raccrochés, Mélinda note les informations trouvées, à savoir que sa mère et Paul Eastman ont vécu à Grandview, à la maison située au 279 rue Hazelberg depuis 1977 jusqu'à son procès et que sa mère et Thomas ont vécu à cette même adresse entre 1987 à 1993, soit depuis avant sa naissance jusqu'à ses quatorze ans. Intriguée qu'elle ne puisse se souvenir de son enfance à Grandview, la fille d'Élizabeth Gordon pense que sa mère a certainement quitté Grandview pour Smallview lors de son accouchement. Même si qu'elle ne comprend guère le comportement de sa mère, l'Hôpital Mercy à Grandview possède également une aile spécialisée pour les naissances et accouchements.


Perplexe et fatiguée, la trentenaire se rend à sa boutique pour se changer un peu les idées de l'enquête en cours. Saluant Délia Banks, elle s'informe des dernières acquisitions. Elle descend dans l'entrepôt pour faire l'inventaire. Une heure plus tard, elle se sent observée avec insistance. Se retournant, elle entend un grincement horrible d'un meuble dont les tiroirs s'ouvrent et se ferment. Mélinda discerne l'esprit qui la fixe : Thomas Gout. Elle blêmit et murmure :

— Papa... Ne me dit pas que ... tu es mort ?

— Non, mais je suis aux soins intensifs et je pense sérieusement que Paul Eastman veut me tuer. J'espère qu'il ne te dérange pas, Mélinda ?

— Non, hormis un cauchemar.

— Très bien, je suis rassuré, soupire son beau-père. Alors nous nous revoyons lorsque je serai rétabli, n'est-ce pas ?

Pour toute réponse, elle opine du chef à son attention, inquiète et attristée que son père soit si bon en la protégeant de ce policier fâché. Et Thomas Gout regagne son corps, laissant Mélinda morte de frayeur. Elle abandonne instantanément l'inventaire pour accourir le plus rapidement qu'elle le pouvait à l'Hôpital Mercy. Jim la salue et la suit, très inquiet de voir son visage affligé et son regard alarmé. Mélinda, s'arrêtant devant la chambre où est Thomas Gout, demande au médecin qui sort :

— Monsieur le médecin, je suis la fille de cet homme qui a raté son suicide. Pouvez-vous m'informer de son état ?

— Oui, aucun problème, réplique-t-il d'une voix monotone. Il doit se reposer, mais sachez que vous pouvez lui rendre visite.

— Merci beaucoup.

Et elle rentre en vitesse dans la chambre, s'assoyant au chevet du blessé, le tenant par la main, très inquiète. Thomas lui sourit et lui murmure gentiment :

— Mélinda, tu es trop gentille avec moi... Je ne fais que te protéger de Paul Eastman. Tu ignores comment il te haït.

— Papa, ne dit pas ces tristes mots ! affirme-t-elle entre des sanglots.

— Non, Mélinda. Je veux uniquement que tu ne sois pas en danger. C'est ce qui compte le plus pour moi.

— Rétablis-toi bien alors. Et on se reparle dès que tu iras mieux.

Son beau-père ne fait que lui sourire et approuve d'un geste de la tête son propos. La trentenaire revient à sa boutique terminer son inventaire.


À 13 h 00, comme prévu, Mélinda se rend au bureau du professeur Richard Payne. Ce dernier un quarantenaire veuf depuis cinq ans, élégant homme aux cheveux blonds, aux yeux bleus pétillants de curiosité, vêtu d'une chemise blanche et d'un complet beige, l'attend, heureux d'aider son amie qui l'intrigue toujours avec ses histoires d'esprits errants. Le professeur l'invite à l'intérieur et essaie de décrypter les chiffres. Quelques minutes plus tard, il lui annonce très sérieusement :

— Honnêtement les chiffres 1551993 peuvent être un code ou une date. S'il est question d'une date, ce peut être soit le 15 mai 1993, soit le 15 mars 1995, soit le 13 mai 1995 ou le 5 mai 1993... Le chiffre cinq revient beaucoup... Cinq, le chiffre associé à la lettre ה (), lettre qui apparaît deux fois dans le Nom divin, la lettre e et la lettre д ()... Avec ces lettres, le mot français apparaît. Le dé fait référence à la fois à l'expression Les dés sont jetés ou au dé- privatif qui marque la négation... Bref, une situation qui n'est guère bonne pour vous, je pense... Cinq comme les cinq livres de la Torah, les cinq piliers de l'Islam, les cinq prières quotidiennes... La vérité et la gnose, le souffle de vie... Le pentagramme, l'étoile et l'éther... Je dois avouer que mes réflexions ne doivent guère vous aider, n'est-ce pas ?

Il lance un regard par-dessus ses lunettes de lecture et sourit en voyant la mine étonnée et un peu perdue de son interlocutrice.

— Mais revenons plus sérieusement à votre mystérieux chiffre... Je propose soit une date, soit un code... Mais le problème des codes et qu'il peut exister diverses manières de les lire...

— Merci beaucoup, monsieur Richard Payne pour votre aide, lui lance-t-elle chaleureusement, malgré qu'elle ne suit plus les explications embrouillées du professeur. Je verrai si le sens s'éclaircira en cours d'enquête, ne vous tracassez pas trop à essayer de trouver un code.

— Très bien. Alors au revoir.

Elle revient chez elle encore plus perplexe qu'avant, mais l'hypothèse d'une date lui semble la plus plausible.


Simultanément à la venue de Mélinda à l'hôpital, Gabriel Lawrence s'assoit sur un banc du parc avoisinant la boutique de sa demie-sœur et murmure, creusant un petit trou de quelques centimètres avant de se couper un peu le doigt pour laisser quelques gouttes de sang tomber :

— Mon maître, daignez venir à moi et m'écouter. J'ai repéré la mortelle qui vous intéresse. Accueillez bienveillamment ma supplication et mon sang.

Le maître des Enfers apparaît. Forme noire, ténébreuse et maigre, ses yeux noirs comme l'obsidienne le fixe, implacables, sa voix caverneuse résonne dans tout le corps de Gabriel :

— Mon fidèle serviteur et fidèle croyant, dites-moi le nom de cette femme ?

Se prosternant, front touchant le sol, les mains tremblantes de peur, le chuchoteur d'esprits répond, d'une voix à peine audible :

— Cette femme est Mélinda Gordon, épouse de Jim Clancy. Malgré son sombre prénom, elle n'est pas de notre côté. Elle est contre nous. Nous sommes opposés. Mais mon père pense qu'il est possible de l'entraîner de notre côté, ce que je ne crois pas trop. Par contre, il est très probable de l'effacer de la surface de la Terre, non ?

— Une guerre avec cette mortelle ? s'offusque le sombre dieu, revêtant sa kunée, donnant un air encore plus désincarné, irréel et terrifiant à sa voix. Je vous rappelle que je ne me mêle pas à ces basses affaires. J'ai d'autres préoccupations plus dignes de mon rang. Je vous autorise à être secondé par le millième sous-général de mon armée, Romano. Ne me dérangez pas pour ces pacotilles mortelles !

Le dieu grec s'en va. Romano se manifeste à la gauche de Gabriel et affirme :

— Mon cher Gabriel, à nous deux, nous éliminerons Mélinda Gordon... N'oubliez pas que j'ai des hommes à mes ordres... ou plutôt des âmes...

— Nous pouvons lever une armée d'âmes qui attaqueront Mélinda... Elle n'a aucune chance de leur résister...

— Excellente idée ! susurre l'esprit, sourire aux lèvres, réajustant son chapeau noir. Je vais réunir mon escadron de la mort, mes fidèles SS.

L'esprit, aspiré par le souterrain, laisse le vivant ravi. Gabriel, le cœur léger, certain de la réussite de son plan, se promène sans but dans la ville, continuant à recruter des âmes errantes pour augmenter les rangs de son dieu.



Le lendemain matin, une fois que Jim a entendu de sa femme les propos de Thomas Gout, il décide de lui rendre visite pour discuter un peu entre hommes. Sur un ton amer et sévère, ses yeux bleus, toujours joyeux et pétillants, sont maintenant froids, couvant une sourde colère, lui éructe à mi-voix :

— Monsieur Gout, mon beau-père, je vous informe de ne pas trop se jouer de ma femme, ma Mélinda. Je suis exaspéré de votre jeu et de vos non-dits.

Il s'approche à quelques millimètres de son visage et continue sur un ton glacial.

— La prochaine fois, je pourrai ne pas me presser pour vous amener aux soins intensifs. N'oubliez pas que j'ai noté votre adresse.

Le visage du juge devient blanc comme linge, médusé, les yeux écarquillés de peur, avalant difficilement sa salive, lance, dans un faible souffle :

— Vous ne pouvez pas agir ainsi. C'est contre votre code de travail ! C'est contre votre code déontologique ! glapit le juge.

Son regard terrorisé fait sourire Jim.

— Je le sais bien, mais pour vous, mon très cher beau-père, je ferai une exception. Je dois vous avouer que j'aimerai bien vous jeter par-dessus la fenêtre le jour de mon mariage, mais ma conscience morale vous sauve. Je ne veux pas avoir votre sang sur mes mains, ni votre âme sur ma conscience.

Thomas Gout opine du chef et murmure faiblement :

— Bien, monsieur Clancy. Je ne pensais même pas me jouer de votre épouse... Je vais lui expliquer la vérité.


Simultanément à la visite de Jim à Thomas Gout, Mélinda arrive devant la maison de son enfance. Cette maison, délabrée, abandonnée depuis longtemps, est sordide à voir, mais elle ne se laisse pas décourager. Elle entre dans la demeure, armée d'une lampe de poche, parcourant les différents étages. En prenant les escaliers qui mènent au sous-sol, son poids crée un grincement horrible, puis un craquement des marches. Elle tombe comme dans un gouffre, se blessant de peu. Se relevant avec difficulté, elle ressent quelque chose de solide sous ses doigts. Intriguée, elle déterre manuellement, du mieux qu'elle peut, cette chose. Elle faillit vomir toute sa bile en comprenant ce qu'elle vient de déterrer : un crâne et un pot contenant des cendres. Elle pense que les restes sont ceux de Paul Eastman. Effrayée à l'idée qu'un meurtre soit camouflé dans la maison, Mélinda sort du sordide endroit, profondément perturbée, les jambes tremblantes, le cœur battant mille à la seconde. Devant la porte d'entrée, l'esprit errant du policier l'attend, les poings serrés. Il lui éructe :

— Vous venez de trouver mon cadavre ! Il ne manque qu'à comprendre mon meurtrier ! Le salaud ! Qu'il brûle en Enfer pour l'éternité, lui et sa complice, votre mère !

Il s'évapore, laissant un frisson parcourir l'échine de la chuchoteuse d'esprits. Cette dernière, sentant poindre un mal de tête, revient chez elle. Elle chuchote pour elle-même :

— Je comprends mieux sa rancœur. Avoir son cadavre camouflé dans un sous-sol doit être très frustrant et bizarre... Surtout bizarre, parce que mon père, Thomas, serait alors son meurtrier.... Mais pourquoi ? Comment ? C'est ignoble, abject, innommable... Il faut que je continue ma recherche...

Elle cherche plus d'informations sur Paul Eastman et apprend qu'il a été libéré de la prison en 1993 sous condition de ne jamais rencontrer certaines personnes, dont Thomas Gout. Depuis, il est porté disparu, toute trace de son existence s'efface. L'esprit errant, soudain à sa droite, affirme froidement :

— 1993 est l'année de ma mort... Année où je ne suis plus parmi les vivants...

— Les chiffres griffonnés par Carl Neely signifient le jour et l'année de la mort de ce policier, soit le 15 mai 1993, murmure-t-elle, ébahie, mais aussi inquiète et apeurée de ce qu'elle pourra encore découvrir.

Le soir, dans son sommeil, elle saisit que Paul Eastman est mort parce que Thomas Gordon l'a tué avec un immense bâton de bois improvisé au visage et au ventre, qu'il a brûlé le cadavre et enterré au sous-sol, à l'exception du crâne. Mélinda se réveille en sueur, malgré qu'elle trouve encore obscure la motivation de son père à le tuer... Sauf si l'esprit ne lui montre que son point de vue erroné. Elle ne peut aucunement imaginer son père être un meurtrier... Mais elle est néanmoins ébranlée jusqu'au tréfonds de son être à l'idée que Thomas, son père, soit un froid homicide.



Cinq jours plus tard, le beau-père de Mélinda est libéré de l'hôpital et la chuchoteuse d'esprits l'attend, l'aidant gentiment.

— Mélinda, viens t'assoir sur ce banc là-bas. Il faut que je te clarifie mon histoire et celle de Paul Eastman.

Elle obtempère, malgré l'inquiétude dans ses yeux.

— Mélinda, veux-tu me dire ce que tu te souviens de ton enfance, puis je compléterai avec mes souvenirs ?

— Pour être honnête, je ne garde pas de souvenirs très précis, hormis d'un cadeau. Ce collier.

Elle montre d'un geste de la main le collier avec le pendentif en forme de cœur qu'elle porte.

— Je suis très attachée à ce cadeau, continue-t-elle d'une voix émue... Il est le seul souvenir que j'ai de toi, père. Sinon, tu étais plus absent que rien d'autre, mais tu es mon père.

Le juge ne peut cacher son étonnement pendant quelques secondes, mais se ressaisit rapidement.

— Très bien. Veux-tu que nous allons dans la maison de ton enfance ? Peut-être certains souvenirs te reviendront.

— Demain. Ainsi, tu auras le temps de te reposer.

Sur ces mots, le juge se traîne difficilement appuyé sur des béquilles. Il revient dans son appartement et Mélinda, dans sa boutique. Rangeant des objets, elle s'arrête devant un miroir, fixant son reflet. Soudain, elle est dans une vision.

Elle court jusqu'à la maison qu'elle a visitée cinq jours plus tôt, se dirigeant vers les escaliers, elle entend un bruit sourd d'une vitre brisée pour discerner dans la noirceur la figure de Thomas Gout devant elle. Il lui éructe, à mi-voix :

— Paul Eastman, que faites-vous ici ? Qui cherchez-vous ? Vous voulez tuer ma femme et ma fille, n'est-ce pas ? Oubliez vos plans, c'est moi que vous devez affronter.

— Thomas Gout, sordide esprit retors ! s'offusque-t-elle. Je viens pour voir ma fiancée et ma fille. Vous le savez bien qu'elle ne peut être vôtre.

Le juge s'approche d'elle, armé d'un bâton, prêt à la frapper.

Fin de la vision.

Mélinda, ébranlée par sa vision, fort perplexe, s'assoit pendant quelques minutes, essayant de rassembler les morceaux du puzzle complexe de la relation entre sa mère, son père et Paul Eastman.


Un peu plus tard, Mélinda invite sa mère chez elle pour discuter du cas de Paul Eastman. Jim aussi est présent, invitant chaleureusement sa belle-mère dans leur maison. La fille, mine sérieuse et ton un peu froid, affirme :

— Mère, tu dois m'aider à comprendre un certain rapport entre Paul Eastman, Thomas et toi. Quelque chose m'échappe, alors répond honnêtement à mes questions.

— D'accord. Que veux-tu savoir ?

— Qui est Paul Eastman ? Il a été ton fiancé... Comment as-tu rencontré et marié si rapidement Thomas, mon père ?

— Paul Eastman a été mon fiancé. Nous nous sommes rencontrés parce que nous partageons un même don : celui de communiquer avec les esprits errants. Il a été injustement accusé du meurtre d'un garçon et Thomas a été le juge qui s'est occupé du procès de mon fiancé. Je suis aussi venue au bureau de Thomas pour le convaincre de la véracité du don de Paul. Je lui ai prouvé mon don en le signalant la présence de son prédécesseur à son bureau. Fasciné, il s'est rapproché de moi. Nous avons discuté et il m'a promis qu'il fera tout pour délivrer mon fiancé. Et Paul m'a envoyé des lettres. Dans ces dernières, il m'a mentionné que Thomas veut le tuer à tout prix : il a engagé un criminel pour le tuer, mais il a raté son coup. Paul a été voyant et a maîtrisé le criminel, malgré son arme. Depuis cet épisode, il a été placé dans une cellule séparée des autres détenus. Paul a voulu tant me voir, je le perçois dans ses lettres, et non seulement me voir, mais aussi rencontrer sa famille. Je l'ai informé que j'étais enceinte.

— Enceinte de quel enfant, mère ? Je ne me rappelle pas d'avoir un demi-frère ou une demie-sœur.

— Effectivement, réplique-t-elle.

— Alors qui ? Moi ? demande-elle, offusquée, en fixant sa mère, attendant sa réponse.

Élizabeth Gordon, la cinquantenaire aux yeux brun foncé, les yeux baissés, joue nerveusement avec certaines boucles de ses longs cheveux bruns.

— Ma belle-mère, ajoute Jim de sa belle voix masculine, avec autorité et force, tenant la main droite de sa femme entre ses mains en signe de soutien, répondez honnêtement. Votre fille, mon épouse, ne veut savoir qu'une chose : la vérité. Alors dites-la sans détour !

Après quelques minutes de silence, silence qui semble une éternité pour le couple, elle soupire et murmure à sa fille :

— Très bien. Je vais répondre directement. Ton père, Mélinda, n'est ni Thomas Gout, mon présent mari, ni Paul Eastman, mon premier fiancé, mais c'est un troisième homme... ou un dieu devrai-je dire. Un dieu grec pour être plus précis.

— Qui est-ce ? insiste-t-elle sur un ton amer, très déçue en son cœur que sa mère lui mente sur un sujet si important qu'est son père.




À suivre.



* Dans la série Ghost Whisperer, Thomas a pour nom Gordon, mais nous le changeons pour en faire le nom de jeune fille d'Élizabeth, la mère de Mélinda, pour justifier le nom de la fille. Donc, j'ai changé Thomas Gordon en Thomas Gout.

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