Cathédrale Basile-le-Bienheureux

Chapitre 1 : Cathédrale Basile-le-Bienheureux

Chapitre final

5563 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/12/2023 03:38

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr, Le Lieu Sacré (septembre à octobre 2022)




Собор Василия Блаженного, Cathédrale Basile-le-Bienheureux




Par un beau jour de janvier 2010, à Grandeview, petite banlieue aux États-Unis, Mélinda, une chuchoteuse d’esprits avec plusieurs années d’expérience, propriétaire d’une boutique d’antiquités, se dirige tranquillement vers son lieu de travail. Sourire aux lèvres en voyant la neige qui tombe doucement recouvrant les trottoirs et la route d’une belle couche blanche et scintillante au soleil, ses yeux brillent d'un plus bel éclat en discernant les enfants jouer dans le parc, lui rappelant sa propre insouciance enfantine. En entrant, elle est accueillie par un vieil homme barbu, un esprit errant de soixante-dix ans. Vêtu d’une soutane noire de pope, cachant son élégance naturelle néanmoins perceptible, ce dernier porte un imposant collier d’or orné d’une croix orthodoxe qui pend sur sa poitrine et un skouphos sur la tête. Le grand homme aux traits délicats passe sa main droite où trône une alliance d’or à son annulaire dans ses cheveux poivre et sel pour calmer sa nervosité visible dans ses yeux bruns. Cette même main aux longs doigts élégants qui tenait les Saintes Écritures en slavon et une menée quelques secondes plus tôt. Fermant la porte, la petite brunette l’apostrophe respectueusement, impressionnée par la simplicité que lui inspire l'esprit et intriguée de sa présence dans sa boutique :

— Révérend Père, qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Pourquoi êtes-vous encore parmi les vivants ?

Le visage du pope s’illumine à ses mots, son regard brille d’un éclat nouveau et lui affirme d’une belle voix chaleureuse :

— Que Dieu vous bénisse ! Je suis le Révérend Père Dimitri Nikolaïevitch Bogolioubov, pope à la Cathédrale Basile-le-Bienheureux depuis dix ans, décédé il y a deux jours et je ne me rappelle plus les circonstances de ma mort. J’erre parce que je veux que mon fils, Vladimir, récupère mon icône. Cette dernière représente l’Archange Michel. J’ignore où elle est. Est-elle dans ma maison, à la cathédrale ou que sais-je où ? Sauf si elle a été volée ?

— D’accord. Et vous voulez que je retrouve cette icône pour la donner à votre fils Vladimir et que j’élucide la circonstance de votre mort. Puis vous partez dans la Lumière. 

Le pope confirme d’un geste de la tête et murmure en slavon :

— Béni soit notre Dieu, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

Sur ces mots, il s’en va dans les airs, laissant Mélinda perplexe. Son plus grand problème est d’aller en terre dont elle ignore la langue. Elle soupire, mais s’encourage en pensant que Dimitri Nikolaïevitch l’aidera bien pour traduire les propos des vivants et pour la guider en terre orthodoxe. 


Quelques minutes plus tard, la trentenaire, rangeant des antiquités dans l’entrepôt, entend un bruit derrière son dos, le bruit d’un grincement à écorcher les oreilles. Se retournant, elle discerne le pope russe qui a déplacé un vieux meuble imitant le style rococo. Lançant un regard interrogateur à l’esprit, la chuchoteuse d’esprits s’approche du meuble et de lui pour constater que derrière celui-ci se cache une icône russe de Saint Georges combattant le dragon. Elle la prend entre ses mains et, à son contact, est transportée dans une vision.

Elle tient entre ses mains une icône et s’avance à petit pas vers la cathédrale Basile-le-Bienheureux, reconnaissable à ses clochers à bulles colorées. En entrant dans l’édifice religieux, la chuchoteuse d’esprits se dirige vers une chapelle, impressionnée par les murs aux décorations florales et aux fresques, où des icônes trônent en reines, dont une Vierge orante, un Christ en majesté et Saint Jean le Théologien. Elles inspirent une indicible beauté aux yeux et un apaisement à l’âme, émouvant Mélinda jusqu’aux tréfonds de son être. Tenant les Évangiles en slavon entre ses mains, elle lève les yeux au plafond, notant la beauté et la grâce de l’architecture et de l’art : des saints autour d’une croix orthodoxe en gloire entourée d’une lumière dorée. Elle est suivie d’un diacre à sa droite habillé des vêtements liturgiques — dalmatique, étole et aube — et tous deux arrivent devant la porte royale. Les deux se signent trois fois accompagnés de petites métanies chaque fois. Puis le diacre aux yeux bleu-vert hypnotisants ordonne de sa belle voix masculine :

— Bénis, maître.

Mélinda répond :

— Béni soit notre Dieu, en tout temps, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles.

— Amen. Gloire à Toi, notre Dieu, gloire à Toi. Roi céleste, Consolateur, Esprit de vérité, Toi qui es partout présent et qui emplis tout, Trésor des biens et Donateur de vie, viens et fais ta demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, Toi qui est bonté.

Fin de la vision.


Mélinda, tenant encore l’icône, murmure au pope :

— Ainsi, votre dernier moment de vie sur Terre était au service de Dieu, n’est-ce pas ? Cette icône est-elle vôtre ?

— Je pense que j’ai rendu l’âme lors d’une liturgie… Sauf si je me trompe… Et que le diacre m’a tué par des voies occultes… Le peuple dit qu’il avait commerce avec Satan… L’icône que vous tenez n'est pas la mienne, mais j'en possédais une similaire. Un cadeau de mon père, feu Nikolaï Vassilievich.

— Très bien, Révérend Père. Mais qui est ce diacre, cet homme aux yeux bleu-vert hypnotisants que j’ai vu dans ma vision ? Quel est son nom ?

— Si je me souviens bien, c’est Igor Timofeïevitch Abakoumov.

— Merci beaucoup Révérend Père Dimitri Nikolaïevitch.

L’esprit errant s’en va. Mélinda réfléchit, fixant l’icône et se surprenant à être affectée en son âme d’un sentiment religieux sincère. Elle se signe et prie brièvement Dieu qu’Il l’éclaire sur sa situation et sur le cas de l’esprit errant. 


Une fois qu’elle range les dernières acquisitions, la chuchoteuse d’esprits revient chez elle, transportant dans une poche interne de son manteau bleu marine l’icône portative. Elle est accueilli par ses enfants, sous la surveillance de Carl l’Observateur — un Observateur* familier de la jeune mère depuis la naissance de son fils aîné, Aiden. Cet Observateur, toujours dans son complet beige et sa chemise blanche, affiche un sourire sincère et convivial en la remarquant dans le salon. Son visage ridé par l’âge s’illumine en la voyant et lui annonce :

— Heureusement, Mélinda Gordon, vous arrivez à point nommé ! 

— Pourquoi ? l’interroge la délicate brunette, encore perdue dans ses pensées, réfléchissant sur l’esprit errant et sa vision.

— Votre plus jeune, Paul, de quelques mois, a soif, à vous de lui donner du lait.

La mère s’occupe de nourrir son bébé. Après s’être occupée de ses fils, Mélinda les surveille dans le salon, tout en naviguant sur Internet, traquant toutes informations concernant Dimitri Nikolaïevitch Bogolioubov, mais son seul problème est la barrière linguistique, tout est en russe. L’antiquaire soupire, exaspérée. Le pope apparaît à sa droite, lui souriant, jetant un coup d’œil par dessus son épaule, et lui traduit les informations trouvées. Ainsi, Dimitri Nikolaïevitch, né en 1940 et mort en 2010 d’une crise cardiaque soudaine en service, issu d’une pieuse famille orthodoxe, a étudié en théologie avant de devenir pope. Depuis son ordination, il a été à la cathédrale Basile-le-Bienheureux et à la cathédrale de la Dormition de Moscou. Marié à Anastasia Viktorovna Bogolepova depuis 1965, il a été le père de trois enfants, Vladimir, Pavle et Sonia. Mélinda observe, intriguée, le pope et, ouvrant la bouche pour l’interroger, n’eut pas le temps de formuler sa pensée, le vieux pope hurle, courroucé, au nouvel esprit venu soudain :

— Vous, Père-diacre Igor Timofeïevitch, dégagez de ma vue.Vous n’êtes qu’un démon.

La chuchoteuse d’esprits tourne sa tête vers le nouvel esprit en face du pope. Elle se tait, trop étonnée et effrayée par les yeux du diacre. Ce dernier, un vieil homme de quatre-vingt ans, aux cheveux argentés, aux yeux bleu-vert hypnotisants, avec une barbe de cinq jours bien entretenue la fixe comme un serpent sa proie. Habillé du sticharion, de l’orarion sur l’épaule et des epimanikia, Igor Timofeïevitch arbore un sourire narquois qui irrite au plus haut point Dimitri Nikolaïevitch. Mélinda est médusée de la grâce qui se dégage des mouvements du diacre et de son regard hypnotisant. Se raclant la gorge, gênée, elle demande d’une voix forte :

— Igor Timofeïevitch, êtes-vous encore parmi les vivants ou non ? Que faites-vous ici ? Que cherchez-vous ?

L’interpellé rit aux éclats à la question et répond, en russe, avec une pointe d’arrogance :

— Femme, je n’ai pas à me justifier… Mais je m’étonne comment vous n’avez pas remarqué que je suis vivant, que mon âme est encore rattachée à mon corps.

Et l’âme du diacre disparaît, laissant Mélinda ahurie de l’insolence de l’homme. Le pope informe la chuchoteuse d’esprits :

— Ne vous laissez pas impressionner par ce reptile… Il est possédé par l’un de la Légion.

— Êtes-vous certain qu’il n’a pas rendu l’âme ? demande-t-elle d’une voix blanche.

— Je suis certain. N’avez-vous pas perçu la différence entre lui et moi. Igor Timofeïevitch est encore officiellement parmi les vivants en pleine liturgie… Il est possédé par une entité démoniaque en pleine liturgie de Dieu ! Pauvre peuple, j’espère qu’il verra sa réelle nature. …. Béni soit le règne du Père, du Fils et du Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles, Amen.

— Maintenant que vous me le mentionnez, vous avez raison, il y a une différence entre vous deux… Mais pour quelle raison un diacre viendrait ici ?… Réfléchit à voix haute la trentenaire. Sauf si le diacre est venu parce qu’il est aussi intéressé par l’icône que vous voulez donner à votre fils.

— La même idée m’est venue à l’esprit, lui confirme le pope russe.

— Donc, je dois me dépêcher de retrouver cette icône.

L’esprit errant approuve son propos d’un geste de la tête. Mélinda attend avec impatience Jim, son mari, ambulancier. Impatience plus grande qu'il revient bientôt du travail. Elle lui ouvre la porte d’entrée pour l'accueillir, ravie. Une fois assis l'un en face de l'autre, elle lui explique le cas de l’esprit errant et de la nécessité de son prochain voyage en Russie, à Moscou, pour permettre à cette âme de rejoindre la Lumière, malgré qu'elle ne se réjouit aucunement d'aller en terre inconnue. Jim commente à son épouse, la fixant de ses yeux bleus :

— Très bien, Mél. Je comprends le sérieux de la situation et de la demande de cet esprit, mais es-tu certaine de te rendre seule dans un pays dont tu ignores la langue ? Nous pouvons y aller en famille et acheter des dictionnaires de traduction pour pouvoir comprendre les indications et se faire comprendre, à défaut d'apprendre le russe en peu de temps, qu’en penses-tu ?

— Très bonne idée, mon amour ! s’exclame-t-elle en l’enlaçant tendrement, ravie.

Et Jim s’occupe d’acheter les billets d’avion pour Moscou. Malgré le prix élevé, l’ambulancier n’hésite pas à payer : on ne badine pas lorsqu’il est question d’esprit que sa femme doit régler au plus vite !

Le soir, Mélinda s’endort aux côtés de son mari et fait un cauchemar. Elle discerne le diacre aux yeux hypnotisants la fixer avec insistance, murmurant en slavon des paroles incompréhensibles, et lui donne un candélabre d’or et un encensoir. Se dirigeant vers la Cathédrale Basile-le-Bienheureux, elle se retourne pour remarquer Igor Timofeïevitch en double, son âme à la droite de son corps possédé. L’âme s’avance dans la cathédrale, comme s’il cherche quelque chose, une icône particulière pense-t-elle. Tournant son regard à sa droite, avant d’entrer dans le lieu sacré, elle note la présence du pope Dimitri Nikolaïevitch qui lui ordonne :

— Il faut que vous vous dépêchiez de récupérer l’icône de l’Archange Michel pour la donner à mon fils Vladimir. Il faut la trouver avant ce démon.

Mélinda se réveille en sueur, le cœur battant à la chamade, comprenant le sérieux de la situation. Elle se lève et descend les escaliers pour se rendre dans la cuisine boire un verre d’eau. Dans la pénombre, elle remarque la présence du pope qui lui murmure, agité :

— Il faut retrouver l’icône le plus rapidement possible.

Mélinda approuve d’un geste de tête et revient se rendormir, sommeil sans rêve. Le diacre l'observe dans un coin de la chambre, affichant un sourire narquois avant de s'en aller.



Le lendemain matin, Jim et Mélinda préparent les bagages pour leur voyage en Russie demain. La chuchoteuse d’esprits est néanmoins nerveuse et inquiète d’échouer dans sa mission.

— Jim, j’ignore même si je peux mener à bien cet esprit dans la Lumière… Sa demande est tellement particulière, gémit-elle. Comment devrai-je reconnaître l’icône que le pope veut donner à son fils, alors qu’il existe plusieurs icônes de l’Archange Michel ?

— Je ne saurais te le dire pour l’instant, mais fais-toi confiance Mél, murmure-t-il chaleureusement en serrant tendrement les mains de son épouse contre les siennes en signe de son soutien indéfectible. Tu en es capable. Et tu sais que je suis toujours à tes côtés. Je te soutiens toujours et je t’aiderai toujours pour que tu puisses aider les esprits à passer dans la Lumière. Demeure optimiste et tout ira mieux.

Elle embrasse son mari, contente qu’il soit parvenu à la consoler et à lui remonter le moral. Le couple termine les derniers préparatifs.



Le lendemain, quatorze heures de vol plus tard,

La famille arrive à Moscou, à l’Aéroport de Moscou-Cheremetievo, malgré la difficulté à passer la frontière russe, en raison d'un agent possédé par l'un des démons du diacre qui retient la famille pendant deux heures pour les fouiller et les interroger. Mélinda, fatiguée du voyage et des changements de fuseau horaire, demande à son mari :

— Jim, j’espère que nous aurons le droit à un peu de sommeil, je n’ai guère dormi du voyage, préoccupée à deviner où pourrait bien se cacher l’icône de Dimitri Nikolaïevitch.

— Bien sûr, Mél. Allons-y alors dans l’appartement ! J’appellerai un taxi.

Et la famille se repose toute la journée dans le petit appartement loué pour deux semaines. Mélinda ne remarque pas la présence de l'âme du diacre derrière son dos, l'observant attentivement.



Le lendemain matin, le soleil brille dans le ciel, rendant encore plus scintillant la neige d’une blancheur virginale, la trentenaire avec son mari et ses enfants, tous frais et dispos, se promènent sur la Place Rouge. En voyant la Cathédrale Basile-le-Bienheureux, elle discerne Dimitri Nikolaïevitch devant l’édifice qui, d’un geste de la tête, l’invite à entrer. Et elle répond à l’invitation, laissant son mari et ses enfants devant la cathédrale. 


En entrant dans la cathédrale, elle se signe et revêt un voile. Émerveillée de la beauté architecturale, de la grâce et de l’élégance, sans mentionner la sainteté et le recueillement auxquels invitent le lieu, Mélinda se dirige vers la chapelle dédiée à Saint Grégoire l'Illuminateur, à petits pas, se signant à intervalles réguliers, profondément touchée en son âme de la sacralité de l’endroit. Elle s’incline respectueusement devant les saintes icônes et le triptyque d’icônes des saints, tout en les observant. Deux icônes attirent son attention, celle de la Vierge du Signe (aussi appelée l’icône du Miracle de la Mère de Dieu de l’Incarnation) et celle de la Protection de la Mère de Dieu. La trentenaire s’arrête et les observe, discernant une lumière surnaturelle, irréelle, divine, sortir d’elles. Émue, lâchant une larme de piété, elle glisse ses mains vers le cadre des icônes. Elle est transportée dans une vision lors d’une prière eucharistique.

Elle entend Dimitri Nikolaïevitch affirmer, de sa belle voix puissante et masculine, presque irréelle tellement il est investi dans sa mission :

— Il est digne et juste de Te chanter, de Te bénir, de Te louer, de Te rendre grâce et de T’adorer en tout lieu de ta souveraineté. Car Tu es Dieu inexprimable, incompréhensible, invisible, insaisissable, toujours existant et sans changement, Tu es, Toi et ton Fils unique et ton Esprit Saint. Du néant, Tu nous as amenés à l’être ; Tu nous as relevés, nous qui étions tombés, et Tu n’as pas renoncé à tout faire jusqu’à ce que Tu nous aies élevés au ciel et nous aies fait don de ton Royaume à venir. Pour tout cela nous Te rendons grâce, à Toi, à Ton Fils unique et à ton Esprit Saint ; pour tous les bienfaits connus ou ignorés de nous, manifestés ou cachés, et qui pour nous ont été faits. Nous Te rendons grâce aussi pour cette liturgie, que Tu as jugé digne de recevoir de nos mains, bien que se tiennent auprès de Toi des milliers d’archanges et des myriades d’anges, les chérubins et les séraphins, aux six ailes, aux yeux innombrables, volant dans les cieux, chantant, clamant, criant l’hymne de victoire et disant :

Le chœur répond :

— Saint, Saint, Saint, Seigneur Sabaoth ! Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux !

Le pope continue, mais cette fois, Mélinda voit de sa perspective :

— Avec ces bienheureuses puissances nous aussi, Maître ami des hommes, nous clamons et disons : Tu es saint, Tu es parfaitement saint, Toi et ton Fils unique et ton Esprit Saint. Tu es saint, Tu es parfaitement saint et magnifique est ta gloire, Toi qui as aimé le monde qui est tien jusqu'à donner ton Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse mais ait la vie éternelle.

Une sourde douleur dans la poitrine autour du cœur se déclare et, soudain, son cœur arrête net de fonctionner, il tombe lourdement au sol. Et il cesse de mener la prière, mort. Son âme est à la droite de son corps, désorientée, continuant à mener la prière jusqu'à la fin. En tournant le regard, Mélinda discerne le sourire narquois d’Igor Timofeïevitch qui rit dans sa barbe.

Fin de la vision.


L’antiquaire saisit la raison de la mort du pauvre pope, un coup monté du diacre, voire une pratique occulte, qui permet de conclure à un arrêt cardiaque. L’esprit errant l’interroge du regard, elle lui murmure :

— J’ai compris votre mort. Un arrêt cardiaque engendré par les voies occultes. Et votre diacre est impliqué dans le coup.

Le pope hoche la tête pour toute réponse et murmure en slavon :

— Notre Père qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donne-nous aujourd'hui notre pain essentiel ; remets-nous nos dettes comme nous aussi les remettons à nos débiteurs ; et ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve, mais délivre-nous du Malin. Car à Toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, Père, Fils et Saint- Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Paix à tous.

Mélinda continuant à observer les icônes, elle ressent un regard insistant se poser sur elle. Se retournant, elle tombe nez-à-nez avec l’âme d’Igor Timofeïevitch et, sursautant de frayeur, elle recule d’un pas. Celle-ci fixe intensément la jeune mère avant de s’en aller. La trentenaire sort de l’édifice religieux sans discerner l’icône recherchée par le pope.

En se promenant dans la ville, Mélinda remarque l'âme du diacre lui sourire narquoisement et posséder un conducteur. Ce dernier, alors que la famille traverse la rue pour se rendre jusqu'au parc, accélère la voiture pour frapper Jim. La chuchoteuse d'esprits appelle immédiatement les urgences, très angoissée pour son mari.

Le soir, dans son rêve, Mélinda est guidée par l’Archange Michel, un grand Ange brillant d’une lueur divine qui impose le respect à la chuchoteuse d’esprits. Habillé d’une dalmatique vermillon par-dessus un himation blanche comme la plus immaculée des neiges du monde, épée de Feu à la taille, ailes blanches brillantes déployées, tenant un mêrilo d’or à la main droite et un zertsalo surmonté d’une croix à l’autre main, le doux visage de l’Archange laisse une paix céleste en l’âme de la mortelle. Se voilant le visage et les cheveux par respect de la sainteté de l’être surnaturel, elle suit Saint Michel archange jusqu’à la cathédrale Basile-le-Bienheureux. Il l’amène derrière l’édifice, à un endroit loin des regards, et lui montre un objet avant de s’envoler gracieusement dans les airs, regagnant sa demeure céleste. L’épouse de Jim remarque la fameuse icône de l’Archange Michel. Pleurant de joie, heureuse, elle tient l’icône entre ses mains.

Fin du rêve.


Mélinda se lève de son lit et discerne, dans l’obscurité, une forme humaine qui la fixe. Les yeux agrandis pour mieux détailler l’être ou l’esprit dans la chambre, elle retient son souffle lorsqu’elle reconnaît l’esprit devant elle : c’est l’âme du diacre russe. Cette dernière, faux sourire au visage et yeux brillants, lui murmure :

— J’ignore peut-être où est l’icône, mais je le saurai bientôt. Vous m'indiquerez la voie...

Et, avant de regagner son corps, l’âme allume et éteint la lumière de la salle et active la radio dans le salon, laissant la mère d’Aiden et de Paul perplexe tant qu’à la manière de comprendre ses paroles et encore plus intriguée de ses intentions. Sont-elles bonnes ou non ? Elle n’en est plus certaine. La trentenaire éteint la radio pour ne pas réveiller les enfants et se fait du souci pour son mari.



Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Mélinda salue Dimitri Nikolaïevitch qui l’attendait dans le salon et lui demande :

— Révérend Père Dimitri Nikolaïevitch, pouvez-vous me dire où vit votre fils Vladimir ?

— Oui, réplique-t-il, enthousiaste. Vova** habite à Novgorod, au 757 Орловская улица [Orlovskaya ulitsa]***.

— Merci beaucoup. Maintenant, retrouvons l’icône ! s’exclame-t-elle. 

Après une visite à l'hôpital pour s'informer de l'état de santé de son mari avec leurs fils, Mélinda laisse les enfants au parc Sokolniki sous la surveillance de Carl l'Observateur, alors qu'elle rôde autour de la Cathédrale, reconnaissant le lieu de son rêve. Et à l’endroit en retrait, loin des regards, elle reconnaît, stupéfaite, l’icône recherchée. L’esprit errant, en voyant la sainte image, pleure de joie. La chuchoteuse d’esprits serre fortement l’icône contre elle, profondément troublée de la beauté intemporelle et de la grâce quasi divine qui brillent lorsqu’elle contemple l’objet. L’esprit errant grogne en voyant le diacre — corps et âme cette fois-ci — fixer au loin Mélinda. Heureusement, ne remarquant pas l’icône tant convoitée entre ses mains, il continue son chemin, murmurant quelques paroles dans sa barbe, prenant une petite rue perpendiculaire, se perdant rapidement dans la foule qui ressemble à une fourmilière. En passant devant la cathédrale, la trentenaire remarque un homme possédé, comme envoûté par un sort ou un démon, s'approcher d'elle, la détaillant fort indiscrètement. Le pope se signe et éructe :

— Cet homme, Artem Pavlovich, est possédé par un démon du diacre ! Le même regard démoniaque ! Évitez-le ! Prenez la première rue à votre droite, puis à gauche, puis à droite, pour le semer. Faites vite !

Mélinda, gênée de l'attitude de l'inconnu, obtempère, évitant de peu d'être renversée par le mystérieux homme. Heureusement, Artem Pavlovich, tombé par terre en accrochant un vieil homme, prend du temps à se relever et à la repérer. Cette lenteur aide la chuchoteuse d'esprits à semer son poursuivant.


Cinq heures de route plus tard, malgré des difficultés avec les freins engendrés par des démons du diacre, Mélinda arrive devant la maison de Vladimir Dimitrievitch. Nerveuse et néanmoins inquiète de l’attitude du fils du pope, elle serre fortement entre ses mains l’icône, comme un aigle tenant sa proie entre ses serres. Dimitri Nikolaïevitch, à sa droite, lui sourit et l’encourage en ces termes :

— Vous n’avez pas de raison d’être nerveuse, mon fils ne vous prendra pas pour une folle. Il a été bien élevé dans la piété orthodoxe par sa mère, mon épouse. Et il sait bien que par la volonté de Dieu, il est tout à fait possible que vous ayez ce don singulier de voir les esprits, les entités invisibles.

Elle hoche la tête pour toute réponse et frappe à la porte. Un homme de cinquante ans l’accueille à l’intérieur. Ses yeux bruns pétillants de gentillesse et de curiosité et ses traits délicats incitent la chuchoteuse d’esprits à être plus confiante en sa mission. Confortablement assis devant une tasse de thé que son épouse, Irina Pavlovna, apporte pour lui et son invitée, le fils du pope russe demande poliment :

— Mélinda Pavlovna, pouvez-vous m’expliquer la raison de votre venue chez moi ? 

— Oui, je viens pour exécuter la dernière volonté de votre défunt père, le Révérend Père Dimitri Nikolaïevitch. J’ai élucidé les circonstances de sa mort et je vous remets une icône, celle de l’Archange Michel. Votre père voulait qu’elle soit vôtre. La voici.

Elle passe l’icône à Vladimir Dimitrievitch qui sourit. Le pope aussi sourit, heureux que sa dernière volonté soit accomplie.

— Permettez-moi de vous demander, si ce n’est pas trop indiscret, une seule question, demande le fils du pope, les yeux brillants de curiosité. Mais comment savez-vous la circonstance de la mort de mon feu père et de l’existence de cette icône ?

— Je vois et interagis avec les esprits errants, les âmes des défunts qui restent sur Terre parce qu’elles ont encore des affaires à régler. Et j’obtiens mes informations entre des recherches, des discussions avec ces esprits, des rêves et des visions.

— Que Dieu vous bénisse Mélinda Pavlovna ! Merci beaucoup ! Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous, ajoute l'esprit errant, joyeux.

— D’ailleurs, votre père est présentement à votre droite, heureux, content, commente Mélinda.

— Merci infiniment, Mélinda Pavlovna, affirme de sa belle voix le pope en faisant un geste de bénédiction et en se signant. Que Notre Seigneur vous bénisse et vous guide, mon enfant. Amen. … Je vois une Lumière là-bas, affirme-t-il en se tournant à sa droite … C’est divin, j’entends le doux chant du chœur des Anges glorifier Dieu. 

L’esprit lâche une larme de joie.

— Et cette Lumière divine est pour moi ?

— Oui, Révérend Père Dimitri Nikolaïevitch, cette Lumière est pour vous. Vous méritez le repos éternel maintenant.

Se tournant vers son fils, le pope lui affirme :

— Vova, cette Lumière divine est plus belle que ce que nos icônes peuvent représenter. C’est indicible, mon enfant. Divin sera le bon mot pour la décrire. Au revoir, j’espère être digne d’accéder au Royaume des cieux. Au revoir, Vova, et que Dieu te protège.

— Votre père partira bientôt dans la Lumière, il n’errera plus parmi les vivants, informe la passeuse d’âmes au fils du pope d’une voix émue, lâchant une larme de joie en discernant le bonheur qui se lisait sur le visage radieux du pope.

Dimitri Nikolaïevitch, le visage illuminé d’une lumière surnaturelle que lui seul voit, se signe et murmure le symbole de foi :

— Je crois en un seul Dieu Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, engendré par le Père avant tous les siècles. Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, et par qui tout a été fait. Qui pour nous, hommes, et pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, et s'est fait homme. Qui a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli. Qui est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. Qui est monté aux cieux et siège à la droite du Père. Qui revient en gloire juger les vivants et les morts, et dont le règne n'aura pas de fin. Et en l'Esprit Saint, Seigneur, qui donne la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié, qui a parlé par les prophètes. En l'Église une, sainte, catholique et apostolique. Je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés. J'attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen.

Se tournant vers la trentenaire, enfin rasséréné en son âme, il lui annonce calmement :

— Je vais partir dans la Lumière, passant devant le Juge suprême, Dieu. Béni soit notre Dieu, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

Et il part dans la divine Lumière où un doux chant des Anges louant le Seigneur et la Très Sainte Trinité résonne, cristallin et pur, en son âme.

Le fils du pope remercie la passeuse d’âmes et la raccompagne jusqu’à la sortie. Elle revient à Moscou, rejoignant sa famille au parc Sokolniki, euphorique d’aider un esprit errant à partir dans la Lumière. Tenant Aiden et Paul entre ses bras, en arrivant à l'hôpital, elle se confie à son mari :

— Un esprit errant de moins. Une âme très pieuse, j’en suis touchée. Trois icônes me sont particulièrement spéciales… C’était émouvant, Jim ! J’espère que le reste de la semaine prévue à Moscou sera calme, avant notre retour à la maison. La Russie est un fort joli et accueillant pays ! D'ailleurs, ton état de santé s'est-il amélioré ?

— Oui, Mél. Dans trois jours, tout sera comme avant.

Sur ces mots, Jim lui sourit. Mélinda, avec leurs fils, continue leur promenade dans le parc. La chuchoteuse d'esprits ne remarque pas, derrière son dos, l’âme d’Igor Timofeïevitch qui fulmine des malédictions, très en colère, réfléchissant au prochain pas contre la famille.




_

* Les Observateurs sont un groupe d’esprits errants qui ont refusé de passer dans la Lumière et ont pour mission d’observer les vivants et, plus rarement, de les avertir.

** Vova est un diminutif de Vladimir.

*** L’adresse est fictive, mais la rue et la ville sont réelles.

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