Malédiction de l'oubli et Force de l'amour

Chapitre 1 : Malédiction de l'oubli et Force de l'amour

Chapitre final

4977 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/07/2025 13:21

Cette fanfiction participe au Défi La Belle et la Bête (juin 2018) en seconde chance



Malédiction de l’oubli et Force de l’amour




7 novembre 2008, en soirée, à l'hôpital Mercy, à Grandview, aux États-Unis d’Amérique.


Mélinda se trouvait dans la chambre aseptisée et austère au mur blanc où était admis son mari depuis peu, les yeux agrandis d’effroi, elle jouait nerveusement avec son alliance. Jim dormait encore après l’opération d’extraction en urgence d’une balle logée dans son épaule. Balle qui provenait de l’arme à feu de Carl Neely, leur ami policier. Il l’avait malencontreusement atteint lors de l’intervention. La petite brunette s’était endormie sur une chaise laissée à sa disposition dans un coin de la salle qu’elle déplaça plus près du lit. 


À son réveil, malgré l’obscurité de la pièce, elle distingua la silhouette familière de son mari près d’elle. Il l’observait avec un sourire mélancolique pendant qu’elle dormait. Encore engourdie par le sommeil, elle remarqua un subtil changement en lui, sans pouvoir mettre un nom sur le terme qu’elle redoutait tant.

Ouvrant peu à peu les yeux, elle murmura : 

— Jim, je ne sais pas si je devrais m’inquiéter…

— Mél, lui répliqua-t-il d’un air résigné, lueur de douleur dans son regard.

Il se déplaça rapidement, trop rapidement même, pour dissimuler le lit.

— Je vais tout t’expliquer. J’ai eu une embolie pulmonaire à la suite de l’opération.

Le regard interrogateur que son épouse lui lança l'invita à préciser. 

— Ce terme médical complexe désigne le problème qui m’a amenée à mon état actuel. Je dois t’avouer que je ne me suis jamais senti aussi léger. Aucune douleur ! 

La chuchoteuse d’esprits se leva du siège et observa attentivement son mari.

— Bien que je n’aie pas choisi cette option, termina-t-il sur une note amère.

Une lueur d’effroi traversa le regard de son épouse qui, frappée par la soudaine révélation, tel un arbre par la foudre, s’effondra sur la chaise. Ses mains tremblaient et ses genoux vacillaient. Elle resta figée sur place, le visage défait, des larmes coulant abondamment. Jim était mort.

— Attends, Mél ! lui ordonna-t-il en se rapprochant un peu d’elle. Ne veux-tu pas me regarder une dernière fois pour graver mon apparence dans ton âme !

Un bruit d’alarme des moniteurs résonna dans la salle.

L’infirmière de garde hurla dans l’interphone :

— Code bleu ! Code bleu ! Chambre 335 ! Chambre 335 !


Deux infirmières et un médecin accoururent jusqu’à la chambre, constatant que le cœur de Jim cessa de battre et qu’il ne respirait plus. Le moniteur n’indiquait qu’une ligne sans modulation à l’écran.

Mélinda demeurait prostrée, promenant son regard du corps vers le principe de vie de son mari.

— Non, non, Jim ! Pas toi ! Pas toi ! C’est impossible !

Des larmes coulèrent, telle une rivière, sur ses joues. Son corps entier était secoué de tremblements.

— Pas maintenant ! Pas toi ! Pourquoi ? Reviens ! S’il te plaît ! Non !

Elle éclata en sanglots. Ses pleurs touchèrent l’occupant invisible de la pièce qui hésitait sur son prochain pas, ne sachant que faire. Il se déplaça près du lit pour promener son regard de la médium jusqu’à son enveloppe corporelle.

Le médecin et les infirmières s’affairèrent autour du corps du mari de Mélinda pour le réanimer.


Soudain, une fée et un esprit errant se matérialisèrent dans un coin de la pièce. Jim et Mélinda les observèrent, intrigués par ces nouveaux venus. La première était une gracieuse créature éthérée aux ailes d’abeille dorées portant une large robe argentée en-dessous d’un manteau de zibeline orné de pierres précieuses. Ces habits mettaient en valeur le teint clair et la chevelure noire comme l'ébène de cette entité de conte.

Le second, un homme de grande taille vêtu d’un complet sombre dans le style du XIXe siècle, était taciturne, austère et sérieux. Ses petites lunettes rondes à la monture dorée lui conféraient un air intellectuel et énigmatique. Une lueur d’étonnement traversa ses yeux lorsque ceux de la médium se posèrent sur lui.

La fée commanda : 

— Jim Clancy, revenez immédiatement dans votre corps ! Tout de suite ! Le temps vous est compté !

L’homme en complet noir à ses côtés réajusta ses lunettes sans dire un mot, ne faisant qu’approuver les paroles de sa comparse. Cette dernière étendit ses mains vers le corps, murmurant des paroles dans une langue inconnue et archaïque et Jim réintégra son enveloppe corporelle.


Les infirmières et le médecin, constatant la reprise de l’activité cardiaque bien qu’avec un rythme un peu trop rapide, soupirèrent de soulagement. L’équipe de professionnels se dispersa, seule une infirmière veillait encore. Mélinda ravie, remercia la fée d’être intervenue d’un signe de tête.

— Ne vous dépêchez pas avec la reconnaissance, commenta cette dernière en affichant un rictus qui déforma ses délicats traits. Je doute que vous me remercierez lorsque votre mari reprendra connaissance ne gardant aucun souvenir de son existence, ni de vous, ni de sa vie, mais uniquement de son dernier instant. Sans oublier qu’il deviendra laid, méconnaissable à vous et aux autres ! Tout le monde l’appellera Samuel, dit Sam, Lucas !

La jeune brunette devint blême, ses yeux s’agrandirent de frayeur, ses jambes tremblèrent à ces paroles.

— Aussi, continua l’entité des contes, une rose magique éclora dans votre jardin. Chaque pétale qui tombe enfermera encore plus votre mari dans l’isolement et l’oubli, tant qu’il ne parvienne pas à s’en rappeler de lui-même ! Ce qui revient à dire : Jamais !

La médium tourna le regard vers l’esprit errant de l’homme. Celui-ci demeurait silencieux, esquissant un faible sourire avant de disparaître, comme s’il s’excusait d’être impuissant.

La fée, s’élevant au plafond, agita sa baguette de cèdre vers le mari de Mélinda. Ce geste fit jaillir une étincelle ténébreuse qui l’atteignit en plein cœur.

— Bonne chance pour lui faire retrouver la mémoire ! ricana méchamment la fée, en agitant ses ailes, avant de quitter la pièce dans un éclat de lumière sombre.


Dès que Mélinda rapporta son attention sur son mari, elle sursauta de frayeur. Il se muta en un être plus corpulent qu’auparavant, ses charmants cheveux noirs étaient devenus brun clair, presque blond, ses yeux bleus virèrent au brun, son visage et ses mains se firent plus robustes. En un mot, il n’avait plus rien de Jim Clancy, son époux bien-aimé. Il se transforma en une créature repoussante pour elle(1).


L’infirmière, bouche bée devant cette métamorphose du blessé, quitta la salle, certaine de s’être trompée de patient. La chuchoteuse d’esprits se rapprocha de son mari et lui demanda de sa mélodieuse voix, malgré une pointe d’angoisse perceptible et sa répulsion pour son apparence :

— Jim, tu es revenu ! Te rappelles-tu de moi ?

— On se connaît ? s’étonna-t-il d’une voix plus rauque et grave qu’auparavant.

Il la fixait d’un air absent, étonné de sa présence, fronçant les sourcils dans un effort de réflexion intense. 

— Jeune dame, je… j’ignore qui vous êtes. Je ne garde aucun souvenir de notre rencontre…

Il se redressa à moitié sur le lit, balayant du regard les environs.

— Où suis-je ?

Yeux encore plus grands qu’avant, constatant que la fée avait raison, Mélinda soupira et chuchota :

— Dans un lit, à l'hôpital…

— Qui êtes-vous ?

— Je suis Mélinda Gordon. 

— Enchanté ! Vous avez l’air bien sympathique !

Il ferma les yeux, dépassé par les événements. Mélinda revint sur le siège et ne dormit pas de la nuit.

— Que le Ciel et Dieu m'assistent ! songea-t-elle en son for intérieur.


Soudain, devant la porte d’entrée de la chambre apparut une petite fée aux cheveux brun clair ramassés en tresses et aux yeux marron qui prit en pitié la jeune femme. Elle éleva sa baguette dorée dans les airs, psalmodiant d’une voix angélique :

— Moi, Gretchen Dennis(2), bien que je ne puisse annuler le sort de ma consœur, je souhaite, j’implore et je commande que Jim Clancy ait quelques bribes de souvenirs de sa vie ! Que ces souvenirs l’aident à restaurer sa mémoire, qu’il en soit ainsi.

Et la gracieuse créature des contes s’envola, agitant sa robe blanche.

 


Quelques jours plus tard, à l'hôpital Mercy,

Jim/Sam, que tout le monde surnommait Sam, complètement rétabli depuis peu, qui marchait dans les couloirs soutenu par la jeune médium, était sortant de l'hôpital. Tous les médecins et infirmières qu’ils croisèrent dans les vestibules blancs à l’odeur caractéristique des médicaments et des antiseptiques, étaient effrayés par son apparence et surtout intrigués par la présence de Mélinda à ses côtés.

En passant près de la porte d’entrée, Sam/Jim se figea soudain et recula avant de s’effondrer sur un siège de la salle d’attente.

— Je me rappelle ! Je me rappelle ! s’écria-t-il, portant sa main à son front.

Une lueur d’espoir traversa les sombres yeux de son épouse qui le fixaient.

— De quoi te rappelles-tu ?

Il se redressa un peu, portant sa main droite vers son épaule gauche.

— Je me souviens d’une douleur à l’épaule, précédée d’une détonation d’une arme à feu…

— Quoi d’autre ? 

La médium observa attentivement Sam/Jim, essayant de faire abstraction de son apparence physique.

— C’est tout… Je me rappelle d’être passé par ce vestibule, cette odeur de l’endroit…

Le regard de la jeune brunette se ternit. Elle lui chuchota gentiment : 

— Viens ! Rentrons à la maison !

— Pourquoi ? Nous habitons dans la même maison ?

— Oui.

Baissant son regard sur ses mains, Jim s’étonna de ne pas y trouver une alliance, mais se tut, vaguement certain d’avoir été marié.


Mélinda l’accompagna jusqu’à leur maison, malgré les centaines de questions que déversait sur elle son mari à chaque pas, dans sa stupéfaction de ne se rappeler de rien.


Au seuil, le mystérieux esprit errant de l’homme du siècle passé se matérialisa observant silencieusement l’interaction entre le couple. Le fantôme lui demanda d’un ton sévère :

— M’avez-vous aperçu il y a quelques jours ? Vous êtes la première… qui remarque ma présence depuis plusieurs années !

La brunette s’avança vers lui, petit sourire qui se voulait rassurant, malgré la lueur de curiosité dans le regard, et, d’un geste de la main, affirma d’un ton doux : 

— Je vous vois et je vous entends. Je peux interagir avec vous… Et vos semblables…

Jim/Sam, perplexe, tourna la tête dans la même direction, mais ne discerna rien. Il traversa le seuil, passant à travers le défunt, pour rentrer dans la maison, et attendit avec impatience qu’elle le rejoignit.

— Cet homme ne me voit pas ou il manque de respect envers moi ! s’offusqua l’esprit errant, ébahi.

— Non, il ne vous manque pas de respect, mais il ne peut pas vous voir… J’ai un don depuis mon enfance qui me permet d’être en contact avec vous.

Un bref silence s’installa entre eux avant que la médium ne reprenne la parole.

— Je suis Mélinda Gordon, passeuse d’âmes et je peux vous aider. 

— Passeuse d’âmes… Intéressant ! commenta l’esprit, relevant ses lunettes sur son nez. Enfin quelqu’un qui peut m’apercevoir !, s’exclama-t-il avec ironie.

— Qui êtes-vous ? s’étonna Mélinda, déconcertée par l’attitude de son singulier interlocuteur.

— Je suis le docteur Calvin Byrd, répondit-il affablement, bombant son torse.

— Avec qui parlez-vous ? s'immisça Sam/Jim d’une voix puissante depuis le vestibule non loin de l’entrée, en trépignant d’impatience.

— Avec un défunt...

— Wow ! Une femme bien particulière ! Je me rappelle d’avoir déjà entendu cette caractéristique… 

Il baissa les yeux, penaud de n’avoir aucun souvenir de cette femme, ni des circonstances ou de l’endroit où il aurait entendu parler de ces capacités extraordinaires.

— … Mais savez-vous à qui j’étais marié ?

— Je le sais, mais si je te le dis, tu ne me croirais pas…

— Qui ? insista–t-il, regard suppliant.

— Je te le dirai peut-être ce soir, lui répliqua-t-elle, avec un sourire énigmatique.

Exaspéré, Sam/Jim opina du chef. Calvin Byrd s'effaça au désarroi de la médium.


Mélinda invita Sam/Jim à s’asseoir sur le canapé au salon où elle exposa sur la petite table diverses photographies de son mari, sans oublier son alliance. 

Sam/Jim commenta :

— Ce jeune homme est votre époux, n’est-ce pas ?

— Oui.

— J’espère qu’un malheur ne lui soit pas arrivé !

— Disons, officiellement, je n’ai encore aucune nouvelle de son existence.

— Soit il a abandonné le domicile conjugal pour une raison inconnue ou pour une autre femme, soit il est mort, constata-t-il.

Baissant son regard sur la photographie qui lui semblait vaguement familière, il soupira.

— Ce qui serait bien triste ! Surtout, en regardant ces photos, je vois bien qu’il vous aimait… 

Il se leva, serrant les mains en poings.

— … Et moi ! Je dois inquiéter ma pauvre épouse dont je ne garde aucun souvenir ! Mais je suis certain d’être marié ! Elle m’attend, indubitablement inquiète pour moi, et je ne sais même pas où aller !

Calvin Byrd se matérialisa près de la fenêtre. Mélinda tourna sa tête vers lui, étonnée.

— Je te laisse, j’ai ma boutique d’antiquités à gérer… Et un défunt… À ce soir !

Et la brunette s’éclipsa, laissant Sam/Jim seul. 


L’amnésique analysa les photographies et murmura : 

— Au moins Mélinda a manifestement un mari qui l’aime… Et moi, je ne me rappelle plus de ma bien-aimée ! Par contre, c’est vrai qu’elle est sympathique !

Il joua nerveusement avec le bord de son vêtement avant de prendre la photographie du mariage. Il demeura prostré, tel un arbre frappé par la foudre. 

— Attendez ! hurla-t-il, se levant prestement. Il me semble que j’ai été présent… Ma mémoire est trop confuse… Je vais me promener. Ne vous inquiétez pas, je ne peux pas me perdre !

Et il sortit pour déambuler dans les rues. 


Sur son chemin, il rencontra des ambulanciers en intervention. Il continua sa marche, secoué en son for intérieur par l’impression de déjà-vu. Sam/Jim était persuadé d’avoir déjà accompli ces gestes. Il revint rapidement, profondément ébranlé, s’arrêta sur le seuil, observant avec angoisse une rose, la rose magique, qui perdait ses pétales. Il avait le terrible pressentiment que son destin était lié à cette fleur. Il se rassit sur le canapé beige au salon, attendant le soir pour obtenir plus de réponses sur l’identité de son épouse et sa relation avec Mélinda.


Enfin arriva le soir, la lune scintilla au firmament.

Mélinda prépara et servit le dîner pour deux, un repas frugal. Une fois attablé, Sam/Jim, demanda sérieusement : 

— Savez-vous qui est mon épouse ?

Il la fixa, cet examen gêna Mélinda.

— Oui, mais tu ne me croiras pas ! C’est à toi de me le dire !

Les yeux de Sam/Jim passèrent de Mélinda à son assiette et vice-versa, recherchant des réponses.

— Votre mari est Jim Clancy, déclara-t-il d’un ton grave, un ambulancier de la ville, n’est-ce pas ? …

Elle approuva d’un signe de tête, esquissant un petit sourire.

— … Mais j’ai l’impression diffuse de l’avoir déjà rencontré ainsi que vous-même… Mais où et quand ?

Il soupira et se ressaisit, affichant un sourire amical.

— Au moins, je discerne en vous, Mélinda Gordon-Clancy, une honnêteté et une franchise qui me plaît ! Sinon qu’en est-il des esprits ?

Une lueur de curiosité brilla dans ses yeux.

— Que faites-vous avec eux ? D’ailleurs, l’idée même me semble étrange, mais je vous crois bien sincère !

Vidant son verre d’eau, la médium lui sourit, regard pétillant de joie.

— Demain, j’aurais une affaire à régler avec un esprit errant, un homme du siècle passé, lui avoue-t-elle. Je l’ai vu ce matin sur le seuil de notre maison…

— Notre ? s’offusqua Sam/Jim, fronçant des sourcils. Comment est-ce possible, si je ne suis pas votre mari ?

Un lourd silence plana entre eux pendant quelques minutes, la petite brunette jouait nerveusement avec le bord de sa robe.

— … Je voulais dire que cet esprit était là-bas…

Elle pointa la porte d’entrée d’une main tremblante.

— … Et je compte bien comprendre ce qu’il veut pour le faire partir dans la Lumière.

— Bonne chance, ce ne doit pas être facile ! lui sourit-il sincèrement.


Et une fois le repas terminé, il demanda à Mélinda : 

— Où vais-je dormir ?

— Dans la chambre d’invité à côté du salon. Elle est petite, mais le matelas est confortable. Bonne nuit !

Et chacun se retira dans sa chambre. Personne ne remarqua Calvin Byrd, présent dans la pièce de Sam/Jim, ne cessant de lui répéter, telle une hypnose suggestive : 

— La rose perd chaque jour, chaque heure, un pétale, comme une manifestation tangible de votre échec ! Et vous n’êtes pas capable de vous souvenir de votre vie ! Rendez-vous à l’évidence ! Vous avez perdu ! Vous êtes perdu, pour toujours !



Le lendemain matin, même endroit.

Encore plus confus que la veille, Sam/Jim vêtu d’un complet bleu attendait Mélinda au salon. Celle-ci arriva quelques minutes plus tard, et remarqua immédiatement une entité invisible à la droite de son mari. Elle demanda à celle-ci : 

— Calvin Byrd, vous êtes un défunt médecin du siècle passé, qu’est-ce qui vous retient sur Terre ?

— Je veux, la supplia-t-il très solennellement, que vous récupérez le dossier des soins de ma patiente, Greer Clarkson(3), et que vous le brûlez. Vous le trouverez dans la bâtisse abandonnée de l’autre côté de la rivière. Un ancien asile actuellement hanté, je vous préviens !

— J’irai là-bas pour que vous partiez dans la Lumière ! répondit-elle avec une lueur de détermination dans le regard.

Se tournant vers Sam/Jim, elle l’informa :

— Il faut que j’aille chercher un dossier dans l’asile délabré de l’autre côté de la rivière ! Je devrais revenir dans trois heures au plus tard.

— Êtes-vous certaine ?

Une lueur de crainte s’alluma dans ses sombres yeux, soucieux de la sécurité de la jeune femme.

— Oui, je ne peux me dérober de mon devoir !

— Alors à plus tard !

Et Jim sortit de la maison, observant minutieusement et avec angoisse les pétales de la rose qui tombaient. 

Pourtant, il avait la certitude d’être déjà venu dans cette maison, de rencontrer cette charmante femme. Également, il se souvenait d’avoir voulu des enfants avec son épouse, mais il ne se rappelait plus de son apparence, ni de son nom. Le départ de Mélinda l’attristait profondément, parce qu’elle représentait sa seule compagnie avec qui converser, lui évitant ainsi de s’isoler et de ressasser constamment ces mêmes souvenirs imprécis qui le menaient au bord de la folie.


Mélinda partit vers sa destination, empruntant une petite barque en bois pour traverser la rivière en quelques coups de rame. Lorsqu’elle mouilla non loin de la rive, elle était accueillie par Calvin Byrd.

— Il faut suivre le sentier qui vous mènera jusqu’à l’ancien asile, affirma sérieusement le défunt.

Il lui montra d’un geste de la main, à la lisière d’une immense forêt où seule une étroite sente de terre battue se dessinait, se perdant au loin.

— Je vous attends là-bas.

Une fois qu’elle arriva devant l’impressionnant édifice dans le style victorien en pierres grises délabrées par endroits, la chuchoteuse d’esprits s’arrêta net, observant l’environnement. Devant la bâtisse trônait une immense enseigne à moitié effacée par le temps laissant entrevoir les nombreuses années d’absences d'activités humaines sur le lieu. La gigantesque cour entourée d’une haute clôture était peuplée de défunts patients en camisole de force qui continuaient à marcher, parler et gesticuler, ce qui augmentait la sinistre ambiance de l’endroit. 

— N'ayez pas peur !, lui conseilla le médecin qui apparut derrière son dos. Il suffit d’emprunter le premier escalier à votre gauche qui mène au sous-sol. Le dossier des soins se trouve dans les archives des années 1985, si ma mémoire ne me trompe pas. Tout est clairement identifié.

La brunette opina du chef et soupira. Elle ramassa son courage à deux mains pour traverser le portail, faisant gémir la porte de fer sur ses gonds. Lorsqu’elle prit l’escalier à sa gauche, Calvin Byrd disparut, petit sourire narquois aux lèvres.

Il réapparut aux côtés de Sam/Jim lui murmurant à l’oreille : 

— Il ne vous reste plus que deux pétales ! Peut-être que Mélinda veut vous manipuler en vous convainquant que vous êtes son mari, alors qu’il est évident que vous ne l’êtes pas !

L’amnésique secoua la tête, refusant de prêter foi à ces pensées pernicieuses transmises par l’esprit errant. Son désarroi ne fit qu’augmenter. 


Trois heures plus tard, dans l’ancien asile.

Mélinda, inconsciente du temps, continuait à chercher le fameux dossier, mais en vain, puisque les archives n’étaient qu’un immense capharnaüm où les documents et livres tombaient en poussière ou étaient rongés par les souris.


Au même moment, à la maison du couple.

Sam/Jim se leva, son regard oscillant entre sa montre et la rose, il était déterminé à retrouver Mélinda et surtout très inquiet pour sa sécurité. Il ne voulait pas rester les bras croisés, alors que l’unique personne qui le soutenait sur la voie vers la guérison était en danger. Il courut jusqu’à la rivière, plongea dans le calme courant et nagea vers la rive. Calvin Byrd, sur la berge, afficha un sourire sardonique et murmura à la méchante fée à ses côtés : 

— Gente dame, faites que les eaux soient plus tumultueuses et le courant plus puissant ! Il ne reste plus qu’un pétale entre cet homme et sa perte définitive ! Je pourrais enfin revivre ! Mon rêve deviendra réalité ! J’ai enfin trouvé un réceptacle pour vivre à nouveau !

La fée agita sa sombre baguette en direction de l’eau et ordonna aux éléments : 

— Ô vagues, déchaînez-vous comme un océan en pleine tempête ! Et toi, ô rose, matérialise-toi sous les yeux de Mélinda !


Instantanément, les vagues se déchaînèrent, entraînant violemment Sam/Jim sous la surface, avant d’échouer son corps inanimé sur la berge.


La rose dans le jardin se détacha de la tige pour se matérialiser dans une lumière irréelle sous les yeux de la jeune médium. Cette dernière cessa immédiatement son infructueuse recherche pour constater qu’un seul pétale était encore accroché. 

Ses yeux s’agrandirent d’angoisse et elle bredouilla : 

— Jim … Jim est… en danger ?

Le médecin fantomatique à ses côtés, mine faussement attristée, lui murmura, ajustant sa redingote noire : 

— Oui, il ne reste qu’un seul pétale et il est venu vous chercher. Il est presque mort en nageant pour arriver jusqu’à vous… Je crains que sa vie ne tienne qu’à un fil.

— Non ! Non ! Non ! hurla-t-elle à fendre l’âme. Je ne peux le perdre une seconde fois !

Elle sortit de la salle d’archives, comme une fusée, ignorant les défunts patients autour d’elle. Ses jambes, tremblantes, la portèrent le plus loin possible de l’asile, elle suivit la sente de terre battue jusqu’à la berge pour retrouver son mari.


Elle discerna aisément la masse imposante qui avait été son bien-aimé, il gisait inconscient sur le sol.

La médium se pencha au-dessus de lui et s’exclama : 

— Jim, s’il te plaît, ne pars pas !

Elle l’embrassa sur les lèvres, malgré sa répulsion initiale, avant de lui faire un bouche-à-bouche. Ce geste le réveilla. Il ouvrit les yeux et cria : 

— Mélinda, ma chère et douce épouse, je suis vivant ! Je me souviens qui je suis ! Je suis Jim Clancy !

Yeux pleins de larmes, la médium bafouilla : 

— Jim ? Jim ? … Tu es de retour… pour de bon ?

L’apparence monstrueuse de son mari disparut comme par enchantement à sa question. 

Calvin Byrd, non loin de là, en voyant la scène cessa de sourire. Au lieu de la joie malsaine, une rage l’habitait. Il fulminait tellement qu’il en devint tout rouge, puis il se dématérialisa complètement et disparut à tout jamais de la vie de la jeune médium.


Mélinda, contemplant les traits si familiers et délicats de son mari, l’enlaça autour de la taille et l’embrassa tendrement sur les joues. Jim, lui, euphorique de recouvrer la mémoire, prit dans ses bras puissants son épouse. Ils restèrent longtemps ainsi, sous le regard bienveillant de Gretchen Dennis. Celle-ci fit un geste de bénédiction vers eux et regagna son royaume.


Le couple prit la barque pour revenir à leur maison et fêter leurs retrouvailles inespérées.


Jim et Mélinda vécurent heureux depuis ce jour et eurent un fils, Aiden, neuf mois plus tard.




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(1) Dans la série, Jim Clancy est mort d’une embolie pulmonaire, sauf qu’il ne part pas dans la Lumière, restant auprès de son épouse. Il revient en entrant dans le corps de Sam Lucas, architecte récemment décédé sur la route. Ce geste ramène à la vie Sam, mais il devient amnésique, ne gardant ni les souvenirs de Sam, ni ceux de Jim. Sam/Jim se montre dans un premier temps sceptique envers le don de Mélinda, ce qui est tout l’attitude contraire de Jim dans la série. Sam/Jim recouvre la mémoire plus tard lors de la quatrième saison, au dix-huitième épisode, en voulant sauver Mélinda de l’eau montante des égouts. En nageant, il frappe la tête contre un tuyau. Du choc, il a une expérience de mort imminente qui lui ramène la totalité de ses souvenirs et de son identité, en tant que Jim Clancy.

(2) Gretchen Dennis, dans la série Ghost Whisperer, est un esprit errant qui apparaît au neuvième épisode de la quatrième saison, intitulé « Le Dernier Vœu » / « Pieces Of You ». Cette fillette, dans un puits, réalise les vœux de ceux qui étaient sincères. Ainsi, elle exauce le souhait ardent de Sam/Jim, encore amnésique, lui laissant dans une boîte à la banque une bague de fiançailles que Jim voulait donner en cadeau à Mélinda. Seulement, dans cette présente histoire, cet esprit errant devient une bonne fée.

(3) Greer Clarkson est une patiente de l’ancien asile qui apparaît au dix-septième épisode de la quatrième saison, intitulé « Histoire de fous » / « Delusion of Grandview ». Cet asile a été détruit pour construire l’école primaire de Grandview, mais les défunts patients rôdent encore sur place. La demande du psychiatre Calvin Byrd est inventée pour l’histoire et n’a rien de commun avec la série. Dans l’épisode suivant, « Le Saut de l’ange » / « Leap of Faith », le médecin met plutôt une sorte d’ultimatum à la médium en lui demandant de comprendre le cas de Ben Tillman, dont le corps est revenu à la vie grâce à l’âme de Joseph Webb, mais cette « renaissance » le laisse très confus sur ses souvenirs, à l’instar de Jim dans le corps de Sam Lucas dans la série. Calvin Byrd procède à de telles expérimentations entre vivants et défunts parce qu’il souhaite lui-même revenir parmi les vivants, tout en conservant l’intégralité de ses connaissances, mais ses essais se révèlent être des échecs.

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