Comme un feu froid
Chapitre 1 : Comme un feu froid
5602 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 14/07/2025 18:39
Cette fanfiction participe au Défi du Forum de Fanfictions.fr Incendiaire (juillet à août 2025)
Comme un feu froid(1)
Pièce en trois actes
à tous mes lecteurs, tout particulièrement 1950m et Beauvais
en témoignage de reconnaissance.
Cette pièce a été créée le 12 juillet 2025 au Théâtre de la Ville par B7B14. Cette pièce est une adaptation théâtrale et libre du premier épisode de la quatrième saison intitulé « Unis par les flammes », ou « Firestarter », de la série américaine Ghost Whisperer.
Personnages
Élie James, professeur de psychologie à l’Université Rockland et psychothérapeuthe
Fiona Raine, patiente d’Élie James
Christian, frère d’adoption de Fiona Raine
Jim Clancy, Ambulancier, mari de Mélinda Gordon
Mélinda Gordon, chuchoteuse d’esprits et antiquaire, épouse de Jim Clancy
Une infirmière
Un médecin
Un esprit errant féminin
Un esprit errant masculin
ACTE PREMIER
La scène est divisée en deux, à gauche un corridor aux murs beiges et à droite l’intérieur du bureau. La séparation est faite par une porte en bois avec une petite plaque dorée au nom de l’occupant. Le bureau du professeur Élie James à l’Université Rockland à partir du milieu jusqu’à droite. À gauche, à côté de la porte d’entrée, une poubelle en métal et un paravent en bois. L’intérieur du bureau ne comporte qu’une fenêtre à gauche derrière le bureau avec des stores à moitié tirés et quelques plantes en pot. Au centre, un grand bureau en chêne orné d’une lampe à l’ancienne, des feuilles et divers documents posés dessus. Un fauteuil en cuir derrière le bureau et deux chaises avec un coussin en face du bureau. À gauche, un tableau sur roulettes garni de divers articles et documents épinglés et, à droite, un classeur gris sous clé en face de la fenêtre. Une immense bibliothèque trône au fond à droite.
SCÈNE PREMIÈRE
Même décor
Élie James, Fiona Raine.
Au lever du rideau, le professeur Élie James marche d’un pas rapide dans le corridor qui mène à son bureau. Le couloir est vide, l’ampoule qui éclaire l’endroit est allumée. Derrière le paravent se cache Fiona Raine qui jette de bref coup d’œil de l’autre côté.
Élie James
(à part, depuis son entrée en scène)
En ce 3 octobre, (il regarde sa montre) à 22 h 00, c’est-à-dire bientôt, je dois expliquer à Fiona pourquoi je ne peux plus continuer nos séances de thérapie ! Arh ! (Il porte ses mains à sa tête) C’est très compliqué et tellement simple ! Mais je ne peux le lui dire de but en blanc ! Le transfert et le contre-transfert, ô combien imprévisible processus thérapeutique, se manifestent ! Je ne peux lui dire que depuis les quelques mois où nous travaillons ensemble, je la vois… (Il s’arrête dans sa marche, tournant sa tête à droite et à gauche, dans un effort de recherche de mots. Il fait encore quelques pas) Comment dire (mine pensive, il s’arrête) autrement… (Il reprend sa marche d’un pas plus lent) Ce feu dans ma poitrine qui m’assaille jour et nuit ! Feu qui me consume de l’intérieur ! (Il porte ses mains à sa poitrine) Incendie qui m’empêche de travailler ! Je me languis ! Je meurs ! Pourquoi autant de souci pour une patiente ? Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Ah ! (Il soupire. Silence). Ô cruel Éros, dieu aveugle, pourquoi prends-tu un malin plaisir à me torturer ? Pourquoi dois-je chaque soir ne point fermer l’œil depuis quelques semaines ? Pourquoi chaque rencontre avec Fiona doit être un déchirement perpétuel entre amour et volonté de l’aider ? (Silence) Alors que je suis ainsi tiraillé, je viole par la pensée le code déontologique de mon métier ! Quel étrange paradoxe ! Conscience morale et amour, deux opposés ! Dans quelles affres d’hésitation suis-je plongé ? Deux contraires incompatibles, tels les lumières et les ténèbres ! Mais je l'aime ! Oui ! Je suis fou amoureux de ma patiente ! (Silence) Pourquoi dois-je lui expliquer mon refus, alors que je ne veux que l’aider ? Pourquoi ? Que lui dire ?
Il arrive jusqu’au paravant. Fiona Raine sort de derrière le paravent. Élie sursaute. Il reprend rapidement contrôle de soi, mine sérieuse.
Fiona Raine
Élie James, j’attends vos explications ! Vous n’êtes pas sans savoir dans quel état de panique (elle pleure, sort son mouchoir et parle d’une voix vacillante) vous m’avez mis ! Pourquoi ? (D’un ton plus tranchant) Pourquoi ?
Élie James
Non, je l’ignore, (il soupire) effectivement. (D’un ton affligé) Je ne voulais pas vous mettre dans cet état. J’en suis navré. (Bref silence, échange de regard) Venez, je dois tout vous expliquer. (Il lui ouvre la porte et la laisse passer un geste galant de la main) Les dames d’abord.
Elle entre, il la suit, puis l’invite d’un geste de la main à s’asseoir sur une chaise et lui-même s’installe en face d’elle, confortablement sur le fauteuil.
Après un court silence.
Fiona Raine
(hurle)
Pourquoi ? Pourquoi me faites-vous ce coup ? Pourquoi interrompre la thérapie ?
Élie James
Calmez-vous, Mademoiselle ! (Il se masse les tempes) Respirez et expirez ! Un, deux, trois.
Fiona Raine
(hurle et agite les mains)
Vous dites de me calmer ! Alors que c’est vous qui arrêtez tout sans raison !
Élie James
Comme je vous l’ai mentionné (il hausse la voix) Je mets fin à nos séances thérapeutiques.
Fiona Raine
Vous êtes un monstre ! (Fiona se lève, tourne le dos à son interlocuteur) Vous ne vous souciez pas ni de moi, ni de mon bien-être !
Élie James,
(tout doucement, à part)
Quel affront ! Elle ose insinuer que je suis un mauvais praticien. Si seulement elle savait à quel point je me préoccupe d’elle. (À voix haute, hurlant) Mademoiselle Raine, bien au contraire ! (Il se lève de son fauteuil et regarde à la dérobée son ancienne patiente) Je ne fais que du mieux que je peux ! Veuillez vous rasseoir ! Je reconnais mes limites, simple, non ?
Fiona Raine
Pas si certaine que vous faites de votre mieux ! (Elle se retourne et regarde le professeur droit dans les yeux).
Élie James
(crie)
Au contraire ! C’est la raison pour laquelle je vous recommande de continuer votre thérapie chez mon collègue Henri…
Fiona Raine
Je refuse ! Je ne comprends pas, pourquoi ne pas continuer ? (Elle fait un geste de la main vers lui) Que vous est-il arrivé pour que vous refusiez de faire votre travail ?
Élie James
Parce que… (Il tambourine nerveusement le coin du bureau)
Fiona Raine
(ton provocateur)
Avouez, donc que vous m’aimez ?
Élie James
Non ! Non et non ! (Il baisse les yeux sur la table) Disons que c’est un processus complexe de transfert qui m’empêche de vouloir continuer, je ne peux le supporter ! Je dois reconnaître que j’ai une limite personnelle que je ne peux pas franchir ! Notre relation thérapeutique a pris un tournant dangereux, une pente glissante. (Un bref silence, puis Élie frappe le bureau avec ses poings) Vous comprenez que je ne peux pas risquer ma carrière à cause de vous si nous suivons cette pente glissante qui est fatale ! Pour la simple raison que j’ai outrepassé mon rôle.
Fiona Raine
(hurle)
Ingrat ! Ingrat, vous l’êtes ! Vous n’êtes qu’un lâche !
Silence.
SCÈNE 2
Même décor.
Élie James, Fiona Raine, Christian.
La porte du bureau est fermée, Fiona Raine et Élie James continuent leur dispute.
Christian s’avance à pas de loup vers la porte, collant une oreille pour espionner le moindre bruit.
Christian
(à part)
Y a-t-il quelqu’un ? Je n’entends rien ! (Il décolle son oreille de la porte et se frappe légèrement la paume sur le front). J’ai oublié que la porte est insonorisée. Que ce psy maladivement curieux fourre son nez un peu trop dans la vie de ma chère Fiona soit seul ou pas à son bureau, je dois l’avertir ! Il doit savoir que je ne peux pas lui permettre de fouiller dans notre passé ! Je ne peux tolérer qu’il fasse du mal à Fiona ! Je doute bien que ce psy soit amoureux d’elle ! Mais moi, non seulement je n’aime pas ce satané psy, mais je le hais ! Et d’une haine tellement brûlante ! (Il fouille dans une poche pour sortir un morceau de papier et une boîte d'allumettes) L’avertissement arrive, petit psy !
Christian prend le papier et l’allumette, jette le morceau enflammé dans la poubelle, contourne prestement le paravent et revient du même côté qu’il est entré. Il s’arrête un instant pour contempler les flammes, petit sourire aux lèvres.
Christian
Le châtiment s’approche implacablement ! Gare à toi, Élie James !
Un feu se propage, la fumée noire s’infiltre en dessous de la porte. Christian quitte la scène.
De l’autre côté de la porte, l’un en face de l’autre, Élie et Fiona continuent leur explication.
Élie James
(Avec calme contrôlé)
Disons, Mademoiselle Raine, que je ne peux pas continuer notre thérapie parce que… (Il se lève soudainement) Qu’est-ce que cette odeur ?
Il renifle l’air bruyamment et promène son regard dans la pièce. Fiona est debout également, se retourne et panique.
Fiona Raine
(hurle et agite frénétiquement les mains)
Du feu ! Du feu ! La fumée est là !
Élie James
(parle fort avec un débit précipité)
Il n’y a jamais de fumée sans feu ! L’heure n’est pas à la discussion, mais à la survie ! (Il se rapproche de Fiona pour la protéger) Vite ! Il faut s’enfuir ! Maintenant ! Suivez-moi !
Fiona et Élie ouvrent la porte du bureau pour être accueilli par un feu ardent. Ils courent jusqu’au couloir, s’effondrent sous la fumée, en suffoquant, devant la sortie de scène.
ACTE 2
La scène, dans un hôpital, est divisée en deux, séparée par une immense porte vitrée. Du côté droit, une chambre d'hôpital aux murs blancs, du côté gauche un hall.
Dans la chambre, en son centre, un lit, à côté du lit un moniteur des signes vitaux.
Élie James est allongé dans le lit avec des protections oculaires sur les yeux. À ses côtés, Fiona, triste, ne cesse de lui parler.
SCÈNE 1
Même décor.
Élie James, Mélinda Gordon, Jim Clancy, Fiona Raine.
Mélinda et Jim sont dans le hall, observant le professeur.
Mélinda Gordon
Jim, cet homme a survécu au feu, mais pas la jeune femme. (Elle soupire et détourne son regard de la porte vitrée, se tournant vers son mari). Que faisait-il à son bureau si tard ?
Jim Clancy
Je le sais pas (Il hausse les épaules et se désinfecte les mains) Mais j’ai eu beaucoup de mal à le réanimer !
Mélinda Gordon, mine inquiète.
Il a vécu une expérience de mort imminente, j’ai vu son âme à l’extérieur de son corps. Heureusement, il est revenu.
Jim Clancy
(fronce des sourcils)
Il semble en conversation avec quelqu'un.
Mélinda Gordon
(étonnée)
Il discute (Elle observe attentivement Élie et Fiona) avec une jeune femme à ses côtés, un esprit errant (Le couple échange un regard entendu). (Silence) J’espère qu'il va mieux ?
Jim Clancy
Il n’a qu’un œdème des yeux à cause de la fumée du feu. Il devrait bientôt se rétablir. D’ailleurs, il est très chanceux de ne pas être plus brûlé ! L’incendie a pris tout l’étage !
Mélinda Gordon
Bon ! (Elle soupire) Je pense que je vais devoir lui parler de son nouveau don.
Mélinda se dirige vers la porte de la chambre pour y entrer d’un pas ferme, déterminée. Jim quitte la scène.
SCÈNE 2
Même décor.
Élie James, Fiona Raine, Mélinda Gordon, l’infirmière.
Mélinda Gordon
Monsieur… (Elle referme la porte et s’avance vers le lit, regard fixé sur Fiona)
Élie James
Élie James, professeur à l’Université Rockland et thérapeute. Enchanté. (Il agite sa main droite vers Fiona) Je vous présente ma patiente, Fiona… Fiona Raine. Qui êtes-vous ? Attendez que je retire ces pansements qui m’empêchent de voir (Il rapproche ses mains des protections oculaires pour les retirer, mais ferme rapidement les yeux). Par ailleurs, j’ignorais qu’il soit une pratique courante de faire des connaissances à l’hôpital !
Mélinda Gordon
Monsieur James, je suis Mélinda Gordon et (presque en pleurs, essayant de se contrôler) j’ai la triste nouvelle de vous annoncer que Mademoiselle Fiona Raine est décédée lors de l’incendie qui a ravagé votre bureau ce soir.
Élie James
Comment ? (Il se redresse à moitié au lit, agitant ses bras) Pourtant je converse avec elle depuis que je suis conscient ! Je reconnais bien sa voix ! (Il tourne la tête à droite et à gauche, à part) Je ne peux me tromper sur sa voix, tellement charmante, une vraie mélodie ! Mais, si elle est… morte. (Silence) Impossible ! (À voix haute) Comment je l’entends alors ? Serais-je devenu fou ?
Mélinda Gordon
(voix douce et calme)
Monsieur James, votre expérience de mort imminente aurait débloqué en vous un don, celui d’entendre les esprits errants, les défunts.
Élie James
Ah ! Quel don ! (avec ironie) Quel don ! C’est une punition, pas un cadeau ! (Il soupire et fait une pause) J’ose espérer que ce soit une mauvaise blague !
Mélinda Gordon
(ton sérieux)
Je peux vous aider avec ce nouveau don, parce que je l’ai moi-même, ce don de communiquer avec les défunts, de les entendre et de les voir.
Élie James
Les entendre, (avec ironie amère) c’est comme être aveugle ! Et pourquoi venez-vous à moi ?
Mélinda Gordon
Parce que votre patiente, avec laquelle vous discutez depuis votre réveil, est encore parmi les vivants, vous devez la diriger vers la Lumière.
Élie James, étonné.
Qui êtes-vous déjà ? Je ne me rappelle pas vous avoir rencontré dans un laboratoire de recherche sur les électrochocs ou lors de l’un des cours en Histoire de la psychologie ou en Psychologie clinique.
Mélinda Gordon
Exactement, je suis antiquaire à Grandview. (Élie tourne la tête vers elle et Fiona la fixe) Et nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant !
Élie James
Enchanté ! (Il soupire) (À part) Je ne pourrais m’imaginer vivre avec ce don ! Et quel don en plus, une punition plutôt ! (Silence, puis à voix haute) J’ai perdu une patiente !
Mélinda Gordon
Oui, mais vous ne pouviez rien faire (Elle secoue sa tête, petit sourire compatissant) Et si votre patiente vous suit, c’est parce qu’elle a encore des affaires irrésolues qui l’empêchent de quitter le monde des vivants… (Mine sérieuse, insistant sur chaque mot) Vous devez l’aider.
Élie James
(à part)
Une thérapie psy post-mortem ! C’est cinglé ! (à voix haute, inquiet) Et d’ailleurs, comment puis-je l’aider ?
Fiona Raine
S’il vous plaît, je ne veux pas que vous vous blâmiez !
Élie tourne la tête vers la voix avant de l’ignorer. Il soupire. Une infirmière entre dans la salle.
Élie James
Facile à dire !
L’infirmière ignore sa remarque, vérifie sa fréquence cardiaque et griffonne quelques mots sur une feuille avant de quitter la salle. Fiona sort de la scène en prenant la voie opposée à l'infirmière.
Mélinda Gordon
Fiona n’est plus à vos côtés. (Silence prolongé) Je vais vous laisser vous reposer et digérer ces nouvelles informations. Je vous seconderai pour diriger Fiona Raine vers la Lumière. (Elle sourit chaleureusement à Élie)
Élie James
Merci beaucoup !
Élie s’installe plus confortablement dans le lit. Mélinda quitte la scène.
SCÈNE 3
Même décor
Élie James, Fiona Raine, l’esprit errant masculin, l’esprit errant féminin, l’infirmière, le médecin.
Élie James
(se lamente)
Fiona est morte ! Fiona est défunte ! Alors que je suis vivant ! J’aurais un stress post-traumatique, c’est certain ! (Il soupire, tourne la tête de chaque côté pour vérifier qu’il soit bien seul, avant de fulminer) En plus d’entendre des voix ! (Silence) Et ce n’est pas prêt de partir !
Les deux esprits errants arrivent sur scène, encadrant Élie. Fiona recule dans un coin, silencieuse. Ils parlent entre eux indistinctement pour le public pendant quelques minutes avant de se taire. Élie bloque le son avec ses mains au milieu de leur discours.
Élie James
(crie)
Mais réellement pas ! Laissez-moi en paix, vous, les défunts !
Les fantômes masculin et féminin quittent la scène par la voie opposée à leur venue, en gesticulant.
Fiona Raine
Alors pourquoi m’ignorez-vous ? (Elle s’avance à l’autre coin de la chambre. Élie détourne sa tête de la provenance du son et soupire).
Élie James
Et pas n’importe quelle voix ! (À part) Je deviens fou ! Ce n’est pas un don, mais une malédiction ! En plus qu’en l’entendant maintenant, le feu dans mon cœur ne s’est pas apaisé ! (Il porte sa main à sa poitrine) Au contraire ! (Il lève ses bras dans les airs, puis les laisse retomber sur le lit) Il est encore plus dévastateur qu’auparavant, me laissant mélancolique et abattu. Pourquoi Fiona ? À quoi bon que je sois encore en vie, si c’est pour avoir l’existence pourrie par les morts qui sèment une cacophonie ? (À voix haute, levant la main droite) Quelqu’un peut me répondre ? Quelqu’un peu m’aider ?
Une infirmière entre, suivie d’un médecin. Elle vérifie les constantes du patient en silence sous le regard attentif du médecin, mine sérieuse.
Le médecin
(avec enthousiasme)
Bonne nouvelle, Monsieur James. Votre sortie est pour bientôt ! (Petit sourire) Vous vous rétablissez rapidement ! Reposez-vous encore un peu et demain nous ferons les derniers tests.
Le médecin retire définitivement les protections oculaires. Les professionnels quittent la scène, laissant Élie et Fiona seuls.
Élie James
(fermant les yeux)
Ah ! (Avec ironie) Quelle vie est la mienne ! (À part) Faire le deuil d’une femme chère à mon cœur, ce n’est pas facile, après le feu (pause) Non, l’incendie, de mon amour ! Je ne suis plus qu’un mort-vivant ! « Je vous aimais, et mon amour peut-être / Au fond du cœur brûle toujours un peu) / Je vous aimais sans que rien n’en paraisse, / Sans un espoir, mais non sans jalousie; / Je vous aimais avec tant de tendresse »(2) que je ne sais plus comment je vais continuer à vivre ! Au moins, dans l’au-delà, j’aurai pu la rejoindre ! (À voix haute, tristement) Je suis fautif de sa mort, si seulement, je…
Fiona Raine
Élie James (Elle se déplace pour être à ses côtés, lui touchant presque le bras, et parle d’une douce voix), ne vous culpabilisez pas de ma mort. Vous n’êtes pas responsable. Je ne suis pas fâchée contre vous. (Silence)
Élie James
Alors pourquoi rester ? (Fiona quitte la scène, sans dire un mot. Silence) Bon ! (À part)
Fiona, si seulement tu pouvais éteindre ce feu qui me consume ! Je brûle encore plus qu’auparavant ! Un feu intérieur qui m’illumine et un incendie qui me dévore ! Une flamme qui me torture et me détruit encore plus, devant le vide de ton absence. Ta voix me fait encore plus souffrir ! Un mirage, tu es ! Insaisissable, tu es ! (Il soupire) Pourquoi le destin est-il si cruel ? Pourquoi ? (Il murmure) Pourquoi ? Pourquoi ?
ACTE 3
Scène qui représente l’entrée principale de l’université. Au centre et au fond de la scène, le mur d’un immense bâtiment en pierres avec une enseigne géante au nom de l’université locale devant la porte en fer. À droite, une allée avec des arbres partiellement sans feuilles. À gauche, le stationnement vide.
SCÈNE 1
Même décor.
Élie James, Fiona Raine, Mélinda Gordon.
Mélinda, Élie et Fiona entrent en scène rapidement et s’arrêtent au centre. Mélinda est en face d’Élie. Fiona est à la droite d’Élie.
Mélinda Gordon
Que savez-vous de Fiona Raine ? De son passé ? Pourrait-elle être responsable de l’incendie ?
Élie James
Je (Silence. Fiona se déplace, courroucée, près de Mélinda) Je suis lié par le secret professionnel. (Silence) Le peu que j’ai en droit de vous communiquer est de l’ordre général : elle était orpheline dès l’âge de trois ans. Je travaillais avec elle pour des problèmes qu’elle a depuis le lycée. Je doute qu’elle pourrait être responsable de l’incendie à l’Université, mais la maison de l’une de sa famille d’accueil a brûlé. (Silence, il réfléchit) Peut-être qu’elle voulait me tuer, parce qu’elle voyait en moi son père adoptif qu’elle détestait ? Vous savez, le transfert peut prendre des formes bien étranges parfois !
Fiona Raine
(secoue énergiquement la tête et rugit)
Non ! Laissez le passé en paix ! Laissez-nous tranquilles ! (Elle quitte la scène en courant)
Mélinda Gordon
(Ébahie, regard tourné vers le dernier endroit où a été Fiona)
Fiona est fâchée, mais contre qui ?
Élie James
(parcourt du regard l’assistance)
Donc cet incendie est un avertissement ! Peut-être que si je parviens à retrouver l’ancien petit ami de Fiona, je pourrai avoir un indice ? (Il réfléchit, silence) Il pourrait être le responsable… De plus, Fiona n’avait aucune photographie de sa famille, uniquement avec moi. (Mélinda le fixe, étonnée; Élie hausse les épaules) C’était son idée. Et moi aussi je gardais des photographies faites lors de nos séances thérapeutiques à l’extérieur du cabinet, dans le parc, pour les afficher sur un tableau lors de nos rencontres au bureau, dans l’espoir de l’aider dans la voie vers la guérison.
Mélinda Gordon
Il est évident qu’il faut faire partir Fiona Raine dans la Lumière (Elle soupire) le plus rapidement possible ! Avant qu’un autre incendie se déclare près de vous ! Je vais fouiller dans les archives !
Mélinda sort précipitamment de la scène. Élie est pensif. Silence.
Élie James
(à part)
Ah ! Je n’appréhende guère la raison de ta colère ! Fiona, ma chère, pourquoi es-tu fâchée contre moi ? (Silence) Que t’ai-je fait de mal, alors que je ne voulais que t’aider ? (Silence) Bon, allons chercher les informations, vite !
Élie quitte la scène d’un pas rapide.
SCÈNE 2
Scène représente les archives de la ville. À droite et à gauche, des étagères numérotées remplies de livres et documents imprimés. Au centre, un passage dégagé pour la circulation avec une porte en bois au loin.
Mélinda Gordon, Fiona Raine, Christian.
Mélinda arrive d’un pas rapide, parcourant du regard les ouvrages. Fiona, à sa droite, ne bouge pas. Mélinda sursaute, s’arrêtant net.
Fiona Raine
(avec amertume)
Pourquoi êtes-vous si curieuse ? (Elle étend son bras vers l’étagère pour bloquer le passage à Mélinda. Silence) Pourquoi voulez-vous raviver le passé qu’il vaut mieux détruire ! (Elle serre ses mains en poing, créant un petit feu sur une étagère un peu plus loin d’eux)
Mélinda Gordon
(ton calme)
Fiona Faine, je ne veux que vous aider, de même votre thérapeute. D’ailleurs, je ne suis pas de la police, je ne rapporterai rien aux autorités, je ne fais que mon travail de passeur d’âmes. (Silence) Le Nous que tu as employé m’étonne. Pourquoi ? Ou plutôt qui veux-tu protéger ? (Son regard tombe sur l’article de journal sur l’incendie de la famille d’accueil. Elle le prend et le lit. Silence) Dans cette famille d'accueil, il y avait une fillette et un garçon, en plus de toi, c’est peut-être l’un d’entre eux que tu voulais protéger ?
Fiona Raine
(soupirant, ton triste)
Je vous ai déjà dit de laisser mon passé, il est mort et enterré. Si vous ne voulez pas en payer le prix.
Christian entre en scène, allumant un feu en brûlant un livre non loin de Mélinda, Fiona se retourne pour constater des flammes de plus en plus grandes. Elle se déplace derrière Mélinda, mine inquiète.
Fiona Raine
(chuchotant)
Ce n’est pas censé arriver. Christian ! Pourquoi ? (Mélinda repère du regard Christian) Tu m’avais promis de me protéger ! (Fiona fond en larmes) Pourquoi ?
Fiona court à travers les flammes, quittant rapidement la scène.
Mélinda Gordon
Sortons vite ! (Mouchoir sur le nez pour ne pas respirer la fumée, court jusqu’à Christian et lui ordonne) Christian, venez avec moi, il faut sortir ! (Il observe brièvement le feu, larmes dans les yeux) Je comprends que tu veuilles protéger Fiona, mais maintenant ta vie est en danger !
Christian
Ils me retrouveront ! Je l’ai tué sans le vouloir !
Mélinda Gordon
L’heure n’est pas à la discussion, mais à la survie !
Mélinda tire Christian par la manche pour quitter l’endroit, ils traversent la fumée et sortent de la scène avant de suffoquer sous les flammes.
SCÈNE 3
Scène qui représente une rue de Grandview, le soir. Un trottoir traverse toute la scène. À gauche, un bout d’édifice en pierres grises avec deux petites fenêtres et une porte de garage fermée. À droite, une partie d’un bâtiment en briques avec d’immenses fenêtres aux rideaux tirés et un arbre centenaire partiellement sans feuilles. Au fond, un petit salon de coiffure en briques avec une enseigne lumineuse.
Élie James, Mélinda Gordon et Fiona Raine.
Mélinda et Élie marchent d’un pas rapide, suivis par Fiona, avant de ralentir et de s’arrêter au milieu de la scène. Mélinda est à droite d’Élie. Fiona est entre Élie et Mélinda.
Mélinda Gordon
(voix mélodieuse et rassurante)
Élie James, Fiona n’est pas fâchée contre vous (Elle tourne son regard vers Fiona) elle ne se souciait que de son ancien petit ami. Et lui-même ne se préoccupait que d’elle.
Fiona Raine
(mine rêveuse)
Oui, on s’est juré de s'entraider ! (D’un ton sérieux) D’ailleurs, j’étais venue à vous, Élie James, pour des conseils, parce que j'avais fini par étouffer sous son emprise. Par contre, je crains que Christian se retrouve en prison !
Élie James
(solennellement)
Fiona, ma parole, je m’occuperais de lui. Je ne peux échouer comme je l’ai fait avec toi ! Je me suis beaucoup trop soucié de toi, Fiona. (Silence)
Fiona Raine
Que voulez-vous dire ? (Elle s’approche un peu plus d’Élie)
Élie James
Disons (il baisse les yeux au sol) que je m’en faisais beaucoup plus pour toi que pour n’importe quel autre de mes patients.
Fiona Raine
Un sentiment amoureux ? (Élie relève sa tête, regard dans le vague)
Élie James
Tu te rappelles mon dernier appel ? Lorsque je t’ai téléphoné pour mettre fin à nos rencontres ?
Fiona Raine
(intriguée)
Oui, pourquoi ?
Élie James
Je ne t’ai pas révélé toute la vérité. (Il soupire) Dans mon appartement, je garde précieusement toutes nos photographies !
Fiona Raine
(confuse)
Mais je ne suis pas ton unique patiente, c’est étrange, non ?
Élie James
Eh bien ! Justement, lorsque tu étais heureuse, je me réjouissais, lorsque tu étais triste, j’en étais affecté. (Silence) Beaucoup plus impliqué et présent qu’avec n’importe quel autre patient ! Un feu brûle en moi pour toi ! (Des larmes perlent dans les yeux d’Élie). Je t’aimais passionnément ! Je suis un piètre thérapeute !
Fiona Raine
(joyeuse)
Au contraire ! (tourne la tête à droite, un large sourire sur le visage) Vous êtes un très bon médecin ! (Silence) Je remarque une lumière là-bas ! (Elle fait un geste de la main droite au loin, exultant de joie) Tellement belle, divine et lumineuse !
Mélinda Gordon
(ton accueillant, larmes dans le coin des yeux)
Cette Lumière est pour vous, Fiona Raine ! C’est la fin de votre errance ! Vous êtes prête à partir pour l’Au-delà !
Fiona Raine
Élie (Fiona s'approche tout près de Élie, passe la main sur sa joue), merci infiniment !
Élie James
(ému)
Merci à toi, Fiona ! (Il passe une main là où a été celle de sa patiente quelques instants plus tôt) Je ressens qu’un lourd poids s’est dissipé de ma poitrine et que le feu ne dévore plus mon cœur. Je suis rasséréné de te savoir enfin en paix !
Fiona marche lentement jusqu’à sortir de la scène, sous le regard de Mélinda qui sourit. Élie balaie du regard l'assemblée, ravi. Mélinda et Élie quittent la scène.
RIDEAU
_______
(1) Notre traduction de « холодным огнём » [holodnym ognëm], de la chanson Я здесь [Ya zdes’] Je suis là, de Valery Alexandrovitch Kipelov. Le vers au complet est « Чтобы упасть с ночных небес холодным огнём » [Tchtoby upastʹ s nochnyh nebes holodnym ognëm], « Pour tomber des cieux nocturnes comme un feu froid ».
(2) Extraits du poème Je vous aimais d’Alexandre Pouchkine, 1829, traduction de Naoum Mirski.