Secret sur parchemin

Chapitre 1 : Secret sur parchemin

Chapitre final

5898 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/08/2025 13:28

Cette fanfiction contribue au Jeu d’écriture Les dés sont jetés


Tirage, Caractéristique 5 (empathique), Lieu 11 (château), Objectif 14 (paix), Objet 3 (parchemin), Rencontre 16 (secret) et Obstacle 11 (aide)


Information de l’univers alternatif historique pour Ghost Whisperer (Russie des années 1860)

Jim Clancy devient Jakov, surnommé Iacha, Petrovitch Cheremetiev, médecin à Saint-Pétersbourg et chuchoteur d’esprits.

Mélinda Gordon devient Maria, surnommée Macha, Alekseïevna Cheremetieva, épouse de Jakov Petrovitch et chuchoteuse d'esprits.

Importante entorse à la série, le don de Mélinda est également attribué à son mari.

De même important changement pour les Contes russes, puisque le valeureux Ivan Tsarévitch ne parvient pas à tuer Kochtcheï l’Immortel et ajout de Maria Premoudraja.



Secret sur parchemin



Fin juillet 1865, un jour, à Saint-Pétersbourg, Empire de Russie.

Maria Alekseïevna se rendit au marché, comme elle le faisait tous les jours, prenant la rue S. jusqu’à l’allée principale. Le ciel était dégagé de tout nuage, laissant entrevoir l’azur magnifique où le soleil brillait de mille feux, tel un roi trônant au milieu de sa cour, vêtu d’or et de pierres précieuses. Une lourde chaleur régnait dans la ville, oppressant les poumons et l’air. Promenant son regard dans la foule bavarde et dense malgré la température élevée, elle discerna une forme fantomatique au loin qui déambulait tout en suppliant les passants de l’aider, mais tout le monde l’ignorait.


Lorsque leurs regards se croisèrent, Maria lut un étonnement dans celui du défunt. Ce dernier, un jeune homme aux traits délicats, aux yeux bleu ciel et aux cheveux blonds qui contrastaient avec ses vêtements royaux dorés, la scruta attentivement. Il s’avança vers elle et lui murmura :

— Me voyez-vous ? … 

Ses yeux s’agrandirent brièvement puis il continua de sa voix mélodieuse.

— Pouvez-vous m’aider ?

Avec un large sourire, la jeune femme affirma d’un ton chaleureux, ajustant son élégante robe verte :

— Oui, je peux communiquer avec vous et je peux vous aider…

Un silence s’installa entre eux pendant quelques minutes. Ils marchèrent l’un à côté de l’autre.

— Je sais bien que je suis… mort, affirma-t-il d’une voix puissante, mais c’est la première fois que quelqu’un peut entrer en contact avec moi ! 

Il baissa sa tête et, d’une petite voix, commenta : 

— Même la princesse que j’étais venu délivré, Vassilissa la Très-Belle, pourtant très instruite en maints secrets de l’univers, ne pouvait pas communiquer avec moi ! Vous êtes une femme bien spéciale !

Un large sourire éclaira le visage de la médium qui affirma chaleureusement :

— Je suis Maria Alekseïevna Cheremetieva, chuchoteuse d’esprits depuis mon enfance.

— Enchanté.

Il s’inclina galamment et continua :

— Je suis Ivan Tsarévitch du Vingt-Cinquième Royaume et lorsque j’étais encore en vie, j’ai tenté de délivrer Vassilissa la Très-Belle prisonnière au Vingt-Septième Royaume(1) des griffes de cet immonde Kochtcheï l’Immortel. Et j’ai échoué ! Je ne suis pas parvenu à briser la coquille de l'œuf où est cachée sa mort !

— Je peux vous aider à partir en paix dans la Lumière. Pour quelle raison restez-vous encore parmi les vivants, Ivan Tsarévitch ?

— Vassilissa la Très-Belle et la Très-Sage(2) est encore prisonnière de ce tsar maudit, ce sorcier ! Parce que je ne suis pas parvenu à le tuer ! Comment faire pour le tuer ? Pourquoi ai-je échoué ?

— Voulez-vous que je la délivre, secondée par mon mari, bien sûr, pour la donner en mariage à un aristocrate à la cour de notre tsar Alexandre II ?

— Non, non, ce ne sera pas nécessaire ! Donnez-la en mariage à mon cousin Ivan Vassilievitch. Par contre, pour que je puisse partir, il faut trouver le parchemin !

— Lequel ? Comment ? Où ?

Le fantôme disparut. Maria continua sa route jusqu’au marché, perplexe.


Elle ne remarqua pas des yeux flamboyants qui la suivaient depuis sa conversation avec le défunt. C’était nul autre que Kochtcheï l’Immortel qui la surveillait. Le tsar du Vingt-Septième Royaume sortit son assiette et sa pomme de voyance, et, dès qu’il fut à couvert dans une ruelle silence et vide de toute présence humaine, psalmodia :

— Pomme, petite pomme d’or, roule sur l’assiette d’argent et montre-moi la demeure de cette femme, Maria Alekseïevna, la médium !

La pomme tournoya au-dessus de l'assiette, qui changea de couleur, passant du bleu roi au vert forêt. Une image se forma progressivement sur sa surface, devenant de plus en plus nette, révélant la demeure des Cheremetiev — une maison en pierre flanquée de deux chênes centenaires située au croisement de l'avenue V. et de la rue M.

Le sorcier se frotta les mains d’anticipation et murmura dans sa barbe : 

— Maria Alekseïevna, vous serez ma seconde épouse, de gré ou de force. Je répudierai ma première épouse pour vous marier.

Le tsar éleva les mains vers les cieux et poussa un hurlement qui obscurcit la voûte céleste. Sa longue robe royale, ornée de pierres précieuses qui semblait provenir du XVe siècle, ondoyait autour de sa silhouette à ses moindres gestes. Lorsqu’il regagna son Royaume, un tonnerre retentit.


L’épouse de Jakov Petrovitch, une fois qu’elle termina les courses, revint chez elle pour être accueillie par Ivan Tsarévitch. Ce dernier, les yeux brillant de crainte, l’avertit : 

— J’ai vu Kochtcheï rôder dans votre ville ! C’est un mauvais signe ! C’est de mauvais augure !

La mine assombrie pendant un certain temps, la petite brunette l’interrogea poliment :

— Dites-moi plutôt quel est le parchemin que vous voulez que je lise ? Où se trouve-t-il ?

Elle le fixa intensément, tout en ajustant prestement les plis de sa robe.

— Dans une pièce sombre !

— Où ? 

Elle énuméra une liste fictive en repliant un doigt à l’énonciation de chaque item.

— Dans un château, une maison, une datcha, une maison de campagne, un chalet, une mansarde ? Quelle adresse ? Où ? Quel pays ? Quelle région ?

— Au Vingt-Septième Royaume, au dvoretz(3) du tsar.

— Vous n’êtes pas sérieux ! s’écria-t-elle, main gauche sur la hanche et main droite levée dans les airs.

— Au contraire, je suis très sérieux !

Ces paroles agirent comme une douche d’eau froide sur la jeune femme qui se figea, médusée. Elle bredouilla : 

— Et comment on se rend dans un pays légendaire qui n’existe que dans les contes ?

— Par un passage magique.

— Et ce passage se trouve où ?

— Dans la forêt de Lossiny Ostrov(4). C’est par là que je suis passé pour arriver jusqu’à vous.

Et le Tsarévitch s'éleva dans les airs, laissant la médium seule. 



Quelques heures plus tard, Jakov revint de son cabinet, déposa prestement son sombre manteau à l’entrée et traversa l’étroit couloir au mur beige qui menait jusqu’au salon. Ce dernier était de taille modeste de couleur vert pâle, avec une grande fenêtre orientée plein sud qui apportait les bienfaiteurs rayons solaires à l’intérieur. Les seuls meubles qui se trouvaient dans la pièce étaient deux fauteuils brun clair richement décorés d’arabesques plus foncées et une table basse en noyer qui trônait au centre. S’asseyant sur le fauteuil en face de Maria, il demanda à son épouse : 

— Macha, que se passe-t-il pour que tu sois si inquiète ?

— Un défunt qui prétend s’appeler Ivan Tsarévitch, s’empressa-t-elle de préciser, en remarquant l’étonnement sur le visage de son mari, veut que je parte au Vingt-Septième Royaume pour trouver un parchemin. J’ignore quel danger peut me guetter ! En plus que Kochtcheï l’Immortel, le tsar de ce royaume, est dans notre ville !

Une lueur de détermination brilla dans les yeux clairs, le médecin déclara sérieusement :

— Je t’accompagne ! Je t’aide ! Bien que je ne sache pas manier un arc, je sais utiliser une épée, mon père me l’a enseigné lorsque j’étais plus jeune. À deux, tout est plus simple, comme toujours !

Maria approuva d’un signe de tête et se blottit contre lui, rassurée. Elle lui chuchota : 

— Alors on y va demain ? Ivan Tsarévitch nous indiquera certainement la voie à prendre.

— Exactement, gente dame et noble seigneur, répliqua l'intéressé qui se manifesta près de la fenêtre.

Le couple tourna simultanément leurs têtes vers la voix et échangea un regard entendu, avant que Jakov n’ajoutât d’une voix de stentor : 

— Préparons-nous, Macha ! Vivres et armes nous seront nécessaires ! Vêtements de rechange et uniformes aussi.

Il se dégagea de la jeune femme et s'exécuta.


En deux heures, le couple prépara assez de biens pour survivre même à un siège de cinq ans.

— Voilà ! commenta, ravi, Jakov en enlaçant Maria tendrement par les épaules. Nous sommes prêts !

L’interpellée lui sourit et se mit sur la pointe des pieds pour l’embrasser, le regard brillant de joie.

Le couple s’endormit, désireux de ménager leurs forces pour leur aventure imprévisible.


Tard le soir, alors que la lune brillait au firmament et que les étoiles dansaient semblables aux pierres précieuses sur un uniforme d’apparat, le tsar du Vingt-Septième Royaume se matérialisa dans la chambre du couple et scruta minutieusement la jeune femme.

— Maria Alekseïevna, vous serez ma seconde épouse !

Un sourire carnassier s’étira sur son visage fatigué, avant qu'il entonne une incantation : 

Hotchu lûbitʹ tebâ / Tchto estʹ sily / Vo vseh vozmojnyh / Parallelʹnyh vselennyh [Je veux t’aimer de toutes mes forces dans tous les univers parallèles possibles](5)


Avec ces paroles surgirent des rayons d’une ténébreuse lumière, ombre d’un ombre. Ils se matérialisèrent et se dirigèrent vers l’épouse du médecin, l’enveloppant, tel un anaconda constricteur sa proie. Ce geste téléporta immédiatement la jeune brunette encore dans les bras de Morphée dans une chambre au palais du tsar. Celui-ci s’éclipsa immédiatement dans son Royaume, préparant une épreuve insurmontable pour Jakov.



Le lendemain matin, dans la demeure du couple.

Jakov Petrovitch but son thé l’air absent, puis assécha une deuxième tasse sans broncher, ni ciller. Ses mains tremblaient et ses yeux se fixaient la chaise vide de son occupant en face de la sienne. Il sortit de son état de transe en percevant une forme dans le coin droit de son champ visuel. Il tourna lentement la tête pour reconnaître le défunt.

— Ivan Tsarévitch ! vociféra-t-il en se levant. Savez-vous où est mon épouse ?

— Oui. Elle est prisonnière chez Kochtcheï l’Immortel, dans la cage dorée à côté de celle de Vassilissa la Très-Belle.

— Vous allez me guider jusqu’à ce passage dans la forêt et je vais les délivrer !

Le fantôme lut une lueur de détermination dans le regard du médecin. Il comprit immédiatement que ce dernier ne plaisantait pas.

— Allons-y !

Et le duo se rendit jusqu’à la forêt de Lossiny Ostrov.



Jakov suivait Ivan à travers une forêt où épinettes, pins, tilleuls, chênes et bouleaux centenaires s’entremêlaient. Ils marchaient depuis plusieurs heures dans ce chaos végétal où le soleil perçait difficilement l’épais feuillage. Attentif tel un chasseur, Jakov restait à l’affût du moindre bruit. En plus, la tension entre eux était palpable. Parcourant l’étroite sommière qui serpentait entre la luxuriante végétation en zigzaguant, le médecin émérite se demandait constamment ce qui se passait dans la demeure de Kochtcheï, si ce tsar squelettique allait lui tendre un piège perfide, jouer un mauvais tour à Macha ou pire l’envoyer vers une mort certaine alors qu’il ne pourrait pas se défendre.

— Ivan Tsarévitch, avec tout le respect que je vous dois, sommes-nous bientôt arrivés à destination ?

— Encore quelques pas et nous y sommes ! Voilà !

Le fantôme, d’un geste de la main, montra au milieu d’une clairière dégagée de toute végétation : un cercle de terre parfait d’un mètre de diamètre. Incrédule, Jakov s’approcha du pourtour, traits tendus, analysant le petit espace vierge de toute trace humaine, animale et végétale, avant de s’exclamer : 

— Et c’est en mettant les deux pieds en son centre que j'arrive dans ce Royaume ?

— Oui !

Et le médecin, d’un pas certain, déposa les deux pieds au centre du cercle. Une lumière blanche qui vira au doré l’aveugla et le transporta instantanément au royaume des contes.



Au même moment au Vingt-Septième Royaume, dans le palais de Kochtcheï.

Le tsar, un homme sans âge, à la chevelure ébène abondante, avec quelques frimas sur les tempes, lévita dans le large couloir aux murs dorés pour arriver à la salle du trône. Il s’assit confortablement sur son siège en or massif serti d’émeraudes. Ses yeux noirs, qui semblaient percer ses interlocuteurs jusqu’au tréfonds de leur âme, brillèrent d’une joie sincère et malsaine. Il caressa sa barbe bien fournie, un sourire pincé aux lèvres. Il balaya du regard l’ensemble de la salle vide où, en son centre, trônait une table. Cette dernière, somptueuse, était gigantesque et dressée avec élégance. Ciselé dans l’or le plus pur, ce meuble était entouré de trônes non moins féeriques. Des napperons en lin avec des broderies d’or et d’argent accompagnaient des verres en diamants et des assiettes en argent. Des paniers qui contenaient le pain et le sel, symboles traditionnels d’hospitalité, complétaient ce décor qui invitait chacun à se joindre aux festivités et à célébrer jusqu’aux premières lueurs de l’aube.


— Jakov Petrovitch, prévint le sorcier, ne pensez pas que vous trouverez si rapidement votre charmante épouse !


Il lévita jusqu’à une salle adjacente pour sortir une armure de son coffre. Celle-ci, rutilante, était encore plus éclatante avec le blason de sa famille en son centre, un immense cercle doré où un ours de sable rampant était représenté. Il sortit son épée à la manche dorée sertie de rubis et d’opales de sa réserve et dépoussiéra son bouclier d’or, d’argent et serti de diamants. Il ramena à la lumière du jour son puissant arc à la corde de soie et les flèches de fer durci au feu qui sommeillaient depuis trop longtemps dans leur carquois. Il fit les cent pas dans la salle du trône, impatient d’en découdre avec son ennemi. Il observait les moindres gestes et déplacements de Jakov à travers son assiette magique. Cet espionnage était, pour lui, sa seule occupation de la journée.



Au même instant dans une pièce éloignée du château.

Maria Alekseïevna déambulait dans les longs et interminables couloirs dorés de la demeure depuis plusieurs heures déjà, fouillant discrètement chaque salle pour trouver le fameux parchemin, mais en vain.

Soudain, Ivan Tsarévitch apparut devant elle et hurla :

— C’est par là-bas, gente dame !

Les yeux agrandis par la surprise, la jeune femme l’interrogea d’une voix douce, aussi délicate que le bruissement d’un zéphyr :

— J’arrive à l’instant, illustre Tsarévitch. Par contre, si vous dites que vous n’êtes pas parvenu à briser l'œuf où est renfermée la mort de ce tsar, comment est-ce possible ? Sa coquille est fragile, n’est-ce pas ?

— La réponse est dans le parchemin !

Et il passa à travers la porte de fer qui portait l’inscription en lettres dorées « Bibliothèque ». Maria ouvrit la porte pour arriver dans une sombre salle. Une telle noirceur y régnait qu’il était impossible de discerner quoi que ce soit à moins d’un mètre. Pas une lampe sur les tables, pas un scintillement des métaux, rien. Seul un mince filet de lumière provenait de la porte entrouverte, mais n’était pas suffisant.

Ivan Tsarévitch, au seuil de la porte, promenant son regard à droite et à gauche, ordonna : 

— Refermez-la pour ne pas attirer, par malheur, l’attention de votre ravisseur ou de l’un de ses gardes !

Elle obtempéra et se dirigea vers la fenêtre aux rideaux bleu roi. En tirant ces derniers, une douce lumière diurne envahit la salle, illuminant enfin l’espace.

— Maintenant, on y voit mieux ! commenta Ivan Tsarévitch, ravi.

Il marcha jusqu’à l’immense bibliothèque en bois d’acajou et sortit un parchemin d’entre deux ouvrages à la couverture enluminée. Maria ramassa le manuscrit, les mains tremblantes malgré elle, et chuchota : 

— C’est là que se trouve la réponse à votre question ?

— Exactement ! Et je ne comprends guère comment je ne suis point parvenu à briser la coquille de l'œuf magique !


Revenant à la petite table, la jeune brunette s’assit sur le trône d’or qui tenait place d’un fauteuil, analysa attentivement le parchemin et commenta :

— Le détail qui vous manquait pour briser la coquille est l’amour réciproque du prince et de la princesse.

— Pourtant, gémit Ivan, à genoux, je l'ai aimé ! Une passion dévorante !

— Ce sentiment ne m'est pas inconnu, en effet, sourit-elle, nostalgique. Ça me rappelle Jakov et moi ! L’amour dès le premier regard, le coup de foudre !

Elle tourna les yeux vers la porte, certaine d’avoir entendu des pas.

— Mais je n’ai pas le temps de m’adonner aux souvenirs…

Elle se tut jusqu’à ce que les pas s’éloignassent, avant de reprendre sa réflexion.

— Vous avez échoué parce que Vassilissa ne vous aimait pas, logique, non ?

— Que c’est triste ! se lamenta-t-il. Mais vous allez la délivrer des griffes de ce tsar sorcier ?

— Oui, mon mari est le seul qui puisse nous débarrasser de ce roi, il vient de toute manière pour me délivrer. D’ailleurs, j' ai rencontré Vassilissa un peu plus tôt ce matin, une noble et raffinée princesse aux connaissances étonnantes. Mais où est cet œuf ?

Haussant les épaules, il répondit : 

— J’ignore ! Peut-être que Kochtcheï l’a gardé près de lui ou l’a caché sur une île inconnue de moi.

Et il se dissipa dans les airs, rejoignant Jakov. Maria continua à lire le parchemin et découvrit un secret étonnant sur sa propre famille et celle de son mari qui la laissa comme foudroyée sur place, elle ne remarqua même pas une gracieuse oiselle perchée à la fenêtre qui s’envola quelques minutes plus tard.



Après plusieurs heures de marche infructueuse, Jakov arriva devant un imposant dvoretz aux tours médiévales et au pont-levis d’or orné de topazes. Soudain, le défunt tsarévitch apparut devant lui, comme surgi de nulle part. Il l’avisa : 

— Votre épouse a compris la raison de mon échec, mais je ne partirai pas tant que je ne sois point certain que Vassilissa ait trouvé un bon mari !

— Ivan Tsarévitch, pourquoi vous m’avez dit de prendre la voie de la forêt, alors qu’il y a celle du marché qui est plus rapide ! Je me serais moins fatigué ! Vous vous rendez compte que je ne serais pas le meilleur des combattants après une marche forcée !

— Désolé, j’ai oublié qu’il est si loin ce passage. Cette exténuation du corps m’est inconnue. Mais vous me promettez de trouver un bon mari à Vassilissa ?

Facile pour vous, Ivan Tsarévitch, pensa le médecin, puisque vous êtes un esprit errant ! Moi, j’ai encore les limites imposées par un corps.

— Oui, je vous le promets. Mais je ne peux pas entrer ainsi dans le château, j’y tomberai fatalement sur le tsar ! Et c’est le tombeau certain pour moi, en l'absence de connaissance de l’emplacement de sa mort. Sauf si j’entre en faveur de la nuit, qu’en pensez-vous ? Kochtcheï, il dort, quand même la nuit ?

— Je ne le sais pas, peut-être bien que oui, peut-être bien que non.

— Alors je fais quoi ?

Mine pensive, le médecin dirigea furtivement son regard d’Ivan Tsarévitch vers l’imposante façade qui projetait une ombre titanesque dans la lumière crépusculaire, teintant le palais de nuances rougeâtres.  

— Si je passe par l’entrée principale, Kochtcheï me remarquera immédiatement ! soupira Jakov.

— En plus qu’il est armé et très certainement vous espionne. Donc je ne sais pas trop quoi vous conseiller.

Les deux hommes s’entre observèrent, perplexes. Le médecin analysa l’immense château et demanda sérieusement : 

— Quelle est la première salle à droite ?

— C’est un couloir qui mène vers la cuisine.

— À l’étage ?

— Les chambres d’invités, puis, au fond du couloir, un passage vers les tours où votre épouse est prisonnière, ainsi que Vassilissa la Très-Belle, si merveilleuse qu’aucune plume ne peut la décrire.

— Merci !

Et le valeureux mari de Maria avança d’un pas ferme vers le palais plongé dans la noirceur de la nuit.


Prenant le couloir exigu qui menait aux escaliers en pierre pour monter à l’étage, Jakov Petrovitch marchait dans le noir quasi total, en se fiant uniquement à son toucher pour s’orienter, ne discernant pas son environnement immédiat. Il ouvrit avec beaucoup de précaution la porte du deuxième étage, aux aguets. Il entra pour tomber nez à nez avec Vassilissa. Cette dernière sursauta, fit un bond en arrière et scruta de ses yeux délavés le nouveau venu à la lumière des lampes qui éclairaient la salle. Ivan Tsarévitch était présent, en retrait, près de la fenêtre. La princesse des contes blêmit, recula de quelques pas, à l’instar d’Ivan Tsarévitch qui disparut quelques instants plus tard. L’homme du XIXe siècle s’avança vers la princesse, regard bienveillant pour déposer à ses pieds les bagages qu’il tenait entre ses puissants bras. Une voix ironique derrière le dos de Jakov s’exclama :

— Eh l’allemand(6) ! se moqua Kochtcheï, appuyé nonchalamment contre le cadre de porte. Vous pensez sérieusement en venir à bout de moi ? Quelle blague ! 

Le tsar s’avança vers le médecin qui se retourna.

— Je suis immortel ! Mais je vous invite à venir souper avec moi, il ne manquera ni de mets raffinés, ni de vins. Venez ! Réglons à l’amiable notre différend. Venez goûter mon pain et mon sel en bon Russe que vous êtes !

Et le roi disparut pour léviter jusqu’à la salle du trône. Jakov lança un regard interrogateur à Ivan Tsarévitch qui lui répondit : 

— Un peu de repos ne vous nuira pas ! Mais faites attention, ne prenez pas trop d’alcool. Il est particulièrement fort !

— Je vous accompagnerais, murmura la princesse.

L’éminent médecin et Vassilissa se rendirent dans la salle et mangèrent jusqu’à satiété, avec Kochtcheï qui en faisait tout autant. Il incita même le mari de Maria à boire, mais celui-ci refusa fermement.


Une fois le repas terminé, avant de quitter la salle, la voix du sorcier résonna, menaçante :

— Ne pensez pas vous en tirer à si bon compte, Jakov Petrovitch ! Venez m’affronter pour la main de Maria Alekseïevna ! Si vous parvenez à me tuer, vous pourrez la reprendre ! Et pas autrement !

Le docteur déglutit sa salive lorsqu’il rencontra le regard glacial de son interlocuteur, mais il le supporta avec détermination.


Alors que chacun dégaina son épée, prêt à s’affronter, un cri strident fusa dans la salle et un bruit des pas rapides arriva jusqu’à eux. La porte dorée à la gauche de Vassilissa s’ouvrit en grand pour laisser apparaître dans son embrasure Maria Alekseïevna et Ivan Tsarévitch. Rouge de sa course effrénée et essoufflée, elle lui cria :

— Iacha, as-tu l'œuf ? Pense à moi !


Un léger coup de bec contre la vitre résonna depuis la fenêtre au fond de la pièce. Vassilissa l’ouvrit pour accueillir l’oiseau, désireuse de s’assurer qu’il n’était pas blessé. À peine eut-elle franchi le seuil que la créature ailée se métamorphosa en Maria Premudraja. L’élégante fille de Baba Yaga, cette sorcière légendaire du folklore, avança prestement vers le centre de la pièce. Sa longue robe blanche aux motifs slaves ancestraux et sa chevelure brune se balançaient avec grâce à chaque pas sous le regard étonné du maître de céans. Elle affirma posément :

— Je l’ai. Le voici !

Elle donna l'œuf où était cachée la mort du terrible tsar à Jakov d’un geste sûr. Celui-ci pensa puissamment à son épouse et joua un peu avec l’objet magique en le balançant d’une main à l’autre — ce qui provoqua un mouvement similaire chez Kochtcheï. Ce dernier était impuissant de toute autre forme d’action. Rouge comme une pivoine, il murmura maintes imprécations et lança un sort en slavon dans son ultime défense. Le médecin continua à penser à son amour, malgré les attaques de mouches noires sur ses bras qui le démangeait. Il prit l'œuf et le brisa contre le sol, une fois pour toutes . La coquille éclata, salissant le joli tapis aux motifs orientaux, et Jakov ramassa l’aiguille ensorcelée encore gluante du blanc pour la briser en deux(7). Le sorcier tomba, mort instantanément, et son âme disparut sous la terre. Ignorant le cadavre, Jakov Petrovitch s’exclama d’une voix étranglée : 

— Vassilissa la Très-Belle, vous êtes libre maintenant ! … 

Il continua son discours d’une voix plus claire, tournant brièvement la tête vers ce qui restait du tsar.

— … Totalement libre ! Je ne veux pas vous marier, j’ai déjà une épouse, Macha.

Il passa un bras autour de la taille de la jeune brunette qui lui sourit faiblement, les yeux embués de larmes.

— Mais je ne peux vous laisser seule. Je vous trouverais un bon mari, digne de vous ! Vous serez la tsarine du Vingt-Septième Royaume. Royaume qui sera votre dot. Dès que vous vous marierez, je reviendrai avec mon épouse à Saint-Pétersbourg, dans l’empire de Russie.

— Heureux sera celui qui deviendra votre mari ! commenta le défunt, petit sourire.

— L'arrangement me convient, confirma la princesse, mais où me trouver un mari digne ?

— Mon cousin, Ivan Vassilievitch, souffla Ivan Tsarévitch, arrachant un rire franc au couple. 

La princesse, les yeux plissés, ouvrit la bouche, mais son sauveur, plus rapide, intervint : 

— Oui, Princesse Vassilissa la Très-Belle, je vous trouverais un bon mari, mais ma femme et moi rions de la suggestion d’Ivan Tsarévitch, un des valeureux princes venus vous délivrer, mort en affrontant Kochtcheï. Tout particulièrement le ton suppliant qu’il prît. Il suggère son cousin. J’irai tester sa valeur et reviendrai vers vous.

La princesse sourit au couple et hocha discrètement du chef. Jakov et Maria regagnèrent la chambre de la petite brunette et Vassilissa, la sienne.


Une fois seuls, l’épouse du médecin lui chuchota à l’oreille :

— J’ai lu un secret troublant dans ce parchemin, concernant ma famille.

Il se retourna, intrigué.

— Quoi ?

— Moi, Maria Alekseïevna, je suis la petite-fille de Maria Premudraja, la fille de Baba Yaga, et d’Andreï le chasseur. Je suis nommée en l’honneur de ma grand-mère. Ma grand-mère est celle qui t’a remis l’œuf contenant la mort de Kochtcheï tout à l’heure. 

— Étonnant en effet !

— Ce n’est pas tout ! Jakov Petrovitch… Tu seras, sans doute, très étonné en apprenant certaines choses sur ta propre famille…

Le médecin la fixa, traits tendus sous l’effort de concentration.

— Tu serais le petit-fils de Finist Le Fier Faucon(8).

— Incroyable, effectivement ! Je ne peux y croire !

Le couple s’endormit d’un sommeil paisible.



Le surlendemain matin, dans la salle du trône.

Jakov demanda à Ivan Tsarévitch d'une voix claire et puissante : 

— Où vit votre cousin, Ivan Vassilievitch ?

— Au Vingt-Deuxième Royaume.

— On s’y rend comment ?

— En volant, commenta soudainement Maria Premudraja en apparaissant à la droite du défunt. Vous, Jakov Petrovitch, vous pouvez vous métamorphoser en faucon et vous, ma petite-fille, vous pouvez devenir une tourterelle à voix humaine le temps de cette mission.

Tous approuvèrent ses paroles, les regards brillants de joie.


Le couple prit la forme des oiseaux et s’envola vers le royaume du cousin d’Ivan Tsarévitch. Aussitôt arrivés, ils reprirent leur forme humaine. Jakov salua respectueusement le jeune homme et lui annonça :

— Ivan Vassilievitch, noble prince d’auguste lignée, j’ai une charmante princesse à vous offrir en épouse. Je l’ai libéré en même temps que j’ai sauvé ma dame de l’horrible Kochtcheï. Si vous l’acceptez, je vous donne pour sa dot le Vingt-Septième Royaume.

— Je peux vous la montrer, s'immisça Maria Alekseïevna. Ma grand-mère m’a appris la formule.

Elle leva l’index de la main droite dans les airs, prenant une grande inspiration et un air sérieux.

— Miroir, petit miroir d’or, tourne dans les cieux argentés et montre la demeure de la princesse Vassilissa la très-Belle au Vingt-Septième Royaume ! chanta Maria Alekseïevna sous le regard éberlué de son mari.

Un miroir géant en or se forma dans les airs, scintillant des nuances de vert et de bleu en passant par le blanc avant de refléter la réalité demandée.

Ivan Vassilievitch tomba immédiatement amoureux de la princesse et s’écria : 

— Je la veux comme épouse ! Je saute sur le dos de mon fidèle cheval Sivko-Burko(9) et je vous suis. 

Il siffla et le quadrupède mythique apparut, emportant son maître et le couple jusqu’à la destination en moins de deux heures.



Au Vingt-Septième Royaume, au château.

Vassilissa la Très-Belle, qui lisait un traité d’astrologie, souriait, heureuse en anticipant le jour tant attendu qui arriverait bientôt. Elle accourut à la rencontre de ses sauveurs, les salua puis s’inclina respectueusement devant son futur mari, conquise par son charme. Ivan Vassilievitch et Vassilissa parlèrent longtemps jusqu’à tard le soir de tous les sujets possibles, allant de la gestion d’un État, à la cuisine, en passant par l’art médical et la pratique de la magie.



Deux jours plus tard était proclamé le mariage d’Ivan Vassilievitch et de Vassilissa la Très-Belle qui devinrent tsar et tsarine du royaume. Jakov et Maria, heureux, saluèrent d’un signe de tête Ivan Tsarévitch qui était présent lors de la cérémonie, les contemplant avec des larmes de joie.


Le soir du mariage, le fantôme déclara au couple extraordinaire : 

— Je sais que Vassilissa la Très-Belle a trouvé un bon mari. Je peux partir maintenant !

— Voyez-vous une Lumière ? l’interrogea amicalement Jakov.

Tournant sa tête de toute part, un large sourire serein se dessina sur les lèvres d’Ivan Tsarévitch, ses traits s’attendrirent et une lueur de joie brilla dans ses yeux clairs.

— Oui, je la remarque à ma droite ! Tellement belle et accueillante ! Je vais enfin partir pour le grand voyage ! En route pour le fleuve Smorodina(10) !

— Au revoir ! Bon voyage ! Et bonne réincarnation ! s’exclamèrent les deux chuchoteurs d’esprits à l’unisson.

Et l’interlocuteur invisible s’effaça progressivement de la vue du couple. Jakov, enlaçant son épouse contre lui, murmura : 

— Un esprit errant de moins dans le monde !

Le couple quitta discrètement le lieu pour aller enfin dormir.



Le surlendemain matin,

Jakov et Maria revinrent à Saint-Pétersbourg, à leur domicile.


Ivan Vassilievitch et Vassilissa la Très-Belle vécurent heureux au Vingt-Septième Royaume et eurent plusieurs enfants. Alors que Jakov Petrovitch et Maria Alekseïevna continuèrent encore longtemps à aider les esprits errants à partir dans la Lumière, vécurent heureux et eurent trois enfants, une fille et deux garçons.







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(1)Le Vingt-Septième Royaume, Tridevyatoe tsarstvo littéralement « Trois fois neuf royaume », dans le folklore russe, désigne un royaume lointain, par-delà le monde connu, un autre monde. À partir de cette expression, nous en faisons un peu une parodie en ajoutant donc des Royaumes intermédiaires numériquement.

(2)« Premoudraja », littéralement « La très-sage » ou « Dotée d’une grande sagesse », est traduit par « Très Sage » ou « Très Belle ». Ce qualificatif, qui signifie savante, rusée ou magique, réfère toujours à une jeune femme qui peut se métamorphoser en oiseau, belle et intelligente, aux vastes connaissances, versée, entre autres, dans l’art de la magie.

(3)Un dvoretz est un château dans les contes russes. Une datcha est une maison secondaire, demeure estivale, généralement à la campagne.

(4)La forêt de Lossiny Ostrov fait partie du parc national de Lossiny Ostrov de nos jours. À l’époque, c’était encore une zone d'exploitation de chasse et de foresterie.

(5)Strophe de la chanson Аллилуйя [Alléluia] du groupe Bi-2 composée en 2022. Notre traduction de « Хочу любить тебя / Что есть силы / Во всех возможных / Параллельных вселенных. »

(6)Le qualificatif d’allemand s'employait au sens d’étranger, tout particulièrement pour les vêtements à la européenne, par opposition aux vêtements russes (caftan, touloupe, etc.).

(7)Dans les contes russes, la mort de Kochtcheï l’Immortel se trouve dans la pointe d’une aiguille, qui est dans un œuf, l’œuf dans le canard, le canard dans le lapin, le lapin dans un coffre, le coffre sur un chêne, le chêne sur l’île mythique Bouïane, l’île au milieu de l’océan.

(8)Finist Clair-Faucon, que nous avons traduit par Finist Le Fier Faucon, est un personnage des contes russes, un homme qui se métamorphose en faucon que sa fiancée doit chercher dans son lointain royaume.

(9)Sivko-Burko est un cheval magique des contes folkloriques russes qui a des flammes qui jaillissent des yeux et du feu du naseau.

(10)La rivière Smorodina, qui dégage une odeur fétide d’où elle tire son nom du mot « puanteur », est celle qui sépare le monde des vivants, Yav monde visible et matériel, du monde des morts, Nav monde invisible.

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