Possible remariage
Chapitre 1 : Possible remariage
5699 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 07/08/2025 14:55
Informations concernant Ghost Whisperer
Important changement pour l’épisode, puisque adapté à l’univers alternatif historique de la Russie du XVIe siècle.
Jim Clancy devient Iéfim, surnommé Fima, Afanassievitch Cheremetiev, médecin personnel du tsar et chuchoteur d’esprits.
Mélinda Gordon devient Maria, surnommée Macha, Vladimirovna Cheremetieva, née Glinskaïa, cousine du tsar par la branche maternelle, épouse d’Iéfim Afanassievitch.
Information concernant Ivan le Terrible
Il y a une déviation importante, puisque les faits historiques seront considérés avec le remariage du tsar, ce qui est absent du film. Toutes les dates mentionnées dans ce chapitre sont selon le calendrier grégorien et sont historiquement établies.
Possible remariage
Fin juillet 1561, au palais du tsar.
Iéfim Afanassievitch traversa les couloirs blancs familiers pour arriver aux appartements privés du tsar de toutes les Russies. Dans la salle aux murs austères, il n’y avait que des candélabres d’or et d’argent finement ciselés qui l’éclairaient, projetant l’ombre gigantesque du tsar. Une table basse en chêne plaquée d’or accueillait un gobelet de cornaline qui attendait d’être vidé par son propriétaire. Un globe terrestre en fer orné d’or reposait sagement dans un coin, tandis qu’un jeu d'échecs occupait le centre de la table. Le médecin personnel d’Ivan Vassilievitch salua son illustre patient en s’inclinant. Celui-ci était assis sur son imposant trône sculpté, doré et incrusté de pierres précieuses. Le tsar fixait le vide, ne bougeant pas d’un millimètre, seule son immense croix orthodoxe au bout d’une lourde chaîne d’or qui lui arrivait jusqu’à la poitrine bougeait suivant le rythme de sa respiration. Il ne sortit de son état d'hébétude que quelques minutes plus tard. Il bredouilla, portant une main à la croix dorée :
— Iéfim Afanassievitch, ces derniers temps, je suis particulièrement fatigué…
Il baissa ses yeux clairs sur ses mains ornées de bagues. Son médecin promena son regard dans la salle pour constater à la droite de l’illustre homme une forme fantomatique. Il la détailla discrètement : une élégante jeune femme dans la trentaine vêtue d’une ample robe blanche ornée de décorations et de perles et d’une fine broderie au fils d’or autour des manches. Un élégant voile d’une blancheur virginale qui camouflait à merveille ses cheveux, retenu par un fin cercle doré, complétait sa tenue.
— … Et je suis mélancolique. Je ne cesse de penser jour et nuit à Anastasia Romanovna, ma chère et douce épouse. Je ne sais pas quel est l’ennemi tapi dans l’ombre qui veut ma perte, des boyards peut-être ? Qui a donc empoisonné ma chère épouse ?
Les yeux du tsar lancèrent des éclairs. Il s’agita sur son fauteuil, faisant entrechoquer les perles et pierres précieuses le long des coutures et sur les pans de son vêtement de brocart.
— Qui est cette vipère que je nourris en mon sein ? Qui a manigancé la mort de ma femme ? Qui l’a empoisonnée ? L’un des Godounov, des Chouiski ou des Belosselsky Belozersky ? Je me sens tellement seul ! Terriblement seul ! Horriblement seul !
— Pour quelqu’un qui m’aimait passionnément, commenta la défunte, moue sur son délicat visage, bras croisés. Vous avez trouvé rapidement une seconde épouse ! Et nos pauvres enfants, Ivan et Fiodor, ne seront pas bien traité par cette sorcière ! Je crains pour eux !
— Grand Souverain, Tzar et Grand-Prince Ivan Vassiliévitch, Autocrate de toutes les Russies, de Vladimir, de Moscou, de Novgorod, Tzar de Kazan, d'Astrakhan, Souverain de Pskov, Grand-Prince de Smolensk, de Tver, d'Ougor, de Perm, de Viatka, de Bulgarie et d'autres encore(1), prononça d’un ton solennel Iéfim en s’inclinant respectueusement avant d’ajuster son long manteau en drap et aux boutons d'argent, doublé d'hermine.
L’interpellé sourit tristement, faisant résonner ses bottes de maroquin garnis de fers argentés sur les dalles avant de se lever.
— Pourriez-vous m’aider ? Je vous sollicite à titre personnel, comme mon plus fidèle confident depuis… le décès… de ma chère Anastasia.
Regard tourné vers la défunte que le médium reconnut comme la tsarine, il murmura poliment :
— Oui, je puis vous aider, illustre Tsar.
Il se tourna vers le fantôme et s’inclina respectueusement.
— Et je vous salue, avec tout le respect que je vous dois, Tsarine Anastasia Romanovna.
L’interpellée lui lança un regard compatissant et un faible sourire s’esquissa sur son visage.
— Mais, balbutia le tsar, fronçant des sourcils, elle est morte depuis un peu moins d’un an.
— J’ai un don qui me permet de voir les âmes perdues.
— D’ailleurs, murmura Ivan Vassilievitch dans sa barbe, se confiant à son médecin, parfois, le soir, je la discerne près du miroir. Elle me supplie de ses yeux si charmants et doux, je pensais que je devenais fou… Ou encore dans mes rêves. Mais je ne comprends pas ce qu’elle veut me dire.
La reine le fixa intensément, secoua la tête en signe de négation et disparut de la salle.
— Est-ce que Sa Majesté votre épouse vous a communiqué des indices dans ces rêves qui vous permettent de comprendre sa volonté ?
— Elle ne cesse que de me montrer et remontrer ses derniers moments, tel un spectateur de théâtre. Ce ne fait que m’attrister au matin ! Anastasia Romanovna, ma chère épouse, pourquoi ?
Le tsar soupira et se tut. Il releva la tête, serrant ses mains en poings, et se leva de son siège. Il s'approcha à quelques pas de son interlocuteur extraordinaire.
— Iéfim Afanassievitch, si ce que vous affirmez est vrai…
Il scruta son médecin d’un regard perçant, comme s’il voulait lire toutes ses pensées, même les plus secrètes. Les yeux gris foncé affrontèrent les bleus dans un combat insoutenable durant plusieurs minutes.
— … Et je discerne en vous une sincérité, conclut le tsar en souriant amèrement. Alors pouvez-vous m’aider ?
Le tsar revint s’asseoir, déposant ses bras sur les accoudoirs du trône.
— Oui, je tâcherais de comprendre la dernière volonté de votre première épouse, la tsarine Anastasia Romanovna.
— Pourtant, murmura le tsar, j’honore la mémoire de mon épouse en respectant le temps de deuil, un an… Pourquoi ma chère Anastasia me hanterait ? Je ne peux me dérober à ma fonction, ni laisser un trône à mes côtés vacant trop longtemps ! Laissez-moi seul, Iéfim Afanassievitch !
L’époux de Maria Vladimirovna s’éclipsa de la salle.
Il s'arrêta dans un couloir en discernant la reine derrière la fiancée du tsar, Maria Temryukovna. Celle-ci, une grande et gracieuse jeune femme, marchait d’un pas rapide, constamment sur le qui-vive, se retournant souvent pour vérifier que personne ne la suivait, sa robe de soie ornée de pierres, d’or et d’argent ondulait autour d’elle à chaque mouvement. Anastasia Romanovna se déplaçait à la droite de sa rivale, puis renversa des candélabres près d’elle en levant les mains. Un feu se propagea le long du couloir. Des gardes et des serviteurs arrivèrent immédiatement pour éteindre les flammes avant que le feu ne devienne un véritable incendie. Le médecin au don surnaturel fixa, étonné, la défunte qui demeura silencieuse, seuls ses yeux lançaient des éclairs de colère. Le fantôme quitta la salle.
— Sorcière ! murmuraient des serviteurs entre eux. La future tsarine est une sorcière ! Sorcière circassienne ! On l’avait bien dit ! Sa conversion n’est qu’une comédie, elle ne ressemble pas à notre bonne et douce tsarine Anastasia Romanovna, loin s’en faut !
Et certains d’entre eux, qui se trouvaient loin de Maria, se signèrent avant de retourner à leur occupation.
Iéfim Afanassievitch suivit discrètement la fiancée du tsar. La jeune femme entra dans ses appartements privés et s’assit sur un siège richement décoré. La pièce était spacieuse, comprenant, au fond, une armoire en or arborant un aigle bicéphale couronné gravé sur chacun de ses battants. En son centre trônait une table basse en acajou avec un placage or, accompagnée d’un élégant fauteuil. Une seconde table basse se dressait près du mur sur laquelle un miroir reposait sagement. S'inclinant, le médecin lui demanda :
— Princesse Maria Temryukovna, par votre attitude, je devine que vous n’êtes pas en paix avec vous-même. Quel mal vous assaille ?
Elle ajusta sa belle robe royale brodée d’or pour se donner bonne contenance.
— Vous êtes le docteur de mon fiancé, n’est-ce pas ?
— Exactement, Votre Altesse.
La future tsarine fit le tour de la salle de ses yeux sombres dans lesquels une lueur d’angoisse brillait, ses mains tremblaient quand elle réajusta l’un des nombreux plis de son voile bleu ciel orné d’agates et de lapis lazuli qui cachait ses cheveux, puis elle répondit d’une voix cassée :
— Je me sens observée et persécutée ! Je suis fatiguée de ces yeux qui me traquent et de ces étranges phénomènes qui arrivent depuis ma conversion à l’orthodoxie le 20 juillet dernier.
Elle soupira en évitant de croiser le regard de son interlocuteur.
— Pouvez-vous préciser d’autres symptômes ou phénomènes que vous constatez ? l’interrogea-t-il doucement.
Anastasia Romanovna apparut près de la fenêtre, bras croisés en dessous de sa poitrine, dardant d’un œil amusé sur son opposante.
— Intéressant ! commenta la tsarine. J’ose espéré, illustre médecin versé en maintes sciences et connaissances, que vous ne croyez pas que cette femme souffre d’un mal physique, d’une maladie connue, conclut-elle ironiquement. Sinon, vous êtes bien naïf ou pire, incompétent !
L’interpellé ignora la remarque de la défunte pour rapporter son attention sur la vivante.
— Aussi, je suis déprimée, continua Maria. Les phénomènes étranges seraient-ils le résultat d’un mauvais sort, d’une malchance ou d’une machination des opposants de mon futur mari ? Les boyards qui le haïssent, il y en a une pléthore !
Le regard de l’entité s'enflamma. Elle s'empourpra, ses yeux se réduisirent à des fentes, et hurla :
— Ainsi, je suis une ennemie de mon mari ! Que nenni ! Au contraire, je me préoccupe d’Ivan Vassilievitch comme il sied à toute épouse ! Vous êtes plutôt une sorcière qui a une influence pernicieuse sur lui ! Ne croyez pas que je ne vois rien ! Bien au contraire ! Je ne suis point aveugle !
Et le fantôme disparut de la pièce, éclatant le verre en cristal. Les yeux agrandis de frayeur, la future seconde épouse du Tsar bredouilla :
— J’ose espérer que tout ceci s’arrêtera le jour de mon mariage !
— Quand est-il prévu ?
— Le 21 août.
— Je vous conseillerais pour votre sécurité de ne pas trop vous déplacer, sauf en cas d’urgence ou de nécessité.
— Soupçonnez-vous les boyards ?
— Non, même s’ils ne sont pas à exclure. Je considère que c’est plutôt la première épouse de notre tsar Ivan Vassilievitch, Anastasia Romanovna, qui vous poursuit ainsi avec acharnement et que c’est elle la responsable de ces phénomènes et oppressions que vous vivez.
La jeune femme darda un regard rempli de colère sur son interlocuteur et serra ses mains en poings à blanchir ses jointures avant de proférer :
— Soit vous vous moquez de moi, illustre docteur, soit vous êtes un charlatan ! Elle est morte ! Morte et enterrée depuis longtemps !
— Que Dieu ait son âme, Amen ! murmura le médecin en se signant avant de reprendre d’une voix plus forte. Vous avez raison, elle est morte, néanmoins elle vous poursuit. Anastasia Romanovna est un revenant ! J’ai le don de voir les défunts depuis mon enfance.
— Quittez immédiatement cette salle, c’est une immense farce que vous me faites ! Ce n’est que de la malchance ! Sortez tout de suite ! Dehors, avant que j’appelle des gardes !
Iéfim Afanassievitch s’inclina respectueusement et sortit de la salle pour être accueilli par son épouse, Maria Vladimirovna. Celle-ci était une grande et distinguée brunette, vêtue d’une longue robe en velours bleu sertis de diamants, de perles et d’autres pierres précieuses.
Elle interrogea son mari :
— Fima, mon cher et noble époux, que se passe-t-il avec mon cousin, l’illustre Tsar Ivan Vassilievitch ?
Esquissant un faible sourire, le médecin s’éloigna des appartements privés de la future tsarine pour se diriger d’un pas lent vers la salle du trône et répondit :
— Votre cousin, Macha, est hanté par son épouse, la tsarine Anastasia Romanovna.
— N’est-elle plus parmi nous depuis le 7 août 1560 ? s’étonna son interlocutrice, ajustant le kokochnik(2) de perles qui ornait sa tête. Les quarante jours(3) ne lui ont pas été suffisants et nos prières pieuses ont été vaines ? Que faire alors ?
— J’ignore ce qu’elle veut, je sais seulement que la tsarine n’apprécie pas le choix de la seconde épouse. Je dois comprendre au plus vite son motif et la faire partir dans la Lumière, pour qu’elle comparaisse en paix devant Dieu, pour qu’elle soit jugée auprès de Notre Seigneur en toute confiance, Amen.
Il se signa avant de reprendre la parole, scrutant son entourage.
— Je voudrais la faire partir avant le remariage de notre tsar, votre cousin, avant le 21 août. J’ai donc un peu plus de vingt jours pour l’amener à quitter notre monde.
Il tint délicatement par la main son épouse et se tut, caressant ses élégants doigts ornés de bagues en or sertis de pierres précieuses les plus colorées.
Le couple pénétra dans l’immense salle où dominaient plusieurs longues tables recouvertes de nappes en lin d’une finesse exquise. Des candélabres diffusaient une douce lumière qui mettait en valeur les nombreuses coupes en or et les assiettes. Iéfim et Maria prirent place à leurs sièges attitrés à l’une des grandes tables, leurs regards dirigés vers le trône.
D’autres boyards arrivèrent, tous richement vêtus, en soie, fourrures les plus rares et parés de pierres les plus précieuses. Chacun s’installa et, lorsque le tsar entra, tous s’inclinèrent jusqu’au sol. Ivan le Terrible fit distribuer du pain et du sel à tous les invités, puis s’assit sur son trône, le regard dans le vide. Les serviteurs présentèrent divers mets fins et raffinés, des oies et cygnes rôtis, disposés dans des plats d’or, accompagnés des boissons esquisses, autant de l’hydromel que des vins, dans des aiguières en or.
Aux côtés d’Ivan Vassilievitch, Anastasia l’observait à la dérobée, lueur d’angoisse dans ses yeux clairs. Iéfim se pencha vers son épouse pour lui murmurer à l’oreille :
— Anastasia Romanovna est inquiète pour son mari, j’ignore comment l’aider et ce dont il s’agit ?
La défunte se déplaça en un clin d’œil à côté du médium avant de l’informer :
— Je ne sais pas trop comment communiquer avec mon mari, le tsar Ivan Vassilievitch ? Comment ?
— Dans ses rêves, lui suggéra-t-il.
— C’est ce que j’ai fait, soupira-t-elle en tournant son regard vers son mari.
— Peut-être si vous me confiez sincèrement ce qui vous empêche de quitter ce monde, Votre Majesté, je le transmettrai fidèlement au tsar, sans dénaturer vos propos ? Je puis vous assurer qu’il saura comprendre !
Elle disparut sans répondre, regagnant le trône vacant qui auparavant était le sien à côté de son illustre mari tout en promenant son regard dans la foule.
Trois heures plus tard, Iéfim et son épouse quittèrent la salle. Un peu avant de partir du palais, la future épouse du tsar accourut jusqu’à eux, essoufflée, les bijoux s'entrechoquant à ses moindre pas. Elle s’exclama :
— Iéfim Afanassievitch, vous avez raison !
Étonné, l’interpellé l’invita d’un geste courtois de la main à poursuivre.
— Vous avez raison ! répéta-t-elle. Je suis hantée ! Je suis hantée par le fantôme de la première épouse de mon futur mari, la tsarine Anastasia Romanovna ! Je suis certainement maudite !
— Calmez-vous, Maria Temryukovna ! Expliquez-moi ce qui vous a tant agité.
Elle se tut pour reprendre son souffle et analysa son environnement :
— En voulant mettre des colliers qui m'appartiennent, j’ai constaté qu’ils sont différents… La servante m’a confirmé que c’étaient les bijoux d’Anastasia Romanovna. En me regardant dans le miroir j’ai discerné une forme fantomatique derrière moi… Nul doute ! La tsarine !
L’interpellée se manifesta derrière sa victime, la fixant intensément avec une grimace qui déforma ses traits délicats.
— Est-ce que cette sorcière manipulatrice pense aisément prendre ma place ? Songe-t-elle réellement se marier à la même Cathédrale que celle où j’ai été unie à Ivan Vassilievitch ? Que nenni ! Je refuse ! Cette vipère a une influence trop néfaste sur mon mari et je ne peux la laisser si près de nos enfants !
— D’ailleurs, la tsarine est présente à votre droite, commenta-t-il, tournant sa tête vers la défunte.
— Je n’aime pas cette mégère de seconde épouse ! s’emporta le fantôme. Elle ne prendra certainement pas ma place auprès de mes enfants ! En 1557, il y a eu une alliance politico-militaire de notre royaume, la Russie, avec la Kabardie, petit royaume d’origine de cette femme. N’est-ce pas suffisant ? Devons-nous récupérer cette malfaisante en plus ? Déjà que Ivan Vassilievitch est très affecté par ma mort, c’est inutile d’ajouter une source d’instabilité supplémentaire !
Et elle s’évapora dans les airs.
La future seconde épouse, yeux agrandis de frayeur, bredouilla :
— Et ce n’est pas tout… Le soir j’ai des cauchemars ! … Je rêve d’une femme d’une trentaine d’années vêtue d’une ample robe blanche ornée de décorations, de broderies au fils d’or et de perles et un voile qui couvre ses cheveux retenu par un anneau d’or…
Le couple échangea un regard entendu.
— Votre Altesse, intervint le médecin d’Ivan Vassilievitch, la femme que vous décrivez est Anastasia Romanovna.
— Comment le savez-vous ?
— Je l’ai rencontré de son vivant et maintenant, je la vois rôder près de vous et de notre tsar.
— Alors … Vous avez raison… avec votre don… particulier… Vous n’êtes pas un charlatan !
Il approuva d’un signe discret du chef, petit sourire au visage. Il prit la main de son épouse et le couple quitta le palais pour regagner leur demeure.
Le lendemain matin, après la prière matinale.
Iéfim arriva au palais royal, saluant le tsar et sa future épouse qui étaient en discussion animée. Dès son entrée dans la salle du trône, Ivan Vassilievitch, qui tenait une feuille de papier entre ses mains, lança un regard furieux au médecin et hurla :
— Quel incompétent ou ennemi travaille à l’imprimerie ?
— Que vient-il d’arriver, illustre Tsar ?
Il lui donna le papier et affirma d’une voix rauque :
— Quelqu’un veut saboter mon mariage avec Maria Temryukovna ! Mais qui ? Les boyards ont déjà empoisonnés ma première épouse, Anastasia Romanovna ! Et maintenant, ils veulent un soulèvement populaire ! Il est clairement écrit, je cite, « Mariage de notre tsar bien-aimé Ivan IV Vassilievitch avec une sorcière, Maria Temryukovna. Mariage qu’il faut conjurer absolument. Maria Temryukovna a une influence pernicieuse sur notre Tsar. » Ce qui est un affront suprême ! Ma seconde épouse n’est pas une sorcière, mais une pieuse orthodoxe !
La défunte apparut derrière son mari, vexée. Maria Temryukovna afficha une petite moue à la lecture du qualificatif qu’on lui avait attribué. Le tsar rougit et serra les mains en poings.
— Grand Souverain, Tsar et Grand-Prince Ivan Vassilievitch, s’exprima posément son médecin. Votre soupçon n’est pas tout à fait exact.
Une lueur d’étonnement passa dans les yeux délavés de son illustre interlocuteur et lui demanda sévèrement :
— Comment pouvez-vous en être si certain ?
Il le dévisageait avec insistance, mais le chuchoteur d’esprits ne se laissa pas impressionner et répondit toujours aussi impassible :
— La tsarine Anastasia Romanovna est responsable de ce message.
— Voulez-vous insinuer qu’elle a possédé le typographe ? Elle n’est pas un démon ou un mauvais esprit !
Un petit sourire amusé s’étira sur le visage de l’esprit errant.
— Non seulement je n’insinue rien, mais votre épouse, la Tsarine Anastasia Romanovna, ici présente à votre droite, le confirme.
Ivan le Terrible soupira, se calant encore plus dans son fauteuil et porta sa main droite à son front dans un geste de désespoir. Il releva la tête et son médecin lut dans son regard une tristesse insondable et vertigineuse, telle que cela le mit mal à l’aise.
— Iéfim Afanassievitch, vous n’êtes pas sans savoir que la mort de ma douce et chère Anastasia Romanovna m’attriste toujours, malgré que cela fera bientôt un an qu’elle nous a brutalement quitté. Elle est la seule qui me comprenait parfaitement et me soutenait dans mon projet d’unifier notre grand et beau pays, la Russie. Depuis ce jour, je ne suis animé que par un chagrin et un désir de vengeance. C’est ce qui brûle dans ma poitrine et dans mon cœur ! Retrouver le coupable et le punir le plus sévèrement possible ! Je souhaite ardemment amener la Russie à l’apogée de sa gloire, mais ces émotions et désirs me rongent.
Le tsar se leva de son siège et avança vers son médecin.
— Et je ne sais comment y remédier ! Mais laissons de côté mes états d’âme !
Il étudia avec insistance son interlocuteur.
— Et vous voulez dire que mon épouse, feue Anastasia Romanovna, me hante et qu’elle n’est pas ravie du choix de seconde épouse, n’est-ce pas ? Et pas seulement, elle est également guère ravie que je me remarie à la Cathédrale de la Dormition.
— Exactement, approuva la défunte tsarine en s’approchant doucement de son mari.
— Votre Majesté, vous avez très bien compris ce que la tsarine, votre épouse, voulait vous communiquer, lui rapporta Iéfim.
— Aussi, précisa de sa douce voix le fantôme, bien que je ne peux pas empêcher ce mariage et que je n’approuve aucunement son choix, je n’aurais qu’un dernier vœu. Je veux que nos deux fils, le tsarévitch et son frère ne soient jamais près de cette sorcière ! Qu’ils soient sous la garde de nourrices, de bonnes et de servantes, mais loin de cette harpie. Je ne veux pas que son regard envieux se porte sur eux et compromet notre descendance !
Le médecin rapporta au tsar la volonté de la défunte. Celui-ci ne fit que opiner du chef, silencieux, sous le regard courroucé de Maria Temryukovna qui demeurait coite.
— Anastasia Romanovna, affirma solennellement Ivan le Terrible, j’exaucerai votre dernière volonté et j’interdirais à ma seconde épouse de fréquenter nos enfants, Ivan et Fiodor. Je remettrai l’éducation de nos deux fils entre de bonnes mains, pour qu’ils soient élevés comme il sied à leur rang ! Soyez sans crainte, je tiendrai parole et le Ciel m’en est témoin !
Un grondement de tonnerre retentit au loin, pour sceller le pacte entre le tsar et sa première épouse. Cette dernière, mince sourire aux lèvres et regard brillant, chuchota :
— Je sais que vous tiendrez parole, Ivan Vassilievitch, mais ce n’est pas tout, je ne peux encore quitter ce monde-ci !
— Et, continua le tsar, sachez que je ne peux annuler mon mariage pour le faire dans une autre cathédrale, je ne peux me dérober à la procédure ! En tant que tsar, je dois avoir une épouse pour assurer une postérité ! Et cette cathédrale est la plus noble pour que j’obtienne la sanctification nécessaire à mon remariage ! Aucunement pour piétiner notre amour, Anastasia Romanovna !
L’entité invisible se déplaça jusqu’à la sortie, quittant la salle pour s’éclipser dans les appartements privés. Iéfim informa Ivan Vassilievitch des paroles de la défunte, le laissant perplexe. Le tsar mit fin à la conversation d’un signe de la main. Le médecin quitta le palais pour vaquer à ses occupations auprès d’autres patients.
Trois jours plus tard, dans les appartements privés du tsar.
Iéfim Afanassievitch fut convoqué d’urgence par Ivan Vassilievitch. Dès qu’il entra, le regard fatigué et éteint du tsar ne le quittait plus.
— Grand Souverain, Tzar et Grand-Prince Ivan Vassiliévitch, Autocrate de toutes les Russies, de Vladimir, de Moscou, de Novgorod, Tzar de Kazan, d'Astrakhan, Souverain de Pskov, Grand-Prince de Smolensk, de Tver, d'Ougor, de Perm, de Viatka, de Bulgarie et d'autres encore…
— Iéfim Afanassievitch, l’interrompit-il sèchement, écoutez-moi et aidez-moi ! Je vous fais confiance, même plus qu’à Alexeï Danilovitch(4) !
L’interpellé demeura debout, mine sérieuse.
— Depuis trois nuits, je fais le même rêve.
Un silence plana pendant quelques minutes. Le médecin balaya du regard la salle pour constater la présence de la défunte tsarine aux côtés de son mari. Ses traits étaient tendus.
— Lequel ?
Ivan Vassilievitch soupira et murmura :
— Je rêve que je suis un spectateur impuissant de la mort de mon épouse, ma chère et douce Anastasia Romanovna. La seule qui me comprenait parfaitement et partageait mon idéal. Elle, seule par sa belle et douce voix que le Seigneur lui a accordé, pouvait me calmer et me réconforter. En entrant je me vois arriver au chevet de mon épouse, alors que ma tante, Efrossinïa Andreïevna, est tapie dans l’ombre, près du muret. Elle écoute toute la conversation que j’eus avec Anastasia alors mourante. De son ample robe, elle dissimule une coupe en or et une petite fiole. Elle se retourne et dissout le contenu de la fiole dans l’eau. Et ce verre est déposé sur le muret. Je prends le verre et je le donne à mon épouse. L’effet est lent : les convulsions qui l’agitent, les confusions qui l’habitent, elle se tord de douleur, je… J’en pleure encore…
Des larmes silencieuses coulèrent sur ses joues, la voix du tsar devint plus grave.
— … Anastasia Romanovna est… morte… empoisonnée… Et il semblerait… si les rêves … sont véridiques… que ma tante y soit grandement impliquée, elle a agi dans l’ombre telle une éminence grise… Celle qui… orchestra… la perte de mon épouse… Ma conclusion est-elle erronée ou non ? Je ne saurais le dire.
— Votre conclusion, Tsar de toutes les Russies, Ivan Vassilievitch, semble exacte commenta le médecin en observant le fantôme de l’épouse qui ne fit qu’approuver la conclusion d’Ivan le Terrible.
Il se tourna vers l’entité invisible et lui demanda :
— Anastasia Romanovna, comment êtes-vous parvenue à cette conclusion ? J’en suis un peu perplexe et a priori n’importe qui d’autres parmi les boyards aurait pu en être également responsable ?
— Iéfim Afanassievitch, répondit-elle, je le sais avec certitude parce que, lors des quarante jours qui suivirent mon décès, j’ai rencontré un esprit qui affirme être un Observateur. Il m’a tout expliqué. Son rôle est d’observer les vivants et de tout noter des actions humaines, fidèles serviteurs de Notre Seigneur. Il m’a pris en pitié et m’a révélé qui a administré le poison dans la coupe. D’ailleurs, il est derrière vous, docteur.
Le grand homme se retourna et tomba nez à nez avec une géante entité élégamment vêtue d’une sobre robe du siècle passé. Bien que le nouveau venu ne disait rien, son visage, son sérieux et son regard inspiraient confiance et respect. L’Observateur disparut quelques secondes plus tard, toujours aussi silencieux, sans que le médecin du tsar n’eut le temps d’ouvrir la bouche pour l’interroger, ni de le voir mieux.
— Ivan Vassilievitch, votre conclusion est exacte, puisque votre épouse détient cette information d’une entité surnaturelle envoyée par Dieu pour observer nos actions.
— Ma tante et mon cousin qui complotent contre moi ! Ma tante veut mettre son fils, Vladimir Andreïevitch, sur le trône à ma place. D’ailleurs, ce ne serait pas la première fois qu’elle machine un coup bas(5) ! Je vais donc réfléchir au meilleur moyen de lui tendre un piège pour dévoiler son sombre dessein à tout le monde. Ma tante, mon plus grand ennemi ! La meilleure des punitions serait la mort !
— Ivan Vassilievitch, ne soyez pas si cruel envers votre propre parentèle, la supplia son épouse. Pensez à votre âme, ne la ternissez pas par des crimes et des morts inutiles ! Pensez au Jugement dernier.
Le médecin transmit fidèlement à l’autocrate les propos de la tsarine. Celui-ci, traits affaissés, mine assombrie, réfléchissait. Soudain, il se leva de son siège, visage brillant de fierté et s’exclama :
— Ma tante sera envoyée au couvent ! Je l’enverrai au Monastère d'Afanasyevsky(6) !
Anastasia Romanovna enlaça tendrement son mari et lui murmura :
— Je ne m’oppose plus à ton remariage, bien que je n’apprécie pas la présence de Maria Temryukovna à tes côtés.
Elle se détacha de son mari qui souriait, rasséréné. Son âme était en paix pour la première fois depuis la mort de son épouse, état qu’il n’avait pas connu jusqu’alors. L’esprit errant, visage illuminé d’une lueur irréelle, regard scintillant comme des pierres précieuses, encore plus éclatant qu’auparavant, tourna la tête vers le médium :
— Je me sens prête à quitter ce monde ! J’entrevois une lumière là-bas, est-ce pour moi ? En suis-je digne ? Mon père, ma mère et mes beaux-parents me font des grands gestes pour m’inviter à les rejoindre.
— Anastasia Romanovna, notre très chère et aimée tsarine de toutes les Russies, cette Lumière est pour vous. Allez-y ! Que le Seigneur soit clément lors de Son Jugement, Amen.
Iéfim Afanassievitch se signa et murmura une prière pour les défunts.
— N’oubliez pas de transmettre mes dernières paroles à mon mari ! s’exclama-t-elle.
Le médecin opina du chef et, souriant, suivit du regard avec des larmes de joie l’épouse du tsar disparaître graduellement de son champ de vision.
Un silence apaisant s’installa entre les deux vivants. Personne n’osait rompre le recueillement.
Quelques minutes plus tard, une fois que l’homme aux pouvoirs paranormaux informa le tsar des dernières paroles de sa défunte femme, celui-ci affirma :
— Je vais tâcher de suivre son conseil…
Ivan Vassiliévitch essuya prestement ses larmes et déclara d’une voix de stentor :
— Maintenant, je n’ai plus à craindre un sabotage lors de mon mariage ! Préparons-nous pour l’heureux événement !
Et les deux hommes quittèrent la salle, chacun vaquant à leurs occupations, en attendant fébrilement le 21 août. Tous espéraient que la cérémonie se passerait sans embûche.
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(1)Titre historique d’Ivan le Terrible.
(2)Le kokochnik est une coiffe traditionnelle féminine russe de fête plutôt rigide portée avec le sarafane. Décorée de perles et de rubans, apanage des femmes mariées, elle était portée une à deux fois l’an par la noblesse. Aujourd’hui, il fait partie des vêtements folkloriques.
(3)Les quarante jours de deuil sont, dans la tradition orthodoxe, nécessaires pour permettre à l’âme de s’élever vers Dieu et de quitter définitivement le monde matériel.
(4)Alexeï Danilovitch Basmanov est à la fois un personnage historique et un personnage qui apparaît dans le film Ivan le Terrible. Il est un proche du tsar, l’un de ses confidents, et est un opritchnik, c’est-à-dire un cavalier armé qui exerce un certain contrôle sur le territoire russe. L’opritchnina historique, sorte de police, n’apparaît que sous l’impulsion de la seconde épouse du tsar.
(5)Selon l’Histoire, Efrosinïa Andreïevna Staritskaïa et son fils, Vladimir Andreïevitch, ont déjà comploté sous le règne du père d’Ivan le Terrible, Vassili III, et ont été en prison de 1537 à 1540.
(6)Historiquement, Efrosinïa Andreïevna a été envoyée à ce Monastère en mai 1563 sous le nom d’Evdokia, à la suite d’un ordre du tsar, parce qu’il soupçonnait qu’elle complotait avec son fils contre lui. Elle y passa le reste de son existence jusqu’à sa mort en 1569. Elle fonda un monastère pour les femmes, le monastère Goritsky Voskresensky, dans le village de Goritsa, dans la région de Vologda.