Alea Jacta est
Chapitre 1 : À la recherche des chaussettes perdues
3696 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 21/09/2025 13:39
Cette fanfiction participe au Jeu d’écriture du Forum de Fanfictions.fr Les dés sont jetés
Tirage, Caractéristique 4 (Débrouillard), Lieu 2 (Nuit), Objectif 3 (Découverte), Objet 7 (Chaussette), Rencontre 2 (Pacifique) et Obstacle 10 (Ville)
À la recherche des chaussettes perdues
Mélinda fouille frénétiquement dans tous les tiroirs existant de sa chambre sous le regard de son mari qui ne bouge même pas du petit doigt, assis sur le bord du lit. La jeune femme sème un désordre parmi toutes les chaussettes existantes.
« Je dois retrouver ces chaussettes ! Je dois retrouver ces chaussettes rayées ! Je dois retrouver à tout prix ces chaussettes rayées bleu et blanc tricotées ! » pense-t-elle à répétition comme un mantra.
Une vague de panique l’assaille lorsqu’elle constate que la paire tant recherchée est nulle part.
— Où sont mes chaussettes ! crie-t-elle.
Personne ne lui répond. Silence pesant.
Mélinda se réveilla en sueur, les yeux grands ouverts. Elle prit quelques minutes avant de se remémorer qu’elle était dans sa chambre. Le doux chant des grillons qui s’entendait depuis la fenêtre ouverte lui rappelait l’été.
— Je ne comprends plus rien, murmura-t-elle en se retournant dans le lit pour faire face à son mari, agitant sa chevelure foncée dans tous les sens. Pourquoi une obsession pour des chaussettes ?
Elle se leva silencieusement, soucieuse de ne pas déranger Jim qui dormait à ses côtés. Debout, elle changea sa nuisette beige contre une tenue plus convenable, une longue robe verte. Elle mit ses talons hauts vert forêt et partit dans sa boutique d'antiquités.
« Peut-être que dans la boutique, je trouverais réponse à mon étrange rêve » pensa la petite brunette en refermant doucement la porte.
***
Un peu plus tard, dans la boutique d’antiquités.
La jeune femme au don particulier décida d’ordonner les dernières acquisitions malgré l’heure tardive, à savoir des meubles dans le style de la Restauration, des dictionnaires du XVe siècle et des cartes du Xe siècle qui n’intéressaient plus personne. Elle était taraudée par son étrange rêve où elle était préoccupée par une paire de chaussettes.
« Que peut bien signifier ce rêve bien singulier ? », pensa-t-elle. « Pourquoi des chaussettes rayées ? Pourquoi cette inquiétude pour un objet si insignifiant ? Cela doit être la préoccupation d’un esprit errant, mais qui et pourquoi ? »
En déplaçant des meubles des siècles passés et d’autres antiquités, elle remarqua un esprit errant. La médium le détailla : un grand et élégant homme en complet beige. Ses traits réguliers inspiraient confiance et gentillesse.
— Vous me voyez ? demanda le fantôme.
— Oui, soupira-t-elle. Je peux communiquer avec vous. Depuis le temps que je vous aide, je pensais que le mot se passait entre vous, les défunts !
« Je pensais bien que les défunts n’étaient guère différents que les vivants ! Les rumeurs existent aussi, non ? Sauf si je me trompe ! » s’étonna Mélinda.
— Oui, effectivement, confirma-t-il.
— Je suis Mélinda Gordon.
« Je devrais m’enregistrer la prochaine fois avec le vieux magnétophone qui traîne au fond de l’entrepôt pour moins me fatiguer à répéter toujours les mêmes informations basiques. Quelle bonne idée ! »
— Enchanté ! Je suis John Smith.
— Si vous êtes encore ici, c’est que vous avez une dernière volonté, n’est-ce pas ?
« Une question absurdement logique, mais bon ! »
— Exactement ! Mais mon cas n’est pas simple !
« En plus vais-je devenir un directeur de conscience ou psychologue, maintenant ? » songea-t-elle en souriant poliment.
— Comment puis-je vous aider à quitter le monde des vivants et ainsi vous permettre d’accéder en paix à la Lumière ? l’interrogea-t-elle, calepin à la main et stylo près à noter la moindre parole.
— Mes chaussettes !
Elle griffonna rapidement les informations mentionnées et demanda :
— Où sont-elles ?
L’esprit ouvrit un tiroir d’un meuble à sa droite et se dissipa.
La médium soupira et fouilla le tiroir. Elle trouva plusieurs paires de chaussettes : des bleues, des noires, des blanches, des longues, des courtes, des rayées, des bicolores, des tricolores et des trouées, mais elle ne parvint pas à déterminer laquelle était recherchée par le défunt.
« Sauf si c’est les bas rayés de mon rêve ! C’est la piste à suivre ! » pensa-t-elle, ravie. Elle laissa sur une table basse en cerisier dans le style de la Restauration quatre paires rayées bleues de différentes longueurs et nuances.
— Je vais commencer par une recherche sur John Smith ! affirma-t-elle avec certitude, main sur la hanche.
Elle se rendit jusqu’au comptoir, une table en chêne laqué où trône la caisse — une vieille machine du dernier millénaire à peine fonctionnelle — et un ordinateur portable entre un bibelot d’un ange et des cartes postales du siècle passé. En quelques minutes de recherche, elle trouva que John Smith était mort ce printemps d’un arrêt cardiaque.
— Mais que veut-il que je fasse avec ces chaussettes ? Que je les donne à son fils ? Que je les enterre symboliquement ? Que sais-je ?
Elle prit une paire de chaussettes rayées et cria :
— John ! John !
Elle se leva de son siège et promena son regard dans la pièce remplie de divers meubles : des tables, des chaises, des fontaines, des décorations en pierre et en bois et des livres. Elle espérait que le fantôme se manifesta.
— John ! Dis-moi, est-ce que c’est cela tes chaussettes ? Réponds-moi ! Que veux-tu que je fasse d’elles ?
Le défunt apparut près d’elle avec un petit sourire triste. Il secoua sa tête :
— Non, non, ce n’est pas cette paire-ci… Elles sont trop courtes ! Ces chaussettes sont tricotées par ma femme, Agnès, et sont en laine ! Je pense, si ma mémoire est bonne, que mes chaussettes sont quelque part dans la ville, dans un magasin ! Voulez-vous les retrouver ?
— Oui, mais soyez précis !
Mine pensive, le fantôme chuchota :
— Si je ne me trompe pas, ces chaussettes ont été vendues par mon fils à un marchand de la ville… Mais je ne sais plus lequel…
— D’accord, c’est mieux ce détail que rien, grommela la médium en prenant note dans son calepin, mine sérieuse.
John se dissolva dans les airs, laissant derrière lui une odeur de fromage pourri.
« Allons-y ! À la recherche des chaussettes perdues. C’est pire que Proust avec sa recherche du temps perdu ! » réfléchit la jeune femme en fronçant des sourcils.
***
À minuit, dans une rue de la ville de Grandview.
Mélinda, armée de son calepin et d’une lampe de poche, perchée sur ses talons hauts, parcourut les rues de sa petite ville en balayant à intervalles réguliers son environnement, espérant rencontrer les chaussettes recherchées. De nuit, la ville était habitée par les murmures du vent estival, le chant des grillons et une chaleur écrasante. Soudain, au détour d’une rue, John apparut devant elle et l’informa :
— Prenez la rue à droite puis l’avenue principale jusqu’à la première intersection. Je vous attends.
Intriguée, elle voulut l’interroger plus, mais il quitta avant qu’elle ne prononça un seul mot. La jeune femme prit le chemin indiqué, tout en écoutant le vent.
En arrivant à la destination, elle était accueillie par une grande silhouette masculine familière : Gabriel Lawrence, son demi-frère. Il l’attendait depuis peu, dos tourné vers elle et penché au-dessus d’un objet qu’il scrutait minutieusement.
— Gabriel, que fais-tu ici ?
Il se retourna en passant une main dans ses cheveux noirs pour les lisser et, avec un large sourire au visage, s’exclama :
— Je recherche les plus vieilles chaussettes de notre ville pour ma collection privée ! Et j’ai trouvé une bague particulièrement magnifique !
Mélinda regarda sa montre sur son bras.
— À cette heure ? À minuit ?
« Je sais bien que Gabriel est un peu excentrique, mais à ce point… D’ailleurs, devrais-je lui faire confiance ou non ? »
— Oui, répondit-il en haussant les épaules. Il n’y a pas d’heure pour augmenter ma collection ! Plus intéressant que les fantômes ! Surtout avec le récent soulèvement qui a dépeuplé ma maison ! Je manque cruellement de compagnie ! Et je suis conscient que j’ai mal agi ! Alors j’ai trouvé un passe-temps ! Et toi, que fais-tu ?
« Le soulèvement des prolétaires invisibles contre le capitaliste visible ! Intriguant ! En plus de Gabriel qui devient bon, c’est la fin du monde ! »
John apparut dans le champ visuel des demi-frères extraordinaires.
— Je veux aider ce défunt, précisa-t-elle en désignant le nouveau venu. Il cherche des chaussettes rayées bleues et blanches longues.
Gabriel fixa le fantôme et visage éclairé d’une joie mystérieuse, cria :
— Mélinda, je pense savoir où est cette paire !
« Wow ! En plus, il veut collaborer avec moi ! Je ne rate pas l’occasion, j’irai plus vite ! »
Elle lui lança un regard interrogateur, nullement départie de son calme.
— Où sont-elles ? demandèrent la médium et l’esprit errant à l’unisson.
— Chez un marchand, un très bon ami. Viens, j’ai les clés !
— Peuf ! marmonna John. Un vivant se souvient mieux que moi où sont mes chaussettes ! J’en suis offusqué !
— John Smith, commenta la brunette, l’essentiel est de trouver votre bien et de vous faire partir dans la Lumière, peu importe qui peut m’aider !
— Très bien, grommela l’interpellé.
Gabriel et Mélinda, suivis par l’esprit errant, arrivèrent dans une petite ruelle obscure parallèle à celle où ils étaient que la jeune femme ne connaissait pas.
Arrivés dans une sombre rue où la lumière des lampadaires ne parvenait pas, ils découvrirent un petit édifice en pierre grise qui se dressait devant eux. Un bâtiment qui ne laissait rien deviner de sa nature, à l’exception d’une enseigne éteinte.
— Pour l’information, l’avisa le chuchoteur d’esprits, ce marchand est mon cousin. Il peut paraître étrange, mais il est sympathique !
— Ah ! commenta Mélinda en relevant ses sourcils.
— Là je ne comprends plus rien ! ajouta John en se grattant le menton. Votre cousin, aussi gros qu’un coussin bien rembourré, aurait mon précieux, mon trésor !
Les deux vivants lancèrent un regard désapprobateur à leur interlocuteur invisible.
— Mon cousin est étrange, continua Gabriel sur un ton confidentiel, parce qu’il collectionne, pour ne pas dire qu’il est obsédé, des livres d’alchimie et d’ésotérisme, des meubles et des vases de l’Antiquité et des vêtements.
« Tu n’es guère meilleur que lui avec ton obsession des chaussettes et des souliers ! » pensa en son for intérieur Mélinda.
Elle approuva d’un signe de tête et attendit que le jeune homme ouvrit le magasin.
***
Dans le magasin du cousin de Gabriel.
Mélinda parcourut chaque rayon avec attention et sérieux. Elle balaya chaque objet avec sa lampe de poche, mais en vain, aucune paire de chaussettes. Des traités occultes en latin, des bibelots étranges en bois et en pierres et une imitation d’un vase grec antique furent les seuls objets dans la pièce. En ouvrant une immense boîte en carton portant l’inscription « Fragile », la jeune médium trouva une mine d’or de chaussettes. Elle les examina attentivement comme un scientifique avec son microscope.
— Non, ce n’est pas ces chaussettes rouges de Noël qui sont les miennes, commenta John proche d’elle. Ni celles-ci, trop rayées et pas en laine ! Celles-ci sont déchirées comme si elles ont survécu les deux guerres mondiales et celles-là sont rayées à la verticale, alors que les miennes sont à l’horizontale !
— Si vous êtes pour dire quelque chose, aidez-moi ! s’emporta la médium en cliquetant ses talons hauts d’impatience. Dites-moi, si au sommet de cette étagère, il y a l’objet convoité ! Je ne parviens pas à voir ce qu’il y a et je n’ai pas envie de dénicher les escabeaux dans la noirceur.
« J’ai l’impression d’être dans le Seigneur des Anneaux, une quête absurde pour … des chaussettes ! » envisagea-t-elle pour elle-même.
Le fantôme s’éleva dans les airs, agita les objets qu’il laissa tomber par terre, à savoir une boîte à musique qui se mit à jouer Au clair de la Lune, un livre qui partit en poussière et deux chapeaux melon anglais qui atterrissaient avec douceur au sol. John revint rapidement au niveau de la médium, penaud.
— Non, rien ! Il n’y a qu’une vieille culotte en dentelle d’un comte obscur et des petits escarpins à la Cendrillon.
L’esprit s’estompa dans une odeur de fromage frais. Gabriel, ravi, prit note dans son calepin : « Slip moyenâgeux et escarpins des contes, potentiellement intéressants ».
Mélinda soupira et continua sa recherche entre des chaises richement décorées, des traités kabbalistiques et des statues d’Apollon avec des chaussettes et des gants. Sans oublier des chandeliers dorés et des horloges qui psalmodièrent des paroles oubliées en ancien grec et des amulettes protectrices dorées serties de pierres précieuses qui scintillèrent narquoisement.
En vain, toute leur recherche.
— Bon, commenta Mélinda en baillant. Je n’ai rien trouvé et je ne sais pas trop où aller… Gabriel, as-tu une idée ?
— Peut-être dans un atelier d’une connaissance de vieilles friperies. J’ai la clé !
— Serait-ce le vieux Albert ?
— Oui !
— J’ai déjà eu affaire à lui, un singulier énergumène ! sourit-elle. Mais aussi une vraie mine d’or !
— Par contre, les chaussettes peuvent être là-bas ! Un tel désordre règne qu’il est possible de tout trouver ! Je m’étonne toujours de tout ce qui peut avoir dans cet atelier !
— Allons-y !
Gabriel barre le magasin pour se rendre jusqu’à l’atelier d’Albert.
***
En prenant une rue, trois fantômes semblables au Dalton par l’ordre de grandeur se manifestèrent devant eux.
— Que faites-vous à une heure si tardive ? demandèrent-ils en chœur. Ne devrez-vous pas dormir ?
— La patrouille nocturne, je vous salue ! s’inclina avec respect Gabriel sous le regard éberlué de sa demi-sœur. Il n’y a pas de repos avec les défunts, ni heure du jour, ni heure de la nuit.
— Qui sont-ils ? chuchota-t-elle.
— C’est des Observateurs, ou les Veilleurs, des esprits errants d’anciens policiers qui patrouillent la ville jour et nuit pour la sécurité. Ils sont comiques, surtout pendant la journée, commenta John en donnant une accolade au plus petit des nouveaux venus. N’est-ce pas mon frère ?
— Gabriel, commenta le plus grand des Observateurs, nous savons que les petits sous que tu cherchais l’autre jour sont à tes pieds.
L’interpellé se pencha et empocha la petite monnaie.
— Oui, John…Sinon, ajouta le plus petit esprit policier, nous avons remarqué, Gabriel, que ta cliente régulière est manifestement amoureuse de toi !
Il fit un clin d’œil complice au jeune homme.
— Ne rate pas ta chance ! Vas-y !
— De la même manière que la fille du voisin fréquente en cachette le fils du marchand de fruits, commenta le dernier policier défunt, mains dans les poches. Raison pour laquelle la fenêtre est toujours ouverte, pour que les amants puissent s’enfuir ! Rien ne nous échappe ! Eh ! Eh ! D’ailleurs, avons-nous encore des contraventions pour celui qui laisse sa voiture plus longtemps que prévu depuis trois jours ?
— Je pense que nos contraventions spirituelles n’ont aucun effet ! se lamenta son petit collègue en sortant de sa poche les papiers qu’il agita dans les airs.
Les deux médiums laissèrent les Veilleurs à leur patrouille et empruntèrent la rue perpendiculaire pour éviter les gardiens de la paix vivants et défunts.
***
Dans l’atelier d’Albert, minuit passé.
Mélinda continua sa recherche entre une chemise dans le style du XVe siècle et un pantalon bouffant du XIXe siècle.
« Mais où sont ces satanées chaussettes ! Je suis fatiguée ! » songea-t-elle, les yeux qui commencèrent à se fermer.
Soudain, entre une chlamyde blanche et une robe aristocratique beige de la Renaissance, Mélinda s’exclama en brandissant un objet dans les airs :
— J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! La paire tant recherchée !
Gabriel et John s’approchèrent d’elle avec toutes les lampes de poche orientées vers l’objet mystérieux. Un large sourire se dessina sur le visage du défunt et ses yeux brillèrent de joie, avant de reprendre leur lueur habituelle en scrutant de plus près.
— Non, absolument indignes de mes pieds ! Elles ne sont pas en laine ! C’est des bas estivaux en coton !
Mélinda fouilla un peu autour et déterra une autre paire.
— Alors, celles-ci ?
Une moue se dessina sur le visage du défunt.
— Non, trop courtes !
— Celles-là ? interrogea d’un air exaspéré Mélinda.
Ravi et sautillant autour d’elle comme un petit enfant impatient de défaire les cadeaux à Noël, John était dans un état de béatitude. Il clama :
— Oui, oui, ce sont mes précieuses, mes trésors chéries ! Merci ! Je veux que vous les donniez à mon fils, Roger.
— Très bien ! Je le ferai, lui confirma la médium.
Mélinda sortit une enveloppe et les rangea en notant le destinataire.
« J’avais tellement peur de déclencher une colère d’esprit errant à cause des mauvais bas de laine ! » pensa la jeune femme. « C’est effrayant et inimaginable ! »
— Merci infiniment Gabriel de m’assister dans cette quête ! Bientôt un esprit errant de moins !
« Bien que je n’aurais jamais pensé le rencontrer à nouveau ! C’est bon de savoir qu’il a changé ! »
— Je suis bien content de t'avoir aidé… En plus de repérer des objets de valeur assez intéressants ! À la prochaine !
Le frère et la sœur se quittèrent et revinrent à leur domicile respectif.
***
Le lendemain matin, au domicile des Clancy.
Les yeux encore plus petits que d’habitude, les traits tirés de sa nuit sans sommeil, Mélinda but sa tasse de café.
— Jim, j’ai eu un esprit bien particulier à régler. Il veut que je donne ses chaussettes à son fils ! J’y vais maintenant !
Il se leva et s’approcha de son épouse pour l’enlacer.
— Tu es fatiguée, Mél, ne devrais-tu pas te reposer un peu ?
— Le repos peut attendre un peu, bâilla-t-elle.
La jeune femme se leva et partit au domicile de Roger Smith dont elle trouva l’adresse rapidement à l’aide d’une petite recherche sur son ordinateur portable.
***
Devant une élégante maison en brique avec deux chênes centenaires qui offrait une ombre agréable pour la saison, Mélinda, suivie de John, frappa à la porte. Un homme de cinquante ans aux cheveux gris lui ouvrit la porte. Son veston beige de complet contrastait avec le pantalon de pyjama rayé bleu et blanc et les pantoufles qui semblaient tout droit sortir de Garfield.
— Roger Smith, j’ai un cadeau de votre père.
— C’est moi-même. Mon père est défunt, mais qu’est-ce que c’est ?
Elle extirpa de son sac à main les chaussettes et les lui donna. Il les prit avec référence et s’exclama :
— C’est celles qu’il portait à Noël ! Tous les ans, il les avait sur les pieds. Mémorable !
John et Roger lâchèrent des larmes, émus. Mélinda retint les siennes.
— Merci beaucoup ! Je n'oublierai jamais la tristesse dans laquelle il fut plongé lorsque ses bas se sont déchirés après maintes années de lavage et d'entretien soigneux d’Agnès, ma mère. Sur ces bons souvenirs, je vous remercie ! Je les porterais religieusement à tous les ans pour la même occasion que mon illustre père, honorable habitant de notre ville. À la prochaine !
— Bon, ne complimente pas trop Agnès, marmonna le défunt. C’est elle qui a détruit la première paire… par erreur, car trop attentionnée !
La médium afficha un petit sourire au fantôme et revint dans sa boutique suivie par le défunt. Ce dernier, large sourire, rasséréné, murmura, en observant un point fixe au loin :
— Une belle lumière là-bas ! Tellement divine et époustouflante ! Mieux que celles des lampadaires la nuit ! Ma femme, ma douce Agnès, m’attend ! J’arrive !
Il se tourna vers la jeune femme, les yeux aussi brillants que des joyaux, et lui demanda :
— Est-ce que c’est pour moi ?
— Oui, bredouilla-t-elle en essuyant prestement des larmes d’un revers de la main. Cette Lumière est pour vous. Bon voyage !
— Wow ! C’est mieux que les films de science-fiction ! Mieux que Star Wars ! Et Agnès, la prochaine fois, ne lave pas de la laine dans de l’eau trop chaude, tu as fait du feutrage de la première paire !
John s’éloigna progressivement de Mélinda jusqu’à disparaître complètement, tel un brouillard estival.
« Émouvant cet esprit errant ! Et odorant ! » pensa Mélinda en reniflant le mélange de camembert et cannelle avec un zeste de clou de girofle et d’agrumes qui accompagna le départ de John.
Elle pleura, toujours touchée en son âme par le dénouement, et prit un autre café en murmurant :
— Et maintenant au suivant… En espérant que ce soir je vais pouvoir dormir… Si aucun esprit ne vient réclamer des pantoufles de verre !