Rencontre inattendue au détour d'un verre
Chapitre 1 : Rencontre inattendue au détour d'un verre
3413 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 25/10/2025 22:21
Tirage, Caractéristique 8 (maudit), Lieu 16 (nouveau), Objectif 17 (devoir), Objet 2 (tasse), Rencontre 9 (inattendu) et Obstacle 18 (verre)
Information pour Le Double et Ghost Whisperer
Pour le roman et la série, c’est un univers alternatif historique, dans les années 1990.
Rencontre inattendue au détour d’un verre
En ce mois de novembre 1990, Gabriel se promenait dans les rues de Leningrad, ville dans laquelle il mit les pieds pour la première fois de son existence. L’ancienne capitale fourmillait de ses habitants, malgré le froid saisonnier. Les discussions des hommes sur les dernières nouvelles du pays et du monde et les bavardages des femmes à propos des rumeurs ne déconcentrèrent pas le valeureux fonctionnaire américain bien enveloppé dans son manteau. Armé d’un dictionnaire de poche Anglais - Russe et d’une feuille de papier froissée, il cherchait une adresse bien précise, celle de son collègue et homologue russe, Jakov Petrovitch.
« Je dois lui restituer sa tasse ! » se répéta-t-il mentalement en faisant quelques pas. « C’est ce que m’a dit mon supérieur ! Je cherche la rue P… D’ailleurs, pourquoi ce doit être toujours moi qui dois accomplir ces tâches ingrates et inutiles sur les ordres de l’Administration ? Je suis maudit ou quoi ? »
Il poussa un soupir et poursuivit ses recherches. Il marcha encore un bon moment, ses pas crissant sur la fine couche de neige qui tapissait le sol, laissant derrière lui des empreintes éphémères sur le trottoir. Il réfléchit aux étranges événements dont il était témoin depuis son arrivée en URSS, ressassant les mêmes pensées. Il constatait que, quand il s’arrêtait devant un miroir, il ne voyait pas son reflet, mais celui de quelqu’un de plus sombre qui le fixait, avant de disparaître. Et tout de suite après, le miroir se brisait.
« Quel esprit me poursuit ? » songea-t-il en marchant. « Je ne l'avais jamais vu auparavant, mais il me semble extrêmement familier ! Mais où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Sauf s’il est question d’une malédiction dont j’ignorais l’existence ! »
À l’intersection d’une rue, alors qu’il attendait pour laisser passer un tramway et des voitures, une voix masculine l’interpella :
— Gabriel Lawrence, confrère ! Que faites-vous ici ?
Intrigué, il se retourna et reconnut Jakov Petrovitch Goliadkine, toujours le même : même stature imposante, même physionomie, même pantalon de complet brun et large manteau gris foncé à double boutonnière que dans son souvenir de leur dernière rencontre, sauf que son regard était plus ardent, mais sur le moment, Gabriel ne le remarqua pas.
— Jakov Petrovitch ! Quelle bonne surprise ! Vous tombez vraiment bien ! lui répliqua-t-il en russe. Je viens pour restituer un objet vous appartenant !
Il serra la main de son homologue soviétique. Ce dernier, esquissant un grand sourire quasi démentiel, lui proposa :
— Voulez-vous venir prendre un verre avec moi ?
L’Américain jeta un rapide coup d’œil sur sa montre qu’il sortit de son manteau avant de lui répondre, avec un sourire sincère.
— Pourquoi pas ? Je ne rentre pas si tôt chez moi !
Un fantôme d’un homme dans la quarantaine, drapé d’un long manteau foncé, apparut à sa droite. Ses yeux noirs brillèrent d’inquiétude, alors qu’il levait les mains vers le ciel et clama d’une voix claire et puissante :
— Mais que faites-vous ! Ne l’écoutez pas !
Intrigué, Gabriel se retourna vers la voix, détailla le défunt et blêmit reconnaissant celui qui le poursuivait dans le miroir depuis son arrivée. Il lui demanda :
— Pourquoi ?
Le Russe scruta son collègue d’un regard brillant étrangement et l’invita chaleureusement d’un geste de la main :
— Gabriel vient avec moi dans la gargote là-bas ! Il y aura vodka, un vrai délice, et bien d’autres alcools ! Viens mon ami, puis tu me conteras la raison de ta venue !
L’interpellé soupira et approuva d’un signe de tête. Le duo, sous le regard désespéré du défunt qui les attendait devant la taverne, rentra dans un établissement en pierre grise qui semblait assez sinistre.
Ils s’installèrent dans un coin sombre de l’auberge qui dégageait l’odeur du tabac et celui âcre des alcools, alourdissant et assombrissant l’air et la pièce déjà faiblement éclairée par les ampoules. Assis l’un en face de l’autre sur des chaises en bois rudimentaires, Gabriel déposa son sac contenant la fameuse tasse dans un coin. Puis, ils passèrent les commandes : une bouteille d'un litre de vodka pour eux deux. Avec le sourire énigmatique, le Russe se remplit un verre, le leva et s’exclama :
— À notre santé !
Les deux hommes trinquèrent une fois, puis encore et encore.
Soudain, la forme fantomatique de tout à l’heure se déplaça pour être à côté de Gabriel et l’avertit :
— Ne l’écoutez pas, parce que ce n’est pas Jakov Petrovitch Goliadkine !
Le chuchoteur d’esprits le scruta du regard appesanti par la consommation du fort breuvage. Il bredouilla, portant le dos de sa main au front, et fit un ultime effort pour se concentrer, son esprit étant embrumé par l’alcool.
— Comment ? … De quoi… vous parlez ?
Il déposa son verre pour soutenir sa tête entre ses mains, les yeux tournés vers le fantôme.
— Gabriel, s’exclama son comparse en lui versant un autre verre, avec qui tu parles ? Tu es ivre, tu résistes mal à la vodka ? Pourtant elle est bonne !
L’interpellé agrippa encore plus puissamment le verre entre ses mains avant de répondre.
— Oui… Oui… Je…
Il avala en une seule gorgée l’alcool.
— Je parlais… avec… quelqu’un…
Il détourna son regard de son interlocuteur.
— …Je veux… dire avec moi-même !... Je.. Bref, tu as compris… Collègue !
— Oui, très bien, susurra ce dernier en le fixant avec insistance de ses yeux froids. Mais tu affirmes venir pour me remettre un objet, non ?
Gabriel approuva du chef et plongea sa main dans son sac. Le défunt, toujours à sa droite, serra les poings à en faire blanchir les jointures et lui hurla :
— Combien de fois dois-je vous le dire, Gabriel Lawrence ! ? Cet homme n’est pas celui que vous recherchez !
Le fantôme brisa le verre en mille éclats.
— Ne lui donnez pas la tasse ! Elle n’est destinée qu’à son légitime propriétaire ! Si vous ne voulez pas emmener votre collègue dans une folie encore plus grande ! Vous pouvez le sauver avant que ce monstre ne le tue pour de bon ! Et non seulement votre collègue, mais vous aussi !
Le chuchoteur d’esprits promena ses yeux des éclats de verre à l’esprit errant, bouche bée.
— Qu’est-ce qu’il y a d’étonnant Gabriel ? Un verre brisé ? l’interrogea le Soviétique avec un petit sourire narquois qui se dessina sur ses fines lèvres.
— Non… C’est juste… Rien !
Il soupira, se leva et se traîna jusqu’au comptoir pour prendre un autre verre du précieux alcool qu’il but cul sec pour reprendre son courage.
« Au moins, je me rapproche de l’accomplissement de ma tâche » pensa l’Américain en fouillant maladroitement son sac. Il en extirpa la tasse, manquant de peu de la lâcher.
— Confrèrèrère Jakov Petrovitch… Voilà l’objet… pour lequel j’ai fait… ce voyayayayage !
L’interpellé avança avidement ses mains vers l’objet, les yeux scintillants de joie.
— Non ! s’offusqua le fantôme. Ne la lui donne pas, idiot !
Gabriel se leva, déposa l’artefact sur la table, fit quelques pas chancelants pour se rapprocher de l’esprit et éructa :
— Arrêtez de m’insulter !
— Gabriel, lui murmura son homologue, la mine renfrognée. Je n’ai rien fait pour que tu me répondes ainsi !
Il prit prestement l’objet convoité.
— Merci pour la tasse ! Prenons un dernier verre avant de se quitter ! Bon retour à la maison !
Une fois qu’il absorba le dernier verre qui lui brûla la gorge, le fonctionnaire anglophone, l’esprit encore plus troublé par l’alcool qu’auparavant, sortit lentement à l'extérieur, incapable de comprendre le brouhaha ambiant des bavardages des clients de la taverne.
***
En prenant une rue, Gabriel s’émerveilla de la lune qui brillait au firmament entourée des étoiles, telle une reine au milieu de sa cour de servantes, qu’il discernait malgré ses yeux embués. Les lampadaires éclairaient faiblement le chemin, laissant des zones d’ombre d’où pourrait surgir une créature nocturne des cauchemars à chaque instant.
— Je ne savais pas… que j’ai passé autant… de temps à boire ! balbutia-t-il en portant sa main tremblante à son front pour rejeter d’un geste brusque une mèche de cheveux rebelle aussi noire que l’ébène. Maudit verre de trop !
Il longea une maison, s’appuyant le long du mur pour ne pas tomber tellement ses jambes étaient lourdes.
— Vous avez clairement trop bu ! commenta une voix amère derrière son dos.
Le chuchoteur d’esprits se retourna pour constater la même entité qui le fixait avec insistance d’un regard désapprobateur, une moue au visage, les bras croisés sous sa poitrine.
— Et vous n'avez pas accompli votre devoir !
Le fantôme laissa ses bras retomber librement le long de son corps et leva sa main droite au ciel.
— Vous avez remis à la mauvaise personne la tasse !
— Tais-toi !
Le vivant mit ses mains sur ses oreilles.
— Tais-toi, démon ! Ce ne peut pas être vrai !
— Au contraire, c’est réel, trop réel même ! Écoutez-moi, parce que je sais plus que vous ! Si vous ne voulez pas en payer le prix ! Et quel prix ! Le prix fort !
Gabriel courut, le plus rapidement qu’il pouvait, pour revenir dans sa petite chambre d’hôtel au centre de la ville.
***
Le lendemain matin, dans la chambre d’hôtel.
Le fonctionnaire se réveilla avec un mal de tête horrible. Il prit quelques minutes avant d'organiser ses pensées éparses sur les événements de la veille et de se lever.
— Donc, murmura-t-il en s’observant dans le miroir qui ne renvoyait pas son reflet, selon cet esprit errant, j’ai fait un choix désastreux ! J’aurais remis au mauvais homme la tasse ! Mais que raconte-t-il ? Je suis certain que c’est mon confrère Jakov !
Le miroir devint embrumé pour laisser apparaître un message tracé à la main. Gabriel, ne déchiffrant même pas les mots, se retourna pour apercevoir le même défunt qui était dans un grand effort de concentration pour former le texte, le front plissé et les yeux mi-clos.
— Je peux vous voir et communiquer avec vous ! l’avisa-t-il. Dites ce que vous avez à me dire !
Le fantôme rouvrit les yeux et répondit :
— Zut ! Désolé, j'ai trop regardé des films d'horreur... Et ce message mystérieux sur le miroir, c'est vraiment un grand classique du genre, impossible d'y échapper… Mais plus sérieusement… Retrouvez rapidement le Faux pour remettre l’objet au Vrai ! Sinon, voici ce qui vous arrivera : vous serez maudit !
Gabriel fixa le miroir avant de discerner son reflet, mais il était différent, semblable à un monstre affamé aux yeux vides de toute vie. Il blêmit, recula de quelque pas et chuchota :
— Moi ? Impossible !
— Oui et non, c’est votre Double, celui que vous venez de remarquer dans votre reflet, qui risque de se matérialiser si vous ne remettez pas à temps la tasse à votre homologue !
— Comment le savez-vous ?
Il tourna la tête vers l’esprit errant avec une lueur d’incompréhension dans le regard.
— Ne posez plus de question et agissez ! Mais vous êtes liés, lui et vous !
— Comment ?
Le fantôme se dissipa, laissant un courant d’air froid derrière lui et un miroir brisé. Gabriel sursauta et murmura :
— Bon, j’y vais ! Les éclats de verre, je peux les ramasser plus tard ! Il faut retrouver Jakov Petrovitch pour l’interroger sur notre rencontre d’hier !
Il enfila prestement son manteau gris.
***
L'Américain déambula dans les rues. Il finit par s’arrêter devant un café situé au rez-de-chaussée d’un immeuble en pierre de deux étages. À travers la vitre de la devanture, il reconnut le Russe en train de boire du café. Il entra dans l’établissement et s’adressa à lui :
— Salut, Jakov Petrovitch ! Te rappelles-tu de notre rencontre d’hier ?
La lueur d’étonnement qui traversa les yeux sombres de l’interpellé le fit perdre toutes les couleurs de son visage et le dégrisa instantanément de ses consommations de la veille.
« Le fantôme avait raison ! » songea-t-il. « Je vais devoir réparer mon erreur ! »
— De quoi parles-tu, Gabriel ? lui répondit posément le Russe. Je ne t’ai pas vu hier ! Ce n’est que ce matin que je te rencontre !
— Je voulais te donner une tasse, mais je l’ai donnée à un homme qui te ressemble !
L’entité surnaturelle se manifesta à la droite du chuchoteur d’esprits.
— Il faut agir, vite ! Avant que le Double ne prenne définitivement la place de Jakov Petrovitch ! Et, après cela, ton propre double pourrait se manifester à tout instant.
Les mains de Gabriel se mirent à trembler. Il présenta ses excuses à son confrère avant de s'élancer dans les rues, courant comme s’il fuyait des flammes invisibles. Ne remarquant rien des bâtisses, des personnes et des véhicules qui l’entouraient, il suivit le fantôme qui lui servait de guide pour retrouver le Double.
« Je dois me dépêcher ! Je dois courir ! Vite ! » pensa Gabriel, essoufflé. « Je ne comprends pas le lien entre cette tasse, Jakov Petrovitch et moi, mais l’heure n’est pas à la réflexion ! Vite ! »
***
Le duo arriva ainsi dans une ruelle sombre de la ville. Le fantôme ne cria que ces sept mots :
— Il est au fond de ce cul-de-sac !
Puis, il disparut de la vue du fonctionnaire. Ce dernier s’avança d’un pas déterminé vers le Double et hurla :
— Jakov Petrovitch, usurpateur !
L’interpellé se retourna, déposant délicatement la tasse au sol. Une lueur d’étonnement traversa son regard.
— Que dites-vous, l’ami ?
— Redonnez-moi cette tasse !
— Pourquoi, si vous me l’avez donné ? Donner c’est donner, reprendre c’est voler !
Gabriel marcha et se plaça de la sorte pour être face à son opposant. Les yeux marron de l’un affrontèrent les yeux noirs de l’autre. Le défunt qui se matérialisa derrière le Double déplaça l’objet de discorde pour qu’il soit à la portée de la main de l'Américain. Et il lui murmura :
— Il faut que le véritable Jakov Petrovitch brise cette tasse ! Compris, Gabriel Lawrence ?
Celui-ci tendit la main et ramassa la tasse et courut jusqu’à perdre l’haleine, poursuivi par le Double. Il le sema en prenant une rue perpendiculaire particulièrement animée.
— Où suis-je ? demanda à voix haute le fonctionnaire, joues rougies et souffle court, en observant l’endroit.
— La Perspective Nevski, lui répondit le fantôme avec un petit sourire qui s’esquissa sur son visage austère, amusé que son interlocuteur vivant n’ait pas reconnu l’endroit.
— Ah ! D’accord ! Et où est Jakov Petrovitch ?
— Suivez-moi !
Après un périple zigzaguant dans les diverses rues de la ville dont il ne pourrait pas se souvenir ultérieurement, Gabriel s’arrêta devant un imposant bâtiment en pierre grise.
Son confrère qui arrivait au même moment devant l’édifice le salua d’un geste de la main.
— Jakov Petrovitch, j’ai la tasse !
Gabriel la lui donna d’un geste sec.
— Viens à mon bureau et raconte-moi tout ce que tu sais !
Les deux hommes arrivèrent dans la pièce pour être accueillis par le Double qui les observait silencieusement de sa position près de la fenêtre. Le fonctionnaire russe trembla de tous ses membres et serra plus puissamment la tasse contre lui. Gabriel prit une inspiration et répliqua :
— Dégagez imposteur ! Vous n’avez aucun droit sur lui !
Le médium se tourna vers le Russe.
— Jakov Petrovitch, faites vite !
— Je suis Jakov Petrovitch et vous m’avez pris ce que vous m’avez donné. Ingrat ! s’exclama le Double en contournant le bureau en chêne et le fauteuil en cuir pour se placer à côté de Jakov Petrovitch. Il le scrutait froidement.
Le fonctionnaire russe était tétanisé, serrant convulsivement la tasse entre ses mains. Gabriel, dans un élan désespéré, lui cria :
— Brisez-la ! Vite ! Si vous ne voulez pas que nous soyons maudits pour toujours !
Dans le coin de son champ de vision, le chuchoteur d’esprits crut discerner une ombre familière sans qu’il puisse bien la détailler.
À la droite du médium, le fantôme murmura en gesticulant frénétiquement :
— C’est la dernière chance ! Avant l’irréparable !
Le Russe leva la tasse et la lança violemment contre le sol. Ce geste fit pâlir le Double et l’ombre se manifesta à côté de Gabriel. Ce dernier la scruta minutieusement pour constater que c’était lui-même à la différence que le regard de sa réplique fantomatique était plus étrange, distant et effrayant.
De la tasse brisée en plusieurs morceaux qui volèrent dans toute la pièce se dégagea une fumée blanche et verte qui enveloppait les Doubles. Ces derniers, fulminant, dans un dernier soubresaut des fauves blessés, sautèrent sur leur alter ego, griffant leur avant-bras. Des perles de sang jaillirent des blessures, les vivants reculèrent de plusieurs pas pour créer une distance avec leurs Doubles et levèrent l’autre bras pour se protéger. Les yeux agrandis de frayeur, les bras et les jambes tremblants, Jakov demeura muet devant le spectacle qui s’offrait à lui.
« Ce Double est même très agressif ! » songea Gabriel en se rapprochant de la porte, les mains moites. « Que faire ? »
Soudainement, étouffés par la fumée qui sortait des débris de la tasse, les Doubles se rétrécirent, devenant aussi petits que des gnomes avant de disparaître complètement, absorbés par les fragments de porcelaine.
Gabriel et Jakov Petrovitch, paralysés et assommés, s’entre observèrent pendant plusieurs minutes, tremblants et confus. Le cœur battant fort et berçant son avant-bras blessé, l’Américain balaya du regard l’austère pièce et affirma dans un souffle :
— Est-ce que nous leur avons échappé ?
Le Soviétique s’approcha de son bureau, tout en prêtant attention aux débris tranchants qui gisaient au sol, l’unique trace de la présence des récents événements.
— Aux Doubles ? Je ne le sais pas ! Mais je pense que tout ira pour le mieux maintenant !
Le Russe s’avachit sur son fauteuil et fixa la porte.
— Espérons-le ! ajouta Gabriel.
Et les collègues se quittèrent en bons termes.
***
Quelques heures plus tard, en soirée.
Gabriel tituba dans les rues de Leningrad, fêtant son prochain retour dans sa patrie et la réussite de sa mission. Au détour d’une ruelle, une ombre familière le croisa. Il n’osa pas l’affronter et continua à se traîner avec difficulté pour revenir à sa chambre d’hôtel, craignant le pire et certain de ne pouvoir être en paix de sitôt.
« Que ce soit mon Double ou un esprit errant, je n’ai pas le loisir de discuter avec lui maintenant ! » réfléchit-il. « Et si j’ai réveillé un monstre bien plus dangereux par cette mission ? »
Un frisson parcourut son échine.
« Non, non ! Impossible ! »
Et il continua sa marche instable dans les rues de la ville, essayant de chasser l’oppression qui habitait son cœur.