Le Père Noël de la Nouvelle-Sibérie
Chapitre 1 : Le Père Noël de la Nouvelle-Sibérie
3271 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 12/12/2025 02:07
Avertissement : Les personnages de Ghost Whisperer peuvent paraître différents par rapport à la manière dont ils sont présentés dans la série.
20 décembre 2007, Grandview, petite ville aux États-Unis d’Amérique.
Melinda Gordon, une petite brune de vingt-sept ans, se promenait depuis quelques minutes dans les rues silencieuses recouvertes de neige. Serrant son manteau vert contre elle, elle marchait, perchée sur ses bottes à talons hauts. Elle respirait à pleins poumons l’air frais, question de se changer les idées et de ne penser à rien. La médium espérait bien passer le temps des fêtes tranquille de tout esprit et passer du temps avec sa famille, en l'occurrence son époux, ses parents et sa belle-mère. L’année passée, au cours de l’Avent, elle avait eu à régler le cas de l’esprit errant d’un vieil homme qui voulait qu’elle retrouve sa tasse préférée et qu’elle la donne à son petit-fils, qui vivait à Piermont, une ville à l’Est de Grandview. Ressentant le vent froid mordre ses joues, Melinda ajusta sa cagoule. Ne prêtant pas attention aux fenêtres enguirlandées de gui et de houx des maisons autour d’elle, la médium remarqua dans son champ de vision une apparition. Nul doute qu’il s’agissait d’un esprit, ce qu’elle différenciait intuitivement. C’était un vieil homme à la barbe blanche, vêtu comme le Père Noël en bleu. Il la fixait d’un air bienveillant. Lorsque la femme arriva près de lui, il l’aborda en ces termes en un anglais impeccable, sans aucun accent :
— Jeune dame, que voulez-vous pour Noël cette année ?
De sa voix la plus douce, la passeuse d’âmes répondit :
— Je n’ai aucun vœu particulier… À part celui de vous aider à partir dans la Lumière…
— Quel vœu bien particulier ! Mais comment le réaliser ?
La médium ne répondit pas à sa question, laissant planer un long silence. Tout en continuant sa marche, suivie par le revenant à sa droite, elle se présenta :
— Je suis Melinda Gordon, et vous ?
— Le Père Noël de la Nouvelle-Sibérie.
Perplexe, elle fronça des sourcils en pensant ce doit être une blague. Il a certainement un nom. C’est seulement qu’il joue le rôle du Père Noël…
Comme si l’entité avait lu ses pensées, il opina du chef.
D’ailleurs, j’ignorais que le Père Noël vivait en Russie… Il me semblait qu’il vivait en Antarctique…
Elle toussota pour cesser de divaguer dans ses pensées, puis murmura :
— Quel est votre vrai nom alors ?
— Nikolaï Ivanovitch Silver, affirma-t-il sérieusement.
— Nicolas…
— Nikolaï Ivanovitch la corrigea le revenant.
— Vous avez compris que je parlais à vous…
Il approuva silencieusement.
Melinda continua :
— Que puis-je faire pour vous aider ?
— Dire à mon fils d’être plus présent auprès de son propre fils.
— Si ma question n’est pas trop indiscrète, comme s’appellent votre fils et votre petit-fils ?
— Ce n’est pas du tout indiscret…
Cette remarque détendit les traits de Melinda.
Son interlocuteur continua, avec un petit sourire nostalgique :
— Mon fils se prénomme William et mon petit-fils Riley.
Puis l’esprit disparut de sa vue.
La jeune femme soupira et se rendit dans sa boutique d’antiquités, The Same It Never Was Antiques, dont elle était la propriétaire depuis quelques années. Elle salua au passage son amie et associée, Delia Banks, une joyeuse quarantenaire bien enrobée vêtue d’un pull blanc à motif jacquard rennes beiges, qui était derrière le comptoir.
Celle-ci la demanda :
— Melinda, quelle est la raison de ton empressement ?
— Une histoire à régler, répondit l’interpellée.
Delia soupira, ayant compris l’allusion : encore un cas d’esprit. Bien qu’elle était au courant du don de gérante, elle se montra plusieurs fois très sceptique et essaya quelque peu de rationaliser les phénomènes desquels des esprits furent responsables, tels les éclatements des ampoules ou des changements de programme sur la radio.
L’associée s’exclama, en déposant deux verres de vin sur le comptoir :
— Melinda, c’est bientôt Noël ! Ne veux-tu pas boire un peu de vin de liqueur ?
— Peut-être après, mais pas maintenant…
Et la médium se rendit dans son arrière-boutique pour faire sa recherche sur Nikolaï Ivanovitch Silver. À son grand désarroi, elle ne trouva aucune information. Elle soupira. À ce moment précis, l’esprit en question apparut à sa droite. Melinda tourna sa tête vers lui et balbutia :
— Je ne comprends pas… Je ne trouve rien sur vous…
Sourire énigmatique au visage, il dit :
— Normal, puisque Nikolaï Ivanovitch est le prénom et le patronyme que j’ai pris peu après ma conversion à l’orthodoxie.
— Quand vous êtes-vous converti ?
— Le 2 décembre 1970…
— Quel métier avez-vous exercé…
L’esprit comprit qu’elle voulait dire « de votre vivant », et il répondit avant qu’elle ne termina sa phrase :
— J’étais un homme d’affaires. Un millionnaire. Un jour, le 19 décembre 1969, j’avais réalisé que ma fortune ne servait à rien sans l’aide de Dieu…
Et alors ? songea Melinda, le front légèrement plissé et les sourcils levés de perplexité. J’espère qu’il ne va pas commencer à faire un discours religieux…
Comme s’il ignorait ses pensées, il continua :
— Je l'avais réalisé comme ça…
Il claqua des doigts.
— C’était une illumination, une prise de conscience en mon âme… enchaîna Nikolaï d’une voix émue, ses mains sur sa poitrine. J’avais compris que nous, les hommes, nous ne sommes rien sans Notre Seigneur… Et que la richesse ne sert à rien sans Sa bénédiction…
— Très intéressant, murmura la médium. Et après cette soudaine réalisation, qu’avez-vous fait ? L’avez-vous dit à vos proches ?
— Oui, j’en ai parlé avec ma femme, Claire…
Il soupira, puis continua d’un air triste, les mains dans les poches de son vêtement :
— Sauf qu’elle ne m’a pas cru… Elle a pensé que j'avais fait une dépression nerveuse…
Nikolaï Ivanovitch, les yeux brillant d’une colère sourde, les mains serrées en des poings qu’il sortit de ses poches. Il demeura silencieux pendant plusieurs minutes, la mine pensive, avant de reprendre d’une voix grave :
— Je lui avais proposé de venir avec moi et notre fils, qui avait alors cinq ans… Mais elle n’avait pas voulu… Elle me prenait pour un fou…
Il soupira.
— J’ai compris plus tard pourquoi… reprit l’homme d’un air jaloux. Parce qu’elle s’était sans doute trouver un amant, un certain Howard Taylor, qu’elle avait épousé durant mon absence…
Melinda intervint d’un air compréhensif :
— Je peux très bien comprendre votre jalousie… Mais pouvez-vous revenir à vous…
— Merci de votre compréhension, répliqua-t-il d’un ton bourru.
Après un long silence, la médium le questionna d’une voix douce :
— Si vous avez changé votre prénom, lequel était votre prénom de naissance ?
— Alan, répondit brièvement le revenant.
— Merci, murmura-t-elle.
La femme s’avança vers l’ordinateur pour poursuivre sa recherche et dit :
— Ainsi, je pourrais trouver des informations à votre sujet…
En faisant un geste brusque, l’entité s’écria, la faisant sursauter :
— Ne perdez pas votre temps à chercher ! Posez-moi toutes les questions que vous voulez, je ne vous cacherai rien !
Étonnée, elle suspendit son geste en pensant Voilà un cas très particulier… Habituellement, les esprits ne disent pas tout… Ils ne m’aident pas… Une telle honnêteté doit sans doute cacher quelque chose, mais quoi ?
Comme s’il ignorait les réflexions de son interlocutrice, il s’offusqua :
— Et ce n’est pas une blague…
Avec un petit sourire, il précisa :
— Puisque vous avez formulé le vœu que je parte dans l’Autre Monde, je vais être très collaboratif.
— Merci, balbutia-t-elle, ne croyant pas à ce qu’elle venait d’entendre.
Melinda s’éclaircit la gorge, puis demanda après un long silence :
— Alan Silver, quel métier avez-vous exercé de votre vivant ?
— J’étais un homme d’affaires. J’avais ma propre compagnie de textile, Silver and Son, que j’avais hérité de mon père, John Silver.
— Si vous étiez heureux avec votre femme et votre fils, pourquoi les avoir quitté ?
— En raison, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, de cette illumination soudaine… Je ne les ai pas quitté sans leur avoir demandé de venir avec moi.
— Et vous êtes parti, comme ça, en Nouvelle-Sibérie ?
— Oui, mais avant, je me suis converti à l’orthodoxie à Moscou, alors en République socialiste fédérative de Russie, sous le nom de Nikolaï Ivanovitch… Je peux même vous expliquer pourquoi.
— Oui…
— Nikolaï, en raison de Saint Nicolas, qui se fête le 19 décembre pour les orthodoxes et le 6 décembre pour les catholiques… Tout ça parce que c’était un 19 décembre que le Seigneur m’a éclairé… Ivanovitch est mon patronyme, car John, le prénom de mon père, est Ivan en russe…
Le défunt fit une courte pause puis reprit d’une voix songeuse :
— Et tant qu’à vous dire toute mon histoire… Je vais tout vous dire, sans rien vous cacher… Après cette soudaine réalisation, j’ai compris que je devais trouver un fondement solide pour ma foi… C’est pourquoi je me suis établi dans une petite isba perdue en Nouvelle-Sibérie… Je voulais être loin des grandes villes… Mais comme j’avais vu des enfants très pauvres en route vers l’île de Nouvelle-Sibérie, je me suis promis de réaliser tous leurs vœux pour Noël… Peu importe qu’ils soient catholiques, protestants ou orthodoxes. Je distribuais des bonbons et des jouets aux enfants. Je voulais qu’ils soient heureux. J’ai aussi fait des dons aux plus démunis. Au bout d’un an, j’ai ainsi dépensé une partie de ma richesse que j’ai amené avec moi… De sorte qu’après plusieurs années, j’avais la réputation du plus grand philanthrope de toute la Russie, voire même de l’Union soviétique… D’où mon surnom du « Père Noël de la Nouvelle-Sibérie ». J’avais ainsi vécu pendant des années, loin de tout, jusqu’à ce que je meure d’une crise cardiaque en 1997… Et depuis, je sais ce qui se passe avec ma femme, ma chère Claire, et avec mon fils, William…
L’antiquaire pensa ça veut dire que ce pauvre homme est encore là, à errer parmi les vivants, depuis dix ans…
— Merci de l’explication, fit Melinda. Mais pouvons revenir à ce qui vous préoccupe…
— Mon fils ! la coupa l’entité. Je ne veux pas qu’il divorce de sa femme ! J’ai bien remarqué qu’ils se disputent pour un tout et un rien… Je ne veux pas qu’il reproduise la même histoire que moi ! Pensez un instant à mon petit-fils ! Ça me briserait le cœur qu’ils divorcent l’année prochaine…
— Cela, je l’ai compris, dit-elle d’une voix chaleureuse. Connaissez-vous son adresse ?
— Oui, le 3 rue Inn, à Grandview. Allons-y ! Maintenant, s’il vous plaît !
— D’accord, dit la médium en se levant de sa chaise de bureau.
Voilà Melinda qui jeta prestement son manteau sur ses épaules, salua Delia puis sortit rapidement de la boutique. Elle suivit Nikolaï Ivanovitch qui la guida jusqu’à l’adresse où vivait son fils. Chemin faisant, la femme ne cessait de penser à son propos à tenir devant le fils du revenant. Comment lui expliquer ? songea-t-elle. Le plus simple serait peut-être de lui dire que j’ai rencontré l’âme de son défunt père… Et c'est ce dernier qui a constaté leur situation. Moi, en tant que tel, je ne sais rien… À moins que je ne commence par les nouvelles que j’ai de son père, puis ensuite sa dernière volonté… Je verrai, selon la conversation…
La médium ne prêtait guère attention aux maisons devant lesquelles ils passaient. Elle marchait comme un automate, en posant son pied droit devant le gauche, puis le gauche devant le droit, perdue dans ses pensées. Melinda et Nikolaï Ivanovitch se rendirent devant une grande maison en bois, avec un extérieur en revêtement de pierres. Un chemin en dalles menait jusqu’à la porte d’entrée en métal. Tout était propre. Seuls les petits tas de neige dans les jardins à l’avant témoignaient de la précipitation qui avait eu lieu il y a quelques jours. Melinda regardait attentivement les arbres dont les branches s’agitaient sous l’effet du vent comme s’ils la saluaient. Elle sortit de ses pensées par l’exclamation du fantôme :
— Voilà, Madame Gordon ! Nous sommes arrivés !
La jeune femme lui sourit, opina du chef puis observa les deux fenêtres de chaque côté de la porte, qui semblaient la fixer comme deux grands yeux.
Son interlocuteur commenta ironiquement :
— Allez-y ! Ne restez pas planté là !
— Euh… Désolée… Balbutia-t-elle.
Elle se ressaisit puis se dirigea d’un pas ferme vers la porte, sur laquelle elle frappa doucement. Aussitôt une voix féminine se fit entendre de l’autre côté :
— Qui est-ce ?
— Melinda Gordon, et je voudrais parler avec Monsieur William Silver.
— C’est mon mari !
Une voix masculine intervint :
— Quelle est la raison de votre visite ?
— Je voudrais parler au sujet de votre père, Alan Silver…
La porte s’ouvrit, laissant voir un homme vers la quarantaine, vêtu d’un complet bleu marine et d’une chemise blanche. Il dit :
— C’est moi-même. Pourquoi voulez-vous me parler de mon père ?
— Parce qu’il a quelque chose à vous dire…
— Il serait encore vivant ? fit-il, les sourcils levés. Pourtant, je n’ai pas eu de nouvelles depuis très longtemps…
William fit une courte pause, puis ouvrit grand la porte en faisant un geste de sa main droite :
— Entrez… Je suis assez curieux des nouvelles de mon père…
Et la médium entra dans la maison.
Nikolaï Ivanovitch, à sa droite, ordonna sévèrement :
— Un peu de politesse, Madame ! Ôtez vos bottes et demandez une paire de pantoufles, pour ne pas salir le parquet !
Melinda sursauta, mais répéta les propos de l’esprit. Elle comprit par son regard qu’elle ferait bien de ne pas le contrarier.
Surpris d’une telle demande, William appela sa femme, une brune vêtue d’un pull blanc avec des motifs de poinsettias et d’un pantalon de jogging blanc, qui apporta aussitôt une paire de pantoufles beiges. L’antiquaire les chaussa et suivit ses amphitryons jusqu’à leur salon, une grande pièce décorée de guirlandes, de houx et de gui, avec un sapin près d’une grande fenêtre qui donnait sur la rue. Les murs étaient d’un bleu ciel très accueillants, comme s’ils invitaient au repos. Près d’un mur, un meuble à télévision en bois massif sur lequel reposait une télévision éteinte. Melinda remarqua que le père de William se tenait près de l’un des canapés beiges.
Une fois assis sur un fauteuil, William présenta sa femme, Jane, à Melinda. Puis, la médium expliqua sans détour à William la raison de sa venue. Au scepticisme du quarantenaire succéda une joie d’avoir enfin des nouvelles de son père, mais avec un arrière-fond amer au fait de savoir qu’il était défunt.
Une fois la dernière volonté de Nikolaï Ivanovitch clairement exposée, Melinda se tourna vers le revenant :
— Monsieur, êtes-vous prêt à partir dans la Lumière, lieu de joie, de bonheur et de paix ?
Il approuva silencieusement, puis tourna sa tête vers sa droite, comme s’il était attiré par quelque chose que lui seul voyait. Il balbutia :
— Madame Gordon, je vois une lumière blanche… Elle est tellement chaleureuse, divine… Elle m’appelle…
— Allez-y ! murmura la femme d’une voix émue, les larmes aux yeux. Cette lumière est pour vous…
— Et je vois mes parents qui me font de grands signes des mains de les rejoindre… commenta l’esprit en fixant un point vers sa droite, le front plissé de concentration.
Il cria :
— John et Mary, j’arrive !
Nikolaï Ivanovitch se retourna une dernière fois vers Melinda, son fils et sa bru et dit d’un air calme :
— Merci à vous, Madame Gordon ! Grâce à vous, je peux quitter en paix le monde ici-bas. Je suis vraiment prêt à me confronter au jugement de Notre Seigneur. Encore une fois, merci de tout coeur.
— Il n’y a pas de quoi, répliqua la médium d’une voix chaleureuse. Je ne fais que mon travail, celui d’aider les âmes a quitté définitivement le monde des vivants…
En regardant d’un air paternel William, son père ajouta :
— Et que Willi n’oublie pas que la vie en couple ne signifie pas d’être d’accord sur tous les points… Il y a des compromis à faire, afin de ne pas se disputer et divorcer. Vous lui direz ça ?
Melinda opina du chef.
— Que Dieu les protège ! s’exclama-t-il.
Nikolaï Ivanovitch fit un geste de bénédiction vers son fils et sa bru puis se retourna et marcha d’un pas assuré vers sa droite en s’enfonçant de plus en plus dans la lumière jusqu’à disparaître complètement de la vue de Melinda. Cette dernière, en essuyant prestement une larme du revers de sa main, rapporta au couple les dernières paroles de l’esprit, sans oublier de souligner que ce dernier était parti. Le couple confirma sa compréhension d’un geste de tête, en promettant de respecter sa volonté.
William et sa femme remercièrent la médium, qui les remercia à son tour. Contente, Melinda chaussa ses bottes, sortit de la maison des Silver et revint d’un pas léger dans sa boutique.
À peine referma-t-elle la porte derrière elle que la médium s’exclama d’un air enjoué :
— Delia, c’est le moment des toasts !
— Pourquoi ? fit l’interpellée, les sourcils levés d’étonnement.
— Alan Silver, ou plutôt Nikolaï Ivanovitch Silver, surnommé « Le Père Noël de la Nouvelle-Sibérie », est parti dans la Lumière !
Elles portèrent un toast et l’associée servit le vin.
En espérant que ce sera mon seul cas pour ce Noël, pensa Melinda en buvant un peu de liquide.