Un monde d'Arcs-en -ciel

Chapitre 24 : Le verdit

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Dernière mise à jour 10/11/2016 06:05

Chapitre 24 : Le verdict


         Dans le vieux théâtre qui avait vu le triomphe de La Jungle Oubliée, Maya et Yuu répétaient les mêmes scènes qu’Ayumi et Ryou. Le regard de Maya reflétait tout l’amour qu’elle éprouvait pour Masumi et Yuu, lui aussi s’y trompa.
Se pourrait-il qu’elle éprouve enfin quelque chose pour moi ? Cette fois, je dois être plus audacieux !
-Maya-chan, tu sais à quel point je t’aime, alors… Euh… voudrais-tu que… toi et moi…
Maya était sidérée. Il n’avait toujours pas compris ?
-Yuu-kun, j’ai beaucoup d’affection pour toi, tu as toujours été très gentil avec moi, mais…
Elle prit une profonde inspiration. Tant pis si ça lui faisait mal, mais c’était nécessaire.
-Mais j’ai trouvé mon âme sœur. Nous nous aimons follement et je suis plus heureuse que je ne l’ai jamais été dans ma vie. Je suis désolée, mais je ne peux pas répondre à ton amour. Alors je t’en prie, ne gâche pas cette belle amitié que nous avons. J’y tiens beaucoup.
Yuu ne dit plus un mot. Ses derniers espoirs venaient d’être foulés aux pieds par celle qu’il aimait par-dessus tout. Sa déception devait se lire sur son visage, car elle ajouta :
-Yuu-kun, je ne peux pas t’empêcher de m’aimer, mais ne m’en demande pas plus. Et puis, mon Akoya a besoin de l’amour de son Isshin. Tu promets de le lui donner ?
-Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que mon Isshin soit à la hauteur de ton Akoya. C’est ma fierté d’acteur qui est en jeu, et je ne veux pas être moins bon que toi.
-Merci, Yuu-kun. Je suis sûre maintenant que nous ferons du bon travail.
         Lorsque Masumi revint de la Vallée des Pruniers, il réfléchit longuement sur sa vie passée. Porter ce masque détestable avait failli lui faire perdre la seule femme qu’il ait vraiment aimée. Des souvenirs de son passé lui revinrent en mémoire. Son adoption par Eisuke, qui avait complètement changé sa vie. L’éducation stricte que ce dernier lui avait imposée, l’éloignant de toute chance de se faire des amis, l’obligeant à se dévouer entièrement à la société Daito. Et surtout, la mort  de sa mère, dont il jugeait Eisuke responsable. Il lui avait volé son enfance, sa jeunesse, l’amour de sa mère… Cela ne pouvait plus durer ! Il décida alors de changer du tout au tout.
Qu’ai-je gagné à me montrer ainsi ? Je suis craint, envié et souvent détesté. Je ne veux plus de tout cela. Il faut que cela change ! Je dois me débarrasser de ce masque que j’ai trop longtemps porté et qui me fait horreur…
Lorsqu’il pénétra dans son bureau, Saeko vit immédiatement que quelque chose avait changé en lui. Elle lui sauta au coup et lui plaqua deux baisers sonores sur les joues.
-Alors ça y est, tu l’as fait ? Tu lui as finalement tout avoué ? Dieu merci, il était temps. La pauvre chérie était prête à te sauter dessus !
-Mais c’est ce qu’elle a fait quand je lui ai dit qui… Mais au fait, comment sais-tu cela ? Comment savait-elle déjà que j’étais son fan ? Tu n’aurais pas par hasard…
-Je te jure que je ne le lui ai pas dit ! Elle l’avait deviné toute seule grâce aux indices que tu as laissé traîner.
-Bon, je veux bien te croire. En tout cas, remercie de ma part tes deux complices Shiori et Ayumi-kun. Sans vous trois, je ne me serais peut-être jamais décidé.
Saeko était sidérée. Comment avait-il deviné leur petit complot ?
-Tu sais, j’ai pris une importante décision. Je ne veux plus porter ce masque d’homme d’affaire pur et dur. Je veux qu’on me voie dès à présent tel que je suis réellement. Je ne veux pas cacher ma liaison avec Maya. Je veux que nous nous aimions au grand jour, peu importe ce que les autres en penseront.
Des larmes vinrent aux yeux de Saeko. Ce qu’elle espérait de tout cœur depuis longtemps allait enfin arriver. Masumi, son Masumi qu’elle avait connu dans son enfance allait revivre !
-Et puis dorénavant, ne m’appelle plus « Masumi-sama » et ne me vouvoie plus. Nous sommes amis d’enfance, et je n’en ai aucune honte. Nous nous parleront en public comme nous le faisons en privé.
Masumi tint parole. Il emmena Maya au restaurant même où il avait plusieurs fois emmené Shiori. Les habitués se demandaient ce qu’était devenue cette superbe jeune femme avec qui il venait d’habitude et qui était cette adolescente qui l’accompagnait. Elle l’accompagnait parfois à son bureau, le tenant tendrement par le bras. Les secrétaires de la Daito, toutes amoureuses de Masumi, trouvaient le nouveau Masumi bien plus séduisant que l’ancien, mais déploraient le fait que son cœur fût déjà pris. Maya, complètement inexpérimentée la première fois qu’ils avaient fait l’amour comprit très vite que donner du plaisir à son partenaire était aussi agréable qu’en recevoir, et elle découvrit des baisers et des caresses qui mettaient Masumi en extase. Leurs ébats amoureux gagnèrent beaucoup en intensité. Ils vécurent ainsi plusieurs semaines d’un bonheur sans nuages. Les répétitions des deux troupes avançaient bien et les deux metteurs en scène étaient fort satisfaits. Maya interprétait une nymphe si authentique que cela tenait du miracle. Quant à Ayumi, son nouveau sen’seï lui permit très vite de corriger les menus défauts de son jeu et lui apprit à mieux contrôler sa voix afin d’en augmenter la puissance. Ayumi était aux anges. Enfin un metteur en scène digne de ce nom ! Elle avait conscience d’avoir bien progressé et reprenait confiance en elle. Enfin, les représentations allaient bientôt avoir lieu.
La veille des représentations, Ayumi, Maya et Rei se retrouvèrent après s’être perdues de vue à cause des répétitions. Elles décidèrent de faire à nouveau une soirée pyjama chez Ayumi. Par extraordinaire, Utako était là ce soir là et elle se joignit aux filles. Lorsque dans la salle de bain elle vit le corps nu de Rei, elle s’écria :
-Rei-chan, tu as un corps superbe ! Je comprends mieux ma fille, maintenant. Moi-même, si j’étais un garçon, je n’aurais pas résisté longtemps à ton charme.
-Maman, arrête de draguer ma femme ! Tu n’as pas honte, à ton âge !
Utako, qui avait presque quarante ans, avait conservé un corps de jeune fille. Ses formes étaient un peu plus pleines que celles d’Ayumi, mais sa beauté était incontestable.  Cette fois, ce fut Rei qui fit les frais de leur bonne humeur, ce qui, visiblement, n’eut pas l’air de la gêner outre mesure. Maya était ravie. Pour une fois, elle n’était pas victime de leurs taquineries. Après une agréable soirée, elles allèrent se coucher.
Utako dit à Maya :
-Maya-chan, veux-tu bien dormir dans ma chambre cette nuit ? Rassure-toi, je n’ai pas le même penchant que ma fille, et je ne te sauterai pas dessus. En fait, j’aimerai discuter avec toi. Ton talent est un vrai mystère pour moi.
-Si vous voulez, Utako-san, mais je crains de ne pas être capable de vous l’expliquer. Moi-même, je ne le comprends pas.
-Ce n’est pas grave. Je t’apprendrai quelques « ficelles » du métier que tu ne connais sans doute pas.
Cette nuit là, les quatre femmes s’endormirent très tard. Pour Ayumi et Rei, il est inutile de préciser pourquoi. Quant à Maya et Utako, elles eurent une discussion passionnante sur leur métier et Maya ne regretta pas d’avoir accepté la proposition d’Utako.
         Ce même soir, Masumi eut une discussion avec son père. De bonnes âmes avaient rapporté à Eisuke l’étrange comportement de son fils et le fait qu’il s’affichait ouvertement avec Maya.
-Tu comptes sortir encore longtemps avec cette petite Kitajima ?
-Non seulement sortir, Otô-san, je compte aussi faire ma vie avec elle.
-Tu plaisantes, j’espère ! Épouse Shiori-san et garde Kitajima comme maîtresse, si tu y tiens tant. Je suis sûr que Shiori-san ne s’en formalisera pas.
-Pourrions-nous attendre le résultat des représentations avant de parler de ce mariage ? Je suis sûr que Maya va remporter le rôle.
-Je préfèrerais que ce soit Ayumi-san. Cela nous laisserait une chance de monter enfin La Nymphe Écarlate. En tout cas, j’aimerais assister à ces représentations. Tu m’y emmèneras demain.
         Ce fut d’abord la représentation d’Ayumi. Maya vit immédiatement à quel point sa rivale avait progressé. Pas un mot, pas un geste, pas une expression qui ne fussent pas parfaits. De plus, sa voix avait gagné une puissance qu’elle n’avait pas avant. Elle trouva le spectacle merveilleux et ne put s’empêcher d’applaudir lorsque le rideau fut baissé. C’était réellement un enchantement auquel les juges furent très sensibles. Elle se précipita dans la loge d’Ayumi.
-Ma chérie, tu as été… tu as été…
-Tu ne trouves pas les mots pour le dire ?
L’ironie de la réplique n’échappa pas à Maya.
-Sans blaguer, c’était merveilleux. Je n’ai jamais assisté à un aussi beau spectacle. J’en suis encore toute retournée ! Je crois que j’ai du souci à me faire.
-Je ne pense pas, non. Cette capacité que tu as de te transformer en ton personnage va peser très lourd dans la balance. C’est plutôt moi qui devrais m’en faire.
-Il n’empêche ! Tu as atteint un degré de perfection que j’aurai du mal à égaler.
-Oh, je ne m’en fais pas pour ça, avec cet instinct infaillible que tu possèdes, tu y arriveras sûrement !
La prestation d’Ayumi avait charmé les juges. Ils avaient eux aussi noté le gain de puissance par rapport à son jeu à la Vallée des Pruniers. Mais sa nymphe ressemblait toujours plus à un ange qu’à une déesse. Quant à Eisuke, qui avait eu le privilège de voir Chigusa interpréter ce rôle, il ne fut pas du tout impressionné.
Cette fille a un rare talent, mais elle est bien loin de l’interprétation de Chigusa. Voyons ce que nous réserve l’autre candidate.
Ce fut ensuite au tour de Maya. Avant même qu’elle ne dise un mot, sa présence emplit toute la scène. Tous les yeux étaient rivés sur elle. Lorsqu’enfin elle commença à parler, le charme qui avait opéré dans la Vallée des Pruniers refit son effet. Sa voix avait des intonations surnaturelles et ce n’était plus Maya sur scène, mais la nymphe elle-même. Eisuke était comme hypnotisé. Pendant un court instant, le visage de Chigusa s’était substitué à celui de Maya. Cette fille, son jeu était complètement différent de celui de Chigusa, mais il avait la même puissance, la même authenticité, la même vérité. Elle était vraiment La Nymphe Écarlate.
Elle seule pourra vraiment succéder à Chigusa. Masumi avait raison. C’est à elle que doit revenir ce rôle.
Lorsque le rideau fut baissé, un profond silence s’abattit sur la salle. Le public était encore sous le charme. Puis, comme Maya l’avait fait pour elle, Ayumi applaudit chaleureusement Maya. Ce fut le signal. Tout le monde fit une véritable ovation à Maya, qui n’en croyait pas ses oreilles. Même les juges s’étaient levés pour l’applaudir. Le jury s’était retiré pour délibérer. Eisuke demanda à Masumi de lui emmener Maya. Il voulait lui parler.
-Ma chérie, tu as été extraordinaire. Le résultat ne fait aucun doute. Viens avec moi, mon père voudrait te parler.
Lorsqu’ils furent devant Eisuke, Masumi lui présenta Maya :
-Otô-san, voici Kitajima Maya, la plus grande actrice du Japon.
Maya rougit sous le compliment.
-Je le crois volontiers, moi aussi. Ojô-san, grâce à vous j’ai revécu pendant quelques instants une partie de ma jeunesse. J’ai eu le privilège de voir Tsukikage Chigusa interpréter ce rôle et je viens d’avoir l’honneur de voir votre interprétation. Vous êtes vraiment sa digne héritière. Merci, Ojô-san de m’avoir offert ce pur instant de bonheur.
Puis il fit signe à son domestique de venir le chercher. Maya était toute confuse de tels compliments. Ayumi vint la rejoindre, et c’est main dans la main qu’elles attendirent le verdict du jury. Les délibérations ne durèrent que peu de temps, mais cela leur sembla une éternité. Enfin, le jury revint et le président de l’ANT annonça le résultat.
-À l’unanimité, le jury attribue le rôle et les droits afférents à la pièce La Nymphe Écarlate à : Kitajima Maya. Par son authenticité et sa puissance, votre interprétation a fortement impressionné le jury.
Ce fut une véritable explosion de joie. Tous les acteurs de la troupe Tsukikage-Ikkakujuu se précipitèrent pour féliciter Maya. Puis Ayumi la prit dans ses bras, l’embrassa sur les joues et lui dit :
-Félicitations, ma chérie, ta victoire est amplement méritée. Je suis fière d’avoir été ta rivale et je suis infiniment heureuse d’être ton amie.
-Comment ça, avoir été. Tu es toujours ma rivale, j’y tiens. Autant qu’à notre amitié !
-Merci, Maya chérie. Cela me touche beaucoup. Mais je crois que quelqu’un d’autre veut te féliciter.
Masumi s’approcha, saisit Maya et la fit tournoyer en l’air. Puis il la reposa, la prit dans ses bras et lui donna le plus passionné des baisers. Les journalistes sautèrent aussitôt sur le scoop et on entendit le crépitement de très nombreux flashs. Ils seraient sûrement en première page le lendemain. Le président de l’ANT demanda à Maya de le rejoindre sur la scène.
-Kitajima Maya-san, j’ai le plaisir de vous remettre ce document officiel qui fait de vous l’unique détentrice des droits de production et d’exploitation du chef d’œuvre d’Ozaki Ichiren La Nymphe Écarlate.
Maya reçut ce document sous les acclamations du public et les flashs des photographes. Elle avait l’impression de vivre un rêve et avait peur de se réveiller. Le président reprit la parole.
-Il y a cinq ans maintenant, Chigusa m’a dit ceci :
« Kaichô, j’ai découvert à Yokohama une très jeune fille qui a un potentiel immense. Si j’arrive à faire émerger son talent, et je pense y arriver, alors très certainement elle héritera du rôle de La Nymphe Écarlate. »
Ma vieille amie ne s’était pas trompée. Aussi c’est avec plaisir qu’à compter d’aujourd’hui, je vous appellerai : Kitajima-sen’seï. Toutes mes félicitations.

 

À suivre...
 
 

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