Les Ineffables Péchés Capitaux

Chapitre 1 : Déraison et Sentiments (Jalousie)

2323 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/01/2024 14:07

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LA JALOUSIE


~ Déraison et sentiments ~


17h-L’heure du thé


— Allo ? Librairie Fell, on n’a probablement pas ce que vous cherchez et on vous le vendrait pas si c’était le cas… 

— Ah… C’est vous, Mr Crowley ? Mr Brown, de Brown’s World of Carpets ! 


Le démon roula ses yeux serpentins dans leurs orbites, vaguement excédé : 


— C’était pas la peine de préciser… Vous les humains, vous avez un prénom et un nom et encore ça ne vous suffit pas… 

— Euh, oui, euh… Est-ce que Mr Fell est avec vous ? 

— Et avec mon esprit, oui… 

— Ahem… Oui… Euh… Pourriez-vous lui demander de passer à ma boutique s’il vous plaît ? 

— On a assez de saloperies de tapis dans lesquels je me prends les boots, merci bien ! 

— C’est au sujet des décorations de Whickber Street pour la Saint-Valentin… 

— Ben, je peux venir moi, je ne suis pas débordé ! 

— Euh… C'est-à-dire que vous ne figurez pas sur le registre des commerçants, Mr Crowley… 

Vous ne figurez pas sur le registre des commerçants, répéta le démon, un brin sarcastique.

— Je peux passer sinon ! s’impatienta le voisin.

— Surtout pas ! Je vous l'envoie…

— Parfait ! J’ai fait des macarons ! 

Ngk… grogna le démon avant de raccrocher. 


Il se tourna vers les étagères en rajustant nerveusement ses tours-de-bras argentés sur les manches de sa mince chemise noire et appela : 


— Aziraphale ! 


L’ange se pencha de côté depuis les étagères du fond : 


— Oui ?

— T’es attendu chez monsieur tapis, de chez Brown-fait-tout-mariage-et-bar-mitzvah…  

— Plaît-il ? demanda l’ange, en se rapprochant, les sourcils froncés sur ses yeux bleu-gris pétillants.

— Brown ! Il veut parler de la Saint-Valentin avec toi, il t’a fait des macarons…

— Des macarons ? Tiens, c’est… Bizarre…

— Je trouve aussi ! Tant que tu y es, tu pourras lui demander de m’ajouter à la liste des commerçants du quartier ?

— En ta qualité de… attendit Aziraphale, perplexe.

— Assistant libraire, slash démon de l’Enfer, slash serviteur de Satan ! 

— Moui, je vois… On va juste garder assistant libraire, c’est bien assez effrayant comme fonction ! 

— Comme tu veux, mon ange ! Du moment que je puisse gérer le problème des œufs de Pâques le moment venu avec ce cher Mr Brown… 

— Eh bien… Je te laisse la boutique alors, je ne serai pas long ! répondit Aziraphale, en ignorant la remarque de Crowley.

— Pourquoi ne pas fermer, tout simplement ? C’est ce que tu fais tout le temps ! 

— Un titre d’assistant libraire, ça se mérite, mon cher ! 

— Et c’est moi le démon…


Aziraphale sourit et le fit taire d’un chaste baiser sur la joue avant d’enfiler son cardigan en laine et de sortir d’un pas pressé. Il n’avait pas l’intention de s’éterniser et encore moins de laisser Crowley gérer la librairie trop longtemps ! La dernière fois, peu avant Noël, le prêtre de la St Patrick’s church s’était présenté à la recherche de volontaires pour sa Crèche vivante. Crowley lui avait fait quelques suggestions, notamment une sur l’endroit où il pouvait se la carrer, ainsi que l’âne, le bœuf et les Rois Mages… Et aussi l’or, l’encens et la myrrhe… Et aussi l’Empereur Auguste… Le démon n’avait pas terminé sa liste lorsque l’ange était accouru au secours du pauvre prêtre qui ne cessait de se signer devant le porche de la librairie. Crowley avait eu beau se justifier en prétendant tester la foi de l’ecclésiastique, ç’avait fait un peu désordre pour une Ambassade du Paradis au goût d’Aziraphale… 


L’ange était parti depuis une bonne demi-heure et Crowley faisait les cent pas dans la librairie lorsque quelqu'un entra ; la sonnette du petit comptoir le fit sursauter alors qu’il se torturait en imaginant mille et un scénarios sur ce qu’il se passait chez le marchand de tapis. Dans tous les cas, il y avait beaucoup trop de tapis et bien trop peu de vêtements… 


— Je cherche une édition originale de la Nouvelle Justine


La cliente, l’air aussi aimable qu’un huissier de justice en pré-retraite atteint de blennorragie, le dévisageait sévèrement, son parapluie coincé sous le bras à la manière d’une cravache d’un général de la Wehrmacht… Le genre de trous du cul qui pullulaient en Enfer ! Ils faisaient moins les malins, ceux-là, quand ils se retrouvaient aux Admissions. Le démon enfila à la hâte ses lunettes de soleil pour se rapprocher de l’engin : 


— Bonjouuuuur, que puis-je faire pour vous ?

— Me donner la météo… A votre avis ? souffla-t-elle.

— Pour l’instant, il ne pleut pas, mais ça ne va pas tarder ! 

— Je ne vous paye pas pour faire le malin, je viens acheter un livre !

— Vous ne me payez pas du tout pour le moment…

— Je suis prête à mettre une fortune pour une édition originale ! 


A ce moment, Crowley n’était pas tant importuné par la présence de la cliente que par l’absence d’Aziraphale. Il avait beau se dévisser le cou pour regarder par les fenêtres, il ne voyait pas trace des bouclettes blondes de l’ange dans la rue. 

Pourquoi mettait-il tant de temps à revenir ? 

A nouveau, des images de tapis bon marché, recouverts de corps fiévreux et tout nus se frayèrent un chemin aux forceps dans son esprit. 

Herr General s’impatientait devant le comptoir ; elle finit par appuyer à nouveau sur la sonnette pour sortir le démon de sa rêverie : 


— C’est du Marquis de Sade ! Le livre… précisa-t-elle, d’une voix pincée. 

— Merci, je sais ! répondit Crowley, en reportant tant bien que mal son attention sur l’intruse. 

— Dites, euh… Il n’est pas là votre patron ? Le petit costaud, habillé comme mon grand-père ? 

— Qu’est-ce que tout le monde lui veut aujourd’hui ? 

— Il me paraît plus calé que vous, c’est tout ! Je n’aime pas trop avoir affaire au petit personnel… 

— Satan en personne est impressionné par votre manque d’éducation ! Et vous pouvez me croire, je fais partie de son petit personnel… 

— Bon, vous l’avez ou non ? La Nouvelle Justine… En édition originale ? 

— Vous commencez doucement à me faire chier avec votre bouquin pourri ! 

— Comment osez-vous ? Un si grand auteur ! s’offusqua la cliente qui n’en deviendrait pas une.

— Un grand auteur ? Sade ? C’était un gros connard de son vivant et deux-cents-dix-ans chez nous, ça ne l’a pas arrangé ! (1)

— C’est inadmissible ! Je vais en parler à votre patron, vous allez vous faire taper sur les doigts ! 

— Mon patron ne se contente jamais de taper sur les doigts… 

— Mr Fell a raison de se montrer dur avec vous, jeune homme ! De mon temps ça ne se serait jamais passé comme ça ! On a sûrement été beaucoup trop clément avec vous par le passé… 

— C’est une question de point de vue… répondit évasivement Crowley, le visage à nouveau tourné vers les fenêtres. 


Herr General se pressa vers la sortie, dans un tourbillon de jurons étouffés et s’arrêta avant de claquer rageusement la porte : 


— Vous aurez de mes nouvelles ! 


18h-L’heure du Talisker


Après l’échange houleux qui venait d’animer le magasin, le retour du silence oppressa le démon... 


— Mais enfin qu’est-ce qu’il fout, nom de Diable ? 


Crowley sortit son portable de sa poche, chercha le numéro de Brown’s World of Carpets et appuya sur la touche appeler d’un doigt vengeur. Son agacement ne fit que croître tandis que ça sonnait obstinément occupé à l’autre bout du fil… Trop occupé, ne put s’empêcher de penser le démon. Il se miracula un verre de Talisker qu’il siphonna d’un trait avant de prendre le trousseau de clés et d’enfiler sa veste. Non pas que le recours à l’alcool donnait une quelconque forme de courage au démon (pas plus qu’il ne lui permettait d’avoir les idées claires), mais c’est une chose que les Humains faisaient quand ils étaient énervés et Crowley avait toujours trouvé ça cool. Or, quand il faisait quelque chose, il aimait le faire avec style !

Il s’élança ensuite avec fougue au beau milieu de Whickber Street et fonça droit sur le magasin de tapis du président de l’association de machin chouette. Plus de 6000 ans et deux Fins du Monde qu’il tournait autour de l’angelot, ce n’était pas maintenant qu’ils étaient plus ou moins officiellement en couple qu’il allait se le faire piquer par le voisin !   

 

Heureusement pour la porte d’entrée, elle était déverrouillée lorsque le Déchu la poussa. A l’intérieur de la boutique, pas l’ombre d’un client. Normal jusque-là, se disait Crowley. Le démon pouvait localiser Aziraphale à plusieurs systèmes solaires à la ronde… Pas la peine d’aller si loin ceci-dit, l’eau de Cologne d’Aziraphale trahissait sa présence dans l’arrière-boutique ! Avec l’autre


Crowley suivit son odeur, ainsi que celle d’earl grey et débarqua dans la petite pièce surchauffée telle une fleur ! Non. Tel un démon ! Non. Telle une Drama Queen ! Oui. 

Il posa une élégante, mais non moins revendicatrice main aux doigts manucurés et vernis sur le dossier du fauteuil dans lequel l’ange était installé et fixa Carpet-Man à travers ses lunettes de soleil : 


— Ça avance, ces décorations ?   


Aziraphale se retourna vivement : 


— Crowley ? Mais enfin qu’est-ce que tu fais là ? Et la librairie ? Il y a un problème ? 

— Mais oui, y a un problème, mon ange ! Tu devais revenir vite et au lieu de ça, j’ai dû gérer une petite grosse qui voulait que je lui vende un bouquin de cul ! 

— Et alors ? s’inquiéta l’ange, en reposant sa tasse.

— Et alors, elle m’a pris pour ton employé ! Non, pardon… Pour ton petit personnel ! 

— Je ne parlais pas de ça ! Tu lui as vendu un livre ? 

— Evidemment que non ! Je l’ai mise à la porte et je suis venu voir ce qui vous occupait tant que ça, vu que personne ne répond au téléphone ici… 

— Oh, j’ai résilié la ligne fixe ! Personne n’appelait de toute façon… Un macaron ? proposa bravement Mr Brown à un Crowley de plus en plus échevelé. 

— Tu sais où tu peux te les…

Stop ! Je t’ai déjà demandé de ne plus faire de suggestions de rangements aux gens, mon cher… le coupa Aziraphale, en lui faisant les gros yeux. 

— Comme tu veux, mon ange… Bon, on rentre ?

— Euh… Nous n’avions pas tout à fait fini… tenta Mr Brown.

— Les décos de Saint-Valentin ou l’assiette de macarons ? demanda le Déchu, avec véhémence.

— Les décorations, bien sûr ! La Saint-Valentin approche, ajouta le vendeur de tapis.

— Si vous le connaissiez, vous n’en feriez pas tout un drame… objecta le démon. 

Crowley

— On devrait laisser monsieur régir la paix de l’Empire Dumii (1) et rentrer à la maison, mon ange ! 

— Crowley… Si je ne te connaissais pas, je jurerais que tu es jaloux, mon cher…

Jaloux ? Pff, jaloux de quoi au juste ? En plus, ils sont ratés, ses macarons ! Je peux t’en faire des meilleurs ! 


Aziraphale se leva, un sourire d’excuse aux lèvres et s’adressa à son hôte, tout en posant une main ferme sur l’avant-bras du démon : 


— Si vous voulez bien nous excuser Mr Brown, mon compagnon et moi allons vous laisser, nous reparlerons des décorations une autre fois… Pourquoi pas autour d’un café chez Nina ? 

— Bah voila oui, un grand café dans un joli mug bleu ! ajouta ironiquement le démon.

Crowley


L’ange le poussa gentiment vers la sortie, en bredouillant encore quelques excuses au patron du magasin et ils se retrouvèrent rapidement dans la rue. Allez savoir si c’était l’air frais ou la présence (naturelle, rassurante, normale) d’Aziraphale à ses côtés, mais Crowley se ressaisit et se tourna brusquement vers lui : 


— Comment… Comment tu m’as appelé, à l’instant ?  

— Jaloux ! 

— Non, pas ça…

— Mon compagnon ?

Ngk… 

— J’espère que ce n’est pas à titre de colocataire que tu m’as fait une crise de jalousie pareille ! 

— Ce n’était pas…

— C’en était une, mon cher ! La jalousie est un péché ; un des Sept, je ne t’apprends rien. 

— Je n’ai jamais ressenti de jalousie comme ça avant… Tu crois que les Péchés Capitaux sont… Qu’ils sont exacerbés par… Par la vie de, euh… 

— Couple ? C’est une bonne question ma foi, je n’y avais jamais pensé sous cet angle… Je suppose que si c’est le cas… Nous le découvrirons… 



  1. Cette histoire se passe en ce moment, en 2024 ! 
  2. Référence au roman de Terry Pratchett, “Le Peuple du Tapis”






NDA : Le titre est un clin d'œil au roman “Raison et sentiments” de Jane Austen.



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