Les Ineffables Péchés Capitaux

Chapitre 5 : Des temps difficiles (Avarice)

1779 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/04/2024 15:59

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L’AVARICE


~ Des temps difficiles ~


Les temps étaient difficiles pour le Sergent Shadwell.


La vie d’un Inquisiteur Sergent n’avait rien d’une sinécure au XXIe siècle ! Le Malin régnait partout sur cette époque dégénérée… S’il y avait eu un jour des Anges pour guider l’Humanité, ils avaient pris leurs ailes à leur cou depuis longtemps, laissant leur impossible mission à la glorieuse Witchfinder Army ! Sauf que la chasse aux sorcières, dans une société qui portait aux nues toute forme de débauche, ça ne payait pas les factures, ou alors difficilement.  

En plus du loyer exorbitant de son appartement, pourtant minable de Londres, le Sergent devait faire face à une dépense imprévue ! Il avait recruté un jeune homme très prometteur, bien que pas très viril à son goût, du nom de Newton Pulsifer. Après l’Inquisiteur Lieutenant Table et l’Inquisiteur Lieutenant Chaise, Shadwell désespérait de grossir les rangs de ses troupes (fictives) avec du personnel en chair et en os et son imagination commençant à sérieusement décliner dès lors qu’il s’agissait de remplir les registres de l’Armée… Au fil des ans, il y avait bien eu quelques cossards et même un margoulin de Soho pour répondre à la petite annonce de l’Armée, mais tous s'étaient carapatés aussi vite que des pets de mouche sur une toile cirée au premier exorcisme ! Il fallait dire qu’entre la fiche de poste incohérente et la rétribution fugitive, la chasse aux sorcières demeurait le parent pauvre du service à la personne… Contre toute attente, le nouvel Inquisiteur Deuxième Classe Pulsifer, en plus d’exister, n’avait aucune prétention salariale ! Il se montrait, en outre, rigoureux et presque efficace dans la recherche de phénomènes sorciéreux. Armé de sa paire de ciseaux, il épluchait méticuleusement les montagnes de journaux empilés dans le sombre deux pièces de Shadwell. Tout ce qu'espérait l’Ecossais, c’était que cette nouvelle recrue inespérée ne soit pas encore un de ces sodomites qui envahissaient l’espace public… Sodomite ou pas, il allait falloir le payer et c’était là que les choses se gâtaient. 


Heureusement pour lui, les sponsors du Sergent Shadwell, au nombre de deux, étaient bien réels et toujours prompts à payer ! 


Il avait rencontré Monsieur Crowley au Best Café, à sa demande. Une demande saugrenue, comme toujours avec ce phénomène de foire, beaucoup trop grand et dégingandé, toujours dissimulé derrière des lunettes de soleil, même à l’intérieur ! Immuablement habillé en noir, hormis pour son mince foulard argenté, il portait des pantalons qui lui comprimaient bien trop le paquet pour être fertile et hétérosexuel ! Dans tous les cas, avec sa chevelure flamboyante, il ne faisait aucun doute qu’il n’avait point d’âme… Mr Cowley ressemblait étrangement à Mr Crowley père, rencontré dans les années 70, alors que Shadwell n’était encore que Caporal et qu’il avait failli être impliqué dans le cambriolage d’une église… Une lignée d’individus pas très recommandables de père en fils qui, Dieu merci, s'arrêterait assurément avec celui-ci ! Pas très recommandables, mais bons payeurs, ce qui, par des temps difficiles, suffisait à effacer une ardoise de péchés sans doute aussi longue que celle de Shadwell dans son pub préféré. 

Échoué sur sa chaise, le grand échalas tournait les pages d’un curieux journal (sûrement un de ces torchons du Diable de journal satirique) lorsque le Sergent l’avait rejoint pour collecter sa contribution annuelle de deux-cent-cinquantes £. A cette occasion, l’Ecossais s’était vu assigner une mission assez improbable, il devait surveiller un mioche prépubère dans un bled paumé de l’Oxfordshire… Acceptant sans broncher alors que son “employeur” s'éclipsait déjà en tortillant du cul, il ne faisait aucun doute que le Sergent n’y mettrait pas l’ombre d’un orteil maintenant qu’il avait de quoi payer ses frais courants ! Au Diable l’Oxfordshire ; un gamin de cet âge ne pouvait pas représenter une réelle menace, sauf peut-être pour les quelques pommes qu’il devait chiper dans les vergers voisins…    


Alors qu’il rentrait chez lui pour superviser le travail du jeune Pulsifer, le bon Sergent fut alpagué par sa voisine de palier et prostituée notoire, Madame Tracy, qui tenait le téléphone contre sa poitrine enjôleuse : 


Vade retro, gourgandine ! lui répondit Shadwell, comme il se devait.

— Un monsieur au bout du fil demande à vous parler, il a l’air très bien élevé ! Je vais aller nous acheter un beau petit morceau de foie pour dimanche… répondit sans s’offusquer sa voisine avec un petit sourire satisfait, en lui tendant le combiné. 

— Plutôt souper avec le Diable ! l’avait rabroué l’Ecossais, tout en salivant d’avance à l’idée du déjeuner promis.


Madame Tracy avait ensuite mentionné l’existence de quelques assiettes à lui restituer, mais le Sergent Shadwell était un homme investi d’une mission autrement plus importante pour qu’il se soucie de la montagne de vaisselle sale entassée dans son évier… C’était, tout au mieux, une mission digne d’un Inquisiteur Deuxième classe binoclard et toujours puceau. S’il n’avait jamais touché les mamelles d’une femme, il ne faisait aucun doute qu’il devait savoir manier une éponge et du liquide vaisselle premier prix, comme tout célibataire qui se respecte ! 


A l’autre bout du téléphone, ce fut son second sponsor qui l’interpella de sa voix de fausset qui avait le don d’exaspérer le chasseur de sorcières ! Empruntant le même ton que s’il s’était coincé une burne dans une porte, Qui-Vous-Savez, alias Monsieur Fell, le libraire maniéré de Soho, lui avait demandé s’il avait des hommes disponibles pour aller fureter du côté de l’Oxfordshire.

Intéressant comme les informations qu’il lui fournit ensuite correspondaient en tous points à celles délivrées un peu plus tôt par le grand rouquin à la coupe excentrique…  


“— Hop, hop, hop ! “ Avait conclu le libraire.


Tantouse sudiste ! Avait statué le Sergent Shadwell en raccrochant, il avait toujours pensé qu’il s’acoquinerait parfaitement avec ce Monsieur Crowley. Les deux n’avaient pourtant rien en commun ; l’un était un blondinet potelé habillé avec deux siècles de retard ; l’autre, un grand maigrichon gothique, fagoté comme un gigolo ! Le Yin et le Yang comme disent les Chintoks… Maintenant qu’il y pensait, il verrait tout à fait le libraire tirer l’autre par son foulard aux allures de laisse dans les rues de Soho, véritable cage aux folles de Londres… 


Toujours était-il que la tata de la librairie poussiéreuse allait payer les deux-cent-cinquantes £ de contribution annuelle lui aussi ! La somme partirait également dans les frais de fonctionnement de l’armée secrète et une partie (infime) serait reversée au nouvel Inquisiteur Deuxième Classe. Le jeune homme, issu d’un milieu humble, était habitué à être pauvre et d’après l’expérience du chasseur de sorcière aguerri, mieux valait qu’il ne prenne pas trop goût à l’argent ! 


Shadwell se félicitait d’avoir dupé Mr Fell quelques jours auparavant, en lui faisant croire (sous l’emprise d’une surconsommation de bière brune, pour sa défense) au décès prématuré de l’Inquisiteur Major Bouteille De Lait ! Le libraire, bien trop crédule pour son propre bien, avait envoyé un bouquet de fleurs à la “famille” avec une petite carte de condoléances à l’écriture élégante, ainsi que vingt £…  


La carte servait depuis de marque-page au registre de l’Armée ! 


Les vingts £ avaient été employés avec constance jusqu’au dernier pound au pub de la Mule Chargée, à la santé de feu Inquisiteur Major Bouteille De Lait, ainsi que des sorcières, des margotons et des pédérastes d’Angleterre…  


Quant au bouquet de fleurs, plutôt joli, composé de roses, de tulipes, de gerberas et de cymbidiums jaunes et oranges ; le Sergent avait failli les balancer dans la benne de l’immeuble, quand il eut une bien meilleure idée, une fois sobre. Il allait les offrir à la grande catin de Babylone ! Sa voisine de petite vertu avait toujours un mot gentil pour lui, même s’il la tenait au bout d’une fourche, ne pouvant vérifier le nombre de ses tétons. La Jézabel ne demandait pourtant qu’à lui montrer sa nichonaille, mais heureusement, Shadwell savait résister à la tentation de la chair ! Et puis de toute façon, il n’avait pas les moyens pour s’offrir ce genre de prestations… 

L’Ecossais ne possédait pas de vase, aussi avait-il mis le bouquet, non sans ironie, dans une bouteille de lait recyclée en attendant de l’offrir, à l’occasion de leur déjeuner dominical. La diablesse tentatrice l’avait bien mérité après tout ; en plus de lui apporter son thé parfaitement arrangé (avec neuf sucres et du lait concentré), elle lui préparait ses deux repas par jour, certes grâce aux gains de la prostitution et de la chasse aux fantômes, mais c’était toujours ça d’économisé pour le Sergent… Quand il s’agissait d’argent, l’on disait bien qu’il n’avait pas d’odeur, même si celui de Madame Tracy sentait fort le parfum et l’encens bon marché ! 


La Jézabel, avec ses vêtements chamarrés et son maquillage à la truelle, intimidait quelque peu le Sergent. Il la trouvait bigrement jolie, mais il se demandait si elle ne le serait pas encore plus au naturel. Avec un maquillage léger et un élégant pull en cachemire bleu, pour faire ressortir ses yeux de biche, elle ferait une épouse respectable, se disait-il lors de ses soirées d’insomnie, lorsqu’il réfléchissait à se retirer, quelque part loin de Londres. Sauf qu’un pull en cachemire, ça coûtait cher, et une épouse, encore plus ! 


Le Sergent allait devoir augmenter drastiquement le montant de ses contributions… 

 

  

 



 

 









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