There are stars at the bottom of the sea

Chapitre 10 : A la poursuite du bonheur

26274 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/08/2025 15:25


Dans le chapitre précédent. 


Alors qu’Aziraphale est enfin tiré d’affaire, Ed lui a raconté sa rencontre avec Crowley, dix-huit ans plus tôt, et lui a donné sa bénédiction tacite pour tenter sa chance avec celui qu’il considère comme son fils…  


Vendredi 10 Novembre 1719


Aziraphale allait beaucoup mieux. Il était encore fatigué, mais globalement, il sentait ses forces revenir de jour en jour. De même que son appétit ! Stede semblait vouloir le gaver et il n’avait pas le cœur de lui refuser quoi que ce soit tant le capitaine avait retrouvé son enthousiasme, qui semblait décupler, lui aussi, de jour en jour. Stede ne le laissait toutefois sortir de la cabine qu’à contrecœur, mais en ce début d’après-midi, Ed, qui s’impatientait de retrouver un peu d'intimité avec son amant, fut un allié précieux. Ils avaient mangé copieusement et Aziraphale rêvait de marcher un peu sur le pont pour aider sa digestion et, si possible, apercevoir quelques cheveux roux…  


— Il serait dangereux de t’exposer aux courants d’air ! tenta de le dissuader Stede, les sourcils froncés.

— Mon Capitaine, il n’y a aucun vent aujourd’hui et l’océan me manque… 

— Il n’est pas en sucre ! plaida Blackbeard. 

— C’est toi qui dis ça ? plaisanta Stede, avec des yeux ronds. 

— Aziraphale a besoin de prendre l’air, ajouta-t-il prestement, avant que Stede ait pu s’offusquer. Et puis… On pourrait en profiter pour, hum… Faire des trucs de, euh… De capitaines ! Tu sais, mon amour ? demanda-t-il, en posant une main sur le genou de Stede et en le pressant gentiment. 


Bonnet sembla soudain troublé et il bégaya, en posant sa main sur celle de Blackbeard : 


— Oui, les… Hum… En effet, il y a longtemps que nous ne… Que nous n’avons pas, hum… Fait de… De trucs de capitaines… 


Stede se tourna ensuite vers Aziraphale, qui observait leur petit manège avec un mélange d’amusement et d’embarras grandissant. 


— Va donc prendre l’air sur le pont, mon garçon ! Cela te fera le plus grand bien, mais évite les courants d’air et ne va pas dans la cale, il y a trop d’humidité ! Et reviens pour… Pour le thé ? demanda-t-il à Ed, en aparté. 

— Pour le dîner ! rétorqua vivement Ed. Roach lui fera son thé, c’est bon… Et d’ailleurs, tu lui diras de pas se pointer ici ! On veut pas être dérangés ! ajouta-t-il, menaçant, à l’adresse d’Aziraphale.   


L’Anglais, loin d’être inquiet, lui offrit un large sourire en se levant du canapé : 


— Bien sûr ! Pour vos… Vos occupations de capitaines… Je ferai passer le message, comptez sur moi ! répondit Aziraphale avec un petit clin d'œil vers Ed.

— Parfait ! Dégage maintenant… 

Ed ! le reprit Stede. A plus tard, Aziraphale, ajouta-t-il avec douceur, tandis que Blackbeard commençait à se déshabiller fiévreusement.  

— A plus tard, mon Capitaine ! répondit rapidement Aziraphale en s’inclinant, avant de s’éclipser, le feu aux joues, pendant que Ed, entièrement nu, se laissait tomber aux pieds de Stede en faisant remonter ses mains le long des cuisses de son amant. 


Aziraphale referma rapidement la porte de la coursive derrière lui, tandis que le soleil et les embruns l'accueillaient sur le pont principal. A la fois soulagé d’enfin pouvoir prendre l’air librement et de ne pas être témoin des ébats des deux capitaines, il se tourna lentement vers le pont en respirant profondément l’air iodé qui envahissait ses poumons. La mer était très calme et le Revenge semblait plongé dans une douce torpeur. Les voiles étaient toutes repliées devant l’absence de vent et le navire dérivait lentement, au gré du courant. Un rapide coup d'œil dans les hunes, désertes, lui apprit que Crowley, lui aussi, était absent. Peut-être était-il dans sa cabine, ou parti plonger… Déçu, il repéra tout de même Olu, Frenchie et Fang, qui s’étaient endormis sur leurs cannes à pêche, un peu plus loin, visiblement bercés par le doux roulis du navire. Le reste de l’équipage était retranché à l’intérieur du bateau. Des rires étouffés provenant de la cale lui firent penser qu’ils devaient se livrer à des jeux ou peut-être aux répétitions de leur prochaine pièce de théâtre. Il était plutôt content de ne pas être le centre de l’attention, contrairement aux derniers jours qu’il venait de vivre, et commença à marcher sans but précis sur le pont, reconnaissant d’être simplement en vie. Ses pieds nus sur le parquet chaud le connectaient au Revenge et à la vie qui était la sienne désormais. Il avait tant souhaité mourir par le passé pour échapper à son père et à sa tendance au péché, mais sa vie avait changé et il s’y était accroché bec et ongles ! Alors que ses pas le menèrent machinalement au sommet de la dunette pendant qu’il remerciait Dieu en manipulant le bracelet de Crowley à son poignet, il avisa le second, occupé comme souvent à sculpter un morceau de bois à la poupe du navire. Aziraphale s’approcha en souriant et vint s’accouder à ses côtés. Il ferma les yeux et laissa les rayons du soleil chauffer agréablement son visage. Ses cheveux rendus presque blancs par le soleil avaient bien poussé et étaient soigneusement attachés en catogan grâce à un ruban de soie offert par Stede. Le soleil était chaud, mais pas brûlant. A l’instar de sa température corporelle, tout semblait revenir à l’équilibre dans sa vie. Chaque élément du puzzle chaotique de son existence paraissait s’assembler peu à peu et pour la première fois, l’ébauche d’un avenir plus clément flottait timidement sur l’horizon azuré qui l’entourait. 


— Bonnet t’a laissé sortir ou tu t’es enfuis ? plaisanta le second de sa voix rauque, en soufflant sur les copeaux.  

— Figurez-vous qu’il m’a laissé sortir ! répondit Aziraphale avec malice en rouvrant les yeux. J’ai été un peu aidé par Ed, je l’admets… avoua-t-il ensuite. Il semblait… Pressé… Que je puisse retrouver l’air libre…

— Tu m’étonnes, rit soudainement Izzy. Depuis le temps qu’il dort sur la béquille… Je suis même étonné qu’il t’ait pas jeté par une fenêtre plus tôt ! Mais bon… Il t’aime bien maintenant, non ? 


Aziraphale haussa les épaules d’un air un peu absent.


— Disons plutôt qu’il me tolère… Pour le moment. Néanmoins, il m’a dit qu’il me tuerait si je devais faire du mal à Crowley… ajouta-t-il avec une grimace, en grattant le bois de la rambarde du bout de l’ongle. 

— Normal… répondit évasivement Izzy, avant de se tourner vers lui. Moi aussi, ajouta-t-il. Mais y a aucune chance que tu lui fasses du mal, je me trompe ? 

— Non ! Non… En tout cas, pas volontairement… répondit Aziraphale, en soupirant. 


Il détourna les yeux de l’océan et reporta son attention sur le morceau de bois dans les mains du second : 


— Il… Ed m’a expliqué que c’est vous qui aviez sculpté sa pipe en écume de mer… poursuivit-il timidement, essayant d’amener la conversation sur sa discussion avec Ed le plus naturellement possible. 

— C’est Crowley qui m’avait demandé, répondit Izzy avec un sourire nostalgique. Je continue d’en sculpter quand il me ramène de l’écume de mer ! On les vend quand les temps sont durs… 

— Vous, hum… Vous formez une bien jolie famille ! Ed m’a expliqué comment… Comment vous aviez rencontré Crowley… hésita Aziraphale. 


Le second eut un nouveau sourire en coin en hochant lentement sa tête d’un air entendu. Il ne semblait pas surpris de la confession de Blackbeard, ni du besoin apparent d’Aziraphale de lui en parler. 


— Les plus belles graines poussent parfois dans le fumier ! C’est terrible, la façon dont Crowley a été traité, mais… Au final ça s’est transformé en quelque chose de beau toute cette merde ! rétorqua Izzy, avec conviction. 


Un de ses copeaux de bois fut violemment expulsé vers l’océan par la lame de son couteau, comme si sa sculpture avait voulu appuyer ses dires.


— Ed est devenu son père, poursuivit solennellement Aziraphale.

— Ouais… répondit pensivement le second. C’était comme si… Comme si tout ça avait été orchestré depuis la nuit des temps. Si tu me parles de ton Dieu, je te passe par-dessus bord ! le prévint Izzy, en pointant son couteau dans sa direction. 

— Je n’en avais pas l’intention ! le rassura Aziraphale, avec un sourire. Et vous… Vous, vous êtes devenu quoi au juste ? 


Il lui donna un léger coup d’épaule.


— Sa mère ? gloussa-t-il, avec un sourire malicieux.

— Espèce de petit con, va ! répondit Izzy, en lui rendant son coup d’épaule avec une force mesurée. C’est bien que t’aies survécu…ajouta-t-il, complice, en le regardant droit dans les yeux.  


Aziraphale resta un moment silencieux, un petit sourire aux lèvres, ému. Il observa un moment Izzy qui avait reprit sa sculpture.

 

— Qu’est-ce que, euh… Qu’est-ce que vous fabriquez cette fois ? demanda Aziraphale avec curiosité.  

— C’est un socle pour mettre une boule de cristal ! répondit le second, en manipulant la pièce de bois, encore informe, entre ses doigts. Je voudrais faire un truc joli pour… Pour offrir à Tracy, la prochaine fois qu’on s’arrêtera à La Havane. 

Oh ! Elle en sera ravie, je n’en doute pas ! Vous allez le peindre ?

— Le peindre ? répéta le second avec un air ahuri. Avec quoi ? Et puis, je sais pas faire ça moi… finit-il par avouer, en considérant cette éventualité avec intérêt, à en croire son froncement de sourcils intrigué. 

— Je peux… Je peux vous dessiner un motif si vous le souhaitez, proposa Aziraphale.  

— Des têtes de mort ? demanda Izzy, avec enthousiasme. 


Aziraphale eut un petit rire, se surprenant à être de plus en plus à l’aise en compagnie du second. Jamais il n’aurait osé se moquer gentiment de lui de la sorte quelques semaines plus tôt.


— Hum… Je pensais plutôt à des motifs plus, euh… Féminins… J’ai remarqué que Madame Tracy semblait aimer les plumes colorées, proposa-t-il. 

— Elle aime les bites aussi ! rétorqua le second avec un grand sourire, lui faisant un petit clin d'œil entendu.

— Oui, hum… Les plumes, c’est bien ! Mieux vaut rester… Classique… 


Izzy sembla réfléchir un moment, prenant visiblement la proposition très au sérieux.


— Ouais, t’as sûrement raison… Je te dirai quand j’aurai fini ! 

— A votre service ! 


Il s’interrompit un moment, puis ajouta :


— Vous… Vous l’aimez bien, n’est-ce pas ? tenta-t-il timidement.

— Comment ne pas l’aimer ? C’est un sacré bout de bonne femme, la Jézabel ! répondit vivement Izzy. Avec un caractère de feu…

— Oui, c’est… Cela semble être un trait commun à vous tous… Mais… N’a-t-elle jamais… Songé à… A quitter son établissement ? Je veux dire… Je ne sais pas… Peut-on vraiment être satisfait de ce genre de… De travail ?


Izzy suspendit ses gestes pour regarder l’horizon.


— C’est une femme indépendante ! Et puis… Elle s’est taillée une réputation sur Cuba ! Elle aime les queues autant qu’elle en a coupé ! rigola-t-il. Et puis tu sais, toutes les filles, et même les garçons, qui travaillent chez elle, y en a aucun qui est forcé. Ils sont tous là bas de leur plein gré, fuyant parfois une vie bien plus misérable, mais libres de repartir quand ils veulent. Ils ne lui doivent rien, à part le respect. Et s’ils ou elles ne veulent pas coucher, mais cherchent quand même un endroit pour reprendre leur vie en main, elle a toujours des petits travaux à leur proposer. Comme Maggie et Nina, tiens ! Qui ne s’occupent que du bar ! Les gens savent à La Havane que chez Tracy, si tu traites mal les filles, comme les garçons, si tu leur manques de respect, tu risques fort de repartir sans tes couilles !


Il eut un petit rire rêveur, avant de faire une courte pause.


— Elle… Elle dit qu’elle ne saurait pas vivre ailleurs que dans son bordel… Que c’est pas… Qu’elle est pas faite pour une vie rangée d’épouse au foyer, expliqua le second pensivement, en se remettant à tailler rageusement son morceau de bois. 

— En effet, elle n’en a pas l’étoffe, sourit Aziraphale. Mais que dirait-elle de devenir pirate


Ce n’était pas réellement une question, aussi l’Anglais n’attendit aucune réponse et s’éloigna sous le regard interdit du second, qui l’observa descendre les escaliers pour regagner le pont principal en frottant ses mains sur ses culottes. 


Aziraphale voulait profiter du calme régnant sur le Revenge pour trouver Crowley et lui parler. Mais il ne souhaitait pas trop aller toquer à la porte de sa cabine et croiser d’autres membres d’équipage, qui s’empresseraient alors de relancer certains paris, dont l’Anglais avait appris l’existence en surprenant quelques bribes de conversation dans ses brefs moments de semi-conscience, lors de sa convalescence. Il espérait de tout son être que le pirate soit quelque part dans les hunes ou sur le pont, où il pourrait discuter avec lui à l’abri des regards. 

Il traversa le pont principal et s’arrêta un instant devant une tache d’encre oubliée sur le parquet. Il la frotta doucement du bout de son orteil, repensant avec un sourire attendri à l’épisode de la dissection des seiches, puis s’écarta pour se diriger vers le gaillard d’avant, tout en levant les yeux dans les cordages, désespérément déserts. Alors qu’il se résignait à devoir entrer dans les entrailles du navire pour débusquer le pirate dans sa cabine, il prit le temps d’observer l’horizon et de se repaître du bruit des vagues heurtant la coque avec un régularité rassurante et apaisante. Il allait s’accouder au bastingage le temps de réciter une prière lorsqu’il ressentit une douleur piquante au niveau du gros orteil de son pied gauche.


— Aïe ! 


Il s’arrêta, levant le pied pour observer son orteil.


— Qu’est-ce que t’as fait encore ? entendit-il Crowley demander d’une voix forte et un brin exaspérée. 


Sursautant, Aziraphale chercha partout autour de lui, mais n’aperçut personne.  


— Crowley ? Mais… Où es-tu ? demanda l’Anglais, en grattant son orteil.  


Comprenant soudain, il s’approcha du parapet et se pencha pour découvrir le pirate, à cheval sur le beaupré du Revenge. Crowley se tourna dans l’autre sens pour lui faire face et lui offrir un sourire moqueur, avant de se laisser glisser sur la poulaine. Stupéfait, Aziraphale l’observa grimper lestement sur le gaillard d’avant pour le rejoindre et remarqua, avec soulagement, que ses chevilles ne le ralentissaient plus. 


— Tu… Tu ne boîtes plus ? C’est une bonne chose…

— Toi, en revanche…

Oh, ce n’est rien ! Une simple écharde ! Mais elle est coriace, je n’arrive pas à l’enlever…


Crowley haussa les épaules et lui designa un tas de cordages.


— Assieds-toi, je vais jeter un œil ! 

— Ce… Ce n’est pas nécessaire… bredouilla Aziraphale, qui pensait pourtant tout le contraire. 

— Tu préfères peut-être que ça s’infecte ? lui demanda le pirate non sans ironie, en croisant les bras, la tête penchée sur le côté. 

— Hum, bon… D’accord… acquiesça l’Anglais, l’air coupable, en s’asseyant. 


Crowley prit place juste en face de lui et s’assit en tailleur, en repoussant ses cheveux de son visage pour les placer sur le côté. 


— Je peux ? demanda-t-il en stoppant ses gestes, alors qu’il s’apprêtait à saisir le pied d’Aziraphale. 


Celui-ci opina du chef et le pirate souleva délicatement son pied pour repérer l’écharde. 


— Ouais, je la vois ! 

— Mes ongles sont trop courts pour… Aaaaaaah… s’interrompit Aziraphale, le souffle court. 


Crowley s’était penché sur son pied et s’appliquait maintenant à retirer l’écharde avec sa bouche. L’Anglais plaqua brusquement ses mains sur les cordages, de part et d’autres de son postérieur et se crispa, les yeux écarquillés. Le pirate ne cessait de retirer l'extrémité de son orteil de sa bouche brûlante et, constatant que l’écharde était toujours présente, fronçait les sourcils et reprenait sa succion avec ardeur. Aziraphale commençait à transpirer à grosses gouttes, sentant ses joues s’empourprer, mais ça n’avait rien à voir avec la température extérieure, ni avec une quelconque résurgence de fièvre… Si Stede craignait qu’il n'attrape un courant d’air, l’Anglais, lui, redoutait d'être victime d’une combustion spontanée dans les prochaines secondes si le pirate continuait d’engouffrer son orteil dans sa bouche avec autant d’énergie. Il tenta de réciter le Notre Père sans succès, alors qu’il sentait la courbe chaude et humide de la langue de la sirène épouser parfaitement le dessous son orteil. Et alors qu’il ressentait une tension grandissante dans ses culottes, Crowley relâcha enfin son orteil pour cracher l’écharde sur le pont.  


Pouah… Elle était profondément enfoncée, l’angelot ! 

— Si… Si tu le dis… haleta Aziraphale. 

— Ça va ? T’es tout rouge ! Tu refais pas de la fièvre au moins ? s’inquiéta le pirate en relâchant son pied, qu’Aziraphale s’empressa de ramener vers lui. 

— N… Non, non ! C’est… Cette horrible écharde qui me faisait mal, c’est tout…


Il sourit timidement.


— Heureusement pour moi, mon docteur est toujours là pour me tirer d'affaire ! Enfin… Le Docteur… se corrigea Aziraphale, le feu aux joues. 

— Ouais… Justement… commença Crowley, en détournant son visage soucieux. 

— Justement quoi ? demanda l’Anglais avec une pointe d’angoisse, en se redressant pour se mettre en tailleur. 

— Je pense… Je… Ngk… bredouilla Crowley, en se tortillant sur ses fesses.

— Crowley ? Qu’y a-t-il ? 


Crowley commença à tracer des dessins imaginaires sur le pont du bateau du bout de son ongle noir.


— Je devrais rester loin de toi, l’angelot… Pour ton bien, crois-moi ! lâcha le pirate, en se réfugiant derrière son rideau de cheveux. 


Aziraphale eut l’impression d'être à nouveau jeté dans l’étang glacial du manoir Fell. Le souffle coupé, il parvint, au prix d’un effort considérable, à rassembler ses pensées.


Crowley, je… Est-ce… Est-ce que c’est… Ce… Ce que tu souhaites ? bégaya-t-il, d’une voix faible. 


Le pirate ne devait pas s’attendre à cette question, car il tourna son visage vers lui en fronçant les sourcils. Il sembla réfléchir quelques instants, avant de baisser la tête en soupirant. 


— C’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que ça valait mieux ! Pour toi…


Aziraphale commença machinalement à jouer avec sa chevalière, les doigts tremblants. Il avait envie de pleurer et il dut se racler la gorge plusieurs fois avant qu’un son ne réussisse à sortir enfin d’entre ses lèvres. 


— Crowley, si tu… Ahem, si tu veux que… Que je reste à distance de toi, je le ferai naturellement, je ne t’imposerais jamais quoi que ce soit et surtout pas ma présence, mais si… Uniquement si c’est ce que tu souhaites vraiment parce que moi… Je n’ai aucune envie de rester loin de toi ! Voilà, je… Je l’ai dit… avoua Aziraphale, dans un souffle. 


Ses lèvres tremblaient et il sentait les larmes lui piquer les yeux, menaçant de déborder à tout instant. Et pourtant, il sentit un soulagement inédit et immédiat. Ca n’avait pas été si compliqué en fin de compte, il aurait dû le faire il y a bien longtemps se dit-il, en se maudissant. Crowley, lui, redressa lentement la tête pour le dévisager. Aziraphale pouvait lire le doute sur son visage. 


— Tu veux rester près de moi parce que je suis une sirène ? Pour m’étudier, c’est ça ?    


Sa bouche s’était tordue en un rictus méprisant, alors qu’il dévisageait l’homme assis devant lui. Mais cette fois-ci, ce fut l’Anglais qui ne s’attendait pas à cette question. Éberlué, il fronça à son tour ses sourcils.


T’é… T’étudier ? Grand Dieu non ! Tu n'es pas un animal ! Si je veux rester près de toi, sache que ça n’a rien à voir avec le fait que tu sois une sirène, je te trouvais déjà fascinant avant… Et puis, tu es mon ami, non ?


Les joues de Crowley rosirent légèrement, mais il n’était plus temps de reculer maintenant. Aziraphale tendit une main timide vers celle du pirate, posée sur son genou : 


— Puis-je ? demanda-t-il d’une voix douce, mais déterminée. 


Le pirate parut encore plus surpris, mais acquiesça silencieusement, les sourcils toujours froncés. Aziraphale glissa ses doigts sous la main de Crowley et en caressa doucement le dessus avec son pouce. 


— Ces mains sont miraculeuses, Crowley, et pas seulement parce qu’elles sont différentes des miennes, mais surtout parce que tu t’en sers pour faire le bien, pour aider et soigner ton prochain.


Un petit sourire se mit à flotter sur ses lèvres.


— Merci de m’avoir sauvé, mon cher, lui dit-il, sans quitter leurs mains des yeux.  


La main de Crowley tremblait légèrement, mais il ne la retira pas.


— Je pourrais t’en dire autant, l’angelot ! Et puis tu m’as déjà remercié, serais-tu sénile ? plaisanta le pirate, de sa voix traînante. 


Surtout, ne pas montrer ces petits papillons qui semblaient s’ébattre dans le creux de son ventre. Imperceptiblement, il resserra l'extrémité de ses doigts sur ceux de l’Anglais, qui émit un petit rire.  


— Je ne parlais pas de ça, confia Aziraphale Je ne faisais que survivre avant d’arriver sur le Revenge. Depuis que j’ai fait ta connaissance, j’ai envie de vivre, Crowley ! Pour la première fois de ma vie… Vivre pour t’entendre te laisser tomber sur le pont, juste devant moi. Vivre pour t’écouter m’expliquer toutes ces choses et me regarder les dessiner. Vivre pour voir le soleil se refléter dans tes bijoux de cheveux. Vivre pour sentir ton odeur. Vivre pour t’entendre chanter… 


Il sentit Crowley se crisper soudainement, mais il serra doucement sa main et poursuivit : 


— Tu ne me fais pas peur, mon cher, très cher pirate-sirène ! J’aimerais en savoir plus sur toi, si un jour tu as envie de partager ton histoire et celle de ton peuple avec moi, mais si tu n’en as pas envie, ce n’est pas grave ! C’est toi qui m’intéresse, Crowley ! Le toi d’ici et maintenant. 

— Et ton Dieu ? demanda précipitamment le pirate, comme si cette question lui brûlait trop les lèvres pour qu’il puisse la retenir plus longtemps. 


Aziraphale haussa un sourcil et releva enfin ses yeux clairs sur ceux, tourmentés, de Crowley. Un océan calme face à un brasier ardent. 


— Ce n'est pas la première fois que je Lui désobéis… Et dans Sa grande miséricorde, j’espère qu’Il me pardonnera…

— Je ne veux pas que tu te sentes coupable à cause de moi !  


Aziraphale soupira.


— Je ne sais… Je ne sais pas si j’arriverai à être en paix avec Lui un jour, mais pour le moment je suis en paix avec moi-même et crois-moi, ce n’est jamais arrivé auparavant… 

— Ça doit être bien… lâcha Crowley, pensivement.  

— Ca l’est ! Et si j’y suis parvenu, tu y arriveras aussi ! Je pourrais… Je pourrais peut-être t’aider… ajouta Aziraphale, d’une voix à peine audible, en portant la main de Crowley à sa bouche, d’une main tremblante. 

— Ed ! Il nous regarde… chuchota Crowley, en jetant des coups d'œil furtifs derrière Aziraphale. Il est avec Izzy, à l’autre bout du pont, le prévint-il. 

— Ah oui ? Alors faisons en sorte que ça en vaille la peine ! 


Aziraphale posa ses lèvres sur le dessus de la main du pirate sans le quitter des yeux. Il effleura longuement sa peau douce avant d’y déposer un délicat baiser, en prenant tout son temps. Crowley l’observa d’un air impressionné, alors qu’une légère chair de poule hérissait sa peau, puis les traits de son visage s’adoucirent et ses lèvres s’étirèrent en un rictus moqueur :  


— Tu as juste assez de malice en toi pour que j’ai envie de te connaître davantage, l’angelot… 


                                                              * * * 


Les jours suivants, Aziraphale fut autorisé à quitter la cabine des capitaines pour rejoindre la sienne et bien qu’il en fût soulagé au départ, elle se révéla bien triste et beaucoup trop calme et sombre à son goût… Il se surprit même à se demander si on aurait pû percer une lucarne pour y apporter un peu de lumière…


Les capitaines avaient prévu une escale sur Hispaniola pour écouler la marchandise pillée sur les deux derniers navires abordés, le Saint James et le Petronius, dont les cales s’étaient avérées remplies d’étoffes, d’épices et de vin. Leurs réserves d’eau douce, en revanche, étaient quasiment vides, aussi Stede décida une nouvelle halte sur une petite île déserte des Bahamas. Comme la première fois, Aziraphale et Crowley firent partie de l’expédition, cette fois-ci aux côtés d’Izzy, Lucius, Wee John et Frenchie. 


Aziraphale et Crowley aidèrent à récolter les deux chargements de barils d’eau douce qu’ils firent le premier jour, sous une chaleur écrasante, mais ils choisirent de rester sur la plage tandis que la barque s’éloignait, en fin d’après-midi.


— Vous êtes sûrs de vouloir rester ? leur demanda Izzy, alors que Lucius et Frenchie finissaient d’arrimer les barils au canot et que Wee John attrapait les armes. Je crois que les autres ont prévu une petite fête ce soir histoire de vider les réserves de vin, plutôt que de les vendre… 

— Sûrs ! J’ai des choses à montrer à l’angelot pour son livre et il tient pas l’alcool de toute façon ! plaisanta Crowley, les deux pieds plantés dans le sable chaud de la plage.  


Izzy ricanna un moment.


— Des choses, ouais… On se voit demain alors ! Ne travaillez pas trop dur… insista le second, avant d’être trop éloigné pour se faire entendre. 


Aziraphale crut entendre Lucius se plaindre en parlant d’un pari, mais il n’eut pas le temps d’en entendre davantage. Ils regardèrent silencieusement la barque regagner le Revenge, puis Aziraphale s’assit dans le sable en lâchant un soupir, fourbu. 


— Tu ne veux pas te reposer cinq minutes avant de retourner dans la forêt ? demanda-t-il d’une voix plaintive, en ôtant ses bottes. 


Le pirate l’ignora et mit ses mains en porte-voix de part et d’autre de sa bouche pour émettre un son étrange, à cheval entre un sifflement et un caquètement. 


— Que… Que fais-tu ? interrogea l’Anglais, en redressant son torse et en fronçant les sourcils. 

— Un test ! répondit Crowley en se retournant, un sourire carnassier aux lèvres. 


Quelques instants plus tard, Aziraphale repéra un oiseau au plumage clair se diriger vers eux à tire d’ailes.


— Serait-ce… 

— Bentley, oui ! J’ai laissé le sabord de ma cabine ouvert pour qu’elle puisse sortir, répondit Crowley, avant d’appeler la mouette à nouveau. 


L’oiseau vint se poser impeccablement sur son épaule, et Crowley caressa délicatement son plumage.


— C’est bien, mon amie ! Très bien ! Je t’avais promis que tu volerais à nouveau…  


Satisfait, Crowley s’approcha d’Aziraphale pour se laisser tomber en tailleur à côté de lui, tandis que Bentley quittait son épaule pour fouiller le sable. 


— C’est merveilleux ! Bentley est très intelligente… 

— Je pourrais bientôt l’offrir à Buttons ! Je voulais travailler le rappel avant… Izzy lui a appris à voler des objets de valeur quand il s’occupait de lui, ricanna Crowley. 

— Pourquoi… Pourquoi l’offrir à Buttons ? Si je peux me permettre… demanda Aziraphale, curieux. 


Crowley soupira et ramena ses jambes contre lui, les encerclant de ses bras.


— Buttons… Buttons avait une mouette… Avant. Elle était, tout comme Bentley, très intelligente. C’était sa meilleure amie…  


Aziraphale se rapprocha doucement de Crowley en glissant silencieusement sur le sable. Il se pencha pour observer son compagnon.


— Et… Que lui est-il arrivé ? 

— Un ami… Un ancien amant d’Ed nommé Calico Jack l’a tuée d’un coup de fouet, répondit Crowley avec une grimace de colère.


Il commença à faire couler du sable entre ses doigts, les yeux perdus sur l’horizon. Une légère brise faisait danser ses cheveux flamboyants. Aziraphale brûlait d’envie d’y glisser ses doigts. ll les crispa sur ses genoux pour les retenir.


— Mais… Mais enfin pourquoi ? s’indigna Aziraphale. 

— Parce que certains hommes font du mal uniquement parce qu’ils peuvent se le permettre… En toute impunité ! Mais ça, tu le sais déjà, n’est-ce pas ? 


Ce n’était pas une question. Crowley se tourna vers lui et lui adressa un sourire compatissant. Aziraphale baissa les yeux.


— Qu’a fait Ed ? finit-il par demander, en reportant son attention sur Bentley, qui déterrait un petit crabe pour le manger. 


Crowley haussa les épaules.

 

— Rien. Il n’en a pas eu le temps ! Stede a banni Calico Jack du Revenge et il a interdit les fouets à bord, ajouta-t-il, avec admiration. 

Oh… 

— T’as faim, l’angelot ? demanda soudain le pirate d’une voix joyeuse, visiblement décidé à changer de sujet.

— Quelle question ! Cela fait au moins deux heures que mon ventre gargouille, rigola Aziraphale, en le regardant. 


Crowley éclata de rire. Dieu qu’Aziraphale aimait ce son… 


— Je sais ! On entendait que ça ! Je vais aller pêcher !

Oh, je… Je vais m’occuper du feu dans ce cas ! répondit Aziraphale, en frottant ses mains sur ses culottes. 

— En fait, je me disais… commença le pirate en se levant, passant une main dans ses cheveux. 

— Oui ? l’encouragea Aziraphale.  

— Je me disais que t’aurais pu venir avec moi ! Si… Si tu veux… On n’ira pas loin, y a plein de poissons par ici ! ajouta le pirate avec confiance, en agitant un bras vers la mer.  


Estomaqué, Aziraphale repensa furtivement à son père, mais le chassa vite de son esprit, remplaçant ses traits inflexibles par ceux du pirate, qui lui souriait d’un sourire encourageant en attendant sa réponse. Il était si beau dans cette lumière de fin d’après-midi. Aziraphale brûlait d’envie de se lever et de l’embrasser. Il se contenta de baisser la tête, jouant avec le sable du bout de ses orteils.


— Je… Je ne nage pas très bien… bredouilla-t-il, embarrassé.

— Je sais ! Mais on peut rester où tu as pieds si tu veux, les poissons sont partout…  

— Eh bien…

— Je resterai près de toi, l’angelot ! assura Crowley, en lui tendant la main. 


Cet argument ayant eu raison de ses doutes, Aziraphale eut un franc sourire et attrapa la main tendue, se levant à son tour : 


— Alors c’est d’accord ! 


Il posa sa besace et ôta sa chemise et ses culottes, ne gardant que ses sous-vêtements, puis observa Bentley.


— Va-t-elle rester ici ? s’inquiéta-t-il.

— Normalement oui ! 


Aziraphale se tourna vers Crowley et l’observa retirer à son tour son sac et sa chemise, qu’il jeta nonchalamment sur ses propres vêtements. Un éclair traversa ensuite son regard, alors qu’il portait ses mains à son pantalon : 


— Tu m’excuseras, l’angelot, mais je ne peux pas garder le bas, moi… 

Oh… Oui, bien sûr, je… bredouilla l’Anglais, en détournant le visage. 


Il entendit le vêtement du pirate s’écraser sur la pile de vêtements, mais n’attendit pas d’entendre Crowley gagner l’eau pour tourner imperceptiblement son visage et l’observer s’éloigner, nu, vers l’océan. Il n’eut toutefois pas le temps de s’attarder sur les pensées impures qui se dessinaient dans son esprit à la vue des fesses bronzées et bien dessinées du pirate, qui ondulaient gracieusement au gré de son pas chaloupé, car bientôt, Crowley fut entièrement immergé. 

Aziraphale fit machinalement quelques pas vers la berge, tandis que la sirène plongeait pour disparaître sous la surface. Inquiet malgré toute logique, il avait déjà les pieds dans l’eau lorsqu’une chevelure auburn jaillit des vagues à quelques mêtres de lui, révélant un visage parsemé d’écailles aux yeux entièrement jaunes, qui se mirent à le fixer : 


— Tu peux t’approcher, l’angelot, tu as pieds ici ! lui cria-t-il joyeusement. 


Incertain, l’Anglais prit une grande inspiration, repoussa son appréhension au fin fond de sa cervelle et s’avança précautionneusement jusqu’à la taille dans l’eau, tiédie par le soleil. Il pouvait déjà voir de nombreux poissons évoluer dans l’eau limpide autour de lui, frôlant ses jambes.

Crowley nagea jusqu’à lui, mais ne put se redresser dans les eaux peu profondes.  

Ses longs cheveux ondulant paresseusement autour de lui, il tendit une main en direction d’Aziraphale : 


— Allez viens ! Tu ne risques rien ici ! 


L’Anglais saisit la main tendue, les doigts tremblants, et s’y agrippa, tandis qu’il s’avançait davantage, ses pieds s’enfonçant dans le sable. Une fois que l’eau lui arriva au-dessus de la poitrine, il s’arrêta pour tremper ses cheveux, sans lâcher Crowley, qui l'observait en silence, et qui finit par lui demander : 


— Alors ?     

— Alors… Je dois admettre que ça fait du bien de se rafraîchir un peu après tous ces efforts ! avoua Aziraphale.

— Tes cheveux ont beaucoup poussé, l’angelot, constata Crowley après un silence, en observant les longues mèches blondes, momentanément lissées par l’eau. 

— Oui ! Roach a proposé de me les couper un peu, je crois que je vais accepter, je ne sais pas comment tu fais avec ce vent et cette chaleur, gloussa l’Anglais. 

— L’habitude… Tu préfèrerais que je les coupe ? demanda soudain le pirate, visiblement soucieux.  

— Surtout pas ! répondit précipitamment Aziraphale. Enfin je veux dire… Tu portes mieux les cheveux longs que moi, de toute évidence… 

— Arrête de dire des bêtises… Tu veux nager un peu ? proposa Crowley.


Aziraphale sursauta soudainement et observa la mer qui s’étalait tout autour de lui. Il déglutit péniblement.


— Nager ? Non merci, je n’y tiens pas… Je vais… Je vais t’attendre ici ! 

— Tu pourrais venir sur moi ! suggéra Crowley, avec un sourire malicieux.  


Aziraphale fixa Crowley un moment, le cerveau complètement vide.


— P… Pardon ?  

— Tu peux me grimper dessus ! précisa le pirate.

— Te grimper ? Mais… Mais enfin, je suis…Je suis un gentleman, je… bafouilla l’Anglais.


Crowley leva les yeux au ciel.


— Pour nager


Aziraphale cessa ses bredouillements inintelligibles pour le regarder avec des yeux ronds.


— Ah… Ah oui, bien sûr ! Pour… Pour nager, forcément, oui… Ahem… Pourquoi… Pourquoi pas ? 

— Mhm…


La sirène lui tourna le dos : 


— Passe tes bras autour de mon cou, mais ne m’étrangle pas, s’il te plait ! Et fais gaffe à ma nageoire dorsale.

— Ta quoi ? s’étonna Aziraphale. 

Ngk… 


Crowley s’écarta légèrement pour faire le dos rond hors de l’eau et c’est alors qu’Aziraphale remarqua pour la première fois la présence d’une fine nageoire dorsale noire et brillante, semblable à une crête souple et dentelée, qui recouvrait sa colonne vertébrale. 


— C’est… C’est prodigieux ! souffla-t-il, émerveillé.


Il tendit la main pour la toucher, mais se retint au dernier moment.


— C’est surtout fragile ! Et ne touche pas à mes…

— A tes ailes ! l’interrompit Aziraphale. 

— Ouais… Appelle ça comme tu veux, maugréa Crowley… Allez, grimpe ! 


La sirène déploya gracieusement ses ailes et Aziraphale s’installa derrière lui, passant ses bras, lâches, autour de son cou, de sorte à ne pas appuyer son poids contre ses ailes. Puis Crowley plaqua sa nageoire dorsale pour lui permettre de s’allonger sur son dos avec précaution. 


— Ta nageoire… Elle ne va pas te manquer pour nager ? s’inquiéta l’Anglais. 

— Nah ! Elle me sert pour la vitesse, j’en aurai pas besoin pour barboter avec toi ! Accroche toi, l’angelot ! 

— Tip-top ! s’exclama Aziraphale, à moitié rassuré.


Mais Crowley, après une légère impulsion de sa queue, nageait déjà. Aziraphale, mortifié, laissa échapper un petit cri et serra, par réflexe, ses jambes autour de la queue de la sirène. Crowley, laissant échapper un petit rire, ne broncha pas, nageant d’abord doucement, puis de plus en plus vite, ne se servant toutefois que de sa queue pour nager. Ses ailes, largement écartées autour d’eux, ne semblaient lui servir qu’à se stabiliser au niveau de la surface. Une fois la panique dissipée, Aziraphale réussit enfin à ouvrir les yeux pour apprécier le spectacle de l’océan, qui s’étalait à perte de vue devant eux. Il se laissa, contre toute attente, griser par la vitesse et l’eau qui éclaboussait son visage, tandis que les reflets irisés des écailles et des ailes de Crowley se reflétaient à la surface de la mer en une mosaïque rouge-orangé, attirant les rayons du soleil couchant.    


— Ça va, l’angelot ? demanda la sirène, en tournant légèrement son visage vers l’homme assis sur son dos.

— Oui ! Je ne pensais jamais pouvoir prendre du plaisir dans l’eau, cria Aziraphale, euphorique.


La sirène émit un petit rire moqueur, avant de ramener Aziraphale là où il avait pied. Il ralentit sa nage et se stabilisa pour permettre à Aziraphale de se laisser maladroitement glisser de son dos pour se tenir sur la pointe de ses pieds. Ce n’est que lorsque Crowley se contorsionna pour se retourner qu’il se rendit compte que ses bras étaient toujours accrochés à son cou. Soudain face à face, le pirate détourna ses yeux : 


— La prochaine fois… murmura t-il. La prochaine fois, tu pourrais essayer de nager plus profond, l’angelot ! Tout seul… Je resterai près de toi, c’est promis ! 

— Pourquoi pas ? répondit Aziraphale, en admirant la douceur de ses traits.  


Il ne l’avait toujours pas laché et il sentait la peau chaude de la poitrine de Crowley se frotter contre la sienne à chacune de ses respirations. Ses cheveux chatouillaient ses doigts. Crowley avait baissé les bras, posant délicatement ses mains sur les hanches charnues d’Aziraphale. Il soupira d’aise, puis marmonna :


— Hum, je vais… Je vais aller chercher du poisson si… s’ébroua-t-il. 


Il leva son regard sur Aziraphale et l’espace d’un instant, ils se fixèrent, avec pour seul bruit celui des vagues qui mouraient sur la plage, tandis qu’une agitation nouvelle naissait dans le bas-ventre de l’anglais. Il avait furieusement envie de l’embrasser, comme c’était de plus en plus souvent le cas, mais il se ravisa. Aziraphale laissa doucement ses bras se détacher du cou de Crowley. Il laissa ensuite sa main droite glisser sur la poitrine de la sirène et garda la paume de sa main plaquée contre son sein un instant, le bout de ses doigt frôlant un moment les poils roux qui brillaient presque dans le soleil couchant : 


— Merci pour cette balade, mon cher, murmura-t-il. 

Ngk… articula Crowley, les yeux écarquillés sur la main posée sur son cœur.  

— Je vais m’occuper du feu ! l’abandonna ensuite Aziraphale avec un sourire, en faisant doucement demi-tour dans l’eau.


Il n’entendit la sirène s’éloigner qu’au bout de quelques instants et lorsqu’il regagna la plage et se retourna, Crowley était hors de vue. Il décida de ne pas se rhabiller, préférant laisser sécher ses sous-vêtements de lin sur lui. Le soleil descendait à l’horizon et ses rayons prenaient une délicate couleur corail, alors que la température devenait plus respirable. Cela facilita la tâche à Aziraphale, qui rassembla rapidement du bois sec à l’orée de la forêt. Il ne mit pas longtemps à allumer un feu dont les crépitements attirèrent Bentley, qui l’observait s’agiter pour nourrir les flammes. Il était en train de se dire que l’expédition dans la forêt devrait attendre le lendemain en ajoutant du petit bois, accroupi devant le feu, lorsqu’il entendit Crowley l’interpeller dans son dos.   


— On a nagé plus longtemps que ce que je pensais ! Il fera bientôt nuit…


Aziraphale se retourna et leva rapidement sa tête vers le pirate. Avec un soupçon de déception, il remarqua que celui-ci avait revêtu son pantalon noir. Ses cheveux dégoulinaient sur son torse encore parsemé d’écailles, tandis qu’il lui tendait le fruit de sa pêche, un turbot paon et deux carangues à grands yeux. Il avait déjà l’eau à la bouche en saisissant les poissons.  


— Tu les as vidés ? s’étonna-t-il. 

— Ouais ! Dans l’eau, comme ça, ça nourrit les autres poissons… 


Les yeux de Crowley s’attardèrent quelques instants sur le corps à demi nu d’Aziraphale, suivant les courbes charnues de son ventre et de ses hanches, avant de s’attarder sur son entrejambe, dont le tissu encore humide des sous-vêtements qui le recouvraient ne laissait aucune place à l’imagination. Il remonta bien vite les yeux vers son visage, les joues en feu, puis essora rapidement ses cheveux. Ce faisant, il se laissa tomber souplement en tailleur aux côtés de l’Anglais, qui ne semblait pas se rendre compte de ce qu’il laissait apercevoir, tandis que Bentley grimpait sur lui pour réclamer un peu d’attention. 


— Je vais les faire cuire, se proposa-t-il, en montrant sa pêche du doigt.

— Certainement pas, je m’en occupe ! Tu les as pêchés, repose-toi maintenant ! 


Avec un sourire amusé, le pirate lui répondit : 


— Ça ne m’a pas demandé beaucoup d’efforts, tu sais ? Mon peuple… Nous… Nous sommes des prédateurs… 


Aziraphale disposait avec précaution - d’aucun auraient pu dire amour - chaque poisson dans des feuilles de bananier qu’il avait trouvées, qu’il replia ensuite soigneusement. Il releva brusquement la tête et le regarda avec des yeux pétillants de curiosité : 


— Ah oui ? Un peu comme… Comme des requins ? 


Crowley eut un petit rire moqueur. Il releva le menton avec une certaine fierté.


Mieux que des requins… Nous sommes beaucoup plus rapides et plus agiles en fait !   

— C’est prodigieux ! Etes-vous, euh… Etes-vous nombreux ? osa demander Aziraphale, en séparant un petit tas de braises du feu qui crépitait.

— J’en sais rien… Dans mon banc oui ; environ deux cents, je dirais, mais il y en a d’autres… répondit Crowley, en haussant les épaules. Je ne suis pas resté assez longtemps pour croiser d’autres bancs, ou alors j’étais trop jeune et je m’en rappelle pas… Bee disait qu’il y avait au moins trois bancs par océan ! 


Il se laissa tomber en arrière dans le sable, soutenant son corps par ses avants bras, et observa avec un sourire taquin le visage d’Aziraphale, alors qu’il le voyait réfléchir à sa prochaine question.

 

— Qui… Qui est Bee ? tenta celui-ci, en nouant les papillotes. 

— Bee est le Seigneur de mon banc ! 

Oh… Il y a donc une hiérarchie chez vous aussi ? demanda t-il ensuite, en posant leur repas dans les braises.

— Ouais… Chaque territoire est découpé en cinq duchés. Il y a donc un Seigneur et cinq Ducs. Enfin… Du moins c’était comme ça dans mon banc !  

— C’est fascinant… 

— Mhm… grommela Crowley, le regard perdu sur les flammes, alors qu’Aziraphale revenait s’asseoir près de lui. 


Le soleil s’était couché et seuls la lune et le feu les éclairaient désormais. Le reflet des flammes dansait sur les bijoux de cheveux du pirate et illuminait ses innombrables taches de rousseurs, dont Aziraphale peinait à détacher le regard. Il triturait de plus en plus nerveusement sa chevalière sans oser poser la question qui le taraudait. 


— Qu’est ce qu’il y a, l’angelot ? finit par demander le pirate, d’une voix sarcastique. 

— Pardon ? 

— T’es tout énervé, qu’est-ce qu’il y a ? répéta Crowley, en tournant doucement son visage pour le regarder. 

— Je… Hum… Je me demandais… Mais tu n’es pas obligé de me répondre… s’embrouilla l’Anglais, en enfonçant ses orteils dans le sable, devenu frais. 

— Quoi ? l’encouragea le pirate. 

Ahem… Pourquoi… Pourquoi es-tu parti ? 

— Ah !

— Ne te sens pas obligé de m’expliquer, c’est juste que… 

— Je suis parti parce que j’étais en désaccord avec… Avec nos… Avec notre mode de vie… l’interrompit Crowley, en se redressant soudain pour retourner les papillottes avec un bâton.

— Est-ce que… Tu veux m’en dire davantage ? tenta Aziraphale, en guettant chacune des réactions du pirate. 


Une ride s’était formée sur son front. Crowley était visiblement en train de réfléchir, mais sa posture était toujours la même, signe qu’il ne s’était pas crispé, ce qui le rassurra. 


— Je pense… Je pense que tu sais déjà de quoi je parle… Vos légendes sont plus ou moins exactes, après tout ! Il faut bien un point de départ à ce genre d’histoires…


Aziraphale frissonna.


— Ah… Alors, il est vrai que vous attirez les marins avec vos chants ? Pour… Pour quoi au juste ? 


Sa voix se fit murmure : 


— Les manger ?  


Crowley émit un petit rire amusé.


— Non, l’angelot ! Je crois pas que vous soyez très bons, sans vouloir t’offenser… Mon peuple attire les marins pour… Pour les sacrifier à notre Dieu… avoua Crowley, en lui jetant un regard en biais, visiblement inquiet de sa réaction. 


Mais Aziraphale n’en eut aucune. Il se contenta d’acquiescer silencieusement, avant d’ajouter : 


— Je vois… Et donc, tu n’étais pas d’accord avec cette… Pratique… C’est ça ? 

— On ne répondait jamais à mes questions ! s’agaça Crowley. A chaque fois que je demandais pourquoi on devait faire ça, on me disait de rester à ma place et d’obéir… Obéir aux prétendus ordres et volontés d’un Dieu de violence et de sang… J’allais de plus en plus souvent à la surface pour observer ces humains voués au sacrifice et je me suis… Pris d’intérêt pour eux, en quelques sortes… 

— C’est donc pour ça que tu as quitté ton peuple… C’est très courageux de ta part ! ajouta Aziraphale, avec admiration. 

— C’était pour ça, oui… Et pour ça aussi ! poursuivit le pirate, en pointant le ciel avec son bâton. 


Interdit, Aziraphale fixa le ciel nocturne. 


— Ca… Ca quoi au juste ? demanda-t-il, perplexe. 

— Les étoiles ! ricanna Crowley. Quoi d’autre ? 

— Les étoiles ? s’étonna l’Anglais. 


Crowley détourna les yeux, embarrassé.


— Ouais, je… J’aime beaucoup les étoiles ! La première fois que je les ai vues… J’ai compris l’immensité de l’univers ! Tout est sombre dans les profondeurs… Je voulais voir plus… 

— Oh, Crowley ! dit Aziraphale, en posant une main sur le bras du pirate. C’est pour ça que tu t’es enfui ? Pour voir les étoiles ?  


Le pirate le regarda en haussant les sourcils d’un air perplexe : 


— M’enfuir ? Je ne me suis pas enfui, l’angelot ! 

Oh, mais… Aziraphale mâchouilla l'intérieur de sa joue, réfléchissant. Ton peuple t’a banni ? 


Crowley eut un petit rire.


— Non plus ! On m’a laissé partir, tout simplement… 

— Je ne comprends pas… répondit sincèrement Aziraphale, en fronçant les sourcils. Tes parents… Ton Seigneur… Ils t’ont laissés partir ? Comme ça ? 


Le pirate haussa les épaules.


— Bee a essayé de me retenir un peu, il y avait… Il y avait ce Duc… Furfur, qui souhaitait que je devienne son concubin, se remémora Crowley, avec une grimace amusée. 


Aziraphale redressa brusquement sa tête, abasourdi : 


Un Duc ? Mais alors… Ton peuple, il… Il vous est permis de… Entre…


Crowley opina du chef vigoureusement en souriant, faisant tinter ses bijoux de cheveux. 


— C’est, hum… C’est très différent chez les sirènes… 

— Explique-moi, je t’en prie ! le pressa l’Anglais en se tournant entièrement vers lui, plus intéressé que jamais.


Crowley se mit à tracer des formes géométriques dans le sable du bout de son bâton, essayant de trouver les bons termes à employer, pour ne pas choquer son ami.


— En fait, notre peuple est… Je ne sais pas s’il existe un mot pour dire ça, dit-il enfin, en réfléchissant. Nous, hum… Seuls un mâle et une femelle peuvent procréer bien sûr, mais nous nous, euh… Nous nous accouplons volontiers avec les, hum… Les deux sexes… 


Aziraphale eut un petit mouvement de surprise.


— C’est prodigieux, souffla l’Anglais. Et, euh… Comment vous, euh… Comment vous… bredouilla-t-il ensuite, de plus en plus rouge. 

— Comment on se reproduit ? le devança Crowley, avec un sourire sardonique. Eh bien, comme vous ! En fait, lorsque deux sirènes veulent, euh… Eh bien, elles vont dans une grotte souterraine ou une crique et sortent de l’eau pour avoir… Ben, pour avoir des jambes et tout ce qui va avec… Et c’est avec nos corps humains qu’on s’accouple ! 


Aziraphale s’éventa énergiquement avec une feuille, alors qu’il eut soudainement l’impression que la température extérieure s’était élevée d’une bonne dizaine de degrés.


— Vous, vous… Vous vous accouplez, oui, tout à fait, je vois… dit-il, d’une voix de fausset. 

— Quant à mes parents…

— Oui, parle-moi d'eux, je t’en prie ! l’encouragea Aziraphale, en posant précipitamment sa besace sur son entrejambe traître. 

— Oui, euh… Ben en fait, ça aussi c’est très différent chez nous… ajouta doucement Crowley. Une fois… Une fois qu’on naît, on est élevés par le banc tout entier, tu vois ? Comme ça, on est tous choyés de la même façon, y a pas de différence entre l’enfant d’un Duc ou celui d’une simple sirène. Si bien qu’on n’a pas plus de liens avec nos parents biologiques qu’avec le reste du banc ! Mais l’inconvénient, en même temps, c’est qu’on ne tisse pas des liens comme vous le faites avec vos parents…


Aziraphale baissa la tête un moment, pensant aux liens que Crowley semblait avoir tissés avec Ed et Izzy, puis à son propre père violent et à sa mère emportée par la mélancolie.


— Oh, tu sais… C’est pas parce qu’on a des liens de sang qu’on est plus heureux avec notre famille…


Crowley l’observa un moment, un air de profonde tristesse dansant dans son regard. Il se doutait maintenant que l’enfance de son compagnon n’avait pas été idyllique.

 

— C’est fascinant… reprit soudainement Aziraphale. Mais alors… Comment faites-vous pour vous unir sans… Sans mélanger vos sangs ? demanda-t-il ensuite, avec intérêt. 

— T’es vraiment intelligent toi ! répondit Crowley, avec admiration.


Une petite rougeur apparut sur le haut des pommettes du marin.


Oh, je… Je suis un scientifique, c’est tout… 

— On évite la consanguinité grâce à notre odeur ! Chaque sirène a une odeur différente ! Sur terre, j’ai une odeur particulière comme tu l’as sans doute remarqué ; et pourtant, on ne sent rien sous l’eau. Mais cette fragrance propre à chacun contient des phéromones qui, elles, sont perceptibles sous l’eau et nous permettent de nous identifier entre sirènes de même banc ou de même ascendance… Voilà, tu sais tout, l’angelot ! On mange ? 

— Hum… J’ai sans doute deux mille questions à te poser par rapport à tout ce que tu viens de me dire, mais comme j’ai très faim… Je suis d’accord ! répondit joyeusement Aziraphale, en se frottant les mains. 


Avec un sourire, Crowley sortit les papillotes des braises pour les ouvrir devant lui. Un délicat fumet se dégagea des feuilles et vint chatouiller les narines de l’Anglais affamé. 


— Attends ! lui dit Crowley, en se levant.


Il marcha jusqu’à son sac et revint s’asseoir en sortant une gourde, qu’il tendit à Aziraphale. 

Celui-ci lui jeta un regard perplexe : 


— Merci, mais j’ai ma propre gourde d’eau ! 

— C’est pas de l’eau, l’angelot ! s'esclaffa le pirate. J’ai piqué du vin à Ed ! Et j’ai pris un pain aussi, Roach me l’a donné avant de partir avec d’autres trucs… Il m’a aussi donné des racines de gingembre et il m’a dit de te les faire manger, rigola-t-il, alors que ses joues rougissaient.

— C’est… Très g… Merci, mon cher, se reprit Aziraphale, confus, en buvant à la gourde du pirate. 


Ils mangèrent dans un silence confortable, rompu uniquement par les pépiements de Bentley, qui venait réclamer sa part de poisson de temps à autre, sous le regard amusé des deux hommes. Aziraphale poussait parfois quelques gémissements en se régalant du turbot et Crowley le regardait à chaque fois d’un air fasciné, semblant se nourrir, pour sa part, de la joie manifeste de l’Anglais à déguster un bon repas. Après avoir tout terminé, Aziraphale écarta les feuilles d’un air coupable, mais le pirate lui offrit un sourire joyeux et s’étira confortablement. 


— Il se fait tard… constata Aziraphale, en baillant. 

— Ouais, on devrait se coucher, Izzy reviendra tôt demain, nous lèverons l'ancre en fin de journée ! acquiesça Crowley. 


Aziraphale s’allongea à son tour sur un tapis de feuilles. La chaleur, bien que moins accablante, était toujours importante, surtout auprès du feu, qu’ils ne pouvaient se permettre d’éteindre afin éloigner les insectes et autres bestioles. Aussi il resta torse-nu dans ses sous-vêtements de lin pour la nuit. Bentley vint se blottir quelques instants contre lui, tandis que le pirate jetait du bois sec dans le feu et rassemblait leurs affaires près d’eux. L’oiseau finit par s’éloigner pour gratter le sable un peu plus loin en quête d’insectes et Crowley prit sa place, au plus grand étonnement d’Aziraphale, qui se tétanisa. Le pirate s’allongea près de lui, torse-nu également, et mit quelques instants à arranger ses cheveux pour qu’ils ne le gênent pas, sous l'œil médusé de l’Anglais, qui observait le pirate à la dérobée. Un sourire béat se dessinait sur le visage de Crowley tandis qu’il se mit à détailler la voûte céleste, nommant toutes les constellations qu’il connaissait et les dessinant en tendant un doigt vers le ciel. 


— Où as-tu appris tout ça ? lui demanda soudainement Aziraphale, subjugué. 

— C’est Izzy et Ed qui m’ont tout appris ! répondit fièrement Crowley. Stede a… Il m’avait proposé d’emprunter ses livres d’astronomie, mais… J’ai jamais accepté… Et puis comme je sais pas lire…  

Oh, mais… Je suis sûr que tu arriverais à te repérer sur les cartes du ciel avec tes connaissances ! rétorqua Aziraphale avec sincérité. 

— Mhm… grogna Crowley. Peut-être… admit-il, en baillant. 

— Je crois qu’il est temps de dormir ! rigola Aziraphale. Bonne nuit, Crowley ! ajouta-t-il, en se tournant vers lui et en plaçant ses mains sous sa joue. 


Crowley se tourna vers lui à son tour et lui sourit. Ses yeux jaunes brillaient désormais avec éclat dans la nuit.  


— Bonne nuit, l’angelot ! murmura-t-il. 


Le pirate s'endormit rapidement sous le regard attendri d’Aziraphale qui regardait pensivement le feu éclairer les cicatrices qui zébraient son torse et ses bras. Au bout d’une demi-heure environ, passée à se délecter de l’odeur vanillée si proche de Crowley, il retint sa respiration en sentant une jambe s’enchevêtrer doucement entre les siennes, tandis que le pirate se blottissait petit à petit contre sa poitrine dans son sommeil. Dans un réflexe de protection, Aziraphale passa son bras sur celui de Crowley pour le serrer contre lui et ne put s’empêcher de poser le fantôme d’un baiser dans ses cheveux, avant de tourner légèrement son visage vers les étoiles en chuchotant, un air béat au visage : 


— Merci, Seigneur !    


                                                              * * *


Aziraphale se réveilla dans la position exacte dans laquelle il s’était endormi quelques heures plus tôt, soit totalement enchevêtré avec le corps de Crowley. Le pirate dormait encore profondément lorsque Aziraphale sentit avec horreur que son traître de corps réagissait bien malgré lui à cette intimité inespérée… Avec moult précautions, il réussit, tant bien que mal, à se dégager sans réveiller son ami et à s’asseoir, le regard fixé sur ses culottes déformées par son érection matinale. Désespéré, il releva la tête pour découvrir Bentley, qui le fixait d’un œil accusateur, juste en face de lui. Il lui fit signe de se taire et soupira. C’est alors qu’il s'aperçut de son haleine apocalyptique… Catastrophé, il rampa jusqu'au feu, ou du moins ce qu’il en restait, et ramassa une poignée de cendres. Il courut ensuite jusqu’à l’eau et s’agenouilla pour nettoyer sa bouche et se gargariser à l’eau salée.

Il souffla ensuite dans la paume de sa main et constata qu’il y avait du mieux. Son soulagement fut de courte durée toutefois, car la nature se rappela à lui et il dut réfléchir un instant. Pas dans l’eau… Si jamais Crowley se réveillait… Il l’avait déjà surpris une fois ! Il préféra courir jusqu'à l’orée de la forêt.    

Il ne cessait de jeter des regards de bête traquée en direction de la plage alors que son érection douloureuse l’empêchait de vider sa vessie. Au bout de longues minutes passées à prier les yeux tournés vers le ciel, essayant de conjurer dans son esprit des images qui pourraient calmer ses ardeurs, il réussit enfin à discipliner son corps et à uriner. Rajustant ses culottes, il se lava ensuite les mains dans la source d’eau douce avant de retourner enfin sur la plage.


Il y découvrit avec surprise Crowley, parfaitement réveillé et agenouillé auprès du feu qu’il avait ranimé. Il ajoutait des feuilles de thé dans une petite casserole d’eau qu’il avait disposée sur les flammes, en équilibre sur des pierres. Il l'accueillit avec un sourire sincère : 


— Salut, l’angelot ! Bien dormi ? 

— Ou… Oui ! Et… Et toi ? J’ai dû te réveiller en me levant…

— Non, c’est Bentley qui… Ça va, l’angelot ? s’interrompit le pirate en fronçant les sourcils. T’es essoufflé comme jamais ! 

— Oui, j’ai… Non… C’est-à-dire… Hum, tu avais emmené du thé ? demanda Aziraphale en pointant la casserole, bien décidé à éviter de parler de son réveil mouvementé. 

— Ouais, j’y ai pensé quand Roach m’a donné le pain et le pot de confiture ! J’ai, euh… Je me suis dit que ça te ferait plaisir pour petit-déjeuner alors… J’ai pris ma casserole… expliqua-t-il, visiblement soucieux. 

Oh, c’est g… Merci beaucoup, Crowley, je ne pouvais pas rêver mieux ! répondit l’Anglais, touché par tant d’attention. 


Il s’assit à côté d’un Crowley visiblement soulagé, pendant que celui-ci retirait la casserole du feu pour laisser le thé infuser. Le pirate fouilla dans son sac et en retira les restes de pain et un petit pot de confiture de banane, ainsi que deux petits gobelets qu’il tendit à Aziraphale avec un nouveau sourire. L’Anglais s’empressa de couper deux tranches de pain, qu’il tartina généreusement, et en tendit une à Crowley : 


— Bon appétit, mon cher ! 


Ils remplirent ensuite leurs gobelets de thé et dégustèrent leurs tartines sous l'œil attentif de Bentley, alors que le soleil se levait paresseusement sur la mer. 


— J’irais bien me baigner avant que les autres n’arrivent, ça te dit, l’angelot ? Rien que tous les deux, comme hier… finit par ajouter Crowley d’un ton faussement nonchalant, en jetant des boulettes de mie à Bentley. 


Pris au dépourvu, Aziraphale faillit s’étouffer avec une gorgée de thé. Il était hors de question de rater cette belle occasion, même s’il dut réprimer un frisson à l’idée de nager. 


— Hum… Eh bien… Je… Oui, bien sûr !  


Aussitôt, le pirate se leva d’un bond élastique pour s’étirer. Il émit ensuite un nouveau sifflement en faisant onduler sa voix et Bentley s’envola aussitôt en direction du Revenge.    


— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’était ? demanda Aziraphale, en se levant à son tour, époussetant le sable de son vêtement.

— C’est le signal pour qu’elle retourne dans la cabine ! Apparemment, ça marche… répondit Crowley pensivement, en observant l’oiseau regagner le navire et disparaître par le sabord de sa cabine. Alors, on y va ? demanda-t-il joyeusement en se tournant vers Aziraphale, un grand sourire aux lèvres. 

— On y va ! Je, hum… J’y vais le premier ?


Crowley haussa les épaules.


— A ta guise, répondit le pirate, qui se déshabillait déjà.


Le feu aux joues, Aziraphale trotta jusqu’à la mer et commença à s’immerger. Il entendit derrière lui Crowley le rejoindre dans l’eau et se retourna. Le pirate, pour sa part, n’avait que les pieds dans l’eau et étirait ses bras au-dessus de sa tête. Oh, Seigneur.

Le corps du pirate, dans son plus simple appareil, scintillait par quelques écailles isolées sur son corps et ses bijoux de cheveux. Sa mutation commençait tout juste, mais ses jambes étaient encore loin d’être immergées, aussi la ligne de poils roux qui courait depuis son nombril venait s’étoffer au niveau de son sexe, exposé aux premiers rayons du soleil, tout comme aux yeux émerveillés d’Aziraphale… 

Retourne-toi. Ferme les yeux. Fais quelque chose ! Doux Jésus.

Aziraphale, incapable de détourner les yeux ou de les fermer, se contenta de redresser son visage empourpré sur celui de Crowley, qui avait fini ses étirements. Il le regarda un moment, interdit : 


— Ça va, l’angelot ? T’es tout rouge… 

— Mais enfin, Crowley ! Tu… Tu es tout nu ! fini par articuler l’Anglais, en trouvant enfin la force de baisser les yeux sur l’eau.


Sentant son membre s’éveiller à nouveau, il tenta tant bien que mal de le dissimuler dans l’eau, alors qu’il sentait sa rougeur s’étendre dans son cou et jusqu’en haut des épaules.


Il entendit rire le pirate, suivit par un grand bruit d’eau avant de sentir des éclaboussures dans son dos. Soudain, il vit Crowley le contourner pour venir se planter devant lui, allongé sur le ventre dans l’eau peu profonde, un sourire malicieux sur les lèvres. Sa longue queue de poisson noire aux reflets orangés flottait mollement derrière lui au gré des vagues et ses nageoires dorsales se déployaient doucement de chaque côté de ses bras plantés dans le sable.


— C’est mieux comme ça, l’angelot ? 


Non.


L’eau était si transparente qu’il savait qu’il ne pouvait rien cacher à Crowley. Il soupira de malaise. Crowley eut un petit rire.


— La pudeur n’existe pas chez mon peuple ! Après tout, nous n’avons aucun vêtement… se dédouana le pirate. 


Seigneur, pitié… 


— C’est… Oui, je suppose que c’est très “humain” comme concept… balbutia Aziraphale, se demandant si ça valait vraiment la peine qu’il essaie de dissimuler son entrejambe derrière ses mains.

— Votre regard sur la nudité n’est pas très sain ! Il est toujours rempli de jugement ou d’envie ! C’est bizarre… 

— Oui… Oui, je suppose que tu as raison… répondit Aziraphale, toujours plus embarrassé. 


L’Anglais se positionna sur le sable de manière à ce que l’eau recouvre son ventre, dont il se rappela soudain les rondeurs disgracieuses. 


— Tu veux pas nager ? s’étonna Crowley. 

— Je… Vas-y si tu veux, je vais rester un peu ici… 


Contre toute attente, Crowley se tortilla dans l’eau pour venir “s’asseoir” à côté de lui. Sa queue était à présent presque entièrement immergée, seules quelques parcelles de peau écaillée sortaient de l’eau par endroits, les écailles reflétant les rayons du soleil comme autant de bijoux. Les bras tendus en arrière, mains posées sur le sable, il fixait l’Anglais de ses grands yeux entièrement jaunes. Sa crête dorsale était plaquée dans son dos et ses ailes tombaient mollement dans les vaguelettes, imprimant leur mouvement sur la fine membrane orangée. Jamais Aziraphale ne pourrait se lasser d’un pareil spectacle ! 


— Tu… Tu ne vas pas nager ? lui demanda-t-il finalement, les yeux ronds.  

— On n’a pas besoin de nourriture, c’était juste pour… Pour passer du temps avec toi… Si tu préfères rester ici, ça me va ! 

— C’est très… Ahem, merci, Crowley ! répondit sincèrement l’Anglais, avant de détourner son visage, mal à l’aise. 


Crowley le fixa un moment, perplexe.


— J’ai dit quelque chose qu’il fallait pas ? s’inquiéta le pirate. 

Non ! Grand Dieu non… C’est juste… Tu es plus à l’aise avec ton corps que moi, c’est tout… 

— Tu le serais aussi si tu étais une sirène ! 


Quelle drôle d’idée !  

 

Il sentit soudainement, plus qu’il ne vit, la sirène se pencher doucement vers lui, alors que son souffle chaud venait lui chatouiller l’oreille.


Tu es magnifique, Aziraphale ! susurra Crowley, comme s’il ne faisait qu’exposer un fait établi. 

— Pardon ? demanda l’Anglais, en tournant brusquement sa tête vers lui, manquant de peu de se cogner contre celle du pirate, qui recula avec un petit rire. 

— Tu es magnifique, répéta-t-il, avec un sourire timide. 


Aziraphale s’agita, le cœur au bord des lèvres. 


— Mais… Mon… Mon ventre… Et mes… bredouilla-t-il, en baissant les yeux sur ses formes.  

— Ton ventre ? Qu’est-ce qu’il a ton ventre ? demanda Crowley, en fronçant les sourcils, l’air étrangement sincère. 


Il est affreux. Gras. Couvert de vergetures et de cicatrices ! 


Aziraphale, qui ne savait pas par où commencer, sentit subitement la main de Crowley effleurer son abdomen sous l’eau. Retenant son souffle, il redressa son visage pour dévisager le pirate qui avait suspendu son geste, comme s’il attendait finalement son autorisation. Aziraphale hocha imperceptiblement la tête et la main de Crowley se posa plus fermement sur son ventre. Un sourire émerveillé s’épanouit lentement sur le visage du pirate, tandis qu’il laissait sa main courir sur toute la largeur de son abdomen, effleurant les poils blonds chatouillant agréablement la membrane entre ses doigts. 

Imperméable au monde qui les entourait, Crowley s’était imperceptiblement penché sur lui pour contempler, puis palper tendrement ses poignées d’amour. Aziraphale se rendit soudainement compte que leurs visages étaient très proches. Il retint son souffle. 


— Moi, je le trouve parfait ton ventre… souffla le pirate, en tournant son visage pour le fixer.


Ou plutôt fixer ses lèvres. 


Il était toujours en partie couché sur le ventre d’Aziraphale, ses longs cheveux flottants paresseusement autour de lui et sa queue frétillant lentement sous l’eau pour l’aider à se stabiliser. Aziraphale se pencha doucement, mais spontanément en avant, le souffle court, et alors qu’il fixait la bouche de Crowley comme une oasis dans le désert, il murmura d’une voix faible : 


— Puis-je ?  


Le pirate acquiesça silencieusement alors qu’un petit sourire naissait sur le coin de ses lèvres et le cœur de l’Anglais oublia de battre. Il n’y avait plus d’océan, plus de sable, plus de bateau, ni de ciel. Plus de Paradis, ni d’Enfer et pas plus de Dieu que de Diable. Il n’y avait plus de passé hanté, ni de futur incertain. Il n’y avait que ce présent qui s’offrait à lui, plein d’espoir, et qui le fixait de ses grands yeux dorés. Il n’y avait que ces lèvres entrouvertes, auxquelles toute sa vie semblait maintenant se réduire. 


La main droite d’Aziraphale quitta le sable pour venir timidement caresser la joue de Crowley et le tatouage de serpent qui l’ornait, devant son oreille. Il sentit le pirate respirer de plus en plus vite, son souffle heurtant son visage. Il sentait si bon ! Un mélange vanillé et floral, avec une touche d’iode et de confiture de banane. Aziraphale, n’y tenant plus, posa ses lèvres sur les siennes dans un geste un peu précipité, témoignant de son impatience, ou plutôt de son désespoir que tout ceci ne soit qu’un rêve cruel… Mais la sensation des lèvres douces et humides de Crowley contre les siennes avait un goût de sel et elles étaient si réelles ! Aziraphale sortit son autre main de l’eau pour prendre le visage du pirate en coupe avec une infinie délicatesse. Il attendit que Crowley entrouvre ses lèvres, si fraîches, pour glisser une langue timide dans sa bouche et il sentit le pirate lui rendre son baiser avec une douceur surprenante, faisant visiblement attention à ne pas le blesser avec ses dents acérées. Aziraphale l’embrassa alors avec plus d’ardeur et fit machinalement remonter ses mains vers la chevelure flamboyante, mais Crowley se crispa d’un coup et posa brusquement ses mains sur ses poignets, rompant le baiser : 


Non ! S’il te plaît… souffla-t-il, ses lèvres à quelques centimètres de celles d’Aziraphale. 


Mortifié, celui-ci ouvrit ses yeux pour découvrir le regard affolé de Crowley fixé sur lui, et retira hâtivement ses mains des longues mèches emmêlées pour les remettre sur ses joues et murmurer précipitamment : 


— Pardonne-moi, Crowley !   

— C’est rien, l’angelot… répondit Crowley, d’une voix à peine audible. 

— Je n’aurais pas dû t’embrasser, je…

— Non! Ce n’est pas ça, je… Fais-le encore ! l’interrompit Crowley, d’une voix suppliante, en serrant ses poignets, son visage suivant celui d’Aziraphale, alors qu’il fermait de nouveau les yeux.. 


Seigneur. 


Qui était-il pour lui refuser ça ? En prenant soin de garder ses mains loin des cheveux du pirate, Aziraphale se pencha à nouveau pour capturer ses lèvres. Il se redressa alors dans le sable et fit glisser sa main droite sur la taille de Crowley, tandis que son autre main se glissait derrière ses épaules et il se laissa finalement basculer sur le dos, dans l’eau fraîche et peu profonde du bord de la plage, les vaguelettes lui chatouillant joyeusement les joues. Le pirate se retrouva ainsi allongé sur les cuisses charnues de l’Anglais, sa queue de poisson glissant doucement contre ses jambes, faisant frissonner le marin. Délicatement maintenu contre son ventre rebondi, Aziraphale sentit avec plaisir Crowley se laisser manipuler sans crainte, posant même une main palmée aux longs doigts délicats sur son biceps droit. Il fit fougueusement tournoyer sa langue contre celle du pirate, évitant soigneusement les dents pointues de la sirène, tout en lui mordillant fiévreusement la lèvre inférieure par instants. 


Son érection était de retour, mais il l’ignora. Il ne souhaitait rien d’autre en cet instant que de continuer à simplement l’embrasser, à le goûter sur sa langue, à le sentir s’abandonner dans ses bras, tous deux bercés par les petites vagues qui venaient s’écraser contre leurs corps, alors que le soleil levant était braqué sur eux. 


A bout de souffle, il finit par rompre le baiser et rouvrit ses yeux. Ceux de Crowley, en revanche, demeurèrent fermés tandis que le pirate affichait un sourire satisfait. 

Aziraphale constata à cette occasion que ses lèvres étaient rougies et gonflées et il se sentit à la fois un peu honteux et inexplicablement fier. 


— Si tu t’excuses, ça va mal se passer, l’angelot ! le prévint Crowley, de sa voix traînante.  


Deux grands yeux jaunes aux pupilles fendues le fixaient à présent avec une douceur qui contrastait avec la menace proférée. Aziraphale émit un petit rire.


— Tu es un intraitable pirate-sirène ! Aurais-je le droit de m’excuser pour vouloir t’embrasser encore ? 

— Tu n’as besoin d’aucune excuse pour ça… répondit Crowley, en passant sa main libre derrière la tête de l’Anglais pour se pencher sur lui et initier un nouveau baiser.   

¡Gané! ¡Gracias, Crowley, apuesto a que ustedes dos tuvieron sexo esta noche! (1) 


La voix de Jim résonna quelque part au large, devant Aziraphale, qui se redressa d’un bond, serrant toujours Crowley dans ses bras.. Debout sur la barque, le pirate applaudissait, alors que ses compagnons qui ramaient semblaient se disputer d’un air déçu, s’échangeant quelques pièces. Laissant échapper un petit juron, Crowley eut un sourire d’excuse pour Aziraphale avant de se redresser pour crier : 


¡No, sólo nos besamos, eso es todo, Jim! (2)


Tandis que des jurons se faisaient entendre sur la barque, accompagnés de nouveaux tintements de pièces faisant le voyage dans l’autre sens, Crowley se retourna pour faire face à Aziraphale : 


— Je crois qu’on est démasqués… dit-il d’un air amusé.

— Je crois que ça fait un moment qu’on l’est ! rigola Aziraphale. 

— Je, hum… Je vais sortir de l’eau, mais tu peux… Ahem, tu peux rester encore un peu pour… Pour… bégaya le pirate, en regardant l’entrejambe de l’Anglais, la tête penchée sur le côté. 


Aziraphale posa machinalement sa main sur son aine.


— Oui, je, hum… Je te rejoins ! parvint-il à articuler, le teint cramoisi.  


Crowley s’éloigna pour finir par ramper hors de l’eau sur la plage, alors que la barque se rapprochait, un peu plus loin sur leur droite. 


Aziraphale attendit que le pirate retrouve ses jambes et son pantalon pour sortir à son tour de l’eau. Il ne restait rien de sa précédente “vigueur”, simplement le désir de rejoindre Crowley et l’excitation -bien plus émotionnelle que sexuelle- de voir où cette progression significative dans leur relation allait les mener. Tout à son bonheur et au soulagement d’avoir la preuve de la réciprocité de son attirance, le cerveau d’Aziraphale était bien incapable, pour une fois, de suranalyser la situation, le laissant profiter de l’instant présent. Ses pas le guidèrent instinctivement vers le pirate, qui avait déjà rassemblé leurs affaires et éteint le feu en le recouvrant de sable. Et soudain l’Anglais ressenti une pointe de tristesse à l’idée de quitter l’île. Il aurait aimé que l’escale dure plus longtemps…


Indéfiniment, si possible…


Crowley se retourna, un air coupable sur le visage, tandis qu’il replaçait une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille : 


— Je ne t’ai rien montré d’utile pour ton livre en fin de compte… marmonna-t-il.

Oh, Crowley… répondit Aziraphale d’une voix douce. Il avait une furieuse envie de lui caresser le visage, mais il ne savait pas comment Crowley pourrait réagir aux marques d’affection en public. Mon livre n’est pas une priorité ! Je crois que tu m’as montré quelque chose de bien plus précieux… 


Il s’approcha davantage avec l’envie de le serrer dans ses bras, mais la barque avait finalement accosté et les pirates déchargeaient déjà les tonneaux. Aussi enfila-t-il sa chemise et ses culottes, à contrecœur.  


— Nous… Nous devrions les rejoindre, conseilla Crowley en détournant les yeux pour ramasser son sac de lin, avec des gestes tremblants.   

— Bien sûr… répondit l’Anglais, en mettant sa besace en bandoulière, imitant le geste du pirate. 


Il posa ensuite une main sur celle de Crowley, hésitant. Il n’osait pas trop le regarder dans les yeux, essayant de rassembler son courage avant de parler : 


— Puis-je… Puis-je te donner la main ? demanda-t-il, bien décidé à ne pas ignorer la proximité qu’ils venaient d’échanger.  


Levant finalement la tête, il vit le pirate poser de grands yeux étonnés sur lui. 


— Pourquoi ? demanda-t-il, avec une incompréhension évidente. 

— Parce que j’en ai envie, Crowley… répondit Aziraphale avec un petit pincement au cœur.

— Mais pourquoi… Pourquoi tu me demandes ?  


Interdit, Aziraphale haussa ses sourcils, alors que sa main retombait le long de son corps. 


— Comment ça, pourquoi je te demande ? Mais enfin… Parce que je ne compte pas le faire si toi tu n’en n’as pas envie, quelle question ! 


Visiblement confus, Crowley fit un pas vers lui et rattrapa sa main, la serrant doucement dans la sienne. Aziraphale lui offrit un sourire encourageant. 


— Je ne veux surtout pas… commença-t-il. Je ne te toucherais jamais d’une quelconque façon sans que tu m’y autorises, Crowley ! Et sens-toi libre de refuser surtout, je t’en prie, je t’en conjure ! Ton corps t'appartient et tu es le seul à décider de me faire l’honneur ou non d’y poser mes mains, mes lèvres ou… Ahem, enfin promets-moi de ne pas hésiter à me dire si je fais quoi que ce soit qui te dérange…  


Visiblement désarçonné, Crowley acquiesça toutefois d’un “ngk” à peine audible, mais Aziraphale continua sur sa lancée :


— Et puis… Peut-être que tu n'as pas envie d’être touché en public, peut-être que tu n’as pas envie de… Je sais… Je sais que l’équipage du Revenge est spécial, que personne ne nous jugera… Mais peut-être…


Crowley l’interrompit soudainement d’un baiser aussi léger qu’un papillon, déposé sur le coin de ses lèvres. Puis il se recula en souriant, lui fit un petit clin d’oeil et ils se mirent ensuite silencieusement en route et, tandis que l’Anglais savourait le contact de la main délicate du pirate dans la sienne, il sembla distinguer avec une clairvoyance toute nouvelle la beauté du monde qui l’entourait. Aucun lever de soleil ne lui avait paru si époustouflant ! Même le sable chaud sous ses pieds nus semblait plus doux qu’il ne l’avait jamais été alors qu’ils rejoignaient la barque à côté de laquelle seul Izzy Hands se tenait encore planté, droit comme un i dans le sable. 


Un sourire satisfait, bien qu’un brin moqueur, se dessinait sur son visage alors qu’il croisait ses bras sur sa poitrine, mais Aziraphale ne lâcha pas la main de Crowley pour autant. Décidant que rien ne pourrait ébranler sa joie aujourd’hui, il lui rendit son sourire : 


— Bien le bonjour, Izzy ! Vous nous attendiez ? 


Un peu décontenancé par l’attitude sereine de l’Anglais, le second fronça ses sourcils broussailleux : 


— Toi, tu ferais moins le malin si c’était Ed qu’était venu ! 

— Par bonheur il doit être occupé à bord… répondit Aziraphale, en haussant les épaules.

Occupé… Ouais, c’est le mot… grimaça Izzy. Un peu comme vous deux, non ? Gamin ? ajouta-t-il, en fixant Crowley. 

— Les autres sont déjà partis ? demanda Crowley, en observant la chaloupe vide. 

— Mouais… J’ai pris du monde avec moi ce matin comme ça j’ai pas besoin de vous deux, vous pouvez aller vous occuper ailleurs ! Par contre, faudra que tu rentres à la nage, gamin ! Ça devrait pas trop te déranger vu qu’apparemment y a plus de filtres entre vous deux ! Tout le monde se balade la queue à l’air, c’est ça ? demanda le second, en reportant son attention sur Aziraphale. 


L’Anglais perdit momentanément un peu de sa superbe et faillit s’étrangler avec sa salive avant de retrouver un semblant de contenance : 


— Que voulez-vous, Izzy ? Il suffit parfois de savoir poser les bonnes questions… répondit-il avec un brin de malice. 

— Foutez-moi le camp, bande de petits merdeux, avant que je vous fasse nettoyer la coque !  


Aziraphale sentit la main de Crowley serrer la sienne tandis qu’il amorçait un rapide demi-tour. L’Anglais le suivit sans broncher et ils longèrent la plage les pieds dans l’eau.


— Crois-moi, il vaut mieux se barrer quand il dit ça ! Je compte plus le nombre de fois où il m’a fait curer la coque du Revenge… grimaça le pirate. 


Aziraphale ne put s’empêcher de le dévisager. Les pieds ainsi dans l’eau, sa mutation était amorcée, mais bloquée, dessinant l’ombre de ses branchies, élargissant ses iris jaunes et parsemant sa peau de quelques timides écailles. Un prodige de la Création ! 


— Quoi ? finit par lui demander Crowley, suspicieux, en remarquant son regard perçant.

— Hum, rien je… Je suis subjugué par ta beauté, c’est tout ! répondit sincèrement Aziraphale. 


Le pirate s’immobilisa, embarrassé, et regarda l’horizon : 


— Pour quelqu’un d’aussi instruit et qui a autant voyagé, tu devrais arrêter de dire n’importe quoi, l’angelot… 


Les lèvres d’Aziraphale imprimèrent l’ombre d’un baiser sur le dessus de sa main et Crowley tourna lentement sa tête pour l’observer. 


— C’est justement parce que j’ai vu beaucoup de choses dans ma vie que je sais reconnaître la beauté quand je la vois et toi, mon cher, tu es plus beau que tout ce qui m’a été donné de voir !    


                                                              * * * 


Ils passèrent le reste de la matinée à longer la plage et l’orée de la forêt, pour permettre à Aziraphale de dessiner quelques croquis de crustacés essentiellement, avant de rejoindre le petit groupe pour l’aider à charger les précieux tonneaux d’eau douce. Ils marchèrent main dans la main, s’arrêtant de temps en temps pour s’échanger quelques doux baisers. Et même si le pirate semblait en demande de gestes tendres et d’affection, il s’avéra qu’il était aussi méfiant à l’égard des compliments qu’envers certains gestes, notamment à proximité de ses cheveux. Aziraphale tenta de trouver un juste milieu dans sa communication verbale et non-verbale avec lui, de façon à respecter les limites de Crowley, qui semblaient nombreuses et pouvaient provoquer de brusques changements dans son comportement. 


Lorsque le soleil fut au zénith dans le ciel, la petite équipe embarqua sur la chaloupe et alors qu’Aziraphale s’asseyait dans un équilibre précaire sur un des tonneaux, Crowley s’était une nouvelle fois déshabillé et était en train de jeter ses affaires à Izzy, qui les attrapa au vol. l’Anglais tourna malencontreusement sa tête à ce moment là et découvrit que la nudité de Crowley ne semblait choquer personne d’autre que lui, le reste de l’équipage continuant à jacasser joyeusement, sans prêter attention au fait qu’il soit dans le plus simple appareil. La sirène se mit finalement à l’eau et se transforma aussitôt, avant de longer la chaloupe pour venir s’accouder à la barque, devant Aziraphale. 


— A tout de suite, l’angelot !    


Il n’attendit aucune réponse, mais s’aidant de ses bras, il se hissa sur le bord de la chaloupe quelques secondes et vola un rapide baiser à Aziraphale, s'attirant des exclamations de joie de leurs compagnons, et après un bref clin d'œil vers Izzy, il disparut sous la surface de la mer. Aziraphale, rouge jusqu’aux oreilles, dut endurer les railleries du petit équipage pendant le trajet de retour, tandis que ses yeux scrutaient les vagues pour tenter d'apercevoir celui qui occupait toutes ses pensées. Les doigts plaqués contre ses lèvres, hanté par le nouveau baiser qu’il venait d’échanger avec Crowley, il ne répondit à aucune provocation et ne sourit à aucune plaisanterie graveleuse.  

Le second sembla le prendre en pitié et le congédia dès leur arrivée au Revenge, lui 

épargnant le chargement des tonneaux et de la chaloupe. 


— Arrêtez de l’emmerder, les gars, vous voyez bien que c’est même pas drôle ! Zira, va voir ailleurs si Stede y est, on va se débrouiller sans toi… 


Aziraphale acquiesça mécaniquement et grimpa à l’échelle dans un état second, se demandant encore si tout ceci était bien réel. En posant le pied sur le pont, il fut accueilli par une délicieuse odeur de crabes frits et de poisson grillé qui rappela à son estomac que le petit-déjeuner paradisiaque qu’il avait pris avec Crowley remontait à plus de sept heures ! 

Il remarqua immédiatement le corps nu, aux courbes graciles de Crowley, qui lui tournait le dos, occupé à parler avec Ed devant la porte de la cabine des capitaines. Visiblement pas gêné le moins du monde par la nudité de son fils adoptif, lui non plus, Blackbeard finit par remarquer la présence d’Aziraphale et, étrangement, s’empressa de jeter sur Crowley sa robe de chambre, qui reposait un peu plus tôt sur son épaule. Il en enveloppa le corps de son fils à la hâte et l’entraîna dans la coursive, dont il claqua la porte. Le teint légèrement empourpré, Aziraphale soupira, puis détourna la tête pour observer le pont principal. 

Tout l’équipage était là, la plupart s’étant approchés pour remonter les tonneaux d’eau et la chaloupe. Ils le saluèrent joyeusement, lui épargnant leurs commentaires graveleux, alors qu’il s’éloignait pour rejoindre Muriel, qui accourait vers lui, un large sourire au lèvres : 


Zira ! couina le jeune homme, en s’agrippant à son cou. 


Aziraphale lui rendit chaleureusement son étreinte et sembla se reconnecter avec la réalité. Son frère le serrait si fort qu’il commençait à manquer de souffle, lui confirmant qu’il n’était pas en train de rêver.


— Muriel, tu m’étouffes… 


Le jeune homme relâcha son étreinte pour lui offrir un sourire radieux : 


— Alors, c’était bien ? 


Aziraphale eut un petit air rêveur, alors que ses joues rosissaient légèrement.


— C’était merveilleux, Muriel ! J’ai crû marcher dans le jardin d’Eden ! Tout est tellement plus beau, même l’air que je respire a un goût d’inédit ! répondit sincèrement son frère, les yeux pétillants. 

— Je… Hum, je parlais de ce que tu avais pu ajouter à ton livre, mais… 


Muriel le dévisagea d’un air circonspect, les sourcils froncés sous ses boucles brunes en bataille. Soudain, il parut comprendre ce qui se cachait derrière le sourire béat de son grand frère et il sautilla sur place alors que son visage s’illuminait : 


— C’est pas vrai ! C’est Crowley, c’est ça ? Vous vous êtes embrassés ? Vous avez fait des choses ? Lucius a parié beaucoup d’argent sur le fait que tu aies, hum… Que tu sois descendu à l’ouvrage sur Crowley ou quelque chose comme ça… Tu l’as fait ? demanda-t-il joyeusement, en tapant des mains. 


Le feu aux joues, Aziraphale l’encouragea à parler moins fort en gesticulant dans tous les sens et en jetant des coups d’oeil affolés partout autour d’eux : 


— Shhht… Mais.. Mais enfin… Mais bien sûr que non ! bégaya-t-il. Nous… Nous nous sommes embrassés, c’est tout… ajouta-t-il à la hâte. 


Loin de calmer son frère, cette information lui fit pousser des petits cris de joie perçants, alors qu’il commençait à danser d’un pied sur l’autre : 


— Hiiiiiiii ! Je le savais ! Bravo, mon frère ! Vous êtes faits l’un pour l’autre ! Où est-il, que j’aille le serrer dans mes bras ? 


Aziraphale commença à s’affoler.

 

— Quoi ? Mais non ! Ne va pas… C’était juste quelques baisers, j’ignore si… J’ignore s’il souhaite… 

— Descendre à l’ouvrage sur toi ? proposa Muriel avec un regard plein de malice. 


Aziraphale s’empourpra. 


— Mais oui voyons ! Black Pete dit que c’est ce qu’il y a de meilleur, meilleur encore que du bon rhum ! Même si… Même si je ne comprends pas trop… Tu peux m’expliquer en quoi ça consiste exactement ? demanda Muriel, avec ses grands yeux innocents. 

Quoi ? Jamais de la vie, je… Ahem, tu devrais oublier tout ça ! Ou demander à quelqu’un d’autre, n’importe qui d’autre

— Ok ! Je vais demander au capitaine Blackbeard, répondit Muriel d’un air faussement innocent, en commençant déjà à s’éloigner. 


Aziraphale lui saisit vivement le poignet pour le retenir : 


Surtout pas ! Va… Va plutôt aider les autres, on en reparlera plus tard ! 

— Promis ? demanda Muriel, un petit sourire machiavélique dansant sur ses lèvres. 


Cet angelot était le diable en personne, pensa Aziraphale.


— Promis, allez file maintenant ! 


Muriel le salua de la main et se dirigea vers le reste de l’équipage d’un pas sautillant qui n’était pas sans rappeler à l’Anglais celui d’un certain pirate… Soulagé de s’être provisoirement débarrassé de son frère un-peu-trop-curieux-lui-aussi, Aziraphale s’épongeait le front avec un mouchoir quand il sentit une main se poser sur son épaule, le faisant sursauter.


— Ne compte pas sur moi pour t’expliquer ce que signifie “descendre à l’ouvrage sur quelqu’un” ! s'égosilla-t-il, en se retournant brusquement.    


Sa voix se bloqua soudainement dans sa gorge. Stede l’observa curieusement, dans son impeccable costume marron, en ramenant sa main sur le parchemin qu’il tenait plié dans son autre main.


— Mhm… Je pense savoir en quoi cela consiste, Aziraphale ! répondit Stede avec malice, lui adressant un petit clin d'œil.

Oh… Pardonnez-moi, mon Capitaine ! s’empressa de s’excuser l’Anglais, en s’inclinant. 


La honte lui brûlait les joues. 


— Ce n’est rien, mon garçon ! le rassura Stede, en lui tapotant légèrement l’épaule. As-tu dessiné pour ton livre ? lui demanda-t-il joyeusement.

— Quelques crustacés principalement, mon Capitaine ! répondit Aziraphale à brûle-pourpoint, en sortant un carnet de sa besace, qu’il tendit à Stede avec un sourire timide. 


Stede coinça son morceau de parchemin sous son bras, saisit le carnet et commença à le feuilleter avec intérêt. Rapidement néanmoins, il releva des yeux curieux vers Aziraphale. Une lueur amusée y brillait. Aziraphale fronça les sourcils : 


— Intéressant… Je ne pensais pas qu’il existait des crustacés aussi… Hum… Chevelus… Ni avec d’aussi majestueuses nageoires… Ni aussi nus d’ailleurs… ajouta-t-il, en tournant le carnet à la verticale pour observer le dessin sur la double-page centrale en arborant un large sourire. 


Avec effroi, Aziraphale se rendit compte trop tard qu’il avait tendu le mauvais carnet au capitaine… 


— Miséricorde… Dieu tout puissant… Je suis confus… bégaya-t-il, en tentant de reprendre le carnet des mains de Stede, sans oser toutefois lui arracher. 


Le capitaine referma soigneusement le carnet pour le remettre à son matelot avec un sourire rassurant : 


— Tu as un talent exceptionnel pour les portraits et les nus, Aziraphale, c’est indéniable ! Tes pieds sont forts jolis également… Par contre, si j’étais toi, j'éviterais de montrer ce carnet à Ed… finit-il par lui chuchoter à l’oreille.


Aziraphale acquiesça promptement, mort de honte.


— Bien sûr, mon Capitaine, je… Pardonnez-moi, je… Ahem…  


Stede leva un bras vers la proue du Revenge :  


— Marchons un peu, veux-tu ?


Aziraphale rangea précipitamment son carnet dans sa besace et suivit le capitaine avec une appréhension grandissante. Le silence de ses pieds nus sur le parquet contrastait avec le léger claquement des bottes de Stede, tandis qu’ils grimpaient sur le gaillard d’avant. 


— C’est de cela dont je voulais te parler, Aziraphale, expliqua Stede, d’une voix calme.

— Je, hum… Je n’aurais jamais dû dessiner…

— Non… Tu as parfaitement le droit de dessiner ce que tu veux, mon garçon. Qui tu veux… l’interrompit Bonnet.


Le silence s’installa tandis qu’ils marchaient.

 

— Mais alors… Y a-t-il un problème, mon Capitaine ? Je… J’ai vu le capitaine Blackbeard se retirer dans votre cabine avec Crowley… balbutia l’Anglais d’une voix faible, pour combler le silence.


Au Manoir Fell, lorsque son père lui demandait de le suivre et qu’ils marchaient ainsi en silence, c’était signe pour Aziraphale qu’il avait commis un impair et qu’il allait recevoir une leçon que Gabriel ne manquerait pas de lui enseigner à grands coups… Même s’il ne craignait presque plus de recevoir de châtiment corporel de la part du capitaine, certains réflexes étaient profondément ancrés chez Aziraphale, qui frotta machinalement ses mains, devenues soudainement moites sur ses culottes, en tentant de chasser la boule d’angoisse qui enflait dans sa gorge. 


Stede émit un petit rire amusé : 


— C’est à cet instant que j’en suis sorti, je souhaitais leur laisser un peu… Un peu d’intimité père-fils… Crowley était en train de dire à Ed qu’il avait passé une excellente nuit à tes côtés et Ed a… Disons qu’il a réagi comme… Comme Ed… ajouta-t-il, avec tendresse.   

— Il ne s’est rien passé, mon Capitaine ! s’empressa de préciser Aziraphale en secouant la tête, le feu au joues. 

— Cela ne me regarde pas, mon garçon, le rassura Stede, en remarquant sa nervosité. 


Il posa une main bienveillante sur son épaule qu’il serra brièvement en un geste de réconfort. 


— Aziraphale, je ne vais pas te punir pour éprouver des sentiments envers Crowley ! Et Ed non plus, d’ailleurs… A moins bien sûr… Mais je ne te pense pas capable de… ajouta-t-il, visiblement embarrassé. Ahem… 


Stede longea le bastingage d’un pas lent, Aziraphale à ses côtés, bien que légèrement en retrait. Gabriel Fell lui avait enseigné à marcher ainsi, toujours légèrement derrière lui, les yeux de préférence baissés, pour marquer sa soumission à son père. Le capitaine sembla soudain le remarquer et leva à nouveau son bras pour le passer un bras autour de ses épaules, le rapprochant du bastingage. Il s’y accoudèrent tous deux, côte à côte. L’Anglais écarquilla les yeux, mais se sentit finalement rassuré par toute l’affection que Stede avait mis dans son geste, le serrant affectueusement contre lui au passage, avant de le relâcher. 


— Comment, hum… As-tu déjà courtisé un homme, mon garçon ? Ou une femme… finit-il par demander.  


Aziraphale ne s’attendait pas du tout à ce que la conversation prenne ce genre de tournure, il s’attendait plutôt à recevoir des réprimandes, voire des représailles… Il repensa furtivement à John David et soupira.


— Non, pas vraiment… avoua-t-il, penaud. 

— Tu n’as jamais été… Ahem… Intime avec qui que ce soit ? 


Miséricorde. 


— Si ! Si, mon Capitaine, mais je n’ai jamais éprouvé… Du moins, maintenant que j’ai fait la connaissance de Crowley, je peux vous assurer que je n’ai jamais éprouvé de… s’embrouilla l’Anglais, en triturant sa chevalière. 

— De sentiments ? l’encouragea Stede. 


Aziraphale opina du chef vigoureusement, sans oser le regarder. 


— Vois-tu, l’amour romantique et l’acte de chair ne sont pas forcément liés. Lorsque l’on ressent de forts sentiments pour quelqu’un, il convient de… Eh bien de le courtiser ! Il est dangereux de s’abstenir de cette étape pour passer directement à l’acte de chair… 

— Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé ! l’interrompit Aziraphale, mortifié, en lui jetant un coup d'œil horrifié. 

— Ce que je veux dire, reprit Stede, posant délicatement sa main sur le coude d’Aziraphale en un geste rassurant, c’est qu’il est primordial de recueillir le consentement de la personne que tu convoites ! Et ce consentement ne peut intervenir que si la personne est aussi intéressée par toi que toi par elle. Tu dois lui faire la cour, Aziraphale, c’est ce que font les gentlemen ! résuma-t-il. 

— Je… Je n’ai jamais courtisé personne… avoua l’Anglais, en regardant le parchemin plié dans les mains du capitaine. Serait-ce… Auriez-vous noté quelques conseils ? demanda Aziraphale, plein d’espoir.


Stede haussa ses sourcils en levant le parchemin : 


— Ca ? Oh non, mon garçon… Ce n’est qu’une carte d’Hispaniola ! Nous y ferons escale dès demain si les vents se maintiennent en notre faveur. 

— Oh… 

— Tu pourrais en profiter pour passer du temps avec Crowley ! J’allais y venir… Il est important que tu continues de passer du temps seul avec lui pour… Pour apprendre à le connaître davantage… Le surprendre… expliqua patiemment Stede. 


Aziraphale sembla réfléchir un moment, perdu dans ses pensées, avant d’oser demander timidement :


— Comment avez-vous fait avec Ed ? Parfois j’ai… Je suis effroyablement maladroit… J’ai peur de tout gâcher ! 


Ses mains frottaient nerveusement les nœuds du bois de la rambarde. Toute cette situation le rendait si nerveux…


— Eh bien… répondit Stede, cela ne se passe pas toujours comme dans un conte de fées, mon garçon ! Nous avons eu nous-même des problèmes de communication… Nos débuts furent… Compliqués… Mais rien n’est insurmontable, Aziraphale ! Et ça en valait la peine ! Ça en vaut toujours la peine… Allons, mon garçon, raconte-moi ce qui t’inquiète… 


                                                              * * * 


— Assieds-toi, fils ! 


Ed appuya sur les épaules de Crowley pour l’inciter à s’installer sur le sofa, déserté à l’instant par Stede qui venait de sortir de la cabine en emportant avec lui la carte d’Hispaniola, qu’il était en train d’examiner. Crowley s'assit sans broncher, nouant la ceinture de la robe de chambre autour de ses hanches en soupirant bruyamment. 


— Tout va bien, Ed ! Je t’ai dit qu’on avait passé la nuit ensemble et c’est tout ce qu’on a fait, passer la nuit ensemble ! Je ne suis plus un enfant, je te rappelle ! 

— C’est bien pour ça que je ne t’ai pas empêché de dormir sur l’île ! bougonna Ed, en s’asseyant dans le fauteuil en face de lui. Qu’est-ce qui s’est passé, raconte ! 

— Comment ça, raconte ? On a nagé un peu, on a mangé, on a dormi, s’agaça Crowley. Tu veux que je te fasse un dessin ? 


Crowley n'espérait vraiment pas, il n’était pas aussi doué qu’Aziraphale en dessin…Ed fixa un moment ses mains jointes devant lui, un peu nerveux, avant d’enfin oser demander :

 

— Il n’a pas essayé de… De te toucher ?  

Ed

— Ok, ok ! répondit-il en levant les mains devant son visage, pour apaiser Crowley.

— On a parlé des étoiles… concéda Crowley, devant l’agitation de Ed.  


Le co-capitaine sembla rassuré et étonné en même temps. Après une grimace, il se cala dans le fauteuil pour allumer sa pipe. 


— Ah ouais ? C’est bien ça… 

— Je t’ai dit que c’était pas un connard ! On s’est, hum… Donné la main… 


Ed acquiesça d’un air absent. Crowley savait très bien que ce n’était pas le cas… 


— Et ? pouf pouf

— Et c’était… C’était bien ! J’aime bien quand il me donne la main… répondit Crowley, en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, le regard dans le vague. 

— C’est bien ça ! Faut pas aller trop vite, ça sert à rien ! Si il veut t’embrasser et que toi tu veux pas, tu lui dit de te tenir la main plutôt ! 


Il hésita un moment.


— Tu comptes, euh… Tu aimerais passer un peu de temps avec lui encore ? Demain, on accostera à Hispaniola, si tu veux… J’ai pas besoin de toi, tu pourrais, je sais pas moi… Aller lui montrer des conneries pour son livre ! Ou autre chose… 


Crowley l’observa d’un air suspicieux. 


— Attends, t’es en train de me dire, non… De m’encourager à passer du temps seul avec Aziraphale ? C’est bien ça ? T’as plus envie de lui couper les boules ? demanda-t-il, avec un sourire malicieux. 


Ed émit un grognement gêné, puis haussa les épaules : 


— Plus maintenant… Disons… Qu’il commence à bien me plaire… Il est courtois et gentil. Il a l’air sincère. Alors… Alors, il te plaît, hein ? demanda-t-il, avec un petit sourire. 


Ce fut au tour de Crowley de grogner faiblement.


Ngk… 

— Il faut que tu lui fasses comprendre, fils ! Je veux dire… Tu sais pas trop quels sont ses, heu… Projets. Avec toi, je veux dire… Alors faut que tu t’en rendes un peu compte quoi, faut qu’il sache qu’il te plaît aussi, tu vois ? 


Crowley repensa à tous les baisers qu’il avait échangés avec Aziraphale quelques heures plus tôt, mais ne dit rien. Il se dit qu’il avait très certainement compris par lui-même qu’il plaisait à Aziraphale, et réciproquement. Mais s’il en parlait à Ed, peut-être que son cher Anglais ne verrait pas la fin de la journée…


— Euh… C’est pas très clair, Ed, comment je fais pour lui faire comprendre ? 


Blackbeard haussa les épaules.


— Je sais pas moi,montre lui que tu sais pêcher un poisson, tiens ! Ça avait beaucoup impressionné Stede, je me rappelle… 


Crowley se redressa, fier de lui : 


— C’est fait ! Je lui en ai même pêché plusieurs !  

— C’est bien, mon fils ! répondit Ed, en se penchant pour tapoter son épaule. C’est une belle preuve d’amour, ça !

— Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? s’inquiéta aussitôt Crowley. 

— Tu peux… pouf pouf Tu pourrais lui dire que les belles choses lui vont bien ! Il va aimer ça ! Stede adore quand je lui dit ça ! 

— Quelles choses ?

— Ben ses vêtements ! 

— Mhm… Ce sont ceux de Stede, ça ferait bizarre, non ? 


Ed fronça les sourcils en réfléchissant : 


— Ouais… Ben s’il s’en achète demain, tu lui diras que ça lui va bien ! 

— Entendu… Quoi d’autre ? 

— Eh ben, euh… J’en sais rien moi, ça a suffit avec Stede… 

— C’est tout ? demanda Crowley, sceptique. 

— Ben moi, j’ai adoré quand il m’a écrit une lettre, mais… ajouta Ed, en lui jetant un regard en coin. Qu’est-ce que tu aimes bien chez lui ? ajouta-t-il.


Crowley réfléchit un moment avant de se lancer :


— Hum… Il est… Il est très doux ! Et aussi… Ce que j’adore chez lui… Il me demande toujours… Toujours ma permission… Pour tout ! Et il est si intelligent… Il est bien élevé, il parle bien et… Et aussi il sait manger avec des couverts ! Et il se lave ! Tous les jours ! Et même les dents ! énuméra Crowley, avec fascination. 


Ed fit la grimace.


— OK OK! J’ai compris, c’est un gars merveilleux, grogna-t-il.

— Mais…

— Mais quoi ? 

— Et ben… Il… Je ne joue pas dans la même cours que lui, Ed ! Il… Il lui faudrait quelqu’un de son rang… Aussi cultivé et intelligent que lui ! Quelqu’un… Quelqu’un qu’il serait fier de… Quelqu’un qui ne lui ferait pas honte ! expliqua Crowley, en se tortillant sur le sofa, de plus en plus nerveux. 


Ne sachant trop quoi répondre d’intelligent à cela, Blackbeard posa une main amicale sur le genou de son fils pour l’apaiser : 


— Hum… Dis-lui juste que tu trouves ça charmant qu’il se lave le cul tous les jours ! 


                                                              * * *  


Le lendemain, peu après le déjeuner, le Revenge contourna Tortuga pour accoster à Port-de-Paix et l’équipage descendit en reconnaissance pour écouler les marchandises honnêtement pillées depuis Cuba. Muriel enlaça son frère sur le pont, avant de rejoindre Jim, Archie, Olu et Frenchie, déjà en marche. 


— Reviendras-tu dormir sur le Revenge cette nuit, Zira ? demanda-t-il joyeusement, passant la bandoulière de son sac autour de son cou. Il avait hâte de profiter de sa petite part de butin dûment méritée..

— Euh… Je n’en sais rien, mais en tout cas, sois très prudent, nous ne connaissons pas cette île… s’empressa d’ajouter Aziraphale, préparant lui aussi son sac avec ses carnets et de quoi écrire, en craignant toujours d’être repéré sur la terre ferme. 


Muriel passa une main tendre sur la joue de son frère, un petit sourire aux lèvres. Il était devenu beaucoup plus démonstratif de son affection pour son aîné, ces dernières semaines. L’équipage savait enfin qu’ils étaient de la même famille et Aziraphale commençait à retrouver avec joie l’enfant enjoué et attachant qu’avait été Muriel avant leur départ précipité d’Angleterre.

 

— Tu t’inquiètes trop, Zira, soupira Muriel. Profite un peu pour une fois ! 

— Mhm… Je vais essayer, je te le promets ! se força à répondre Aziraphale. 

— Crowley vient avec toi ? demanda le jeune homme avec malice, regardant autour d’eux s'il voyait le rouquin dans les parages. 

— Eh… Eh bien, je ne sais pas… Je ne l’ai pas encore vu… répondit nerveusement son frère, en scrutant à son tour autour de lui, en frottant ses mains sur ses culottes. 


A cet instant, un léger impact se fit entendre derrière Aziraphale, sur le parquet du pont, suivi de près par une douce odeur sucrée et vanillée, qui lui chatouilla agréablement les narines. Aziraphale sourit. Il ne sursautait même plus à ses arrivées.


— On parle de moi ? demanda Crowley, avec un grand sourire. 


Aziraphale se mit immédiatement à rougir, pour le plus grand bonheur de Muriel, qui s’esclaffa : 


— Mon frère s’impatientait de te voir ! Bon ben je vous laisse, les rossignols, à plus ! 

Muriel ! tenta de le retenir Aziraphale, mais le jeune homme était déjà en train de gagner la rampe. 


Crowley ajusta son sac contre lui, puis passa ses cheveux au-dessus de la bandoulière, sans quitter l’Anglais des yeux : 


— Alors ? On y va, l’angelot ? Si on quitte la ville, je pourrai te montrer certains reptiles qui pullulent sur cette île ! Il y a l’iguane rhinocéros qui devrait te plaire et aussi de nombreux serpents ! 

Oh, ce serait parfait ! répondit Aziraphale, plus enthousiaste que jamais. 

— Très bien, alors allons-y…

— Bonne promenade, les garçons ! les interrompirent deux voix d’hommes. 


Surpris, Crowley haussa un sourcil avant de se retourner. Derrière lui, Stede et Ed se tenaient l’un contre l’autre et souriaient bêtement. Stede offrit un hochement de tête appuyé à Aziraphale, qui détourna la tête en rougissant, tandis que Ed faisait un clin d'œil théâtral à Crowley, sous le regard blasé d’Izzy. Le second, pour sa part, leurs mimait des gestes obscènes dans le dos des capitaines, faisant entrer son doigt dans un cercle formé par le pouce et l’index de son autre main. Crowley grimaça, se retourna précipitamment : 


Ngk… Et si on partait ? 

— Bonne idée ! acquiesça Aziraphale en gagnant la rampe à toute vitesse, suivi de près par le pirate. 


Ils s’éloignèrent aussi vite que possible du radar familial et traversèrent rapidement Port-de-Paix, pour s’enfoncer dans un paysage plus sauvage. Ils ralentirent enfin la cadence une fois à l’orée de la forêt, dont l’ombre salvatrice, ainsi qu’un léger vent d’est chargé d’embruns, eurent tôt fait de les rafraîchir. Ils poursuivirent dans un silence confortable, comblé par les pépiements d’oiseaux et le bruissement des feuilles dans les arbres. Aziraphale s’arrêtait à intervalles réguliers, le temps de remplir son carnet de croquis de plantes et de fleurs pendant que le pirate lui en narrait les vertus, utilisées par les Indiens Taïnos ou Lucayens. 

Soudain, Crowley fit signe à Aziraphale de s’approcher de lui. Il vint s’accroupir à ses côtés et, ivre de son odeur, eut bien du mal à se concentrer sur ce que lui racontait le pirate. Il sursauta brusquement lorsqu’un animal bougea, non loin devant eux. 


— C’est lui l’iguane rhinocéros, l’angelot, regarde ! Je sais pas pourquoi il s’appelle comme ça… Celui-ci est petit, mais ils peuvent dépasser les dix kilos ! 


Le reptile vert et jaune, à l’allure placide avec ses protubérances osseuses sur la gueule, se nourrissait de baies et de fleurs sans paraître dérangé par la présence des humains. 


— Il est magnifique ! Attends… 


Aziraphale sortit un autre carnet de sa besace et après en avoir rapidement vérifié le contenu, le tendit à Crowley, ouvert sur une double page représentant certains animaux de la savane. Il en pointa un du doigt : 


— Regarde ! Tu vois les excroissances que l’iguane porte sur sa gueule ? Elles sont semblables aux défenses du rhinocéros, c’est cet animal ici ! 

Crowley prit le carnet qu’Aziraphale lui tendait, et le feuilleta doucement, envoûté par les créatures inconnues qu’il découvrait.


— Quels sont… Quels sont ces animaux ? Je n’en ai jamais vu ! répondit Crowley, fasciné, en montrant tour à tour le dessin du rhinocéros et celui d’un éléphant. 


Son doigt se porta sur le titre, calligraphié en haut de la page par Aziraphale. Il lut péniblement :  


— Les… Les ani… Les animaux d’Afr… D’Afrique, hésita-t-il, devant les yeux ébahis d’Aziraphale. 

Seigneur… Mais… je croyais que tu ne savais pas lire ? 


Crowley eut un petit sourire timide alors que sa poitrine se gonflait de fierté.


— Ben… Je… J’essaye d’apprendre avec l’aide de… D’un ami ! 

— C’est merveilleux, Crowley ! Je te félicite, tu te débrouilles très bien ! 

Ngk… Les… Les animaux ? demanda le pirate, mal à l’aise. 

— Hum… Oui… Ces animaux vivent dans les plaines d’Afrique. L’Afrique est un énorme continent, au sud de l’Europe. Il y fait très chaud ! 

— Tu y es déjà allé ? 

— Pas vraiment. Nous restions sur les côtes quand nous y faisions escale, sur les autres navires où j’ai embarqué. Je ne me suis jamais aventuré dans les terres. Mais hum, mon père y allait souvent, il… Il ramenait parfois des trophées de chasse, des têtes empaillées notamment… Entre autres… 


Crowley grimaça.


— Il était bizarre ton père, non ? Ed n’a jamais empaillé d’animal… 

— Tu n’as pas idée… soupira Aziraphale. Hum… Je vais dessiner cet iguane si ça ne te dérange pas ? Cela risque de prendre un peu de temps… 

— Tout ce que tu veux, l’angelot, répondit un peu vite Crowley, en le dévisageant. 


                                                              * * * 


Après quelques heures passées à explorer la forêt et après un rapide en-cas, ils regagnèrent tranquillement Port-de-Paix. Aziraphale mourrait d’envie de tenir Crowley par la main, mais il n’osait pas, craignant de se montrer trop pressant. Crowley n’avait esquissé aucun geste particulier vers lui pendant leur petite promenade dans la jungle et il n’avait pas envie de le brusquer. Il ne manqua cependant aucune occasion de l’observer discrètement, sa beauté étant une source constante d’admiration.  

Une fois en ville, au milieu de la foule, il n’était plus question de tenir la main d’un autre homme, sous peine de ne jamais voir se lever le jour suivant… Aziraphale s’ébroua donc, au détour d’un bureau de poste, en serrant sa besace contre lui : 


— Hum… J’ai… J’ai quelque chose à faire… Je n'en ai pas pour longtemps !   

— Aye ! Je t’attends ici, l’angelot, répondit Crowley, avec un petit sourire. 


Aziraphale s’éclipsa rapidement à l’intérieur pour poster une lettre à Saraqael. Il y avait longtemps qu’il ne lui avait pas envoyé de nouvelles et il craignait qu’elle ne les croie morts, Muriel et lui. Il faudrait qu’il repasse par la Havane pour voir s’il elle avait enfin répondu à son dernier courrier. Surtout ne pas s’inquiéter…

Il paya avec la bourse de pièces donnée par Stede et ressortit d’un pas plus léger pour rejoindre Crowley. 


— Sais-tu où je pourrais trouver de la peinture ? lui demanda-t-il joyeusement. 

— De la peinture ? Pour quoi faire ? Mais ouais, il y a une boutique d’apothicaire un peu plus loin ! 


Il pencha la tête sur le côté, comme un oiseau, observant Aziraphale d’un air bizarre.

 

— Tu veux pas plutôt t’acheter des vêtements ? 


L’Anglais le regarda curieusement, avant de baisser les yeux sur sa tenue, certes un peu froissée et dans un état relatif de propreté, mais tout à fait acceptable.


— Des vêtements ? Pourquoi ? Le capitaine Bonnet m’en a donné plus qu’il ne m’en faut… 

— Parce que ça… Ahem, ça te va bien quand tu es habillé, répondit maladroitement Crowley, grattant le sol du bout de ses orteils, en essayant de se souvenir de ce qu’Ed lui avait dit.  


Aziraphale l’observa, interdit, mais ne releva pas et le suivit jusqu’à une petite échoppe où le conduisit le pirate en marmonnant nerveusement des paroles incompréhensibles.  

Aziraphale y trouva rapidement ce qu’il cherchait et en sortit satisfait, avec plusieurs petits pots de pigments de peinture broyés de différentes couleurs et tout ce qu’il lui faudrait pour faire ses mélanges.


— C’est pourquoi faire ? demanda le pirate.

— Hum… Un projet sur lequel je travaille avec Izzy ! 


Crowley le regarda avec des yeux ronds, mais ne releva pas non plus. 


— Tu veux rentrer ? se contenta-t-il de lui demander.

— Il y a… Il y a une autre chose que j’aimerais faire avant… Veux-tu bien m’attendre ici un instant ? 

— Comme tu veux, l’angelot ! Je serai pas loin, répondit Crowley, en s’éloignant. 


Aziraphale s’en retourna dans une boutique qu’il avait repérée plus tôt sur le chemin. Il en sortit une bonne demi-heure plus tard, une longue mallette en bois peint sous le bras et pas mal d’argent en moins dans sa bourse, puis chercha Crowley dans la rue animée. 

Il le repéra dans la foule des badauds et autres marchands, alpaguant le chaland dans une joyeuse et vivante cacophonie, grâce à ses cheveux, comme toujours, et le rejoignit tout excité à l’idée d’avoir réussi sa mission. Son bonheur fut malheureusement de très courte durée, dès lors qu’il avisa ce que le pirate tenait dans sa main. 

Un avis de recherche. 


Sur un morceau de papier, un portrait de piètre qualité représentait un homme aux cheveux courts et bouclés et au visage rond et avenant, accompagné d’une jeune femme aux longs cheveux noirs tout aussi bouclés et arborant une moue boudeuse. Les portraits s’accompagnaient d’une légende : 


Pour la capture d’Ezra Fell et de sa sœur Muriel Fell, 100 livres seront offertes. Pour tout renseignement, 40 livres. Pour la capture de toute personne considérée comme voyageant avec eux, 20 livres.  


Crowley releva la tête de l’avis et dévisagea Aziraphale, les sourcils froncés : 


— C’est marrant, on dirait toi, l’angelot ! 


Aziraphale sentit soudainement le sang quitter son visage, alors qu’une goutte de sueur froide coulait le long de son dos. Il prit le papier entre ses mains, faisant mine de s’y intéresser un moment. Son coeur battait la chamade, mais il réussit à articuler sans faire trembler sa voix :


— Moi ? Pfff, c’est aberrant voyons… 

— Ça pourrait être ton frère à côté… Avec des cheveux longs… ajouta Crowley, en penchant sa tête sur le côté.

— Tu… Tu as lu l’affiche ? demanda nerveusement Aziraphale, sans oser relever la tête. 

— Non… Y a trop de mots… avoua le pirate, un peu honteux. 


Aziraphale roula l’affiche en boule et la jeta plus loin d’un geste qu’il espéra nonchalant : 


— Nous devrions y aller, ne perdons pas de temps avec ces bêtises ! Encore une récompense pour de malheureux voleurs de chevaux certainement… 

— Ouais… Ouais, ça doit être ça… répondit Crowley, en fronçant les sourcils. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il, en avisant la mallette.

Oh, ça ? Ce n’est rien… Je te montrerai plus tard, rentrons, s’il te plaît ! le pressa Aziraphale, étreint par l’angoisse. 


Ils cheminèrent rapidement jusqu’au Revenge et si Crowley s’étonna de voir Aziraphale détacher ses cheveux et les rabattre sur son visage, il ne fit aucune remarque et se contenta de le guider à travers la foule, toujours plus dense, en direction des docks. Aziraphale ressentit un soulagement inexplicable en voyant les drapeaux de l’équipage flotter au grand-mât du navire et il grimpa sans attendre à son bord, Crowley sur ses talons, alors qu’il semblait scruter la foule en contrebas de la rampe. 

Izzy était sur le pont principal, occupé à lover des cordages. Il reposa les lourdes cordes en les voyant arriver et se dirigea vers eux en faisant claquer sa jambe en bois sur le pont de bois poli par le temps et la mer.. Son sourire s’effaça quelque peu en avisant l’air préoccupé qui flottait sur le visage de l’Anglais.


— Ça s'est mal passé ? lui demanda-t-il à voix basse, en se plantant devant lui et en jetant un coup d'œil à Crowley, qui arrivait sans se presser. 

— De quoi ? demanda Aziraphale en levant les yeux sur lui, sans comprendre.

— Avec Crowley ! ajouta le second, exaspéré. 

— Ah ! Non, oui… Il esquissa un petit sourire. Si, si, tout s’est bien passé, c’est juste que… poursuivit Aziraphale, en se passant une main dans les cheveux.


Il regarda soudainement autour de lui, cherchant visiblement quelque chose, puis reporta son attention sur Izzy, alors que l’angoisse commençait à lui broyer les entrailles. 


— Est-ce que Muriel est remonté à bord ? 

— Non, et je pense pas que les gars aient prévu de revenir dormir ici… Ils vont passer la nuit à jouer dans les tavernes et les bordels ! 


L’Anglais poussa un gémissement étranglé.


— Izzy…


Il hésita un moment, observant la foule des marins qui s'affairaient sur le port, se demandant si l’un d’entre eux causerait sa perte, puis ajouta : 


— Pourriez-vous me ramener mon petit frère s’il vous plaît ? finit-il par demander, en regardant le second droit dans les yeux. 


Izzy l’observa un instant en plissant les paupières, puis se redressa, en portant une main à sa ceinture : 


— Je m’en occupe, petit, tu peux compter sur moi ! répondit-il, en se dirigeant vers la rampe d’un pas décidé. 


Il tapota l’épaule de Crowley lorsqu’il arriva à sa hauteur et échangea quelques mots avec lui, qu’Aziraphale ne put entendre. Il le vit hausser les épaules et secouer la tête, visiblement tout aussi perplexe que lui. Quand Crowley arriva enfin à côté de lui, il lui adressa un faible sourire.


— Tout va bien, l’angelot ? 

— Hum… J’aimerais parler aux capitaines, j’ai oublié de demander à Izzy s’ils étaient à bord… répondit Aziraphale, toujours aussi soucieux. 

— Ouais, il sont dans leur cabine apparemment ! indiqua Crowley, en pointant la porte de la coursive. Je t’accompagne.


Aziraphale n’eut pas la force de l’en dissuader et ils se dirigèrent en silence vers la cabine des capitaines. Ils traversèrent le passage rapidement et toquèrent à la porte. Personne ne répondit. 


— Si ça se trouve, ils prennent un bain… grogna Crowley, en ouvrant la porte. 


Il s’avéra que les capitaines n’étaient pas dans la baignoire. 


Ils étaient imbriqués l’un dans l’autre sur le sofa. Ed, à quatre pattes, leur faisait face, ses longs cheveux recouvrant en partie son visage, le corps luisant de sueur, tandis qu’il reposait sur ses avant-bras. Stede se tenait derrière lui, fermement cramponné à ses hanches, le visage concentré, alors que son bassin faisait de frénétiques va-et-vient sur un rythme endiablé. 


— Vas-y, Gentleman Pirate… AahAah ! Rentre à quai ! hurlait Blackbeard. Plante-moi… Aah ! Plante-moi ta grosse… Ancre ! 


Trop concentrés sur leurs “occupations de capitaines”, ils ne remarquèrent même pas les visages déconfits de Crowley et Aziraphale, plantés dans l’encadrement de la porte. Crowley fut le premier à pouvoir détacher son regard du spectacle et il referma délicatement la porte, avant de se tourner vers Aziraphale : 


— Ça t'embête si on revient plus tard ? marmonna-t-il, le visage blême.   

— Hfdvnfjgjkgk… 

— ‘K, fais pas de bruit ! ajouta Crowley, en faisant demi-tour sur la pointe des pieds. 


Ils entendirent la voix étouffée de Stede leur parvenir à travers la porte : 


— À l'abordage, Capitaine ! Il est temps d’aller au fond des choses ! 


Crowley et Aziraphale se jetèrent un regard apeuré et accélérèrent le pas pour traverser la coursive en courant le plus vite possible sans faire de bruit, fuyant les bruits sourds et les grognements qui résonnaient dans le couloir. Lorsqu’ils refèrmèrent derrière eux la porte les menant sur le pont, Crowley haletait, les joues en feu. 


— Faut que j’aille me savonner les yeux et les oreilles, l’angelot ! On se retrouve plus tard ! grogna-t-il en disparaissant, la main devant la bouche, comme s’il se retenait de vomir.   


Tandis qu’Aziraphale s’efforçait d’oublier ce qu’il venait de voir et d’entendre, il s’assit sur une marche menant au gaillard d’arrière, en serrant sa malette en bois contre lui, tout en récitant une litanie dans sa tête. 


Il vit soudain une ombre se dessiner sur le parquet devant lui et redressa la tête, clignant des paupières face au soleil qui l’aveuglait. Muriel se tenait là, les bras croisés sur la poitrine, un air furibond plaqué sur le visage : 


— Pourquoi tu m’as fait revenir, Zira ? Je m’amusais bien, moi ! 


Aziraphale se releva d’un bond, posant précautionneusement la mallette sur le sol près de lui.


— Muriel ! Euh… C’est que… bégaya son frère, chassant avec peine de ses yeux l’image des capitaines.


Puis, l’angoisse reprit le dessus et il s’avança doucement vers son frère, lui chuchotant :


— J’ai vu un avis de recherche. Nous ne devons plus quitter le navire, Muriel ! 


Le visage du jeune homme se décomposa et ses bras tombèrent le long de ses flancs. 


— Un avis ? Mais… Cela fait des années que Père n’en a pas fait circuler ! 


Aziraphale jetta un coup d'œil rapide autour de lui, mais personne ne semblait faire attention à leur conversation. Il se pencha vers son frère.


— Je sais… Peut-être avons-nous été repérés lors d’un abordage ou d’une escale… Peut-être à Cuba… 

— Cela ne s'arrêtera-t-il donc jamais ? demanda Muriel, plein de rage. 


Soudain, la voix de Jim leur arriva, derrière Muriel : 


— Bon alors, on se le fait ce jeu de dés ? 


Surpris, Muriel haussa les sourcils sous ses boucles brunes en bataille. Il se retourna et découvrit avec plaisir Jim, Archie, Frenchie et Olu alignés face à lui.


— Qu’est-ce que vous faites là ? leur demanda-t-il, éberlué. 

— Qu’on joue dans la taverne ou ici, ça n’a aucune importance ! Mais on a commencé cette partie à cinq, on va la terminer à cinq ! Allez viens, on va jouer dans la cuisine… répondit Olu, en entraînant les autres. 


Ému, Muriel commença à les suivre, en se tournant vers son frère pour lui adresser un sourire plein de larmes. 


— Va jouer avec eux ! Et profite de ta soirée Muriel, tu ne risques rien ici ! l’encouragea Aziraphale. 


Muriel acquiesça silencieusement et disparut dans les entrailles du navire. 


— Du moins je l’espère… murmura Aziraphale, en baissant les yeux sur sa chevalière. 


Il se rassit nonchalamment sur la marche et soupira, laissant sa main courir le long de la mallette en bois. Au moins, pour le moment, tous ceux qu’il aimait étaient en sécurité à bord du navire. Le poids dans ses entrailles se leva légèrement.

Une boule de papier chiffonné vint atterrir devant ses bottes et il releva une nouvelle fois la tête pour découvrir celui d’Izzy. Mutique, Aziraphale tendit une main tremblante vers le papier et le déplia lentement. C’était l’avis de recherche. Sans pouvoir détacher son regard des portraits, il entendit le second lui parler d’une voix basse. 


— Même si c’est dessiné comme une merde, vous êtes reconnaissables, surtout toi, Ezra… 


Incapable de se lever, l’Anglais froissa à nouveau l’avis de recherche dans ses mains et fixa Izzy. 


— Merci de m’avoir ramené mon frère… 


Le second lui offrit une main pour l’aider à se relever : 


— T’en a parlé à Stede ? 


Aziraphale saisit la main tendue et se leva, en laissant sa mallette posée sur la marche. Il sentit ses joues s’empourprer de nouveau : 


— Euh… J’ai essayé, mais… Mais… bégaya-t-il, en jetant des regards terrifiés à la porte de la coursive. 


Izzy soupira. 


— Laisse-moi deviner… Ils sont encore en train de baiser comme des chiens ? 

— Pitié, arrêtez Izzy… implora Aziraphale, en se frottant le visage. 

— Vous voulez manger quelque chose ? 


Aziraphale ôta ses mains de son visage et découvrit Crowley, qui arrivait derrière Izzy, avec un plateau contenant un assortiment de pain frais, de fromage, de charcuterie, et même quelques fruits et légumes, ainsi qu’une bouteille de vin. 


— C’est quoi tout ça ? demanda le second, en fouillant le plateau. 

— J’ai croisé Roach à la cuisine, il m’a donné ce plateau ! Il était content d’avoir pu acheter de la viande et des légumes frais… expliqua Crowley. 

— Je vais aller jouer aux dés avec les autres, j’ai plus envie de boire que de manger ! Bon appétit, vous deux… Je veillerai à ce que Muriel aille sagement se coucher ce soir ! ajouta-t-il à Aziraphale, avec un clin d'œil entendu.   

— Merci encore, Izzy ! répondit l’Anglais, la gorge nouée. 


Crowley observa Izzy s’éloigner avant de se tourner vers Aziraphale : 


— Merci de quoi ? 


L’Anglais lui offrit un sourire fatigué, après avoir ramassé sa mallette. Il s’arrêta un moment devant lui et leva la main, hésita un bref instant, puis finit par effleurer sa joue du bout des doigts : 


— Allons manger, mon cher ! 


                                                              * * * 


La nuit tombait lorsqu’ils s’installèrent sur le gaillard d’arrière, en s’asseyant en tailleur l’un en face de l’autre, le plateau au milieu. Roach avait fait griller des lamelles de porc, qu’il avait préalablement fait mariner avec des épices et du miel et ils les posèrent sur de grosses tranches de pain, avec quelques morceaux de légumes et de fromage qu’il avait trouvé au marché. 

Crowley déboucha la bouteille de vin et la tendit à Aziraphale : 


— À la tienne, l’angelot ! 


Aziraphale, rassuré par la présence de son frère à bord et les sachant en sécurité sur le Revenge, parvint à se détendre suffisamment pour déguster le vin rouge aux accords fruités, qui s’accordait parfaitement avec leur repas. Il poussa même quelques gémissements de délectation, qui n’échappèrent pas à Crowley. 


— Tu ne manges pas ? demanda Aziraphale, étonné. 

— Si ! Si… répondit précipitamment le pirate, en arrêtant sa contemplation pour porter sa tartine à sa bouche. 


Ils terminèrent leur repas par quelques tranches d’ananas, que Roach leur avait placées dans une écuelle, puis écartèrent le plateau. Les poules du Paradise Lost vinrent picorer les quelques miettes tombées sur le parquet, avant de redescendre sur le pont principal pour aller se coucher dans quelque recoin ou se percher sur les échelles. Aziraphale les observa s’éloigner, s’amusant à l’idée que l’équipage commençait à retrouver des œufs éparpillés un peu partout sur le Revenge. Il ne comptait plus les jurons de Ed et Izzy, quand ils avaient le malheur de marcher ou de s’asseoir par mégarde sur l’un d’eux. Malheur à qui osait se moquer de leur infortune, au risque de se retrouver obligé de nettoyer toutes les déjections que laissaient les volatiles sur le navire. Il sourit et se mit à bailler. 


— T’es fatigué, l’angelot ? ricana le pirate. 

— Mhm… balbutia-t-il. Pardonne-moi ? Non ! Non, je ne suis pas fatigué ! 


C’était faux. 


Aziraphale était épuisé par leur journée passée à marcher, et plus encore par la montée d’angoisse que lui avait procurée l’avis de recherche. Toutefois il n’avait pas envie de se retrouver seul dans sa cabine, car il ne faisait aucun doute, vu les évènements de la journée, que son père viendrait une fois encore hanter son sommeil, aussi il se força à sourire. 


— Et toi ? demanda-t-il à son tour, avec douceur. 

— Non plus ! mentirent les cernes sous les yeux lumineux de la sirène.

— Est-ce que les sirènes dorment ? demanda brusquement Aziraphale en fronçant les sourcils, alors qu’il n’avait encore jamais pensé à ce détail. 


Crowley parut surprit et amusé, au grand soulagement de l’Anglais, qui se rendit compte un peu tard du caractère cavalier de sa question.  


— Bien sûr que oui ! répondit le pirate, en pivotant sur ses fesses pour étirer ses longues jambes sur le côté. Il me semble que tu t’es retrouvé plus d’une fois assez proche de moi pour t’en rendre compte par toi-même, l’angelot!

Oh… 

— Alors ? 

— Alors… Quoi ? demanda Aziraphale, perplexe.


Le pirate pointa la mallette avec un sourire provocant. 


— Ça aussi c’est pour ton projet avec Izzy ? 


La mallette. Aziraphale l’avait complètement oubliée ! 


Quel idiot, je fais.


— En fait non ! C’est… Je voulais te l’offrir, Crowley, expliqua-t-il, en mettant la mallette sur ses genoux. 

— Me l’offrir ? Comme… Comme un cadeau ? demanda Crowley, dont le sourire s'affaissa, interdit. 

— C’est exactement ça ! Un cadeau ! répondit joyeusement Aziraphale. 


Il commença à vouloir pousser la mallette vers lui, mais l’air sombre de Crowley le retint un moment.


— Pourquoi… hésita le pirate. Pourquoi tu me fais un cadeau ? insista-t-il, le visage soudain soucieux. 


Aziraphale haussa les épaules, soudain inquiet. Avait-il, sans le vouloir, commis un nouvel impair ?


— Eh bien… parce que j’en ai envie, quelle question ! Hormis la peinture, je n’avais besoin de rien d’autre et il me restait pas mal d’argent de ma part des abordages, expliqua timidement l’Anglais. 

— Pourquoi tu t'es pas acheté des vêtements avec ? demanda Crowley, décontenancé, et pensant toujours aux conseils de son père. 


Aziraphale fronça ses sourcils : 


— Quelle est cette obsession de me voir acheter des vêtements ? Les miens ne te plaisent pas ? demanda-t-il, avec une pointe d’anxiété. 

— Si ! Si, bien sûr, c’est juste… C’est juste que… Les belles choses te vont bien… récita Crowley, avec hésitation. 

Oh… Merci beaucoup, Crowley ! répondit Aziraphale les joues un peu plus roses, avec un petit sourire creusant ses fossettes.  


Le pirate parut soulagé. Aziraphale lui tendit finalement la mallette, sans se départir de son sourire et de son air réjoui : 


— Donc… Ton cadeau ! 


Perplexe, Crowley saisit la mallette et l’ouvrit avec précaution. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il en avisa le contenu. 


— C’est… C’est… bégaya-t-il. 

— Un télescope ! s’enjoua Aziraphale. Il avait presque envie de battre des mains d’excitation. Ce n’est certainement pas le plus performant, mais je me disais que tu pourrais observer les étoiles avec plus de précision… expliqua-t-il, en guettant nerveusement la réaction du pirate. 


Crowley sortit l’engin de sa mallette avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve et l’examina de plus près, incrédule. Il en caressa longuement le bois d’acajou et le laiton avec des gestes révérencieux, refermant sa main et la faisant glisser le long de la lunette pour déplier et replier la longue-vue juste assez longtemps pour que l’esprit d’Aziraphale s’égare en des contrées dangereuses…  

Crowley observa le télescope pendant un long moment, puis son regard fasciné se changea peu à peu en air circonspect. Il soupira lourdement :


— Je… Je suis pas sûr… Je saurais pas m’en servir, l’angelot ! finit-il par avouer tristement, en observant la lentille de rechange et le trépied replié dans la mallette. 

— Mais moi je sais ! se ressaisit aussitôt l’Anglais . Il posa la main sur l’épaule de son ami, caressant doucement de son pouce la peau chaude qui dépassait de sa chemise de lin. Je peux t’expliquer si… Si tu en as envie… se proposa-t-il. Regarde comme le ciel est dégagé ! C’est une nuit parfaite pour observer les étoiles, poursuivit-il, en posant ensuite sa main sur le télescope, non loin de celle de Crowley, dont il effleura volontairement le bout des doigts. 


Un frisson lui parcourut l’échine au contact de la peau du pirate et Aziraphale se demanda brièvement si Crowley avait ressenti une sensation similaire, car il s’ébroua. 


— Je suis pas aussi intelligent que toi, l’angelot, mais tu peux toujours essayer de m’apprendre ! répondit-il, en retrouvant un peu de sa témérité. 


Avec un sourire soulagé, Aziraphale entreprit de se lever pour sortir le trépied de la mallette et le déployer devant le bastingage, suivi par un Crowley curieux, qui étudiait méticuleusement chacun de ses gestes. L’Anglais se fit une joie de partager ses connaissances avec lui et une fois le télescope correctement fixé, il l’orienta vers la voûte céleste et se tourna ensuite vers le pirate. 


— Après toi, mon cher ! l’encouragea-t-il, en tendant une main vers la longue-vue. 


Crowley en resta bouche bée de longues minutes, incapable de reculer son oeil de la lentille. Aziraphale l’entendit même marmonner, dans une langue inconnue, ce qui ressemblait à des exclamations d’émerveillement. 


Ils observèrent ainsi les étoiles jusque tard dans la nuit, jusqu’à ce que les lumières du port s’éteignent les unes après les autres, en même temps que les rires de l’équipage. Un silence confortable s’était étendu sur le navire, laissant uniquement la place aux bruits des insectes nocturnes et des cordages des voilures qui battaient contre les mâts au gré du vent. Une brise s’était levée et, mêlée à l’humidité, la fraîcheur se fit sentir, mais Crowley n’accepta de s’éloigner du télescope que lorsque son corps se mit à trembler si fort qu’Aziraphale posa une main sur son épaule en riant doucement : 


— Il est tard, Crowley, regarde-toi, tu trembles comme une feuille ! 

Ngk… Je veux regarder encore ! Je ne les ai jamais vues aussi bien, protesta le pirate. 

— Il y aura d’autres nuits, objecta Aziraphale, d’une voix douce et pleine de promesses. Et Bentley doit se demander où tu es !  


Cet argument sembla porter ses fruits, car le pirate, après un soupir, se recula lentement de la lentille. 


— Bien… Je vais te montrer comment la ranger maintenant, poursuivit l’Anglais. 


Une fois le matériel soigneusement ramassé dans sa mallette, Aziraphale la souleva, tandis que Crowley ramassait le plateau. Aziraphale hésita un moment et lui tendit la mallette. 


— Je peux… Hum, il serait plus logique que tu retournes dans ta cabine avec ton cadeau et que ce soit moi qui ramène le plateau à la cuisine, suggéra Aziraphale, bien que rien dans son attitude ne semblait suggérer qu’il en ait bien envie.  

— Laisse… Je vais te raccompagner, marmonna Crowley, en détournant le regard. 


Ils marchèrent dans un silence gênant jusqu’à la cuisine, désertée par le reste de l’équipage, et Crowley finit par poser le plateau sur la grande table, avant d’ajuster son sac sur son épaule : 


— Bon, eh bien… 

Oh ! l’interrompit brusquement Aziraphale. Tu es bien trop chargé avec ton sac, laisse-moi porter le télescope jusqu’à ta cabine ! 


Le pirate l’observa d’un œil critique.


— Hum… Toi aussi t’as ta besace, l’angelot, lui fit-il remarquer, avant de planter une de ses canines dans sa lèvre inférieure. 


Aziraphale sursauta presque en ôtant brusquement son sac de son épaule : 


— Mais non ! Je vais laisser ma besace dans ma cabine, je reviens tout de suite ! s’empressa-t-il de répondre, en ouvrant la porte du placard. 


Il descendit rapidement les quelques marches menant au réduit et les remonta encore plus rapidement, une fois délesté. Dans la cuisine, il frotta ses mains sur ses culottes en se retrouvant face à face avec Crowley, qui le dévisageait d’un air sceptique. Sans se départir de son idée, il tapota ensuite la mallette : 


— Je te suis ?

— Aye… répondit le pirate en un petit sourire, en faisant demi-tour. 


Ils ne croisèrent personne dans les entrailles du navire et s’immobilisèrent devant la porte de la cabine de Crowley, qui replaça nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille : 


— Hum… Tu veux dire bonjour à Bentley ? demanda-t-il, le regard fuyant.

— Oui ! répondit précipitamment Aziraphale, avec un sourire soulagé. 


Le pirate referma la porte derrière eux et Aziraphale s’approcha de la cage de la mouette : 


— Bonsoir, mon amie ! Je suis ravi de te revoir ! la salua-t-il joyeusement. 


L’animal ne sembla pas partager sa joie et lui offrit un caquètement scandalisé en ouvrant péniblement un œil, avant de se tourner pour lui présenter son croupion. 


— Quel bel animal, poursuivit l’Anglais, l’air de rien. 


Il posa la mallette sur le petit bureau du pirate et se tourna ensuite vers Crowley, qui paraissait nerveux. 


— Hum… Je laisse la mallette ici ? 

— Oui ! Oui, merci, l’angelot… répondit Crowley, en fixant l’Anglais de ses grands yeux jaunes, qui brillaient dans l’obscurité de la pièce.


Il semblait mal à l’aise, mais Aziraphale n’arrivait pas à comprendre pourquoi… Il dansait d’un pied sur l’autre, comme si les paroles qu’il voulait prononcer restaient coincées dans sa gorge.

Ni l’un, ni l’autre ne semblait vouloir que la soirée se termine, mais Aziraphale n’osa pas s’imposer davantage et se dirigea donc vers la porte d’un pas traînant, en adressant au pirate un petit sourire au passage : 


— Eh bien bonne nuit, mon cher ! dit-il d’une voix douce. 

Ahem… Merci… Merci pour cette soirée ! Et pour le télescope bien sûr… Ngk… bégaya le pirate, qui semblait indécis.  


Alors qu’il avait la main sur la poignée de la porte, Aziraphale entendit la voix pressante de Crowley derrière lui : 


— Reste ! 


Il s'immobilisa, avant de se tourner lentement vers le pirate, qui le fixait, les yeux plein d’espoir. Il tortillait ses mains l’une contre l’autre, alors que sa chevelure tintait doucement en suivant les mouvements nerveux de son corps : 


— Pardon ?

— Tu peux, hum… Tu peux rester si tu veux… bégaya Crowley, en baissant les yeux sur ses pieds.


Merci, Seigneur.


— Est-ce que… Ça te ferait plaisir ? demanda Aziraphale, en lâchant la poignée et en avançant d’un pas dans la cabine. 

— Je n’ai… Pas très envie d’être seul… répondit Crowley en relevant la tête, un air suppliant au fond des yeux.


Un léger sourire fleurit doucement sur les lèvres d’Aziraphale.


— A vrai dire moi non plus, avoua-t-il, en le rejoignant.   


Crowley ôta le drap de son matelas. Le tissu était propre et sentait bon ! Depuis que le sabord de la chambre restait ouvert toute la journée, Bentley ne faisait plus ses déjections à l’intérieur, sauf si elle était de mauvaise humeur. Le pirate s’assit ensuite timidement au bord de son lit et tapota le matelas à côté de lui en regardant Aziraphale avec un petit sourire qui avait un je-ne-sais-quoi de craintif. L’Anglais vint s’asseoir timidement et, constatant l’état de conflit croissant dans lequel semblait se dépêtrer le pirate, tendit une main pour la placer sur la sienne, qui tapotait nerveusement son genou.


— Puis-je prendre ta main dans la mienne ? demanda-t-il, en tentant de fixer le regard inquiet de Crowley. 


Le pirate se figea un instant, les yeux braqués droit devant lui, avant d'acquiescer silencieusement. Il regarda ensuite la main d’Aziraphale se tendre, paume en l’air, pour se glisser sous la sienne. Une fois leurs paumes l’une contre l’autre, Crowley écarta lentement ses doigts et Aziraphale les entrelaça délicatement dans les siens.


— Qu’y a-t-il, Crowley ? l’encouragea l’Anglais, à voix basse. 


Le regard du pirate resta figé sur leurs mains et il se concentra sur le contact rugueux, mais qu’il trouvait de plus en plus apaisant, des cals du marin contre ses doigts si lisses, pour trouver la force de s’expliquer. 


— C’est juste que… commença-t-il doucement, j’ai très envie que tu restes plus longtemps avec moi, l’angelot, mais… Mais… 


Crowley semblait hésiter à en dire davantage. Il se tortillait sur le matelas et Aziraphale pouvait sentir sa respiration se saccader. Il se doutait à présent de ce que le pirate voulait lui demander, mais il voulait le laisser parler, exprimer ses craintes avec ses mots.


— Tu peux tout me dire, Crowley… l’encouragea-t-il, en serrant légèrement sa main délicate dans la sienne. 


Crowley resta silencieux un moment, avant de se racler doucement la gorge et de se jeter à l’eau :


Ahem, je… Je voudrais juste… 


Il frotta nerveusement son pied contre le sol. Aziraphale resta silencieux.


— Je… je ne suis pas sûr de… De pouvoir… T’offrir ce que tu attends de moi… lâcha enfin le pirate, en évitant son regard. 


Aziraphale, qui avait deviné juste, esquissa un petit sourire qu’il espérait rassurant.


— Et… Qu’est-ce que j’attends de toi, d’après toi ? souffla-t-il.


Crowley haussa vaguement les épaules.


— Du plaisir… 

— Tu… Tu crois que je veux rester avec toi pour… 

— Pour quoi d’autre sinon ? l’interrompit le pirate, d’une voix dure. 


Il n’osait toujours pas lever les yeux vers lui.


Crowley… Crowley, regarde-moi, je t’en prie…   


Le pirate releva lentement son visage vers le sien. Son regard était suppliant, au bord des larmes et pourtant, Aziraphale sentit que s’il tentait par un quelconque moyen de s’imposer à lui, ce qui n’était évidemment pas son intention, le pirate se défendrait sauvagement. Aziraphale lui offrit un sourire tendre.


— Si je te promets que je ne te toucherai pas, serais-tu rassuré ? 


Il lui caressait doucement la main du bout des doigts. Crowley sentit un petit frisson remonter le long de ses bras.


— Je ne souhaite rien d’autre que ta compagnie, je te l’assure ! poursuivit Aziraphale. Après tout, nous avons déjà dormi ensemble et je ne t’ai jamais touché. Pourquoi cela serait-il différent ce soir ? 

— Parce que tu… Tu m’as offert un cadeau ! déclara le pirate, comme une évidence, en fronçant les sourcils.     


Le cœur de l’Anglais se serra dans sa poitrine.


Seigneur Dieu… Crowley, je ne t’ai pas offert ce télescope en échange de tes faveurs ! Tu… C’est ça qui te fait peur ? 


Il sentit la main du pirate trembler dans la sienne et la porta à sa bouche pour y poser un rapide baiser. Les doigts de Crowley se serrèrent autour des siens.


— Et si tu me parlais de ton peuple ? Si je me souviens bien, tu devais me parler de ta langue natale après l’abordage du Morningstar, tenta Aziraphale, d’une voix encourageante.  


Crowley l’observa avec un haussement de sourcil étonné, comme si l’Anglais débarquait d’une autre planète, puis poussa un léger soupir de soulagement. Sa main se décrispa dans celle d’Aziraphale. 


Ils discutèrent ainsi jusqu’aux premières lueurs de l’aube, Crowley tentant d’inculquer les rudiments de sa langue à Aziraphale, lequel semblait définitivement plus doué pour la botanique que pour la linguistique. Après quelques éclats de rire, ils finirent par s'allonger dans l’étroit lit du pirate, face à face, et se glisser sous la couverture, épuisés.

Ils ne s’étaient pas laché la main. Fidèle à sa promesse, Aziraphale dut se faire violence pour ne pas serrer le corps de Crowley contre lui, mais il s’avéra qu’au bout de quelques minutes, ce fut le pirate qui vint se blottir contre lui, en posant sa tête sur sa poitrine. 

Interdit, Aziraphale n’osa pas bouger d’un pouce. La délicieuse odeur du pirate l’entourait, aussi confortable que la couverture douillette qui les enveloppait et il mourait d’envie de passer ses doigts dans les longs cheveux qui encadraient le visage fatigué de Crowley et qui lui chatouillaient le nez. 

Le pirate finit par poser une main timide sur son torse, là où la chemise d’Aziraphale découvrait en partie sa poitrine et les quelques dessins qui l’ornaient. L’Anglais retint son souffle lorsqu’il sentit les doigts de Crowley glisser sous son crucifix pour jouer avec la fine toison de son torse. 


— Merci, l’angelot, murmura-t-il, d’une voix ensommeillée. 


Aziraphale ramena la couverture de sorte à couvrir le plus possible le corps de Crowley et il passa ses mains par-dessus pour le serrer contre lui. Il ressentit le besoin urgent de dire “je t’aime” pour la première fois de sa vie, car il venait enfin d’en apprendre la signification. 


Après trente-cinq ans à se débattre contre ses propres convictions et ses croyances religieuses.

Après dix ans passés à fuir son passé.

Il venait de se trouver. Ici. Dans l’étreinte d’un pirate-sirène fasciné par les étoiles, adopté par deux hommes et une prostituée. 


Il aimait cet homme, il en était certain. Et il ferait tout pour le lui prouver ! 


Tandis qu’il s’abandonnait au sommeil, enfin en paix avec lui-même, Bentley sortit silencieusement de sa cage pour voler jusqu’au sabord. Elle se retourna pour observer les deux hommes paisiblement endormis, avant de s’envoler pour profiter elle aussi de l’escale. 


Le soleil se levait et réchauffait doucement ses ailes, tandis qu’elle se laissait porter par le vent d’Est pour rejoindre la criée du port. 


Aujourd’hui serait une belle journée !       


   


  1. J'ai gagné ! Merci, Crowley, je parie que vous avez fait l'amour hier soir !
  2. Non, on s'est juste embrassés, c'est tout, Jim !


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