Gladis ou L'épée prodigieuse

Chapitre 1 : Gladis ou L'épée prodigieuse

Chapitre final

2290 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/01/2025 20:18

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Nouvel an chinois (mars 2019).

Catégorie Anciens défis no limits




Mon nom est Gladis. On m'a forgée dans l'acier le plus pur qui se puisse concevoir, façonnée sur une enclume extraordinairement massive, chauffée directement aux flammes de l'enfer, trempée dans l'eau de la Mer Morte, et dotée pour finir de quelques pouvoirs divins. Par exemple, je suis capable de produire des flammes, à feu continu. C'est assez amusant, j'avoue que je ne m'en lasse pas. Je peux m'éteindre totalement aussi. Mon grand plaisir est alors de me rallumer sans crier gare. La surprise, que ce soit du bras armé ou de la malheureuse créature attaquée, me comble d'un ineffable bien-être. Je ne refuse jamais une bonne frayeur. Et si je peux lire l'effroi et la panique dans les yeux de l'assailli, c'est encore mieux. Il n'y a pas de petite satisfaction. Que voulez-vous, la vie d'une épée est parfois bien monotone, et il m'arrive de m'ennuyer. C'est pourquoi je suis toujours ravie d'un combat quand l'occasion se présente.


J'étais entre les mains d'Aziraphale, il y a quelques heures encore.

Seulement, au lieu de me conserver précieusement pour garder et protéger la porte orientale d'Éden, comme lui ordonnait son devoir, l'ange a préféré m'offrir à Adam et Ève, guidé par son altruisme qui lui dictait plutôt de venir en aide au couple, banni du Paradis pour avoir croqué une malheureuse pomme.

Bien sûr, il s'était vu contraint de les chasser de ce jardin des délices : c'était écrit dans le Grand Plan de Dieu. Le fruit défendu de l'arbre de la connaissance était une tentation qu'ils devaient repousser, un point c'est tout.

Mais alors pourquoi placer cet arbre en plein milieu du jardin, comme si on y avait accroché une pancarte « Ne Pas Toucher » ? Plus ardue l'épreuve, plus méritant le vainqueur, j'imagine. Et qui aurait pu résister à ce serpent tentateur qui leur susurrait en ondulant lascivement parmi les branches : « Cccc'est une pomme. Goûte-là. Elle est ssssucculente. Aie confiancccce... ».

Il faut admettre qu'elle était magnifique : un teint vermeil, ronde et pleine comme la lune, une peau qu'on devinait des plus douces, brillante telle un rubis, on la sentait gorgée d'une chair si croquante et d'un jus si sucré, une affriolante invitation à la gourmandise ! Je l'aurais moi-même volontiers découpée en tranches pour en faire une tarte... Vil démon sournois !

Peut-être qu'Aziraphale lui-même aurait succombé. Mais les anges ne sauraient être tentés, à ce qu'il paraît... D'ailleurs il n'observait la scène que de loin, perché sur son mur, se tordant les mains de désespoir à l'idée de la punition divine qui allait fatalement s'abattre sur ces malheureux. Cet ange n'avait jamais souhaité de mal à quiconque. J'assistais aussi à cette tragédie, posée par terre à ses pieds.

C'est alors qu'il prit sa décision, et que je changeai de propriétaire tandis qu'il leur conseillait de ne plus être là au coucher du soleil. Je pressentais pour lui de sérieux problèmes avec sa hiérarchie, mais bon. C'est lui qui voyait. Pas mon rayon, après tout.

« Son bon cœur lui jouera des tours un jour prochain à ce chérubin » pensai-je en jetant un dernier coup d'œil par dessus ma garde, juste à temps pour apercevoir ce maudit serpent le rejoindre sur la haute muraille et prendre très lentement une apparence... humaine ? démonique ?

Allons bon. Mais ce n'était plus mon problème.


Et me voilà donc dans la poigne courageuse d'Adam, déterminé à les protéger tous deux, sa compagne et lui, des périls environnants. Enfin, je devrais dire tous trois, car Ève attendait son premier enfant. Leur armure, un simple feuillage entrelacé, ne leur serait pas d'un grand secours en cas de danger.


Le premier qu'ils eurent à affronter fut un troupeau de chèvres de l'Atlas. Ces animaux, qui n'avaient jusqu'alors jamais rencontré d'humains, descendaient nonchalamment d'une haute dune de sable, sans doute à la recherche de quelque végétation à brouter. Il faut dire qu'excepté cette petite oasis que formait le jardin d'Éden, en plein milieu du désert, les animaux ne trouvaient pas grand-chose à manger sous ces latitudes. Elles semblaient maigres et efflanquées. Dévalant la dune dans un nuage de sable et de poussière, elles se dirigeaient tout droit vers la seule nourriture visible : les quelques feuilles dont étaient revêtus mes deux nouveaux protégés.

Elles se rapprochaient dangereusement. Je pouvais à présent distinguer leurs cornes recourbées et effilées, plus grandes chez les mâles, à l'état de bourgeon chez les plus jeunes. J'apercevais également leurs barbichettes qui s'agitaient sous le souffle du vent. J'aurais misé sur une bonne centaine de têtes.

Manifestement, c'était à moi de jouer. Adam me brandit devant lui, prêt à parer à toute charge intempestive. D'instinct, Ève s'était placée derrière lui, protégeant son ventre de ses mains. Je mis en route le premier degré d'enflammage, estimant que cela suffirait pour repousser les caprins affamés. L'homme se mit à me faire tournoyer devant ses yeux, fermement campé sur ses jambes fléchies, à une vitesse telle que j'aurais pu en choper une bonne migraine, si j'avais eu un crâne !

La manœuvre toutefois fut efficace. Les chèvres, hésitantes, ralentirent. L'odeur du feu, la chaleur intense et la luminosité soudaine déclenchèrent un désarroi dans le troupeau. Une réponse instinctive à cette peur atavique s'imposait : la fuite ou la défense. Elles finirent par stopper, à quelques mètres du couple. Ces bestioles sont plus craintives que méchantes. Aussi firent-elles prudemment demi-tour, leurs sabots piétinant le sable en mouvements impatients et indécis.

« C'est ça ! ricanai-je intérieurement. Allez donc voir ailleurs si l'herbe est plus verte ! »

Ce péril écarté, Adam et Eve poursuivirent leur errance, sous le soleil, à travers la vaste étendue sableuse.


Plus tard dans la journée, voilà que passe au loin une volée d'oies et de canards. Ne me demandez pas comment ces volatiles avaient atterri en plein désert, je serais bien en peine de vous répondre. Une facétie du Tout-Puissant, sans doute. Ils étaient une multitude.

Ça cancanait, ça gloussait à qui mieux mieux. Je savais que les oies pouvaient se montrer de redoutables gardiennes, comme en témoignera la Scotch Watch en Écosse à partir de 1959, et comme le prouveront, plus près de nous, les oies du Capitole à Rome. Je ne sais pas tout, mais je connais des bribes d'avenir.

Les canards quant à eux n'étaient guère dangereux, mais allez anticiper leur réaction au sein d'une armée d'ailes et de becs assoiffés de sang...

Les deux humains, inconscients du danger, continuaient d'avancer vers l'armée à plumes. Les cris des palmipèdes étaient devenus plus menaçants. M'est avis qu'ils auraient, tout comme les chèvres, volontiers boulotté la verdure qui servait de vêtement au couple. Certains d'entre eux, avançant en éclaireurs, tentèrent de pincer cruellement les mollets de mes protégés.

D'office, vu le nombre des assaillants, je déclenchai le niveau deux de l'enflammage : mieux valait prévoir le pire. Je n'étais pas limitée, de toute manière. Adam réagit rapidement, lui aussi.

Tournoyant entre ses mains, je pouvais observer le reflux de l'effrayante basse-cour, dans une cacophonie de cris outrés. Il ne resta bientôt plus qu'une poignée de canards retardataires, insistant pour qu'on leur jette au moins quelques miettes de pain. Comme rien ne leur tombait dans le bec, ils finirent par quitter les lieux à leur tour, se dandinant en émettant moult coin-coins indignés.


La fin d'après-midi approchait. L'homme et la femme avançaient péniblement maintenant, gagnés par la fatigue. Marcher pieds nus dans le sable était épuisant à la longue. À l'horizon, le soleil déclinait.

C'est alors que j'aperçus au loin une silhouette massive, qui descendait posément du sommet d'une haute dune. La lenteur de l'animal, loin de me rassurer, m'inspirait les pires craintes. La nonchalance de la bête reflétait son assurance : persuadée de sa force et de son pouvoir, elle semblait prendre plaisir à faire durer l'attente. Quand elle fut plus près, je la reconnus avec épouvante : Aryeshor, le monstre sanguinaire et impitoyable, mi-lion mi-taureau, qui, à intervalles réguliers d'une année, descend de son antre quelque part au milieu des sables chauds pour venir répandre la terreur et se repaître des animaux et humains trouvés sur son chemin.

On dit que son péché mignon est le nouveau-né. Pourtant, point de bébé ici. L'angoisse déferla le long de ma lame comme un courant d'air glacial : se pourrait-il que le fœtus qu'Ève nourrissait tendrement dans son sein ait titillé son redoutable flair ?

Aryeshor approchait, comme le félin qu'il était, prêt à fondre sur sa proie. Sa crinière flamboyait au soleil couchant. Ses griffes, longues et acérées, reflétaient la lumière du soir. Sur sa tête, deux cornes interminables à la pointe menaçante ondulaient au rythme de sa tête démesurée, qu'il agitait de droite et de gauche. La gueule ouverte sur un cri pour l'instant muet, ses crocs luisaient sous les derniers rayons. Son corps trapu révélait des muscles impressionnants. Son poids dépassait largement la tonne.

Maintenant juste en face d'Adam et Ève, il semblait jouer à leur lancer d'espiègles coups de patte d'une extrême dangere... dangeri... dangerosité.

Il était plus que temps de réagir. J'enclenchai le niveau cinq.

Aryeshor sembla décontenancé. Mais la bête, tenace, insistait, rugissant et s'évertuant à toucher les humains du bout tranchant de ses griffes. Ses crocs affûtés ne se cachaient plus, menace constante d'un déchiquetage en règle. Elle et moi étions aussi infatigables l'une que l'autre. Le combat s'annonçait interminable... Adam esquivait habilement les coups de patte, mais toujours la créature revenait à la charge. Je poussai alors le niveau à son maximum, le sept.

Outre le fait de projeter des flammes modulant tous les tons possibles du jaune au rouge, j'avais la faculté d'émettre des sons assourdissants imitant tantôt le tonnerre, tantôt des ustensiles de cuisine qu'on aurait frappés avec d'innombrables morceaux de bois, tantôt le fracas ravageur d'un volcan en éruption. Autant vous dire que la lumière que je projetais alentour aurait brûlé les pupilles du premier venu, fussent-elles protégées par des lunettes de soleil aux verres les plus fumés. Je poussai mon avantage : ce n'était plus le bras de l'homme qui me mouvait, mais bel et bien moi qui conduisais son bras. Intrépide, Adam ne cédait pas d'un pouce, déterminé à protéger sa compagne et l'enfant qu'elle portait. Au contraire, il poussait notre avantage et forçait le monstre à reculer.

De longues minutes plus tard, pressentant qu'elle n'aurait pas le dessus, la bête effectua quelques pas en arrière. Adam avança. Aryeshor lança un dernier rugissement de dépit, puis fit demi-tour, la queue entre les pattes, pour rejoindre la grande dune.

Nous étions épuisés. Ève, tétanisée, semblait transformée en statue de sel. Il nous fallut à tous trois une éternité pour recouvrer nos esprits et respirer normalement. Enfin, l'errance reprit au milieu des sables. La nuit était presque là maintenant, mais ils devaient trouver un abri sûr.


Au terme d'une longue et harassante marche, ils trouvèrent refuge en lisière d'une petite oasis miraculeusement éclose autour d'une source jaillissant des profondeurs. Là, ils s'installèrent le plus confortablement possible au pied d'un manguier. Dans sa main, j'en avais coupé les branches basses pour en faire une couche fort acceptable.

Ils s'endormirent la nuit venue, blottis l'un contre l'autre pour se tenir chaud. Les nuits sont fraîches, par ici. Près d'eux, je veillais.

« C'est tip-top » avait conclu Adam le sourire aux lèvres avant de fermer les paupières.


Cette nuit-là, admirative devant le courage de ses deux créatures, Dieu décida de donner un petit coup de pouce à l'humanité en descendant elle-même sur terre pour enchaîner Aryeshor afin de l'empêcher désormais de nuire.


Ainsi s'éveillèrent Adam et Ève, au premier matin de la première année de leur vie terrestre dans ce monde.


Depuis lors, dans certains pays d'Asie, on célèbre ce jour par des feux de Bengale, pétards et autres feux d’artifice, par des inscriptions sur d'amples banderoles écarlates censées apporter chance et bonheur pour l'année à venir, et par une profusion de lanternes et décorations rouges dans les rues et les maisons.


Quelques semaines plus tard, Ève devait donner naissance à Caïn, qui allait devenir - le croirez-vous ? - le premier meurtrier de l'histoire de l'humanité.

Dieu merci, je ne serai pas mêlée à cette sombre affaire.


Je sais cependant que je serai de nouveau appelée à la rescousse dans le futur. Entre autres, avant de réapparaître au beau milieu de l'Apocalypse manquée, je ferai une petite incursion au pays de Brocéliande, aux côtés d'Arthur.

Mais ceci est une autre histoire...




FIN





Note : 2025 est l'année de Cr... du serpent, dans l'horoscope chinois.

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